Le créneau de Pepper ✡ Imaginaire ou Libre

Cela faisait longtemps, qu’il n’avait pas honoré ce créneau, Désastre.
Longtemps, qu’il n’avait pas gravi les marches et les roches pour se porter jusqu’au toit du castel, là où rare était les loups mais où, mieux que de tout autre endroit, l’on pouvait voir toutes les étoiles présentes dans ce ciel. C’était alors se rapprocher un peu plus des aïeuls disparus et du panthéon des morts…
Les quatre pattes valides, il le peut à nouveau. L’esprit épuisé, cela lui semble d’autant plus nécessaire.
…
Il se sent différent de ce qu’il fut avant, depuis…Depuis les pattes cassées, peut-être, si cela ne remonte pas à un événement plus antérieur encore (la mort de Pepper). Ou bien, si cela s’est produit pendant la convalescence (cet ami qu’il ne sait aider), ou si cela a pour rapport une mort plus récente (celle d’Anette).
Sa capacité de réflexion ne lui est pas entièrement revenue, il peine encore à réfléchir et à savoir quand il avait cessé d’évoluer pour se rapprocher davantage de celui qu’il fut adolescent. Il avait conscience de tous progrès faits, comme de ce qu’il perdait.
Il subissait une régression.

Ce soir, il espère au travers de la lumière la seule chose qui lui semble nécessaire pour regagner ce qu’il a perdu.
Un ordre.
Il aurait voulu savoir quoi faire.

Elle ne lui avait jamais répondu, pourtant, Pepper.
Elle ne lui avait pas même donné le moindre signe, ceux qu'il n'auraient sans doute pourtant su percevoir mais que les Autres, sur les terres de l'Ailleurs, surprenaient parfois.
Il lui avait beaucoup parlé, pourtant.
Peut-être a-t-il un peu d’espoir ce soir.
S’il connaissait celui-ci.

Il pose sur le sol un petit récipient plein de cire végétale, dont une corde fine s’échappe en son centre. Il sort le kit d’allume-feu, celui qu’il emmena à chaque fois dans le Grand Nord. Et le silex frappe la marcassite et les étincelles imprègnent la mèche.
Le feu prend.
Du bout de deux griffes, il pioche dans ce que lui donna la louve rencontrée dans l’Ailleurs et dont le nom, à cet instant, se veut être un souvenir bloqué.
La flamme s’empare des sels de cuivre.

Par eux, le rouge et le jaune hésite et change enfin.
Bleu.

Elle l’appelait Blue.
Et pour celle qui ainsi l'appelait...
Ce soir une autre bougie rejoint celle d'ordinaire unique, qu’il faisait à chaque fois brûler lors du créneau de Pepper. Un autre sel, une autre couleur.
Rouge.

Elles sont mises côte à côte et devant elles s'étendent les landes Etelkrus, obscures et dont la lune ne sait révéler tous les secrets.
Et là…
Là il demande, Désastre, aux Alphas disparus, aux bougies. Il communique d’un murmure et du langage de l’Ailleurs, il pense aussi.

J’ai besoin d’un ordre.

Il ne sait plus quoi faire, pour lui.
Grâce à elles, il n'avait jamais eu de mal de l'esprit, il croit.

Il ne les entend d'abord pas, les cliquetis des griffes.
Celles qui pourtant résonnent contre le toit, mais que l'oreille entendante ne sait percevoir que lorsque les pattes qui les portent se veulent proches de son dos. C'est là qu'elle se dresse, l'oreille...
Sa tête se tourne ensuite, les yeux peinant à se détacher des deux lumières qui vacillent devant lui. Les quitter, c'est un peu rompre la communication. C'est couper ses pensées d'elles, c'est...
Revenir à la réalité, à la vérité. Que ces lumières ne sont pas elles et que cette nuit, pas plus que toutes celles qui eurent précédés celles-ci, il n'obtiendrait une réponse de celles devenues des...Étoiles, des spectres, des lumières, il n'a jamais défini ce qu'il advenait d'un vivant après sa mort.
Juste, qu'il devait être quelque part, dans un endroit inaccessible et/ou invisible.
Quooi que ce soit, il recommencerait demain.

