Juste un Voeu [Ft Désastre]

Les falaises littorales, toujours, lui rappelaient Pepper.
Il s'y était beaucoup rendu avec elle, enfant, adolescent et adulte, se laissant guider par l'aveugle plus qu'il n'aurait pu la guider. Le chemin était pour elle une évidence, qu'elle suivait d'un pas identique chaque jour, lui marchant sur ses traces. Elle ne dérogeait jamais à la façon dont elle usait chaque chemin tracé par les passages fréquents (les siens, surtout) dans l'herbe rouge de la lande, qu'elle empruntait chaque versant de la crypte, pour descendre jusqu'au temple. C'est avec son mentor, Sir Athelstan, qu'elle s'y était rendue pour la première fois : elle le lui avait raconté, plusieurs fois.
Et aujourd'hui, lors du tour des frontières, il avait préféré suivre son chemin plutôt que celui des boucliers et épées de la patrouille, pour une raison qu'il n'expliquerait pas.
Il dirait que c'était par envie.

Arrivé devant le temple de Dairo, il se voulut hocher la tête en un signe de respect, puis remonter de l'autre côté pour rejoindre les plateaux. Les odeurs des siens y étaient multiples, il reconnaissait beaucoup des disciples de la Renarde. Comme tous porteurs de glowstick de leur meute, eux aussi, priaient beaucoup.
Il n'y avait pas un jour sans qu'il n'aille danser pour Kiro. Même s'il y parvenait un peu moins, par le froid de l'hiver.
Il trouverait toujours une façon, pour l'honorer.
Le mâle relève la tête, respire l'air froid qui sent le sel et l'herbe.
Et puis...
Et puis il n'entend pas la question, mais il hume le mentor avant de le voir, là-bas.
Il n'est pas fréquent de le trouver ici. Quel est l'instinct qui lui murmure... Il s'en approche : le tour des frontières étaient aujourd'hui particulier et il se veut être plus flexible. ...que quelque chose est différent ? Tawana bat de la queue, il fredonne un air que lui n'entend pas très bien avec le vent qui souffle dans l'oreille entendante. Pourquoi quelque chose le dérange ?
Venu à proximité, Désastre s'annonce en même temps qu'il le détaille un peu plus.

« Bonjour, Tawana. »

Trigger.
C'est quelque chose qui intercepte sa mémoire, qui le fait réagir sans que lui sache pourquoi.

« Tu chantes pour Dairo ? »

Ce n'est pas la chanson, qui lui pose problème.

Il salut en retour, il rit un peu et il se redresse, son mentor.
Sa mémoire à lui continue de s'agiter, un peu. Il cherche ce qui ne va pas, quelque chose que l'esprit refuse d'identifier, quelque chose comme enfermée parce que c'est mieux, comme ça. Il sait, pourtant, du moins il est certain de savoir.
Il réprime le stress, ne le laisse transparaitre que par un vague spasme venu agiter son flanc droit. Il n'aime pas, quand le corps réagit à l'insu de son esprit, quand il perd le contrôle. Il ne le perd pas, là, du moins il ne croit pas.
Il ne doit pas.
Et le mentor lui dit qu'il ne chante pas pour Dairo, qu'il ne chante pas tout court, qu'il laisse ça à Litichi que lui ne connait pas vraiment, juste qu'il s'agit d'une fille de Perrine, consœur panseuse. Et qu'il fredonne, plutôt, pour lui et-

L'inspiration qu'il prend, Désastre, tremble malgré lui dans sa gueule.
Elle se bloque dans sa gorge et il a l'impression que tout le bouscule, tout d'un coup, tout, tout, parce que soudain tout est trop. L'odeur est alors identifiée comme étant la cause du malaise initial, parce qu'il l'a déjà sentit sur lui et que ce ne fut pas une bonne chose, cette odeur qui rassemble les hormones d'une grossesse, d'une vie en cours dans un corps qui n'en veut pas.
A la prochaine inspiration, il craint de sentir le sang des plaies auto-causées. Au prochain regard, de voir les traits dévastés par les émotions négatives.

