Des lumières douces ✡ Anita

Allongée sur le toit à l'endroit où il l'amena, Anita obéit sans mal à sa demande.
Attends.
Alors Anita attendit.
Les yeux de retour dans le ciel et dans toutes les étoiles qu'il transportait, les ailes pliées dans l'alignement de son dos, formant une cape d'un autre genre en remplacement de celle dont elle se débarrassa dès qu'ils eurent posé patte au Castel.
Un instant seule face à la nuit qui se proclamait reine, l'hybride retourna plus pleinement ses pensées vers celles qui les avaient occupées quelques dizaines de minutes auparavant, quand elle était esseulée sur la plage.

Il n'y avait plus cette même tristesse.

Peut-être atténuée en grande partie grâce aux mots que son ami eut pour l'inviter à gérer le moment, peut-être extériorisée par les larmes qui s'ensuivirent. Elle se remémora cette fatigue qui suivait chaque fois les pleurs et le chagrin, comme si le corps avait fourni un effort d'ainsi s'exprimer et devait maintenant se régénérer.
Peut-être était-ce aussi l'attente et la curiosité.
Celles qui agitaient le bout de sa queue serpentine de lents mouvements fluides, quand ses oreilles tournées vers l'arrière à l'opposé de l'horizon qu'elle garde en visu sont à l'affut du son qui annoncerait le retour de Dez. Et il ne tarda pas, venant jusqu'à elle poser deux récipients.
Prunelles comme oreilles s'orientèrent cette fois à l'unisson pour les fixer.
Un dessin, il fallait faire un dessin.
Elle l'observa tracer le sien du coin de l’œil, une étoile, avant de lever une griffe pour entamer sans trop d'hésitation la cire de ses bougies à elle.
Une chauve-souris pour Sheina, une vague pour Anette. Encore elle le regarda pour suivre les étapes : cette fois manier l'ustensile qu'elle reconnaissait pour l'utilité qu'il eut lors des missions du Nord et qui entre ses doigts expérimentés fit naître une flammèche.
Lorsqu'il lui prêta, ses phalanges eurent un peu plus de mal à dompter le mécanisme malgré leur souplesse. La louve s'y reprit à quelques fois, tira la langue de concentration et fronça les sourcils...
Puis pour elle aussi jaillit la flamme.

Et à nouveau le regarder, suivre les mouvements qu'il enchaîne avec l'aisance de l'habitude et la régularité d'un rituel.

C'était un peu comme une danse, se dit-elle en contemplant ce corps se mouvoir dans des mouvements moins théâtraux que ceux qu'il offrait à Kiro, mais tant liés les uns dans les autres  qu'ils paraissaient foncièrement naturels.

La pincée de matière qu'il relâcha sur sa bougie changea l'orange d'un soleil embrasé en bleu azur d'un ciel d'été.
Vaillante, comme le fut Pepper, le petit bout de feu luttait contre les quelques courants qui les atteignaient malgré les ailes en contraste de rouge déployées en protection.
Sans qu'elle ne l'ait anticipé, cette image fugace qu'elle figea en sa mémoire renoua quelques secondes durant une boule dans sa gorge. Elle y revoyait la relation dissonante du fils qu'elle modela en soldat là où le bleu et le rouge auraient pu se compléter en harmonie.
D'un clignement sur des yeux rendus un peu humides en même temps qu'il évoqua justement la couleur de la flamme, elle chassa cette pensée et hocha la tête à l'explication de chaque contenant. C'était donc du sel. Pour Sheina, il n'y eut aucune hésitation à avoir quand elle se saisit du violet - celui qu'elles partageaient dans le regard, celui qui avait aussi teinté sa peau - et le dispersa au-dessus de sa bougie.
Il y eut des étincelles autant dans les airs que dans ses yeux lorsqu'elle vit la magie s'opérer et un sourire se dessina progressivement sur ses lèvres.
Pour Anette... Elle garda une patte suspendue un instant. Son choix le plus évident se serait porté sur le vert, peut-être rehaussé d'un peu de bleu pour le rendre turquoise comme l'eau de mer - elle n'aurait pas hésité longtemps à tenter l'expérience d'un mélange - mais ses yeux n'avaient pas manqué de remarquer quels sacs étaient les plus vides. Le bleu, évidemment, mais le vert aussi.
Et que se passerait-il, quand ils seraient vides ? Elle ne savait pas, si Dez avait un moyen de se procurer à nouveau de quoi les remplir.

Sa patte se tourna vers le rouge.
Après tout, MaAnette avait toujours beaucoup honoré Aka.

Et là aussi, la flamme répondit à la chimie et siffla un crépitement en se teintant de sang. Son sourire s'agrandit encore. Et encore, elle tourna les yeux vers le loup gris quand lui commença à s'adresser à Pepper.
L'une de ses oreilles se dressa quand l'autre s'affaissa à moitié à la notion de progrès. Cela lui fit plaisir, qu'il assimile ainsi le moment partagé... Tout comme elle ressentit à nouveau ce léger inconfort au fond de la gorge et des entrailles, à l'entendre y trouver de la valeur parce que cela le rendrait plus fort.
Mais c'était comme ça qu'elle l'avait éduqué, Tante Pep'. Comme ça qu'elle l'avait rendu utile, comme ça que lui avait cherché à cultiver sa valeur à ses yeux.
Être plus fort, pour un sourire.
Être plus fort, pour un compliment.
Être plus fort, pour un peu de reconnaissance.

Les doigts d'Anita se crispèrent un peu sur la roche et elle détourna le regard.
La vision de ses deux flammes, rouge et violette, ondoyant d'un rythme rapide canalisèrent à nouveau ses pensées et ranimèrent son sourire.
C'était à son tour.

