Amis ✡ Narcisse

La pluie ne suffisait même plus à éteindre le feu en lui. La chaleur semblait être de plus en plus forte de jour en jour. Plus encore depuis… depuis la mort de Sheina. Impossible de s’en débarrasser, malgré la fatigue, malgré les entraînements de plus en plus éprouvant qu’il s’imposait.
Cette satanée chaleur était toujours là.
Peut-être que la neige pourrait l’apaiser.

Le grand castel.
Il ne sait pourquoi il revient encore à cet endroit. Ses pas semblent toujours le ramener en ces lieux, peut-être pour se donner bonne conscience. Il avait prêté un serment, à Hollyhock, celui de la protéger… mais pourrait-il la protéger de lui ? Le Phénix avait senti la faiblesse chez la bleue. Narcisse se demandait si ce n’était pas lui qui portait malheur aux alphas, Pepper… Holly…
Peut-être que sa parole était maudite.
Peut-être… qu’il n’était pas fait pour veiller sur les alphas.
Hollyhock serait ainsi la dernière.

Le disciple de Kiro tourna le dos au castel, ne tardant pas à sentir une présence derrière lui. Désastre qui finit par le dépasser, pour lui bloquer le passage. Un grognement qui monte chez Narcisse, parce qu’il n’avait pas envie de parler de ce qu’il ressentait.
Il ne voulait pas partager ses sentiments.
Il voulait juste…

Je sais.

Un silence, alors que les deux s’observent droit dans les yeux.
Que sais-tu Désastre ? Comme tout les autres que j’ai perdu ma mère. Tu sais ce que je ressens en ce moment ? Allons-nous nous battre, comme là-bas, jusqu’à ce que l’un de nous deux tombe d’épuisement ?
Est-ce que tu sais ce que ça a été chez les Nakhus ? De ce qui en a résulté ? Comment une solitaire et un petit panseur se sont permis de ne pas prendre leur part de responsabilités et ont rejeté la faute sur moi ?
Est-ce que tu sais ce que ça fait d’être sorti de l’ombre pour être dans la lumière ?
Est-ce que tu sais qu’à chaque fois que nous sommes ensembles, le Phénix veut te dévorer ? Et je crains un jour de ne pouvoir contenir son appétit.

Le sais-tu, Désastre, que tu n’es pas qu’un simple ami ? Tu es un de ceux qui compte le plus pour moi, que c’est pour cela que je suis prêt à tout, te suivre à l’autre bout du monde, te protéger, mourir pour toi si il faut.
Les alphas, ce serait par loyauté.
Toi ce serait pour ce lien qui nous unit depuis le premier jour.

Narcisse lit le langage corporel, comme le leur apprirent les indigènes.
Et à son tour répond, dans ce même langage silencieux et mystérieux.

C’est en vous tous que j’avais confiance… pas en moi. Mais maintenant…

Les mouvements s’interrompent, un instant.

..maintenant je vous perds tous, un par un…

Piclou.
Pepper.
Sheina.
Bientôt Anette…
Et qui serait le prochain ? Anita de par son rôle d’alpha ? Alexandrine de par ses activités dans le grand nord ? Hollyhock dont l’âme vacillait ?
Désastre ?
Et il se sentait si impuissant Narcisse, de ne pouvoir les sauver, de ne pouvoir les protéger.
Peut-être que ses mères auraient espéré avoir ce fils qui sourit sans mal, qui puisse rire à tout moment.
Peut-être que ses soeurs, auraient aimé pouvoir s’appuyer davantage sur lui, être plus proches.
Et les amis…

L’ami promet. Il a foi en la parole de Désastre, celui qui ne ment pas, qui ne peut. C’était un principe que tous deux partageaient.

« J’aimerais te croire…»

Je veux te croire, Désastre. Plus que tout.

«… mais je n’oublie pas ce que nous sommes, des serviteurs.»

Si on nous ordonne de combattre, nous obéissons.
Si on exige de nous de donner notre vie pour protéger les autres, nous obéissons.
Si on nous envoie en mission ailleurs, sur un territoire hostile, afin d’aider des sauvageons, nous obéissons.
Nous sommes des soldats.
Nous sommes esclaves de leurs envies.
Tu ne peux pas me promettre ça, alors que nous ne savons même pas de quoi demain sera fait.

Pourtant je veux te croire.

Le temps les avait emporté, Piclou, Sheina. Le mal s’était chargé de Pepper. L’un ou l’autre, les empoterait tous de toute façon.
Narcisse lève des yeux brillants.