Il s'est figé.
Incapable de parler, de bouger.
De faire, en cet instant, autre chose que de garder sur le mentor les yeux hétérochromes. Ses yeux qu'il baisse, quand ceux du mentor se baissent aussi, pour regarder le ventre un peu plus gros.
Il aurait pu penser qu'il avait trop manger, comme ça lui arrivait parfois.
C'était un enfant.
Dans un corps de mâle.
Un enfant, dans un corps de mâle.

Il y a quelque chose qui va un peu moins bien.
Il ne peut plus réprimer le stress parce que maintenant il en est envahi.

Je n'ai pas été violenter.
Que fait cet enfant, dans un corps de mâle ? Il est là et il ne sait pas comment, Désastre, il ne sait pas que c'est possible, au-delà du stress c'est la peur qui monte et ce n'est plus seulement trop
c'est
insupportable
Autant que le fut la patte manquante de Dough, autant que le fut la mort de Pepper.
-en vérité, je ne sais pas comment je me suis retrouvé gestant.
Il entend mais pas très bien, tout est flou, chaotique
C'est comme Pepper ? Comme Pepper qui l'eut lui. Mais Pepper était femelle, elle ne sut pas qu'elle l'attendait mais elle put le mettre au monde, comme le peut un corps femelle. Tawana sait qu'il attend un enfant, lui, mais il n'est pas devenu femelle...

« Et tu deviendras femelle, après ?! »

Les mots s'étranglent et il s'efforce de ne pas les crier, quand il a du mal à se contenir et qu'il a porté une patte derrière sa tête, y appuyant fort ses griffes pour étouffer ce qui veut exploser.
Il ne comprend pas la situation.
Elle est inhabituelle
imprévue
C'est la première fois qu'il l'affronte
C'est difficile
Il n'est pas bon, pour gérer ce qu'il ne comprend pas.

Il sent le moindre de ses muscles se contracter, se resserrer et se figer, dans une tension qui le saisit des pattes aux oreilles et qui s'empare plus encore de son cœur. Celui qui lui est presque douloureux, comme devait l'être celui de Pepper. Son problème à lui est passager, à croit, mais cela le rend inconfortable.
Inconfortable, c'est toute cette situation qu'il l'est.
Et ce trop contre lequel il cherche à lutter, bougeant une patte puis l'autre pour briser la rigidité de son corps, se forçant à une respiration ample et profonde pour ne pas suffoquer. Ce n'est pas la première fois mais il ne sait jamais quoi faire, quand il est comme ça. Il ne veut pas blesser ou se blesser, dans l'inconstance des réactions, dans la perte de son implacabilité au profit d'une réactivité. S'isoler lui semblait être la meilleure des solutions.
A contrario, il se devait de rester.
Il est son mentor et il est inquiet.

« Je vais t'aider. T'assister. Avec le don du Docteur. »

Il a des capacités. Ce n'est plus soigner, il le sait, c'est sauver.
Le don peut le lui permettre, oui. Il doit trouver comment faire, s'entrainer, ne pas commettre d'erreur. Il ne peut pas envisager de le perdre, pas comme ça.
Le mal-être qui le saisit est profond et il ne sait toujours pas comment le faire taire.
Ce qu'il évoque finalement lui fait secouer la tête et plisser les yeux. Un mouvement de négation, des sourcils qui se froncent, des crocs qu'il desserrent à nouveau pour mieux bafouiller.

« Du monstre aux yeux tourbillons.
...
C'est forcément le monstre aux yeux tourbillons.
C'est comme pour Pepper, pour moi. Il n'y a que lui, pour faire ça. »

Il était celui que la meute cherchait. Il aurait pu vouloir semer un peu plus de trouble, en représailles.
...
Il devait savoir, qu'ils se coalisaient contre lui.
Il lève une patte et garde les yeux clos, la porte à sa tempe où pulse une douleur importante, à force de trop contenir ce qu'il ne sait évacuer.

« Mais on peut demander à Kiro de te..vous protéger. »

Pour que tout aille bien.
Il avait soigné Anita, avait recousu son œil. Il pourrait veiller sur eux.
Il croit.