Son attention, pour l'instant, se voulait être détourné sur Dough.
Il ne sait pas, quand est-ce qu'il a vu son oncle pour la dernière fois. Sous l'effet des plantes données lors de sa convalescence, sa mémoire parfois lui fait défaut.
Il était peut-être venu. Une fois, plusieurs, tous les jours...
Il n'aurait su s'en souvenir et ça ne lui importait pas.

Désastre était attaché aux faits présents...
« C'est dans l'Ailleurs, que je les ai obtenues. »
...N'en oubliait pour autant le passé qui l'avait influencé.
Il s'est remit à regarder les lumières colorées.
« ...On peut en allumer une pour Pomme, aussi. »

Rouge, comme son glowstick. Bleu, comme son pelage.
Lui l'associait au vert pâle, comme ses cheveux dont elle le recouvrait lorsqu'elle le prenait proche, si proche de son visage.

Il dit oui.
Il n'utilise pas de mots, il hoche seulement la tête.
Il dit oui.
Il le comprend d'autant mieux ainsi.

Il emprunte sans le savoir le langage silencieux de l'Ailleurs, là où l'oreille sourde se retrouvait égale de celle entendante et où l'handicap n'était plus. Alors du petit sac, Désastre soustrait la cire et la mèche, le kit allume-feu et quelques grains de poudre. Il crée le feu du raclement du silex, puis pousse à côté des deux autres bougies cette troisième allumée.
Du bout de deux griffes qu'il frotte entre elles pour disperser la poudre
Il colore le cœur de la flamme.

Vert pâle.
Comme ses cheveux, c'est la couleur qu'il retient. C'est celle qu'il vit le plus d'elle, avec le bleu, mais le bleu est pour Pepper.
Elles se ressemblaient beaucoup, à bien y repenser.
De physique. Pas de caractère.
De caractère, elles étaient toute inverse.
...
Elle lui souriait beaucoup, Pomme.
Elle le touchait beaucoup aussi.
Il ne sait plus, s'il trouvait ça désagréable, quand il était enfant. Il croit que oui, mais un peu moins que maintenant.

Ses épaules se haussent et son corps se détend, alors qu'il corrige sa position et se rapproche un peu de son oncle. Ce n'est pas venir contre lui, non, c'est se tenir plus proche et cela compte tout autant.
Il s'exprimait ainsi, Désastre.
Avec mesure et maladresse.

Bleu. Rouge. Verte.

Les trois bougies brillent et mélangent leurs éclats. Sur le sol, c'est comme si les trois louves se retrouvaient, ensemble, même si Anette n'avait pas côtoyé Pomme, il croit. Il ne lui a jamais demandé et c'est trop tard pour ça.
Et si les mortes sont ensemble,
Lui l'est avec ce vivant.
Celui qui ne bouge pas, celui qui ne dit toujours rien et cela n'empêche pas que ce soit très bien, comme ça.
Celui à côté de lui, cet oncle qui se veut vraiment être un oncle. L'autre est comme la mère : il porte le nom par le lien du sang, mais ne correspond à la définition qu'on attribuerait à ce titre.
Ce n'est pas grave.
Cela lui convient.

Ses yeux ne quittent toujours pas les bougies.
Bleu. Rouge. Verte.

La bleue vacille. Allumée en première, elle sera première à s'éteindre lorsque la cire aura finit d'être consommée par le feu.
Et peut-être n'y aura-t-il eu d'autres mots prononcés avant que les trois ne s'éteignent.
Il trouve que ce moment se suffit à lui même, Désastre, et qu'il ne nécessite rien de plus.
Il ne sait pas pourquoi
Il se sent plus serein.

Non.
Je n'ai plus besoin d'ordre.

L'idée est chassée à ses côtés.
Pour ce soir, elle n'avait plus lieu d'être.

Seul comptait l'instant.