«Comment peut-on se préparer à ça ? À moins de ne pouvoir aimer…»

À moins de ne point avoir de coeur. Comment continuer en ne voyant que les bons côtés ? Comment continuer en sachant que n’importe qui peut être le prochain ?
Raconte-moi, un souvenir avec Sheina.
Un souvenir… Il y en avait temps, les premières neiges, les nuits à dormir au chaud sous ses ailes, les trajets jusqu’au Castel pour voir MaAnette, les bracelets faits de coquillages qu’ils effectuèrent… il y avait ceux où le voyait s’entraîner, où il lui annonçait devenir apprenti de Pepper… ceux où elle le voyait s’éloigner pour se consacrer à la meute.
Pour s’y dévoué.

«Et qu’est-ce que ça changera ?»

Rien. Elle restera morte. Comme tous les autres.

Et les yeux dorés croisent le regard de Désastre. Alors qu’il sent quelque chose picoter ses yeux, que sa vue devient floue, alors qu’à la pluie qui ruisselle sur ses joues, il sent les larmes s’y mêler.
Il pleurait.
Le disciple de Kiro vient porter les pattes à ses joues. Ce n’était pas des larmes dû à la fatigue, c’était…
C’était tout ce chagrin accumulé depuis le premier mort qui sortait. Tous les doutes. Toute l’amertume. Tous les reproches qu’il s’adressait à lui-même.

« — Pardon Désastre… »

Il termine sa phrase dans leur langue.

«… mais je suis tellement fatigué.»

La tête se pose sur l’ami, alors que Narcisse ferme ses paupières.

Peut-être que ce n’est plus ce qu’elles veulent, pour toi, mon ami. Tu es devenu panseur, je suis et resterais un guerrier.

«Toi tu as su évolué, moi… je ne sais faire que ça, servir.»

Un serviteur de mon clan. De mes alphas.
Incapable de refuser le moindre ordre. Incapable de m’en détourner. J’ai juré de veiller sur eux là-bas, pourtant quand j’ai privilégié leur sécurité, ils me l’ont reproché. Aurais-je du prendre le risque d’en perdre un pour aider les Nakhus ?
Sheina aurait sûrement aidé. Elle aurait voulu qu’il aide. Toute sa famille aurait sûrement contribué, parce qu’ils se moquaient des ordres, ils n’y accordaient pas autant d’importance que Narcisse.

Aider.
Ils essayaient de lui faire accepter la douleur. Le chagrin. Narcisse perdait une mère, ne tarderait pas à perdre une autre. À la fin il les perdrait tous, il ne resterait que le Phénix.
Ça me rappelle mes erreurs.

Et en même temps que la tête s’abaisse, il sent la patte de Désastre sur ses cheveux, il sent l’emprise. Il entend le coeur battre.
C’est un murmure qui lui paraît lointain à Narcisse, alors qu’il reste ainsi, les paupières clauses. Il est froid le corps de Désastre. Il apaise la chaleur. Un instant, avant qu’il ne réponde, d’une voix fatiguée.

« — Je ne veux pas dormir… Je ne peux pas. »

Un silence.

« — Ne bouges pas. »

Restons ainsi, sous la pluie, sous les tempêtes.
Restons ainsi, coupés du reste du monde.
Restons ainsi, aussi longtemps qu’il nous est permis.

Qu’aurait-il pu faire d’autre ? Combattre, il le faisait par défaut, mais il était avant tout disciple de Kiro. Protéger, cela s’était avéré n’être qu’un échec ces dernières années, ceux dont on lui confiait la garde… n’appréciaient guère d’être surveillés.
Narcisse ressent de la rancoeur, envers ceux qu’il avait cherché à aider, ceux qui avaient tant insisté pour se rendre sur place pour étudier, ceux qui en rentrant avaient choisi de partir. Ceux pour qui il avait sacrifié des moments aux côtés de sa famille. Des loups déloyaux.
Il aurait dû tuer Méridor quand il était encore à sa merci, quand là-bas dans la clairière, le Phénix voulait dévorer le traître, l’achever d’un simple coup.
Il n’avait pas pu.
Mais si il l’avait fait à l’époque, est-ce que tout cela aurait évité… l’état d’Holly ? Des mois inutiles chez les Nakhus ? Tant de colère ?

Le calme de ce contact offert par Désastre lui permet de réfléchir, d’arrêté d’oublier un instant. Il fait si chaud, encore une fois. C’est sa malédiction. Ne jamais connaître la morsure du froid.
Seulement la chaleur.

« — Seulement si tu le veux. »

Je n’ai point d’ordres à te donner.
Pardon.