« C'est mon devoir.
...
J'en ai envie. »

Besoin, peut-être aussi.
Il doit l'aider, c'est une nécessité évidente à laquelle il n'aurait pu se substituer. Il n'aurait voulu personne d'autres auprès de Tawana, parce que personne d'autre que lui ne pouvait faire en sorte que tout se passe bien. Désastre se voulait persuadé, pour ne pas dire qu'il était buté sur cette idée.
Et parce qu'il pouvait aider dès maintenant, en transmettant des informations, il répondit à nouveau d'une voix mécanique :

« Oui. Il crée des enfants sans contact, sans qu'on le sache, parfois sans qu'on le voit. Je sais que c'est lui.
...
Il trouve ça amusant. »

Ses babines se contractent, dans un spasme discret de colère, de dégoût, de haine, d'un surplus d'émotions restés aux abords de ses lèvres. Il accuse sans avoir besoin de davantage de preuve que celle flagrante, là, qu'était celle d'un ventre rebondit sur un corps resté mâle. Un corps fait pour transmettre une partie de vie, non adapté pour la porter. Un corps-
Le contact de la patte contre ses cheveux le fait presque bondir, au lieu de ça il contracte ses muscles des cervicales à la base de sa queue. Il s'arque sous son poids, comme affligé par trop de choses (intenses), alors que les mots s'étranglent dans sa gueule et que ses iris se réduisent à deux petits points trémulants.

« Que tu meurs. »

C'est une évidence, une réponse qui ne nécessite pas de réflexion. C'est ça, qui le tracasse. De le perdre, plus que dans un mal dans l'esprit. Et s'il referme ses lèvres et serre ses commissures, c'est pour ne pas que se bouscule les
qui occupe son esprit et qu'il ne se permet d'ajouter. Ce qu'il a dit est déjà suffisant.
Ses épaules tombent et sa tête suit le même mouvement, guidant ses yeux vers les griffes de la patte restée au sol de Tawana.
La tension se change en fatigue, tout aussi intense que ce qu'il ressent et n'explique.

« Alors je prierais pour toi. »

S'il n'était pas assidu, lui l'était. Et il consacrerait chacune de ses danses, chacune de ses prières, chacune de ses dévotes pensées, à Tawana et à l'enfant.
Il ferait tout ce qui était en son possible, pour lui, pour eux.
Tout.

Il sait. Qu'il n'y a rien d'amusant. C'est pour ça qu'il n'en sourit pas, qu'il n'en rigole pas : il ne sait pas rire, en aurait été encore moins capable, pour ça. Parce que tout se bouscule dans sa tête et il a peur.
Pas aujourd'hui.
C'est pourtant ce que dit le mentor.
Il ne mourrait pas aujourd'hui.
Et il le croit, Désastre. Il considère les mots comme des promesses, une vérité à laquelle il se raccroche. Ce sont des mots pour lui certifier qu'il allait lutter contre le mal, de l'esprit comme du corps.
Demain, il ira bien. Et les jours suivants aussi.
L'agitation se veut à nouveau parcourir son corps, contractant les muscles de son rachis et le forçant à bouger ses antérieurs.

Et lorsqu'il s'incline,
Il comprend qu'il s'en remet tout à lui.

Alors Désastre prierait, chaque jour un peu plus. Sa danse à Kiro ne serait plus seulement faite pour se racheter une mauvaise conduite passée et lui témoigner d'encore un peu plus de sa foi. Elle serait faite aussi pour lui.
Alors Désastre étudierait, ces sujets nouveaux évités jusqu'alors. Il maîtriserait le concept de naissance, ses subtilités ; plus loin que l'instinct dont il avait fait preuve avec Sakura, dans une naissance plus évidente que celle-ci. Il s'en voudrait devenir expert, s'il le fallait. Il n'aurait pu y avoir de demi-mesure : il s'investissait entièrement, ou il ne faisait pas.
Alors Désastre ferait en sorte que tout se passe bien. Et il ne pourrait en être autrement.

Quand se redresse le mentor, il suit le même mouvement et se lève à son tour. Il se ravive et se rassure, le regard est vif quand il remonte ses deux yeux dans les siens.

« A demain, Tawana. »

Chaque jour, il y aurait suivi de son état. Il s'appliquerait à le tenir en forme, comme à réfléchir sur son état et comment faire au mieux, pour que naisse cet enfant.
C'est ainsi qu'il le quitte.
Pour, demain, mieux le retrouver.