—  MaSheina... C'est toi qui es partie la plus vite, j'aurais aimé qu'on puisse se dire un peu mieux au revoir. Kiro était très triste, lui aussi. Tu sais qu'il a gravé une fresque en ton honneur au sein du temple ? J'espère qu'il a fait l'effort de te la montrer. Il est toujours aussi facétieux, sinon, et il veille sur nous.

Un rire soufflé du nez ponctua ses quelques mots pour Kiro, s'imposa un court silence.

—  MaAnette. On a eu le temps de de se dire au revoir, nous, mais ça n'a pas rendu les choses beaucoup plus simples. Désolée.

Son sourire se fit un peu bancal - celui d'une enfant un peu embêtée d'avouer une faute.

—  On a au moins pu te voir à l’œuvre une dernière fois, Aka nous a partagé la vision. C'était... Impressionnant, comme toi. Je sais que tu étais fatiguée et j'espère que maintenant tu te reposes enfin, avec PiClou et Tante Pep' à tes côtés. J'essaye de faire au mieux pour être la digne fille de mères géniales.

Pour dispenser cette lumière, comme tu me l'as demandé, comme tu l'as souhaité pour moi.

—  Vous me manquez beaucoup.

Cette dernière phrase fut plus proche d'un murmure.
Rien d'autre ne lui vint à ajouter pour le moment. Plus que tout, c'était de les sentir contre elle et de pouvoir encore les serrer qu'elle aurait voulu. Mais elle savait bien que cela ne serait plus possible.
Au moins savait-elle que leurs paroles étaient bel et bien entendues.

Peut-être aurait-elle l'occasion, pour Sheina et Anette aussi, d'échanger à nouveau quelques mots et un regard.

La tête reposée sur ses antérieurs étendus, un sourire peu appuyé mais pourtant bien présent sur les lèvres, le regard un peu dans le vague tourné vers les bougies... Elle les observa se consumer pendant un temps de silence avant que ne s'écartent à nouveau ses lèvres.

—  C'est très beau.

Il n'y avait cette fois-ci pas de destinataire particulier pour ce constat dit d'une voix douce.
C'était pour elle-même, pour lui, pour les bougies et les âmes qu'elle espérait tournées vers ce moment, en réponse à cet appel différent de la visite d'une stèle.

Ses oreilles pivotèrent vers son ami à la réponse immédiate qu'il eut à sa remarque. Important. Elle ne savait pas vraiment s'il exprimait par là une forme de correction en affirmant que le moment avait une importance bien avant d'avoir une beauté, ou s'il s'agissait d'une confirmation pour appuyer son propos et la nécessité que la beauté soit partie intégrante du rituel.
La réponse définitive n'avait que peu d'importance et n'occupa pas très longtemps ses pensées : le résultat final amenait presque à la même chose, après tout, et peut être bien que tout cela à la fois était une conclusion valide.
Ce moment serait donc aussi beau qu'il n'était important, dans l'équivalence de ces trois mots qu'ils eurent chacun prononcé l'un après l'autre, comme deux parties égales d'une même phrase, deux faces d'une même pièce.
Plutôt elle s'intéressa à ce qu'il dit ensuite, les yeux attirés par les quelques mouvements qui agitèrent le bout de ses doigts pour faire se côtoyer ses griffes et la petite flamme. Les mots suffirent à expliquer l'acte quand elle comprit qu'il cherchait à faire danser la flamme sans visiblement y parvenir.
Une autre façon de ramener la vie et l'esprit des disparus dans ce brin de feu qui les symbolisait.
Peut-être que certaines flammes préféraient demeurer libres et se consumer à leur rythme sans se laisser maîtriser, aussi.

Puis une dernière remarque, et un nouveau serrement au cœur.
C'était comme une crampe musculaire un peu plus violente que les autres qui enveloppa l'intérieur de sa poitrine alors qu'elle cligna des yeux et les posa dans les iris hétérochromes du loup.
Faire danser la flamme n'était pas le seul moyen, non.
Il y eut ce soir d'hiver, ce soir d'abord ordinaire qui ne le fut ensuite pas tout à fait...
Maintenant qu'elle avait été initiée à ce rituel, à cet appel aux morts à la première heure de la nuit, sur le toit du Castel, la réalisation la frappa.
Que le rituel avait fonctionné. Mais que ce n'était pas au fils qui avait honoré cet hommage quotidien que la mère était apparue.

Devait-elle le lui dire ?

Elle avait peur de briser tant de choses.
Anita ne voulait pas déceler dans ce visage si dur à animer l'ombre du chagrin ou de la déception, ne voulait pas que s'efface une partie de la mystique associée à ce moment si important pour lui, qu'il n'associe à un échec ces innombrables heures passées à s'adresser aux morts pour que le regard soit tourné vers lui.
Qu'il ne se voit rappelé une fois encore, même toutes ces années après sa mort, que Pepper n'avait pour lui que l'attention la plus minimale qu'elle lui devait mais pas l'affection qu'il méritait.
Qu'à lui qui était pourtant son fils elle avait préféré d'autres.

Mais Anita ne voulait pas lui mentir - même par omission, en gardant pour elle ce qui se passa au moment le plus opportun de l'aborder.
Ne pas en parler aurait été en créer un secret, et Anita n'avait que bien peu - voire pas - de secrets pour ceux qu'elle aimait.

Sa patte se leva presque machinalement pour imiter Dez dans quelques mouvements courbes qu'elle dessina à proximité de la flamme pour la titiller de ses longues griffes et la scène déroba son regard devenu plus lointain. Elle s'y attela pour quelques instants de silence, pensive, sans faire réellement attention à essayer de véritablement dompter la flamme.
Car ses pensées étaient tournées ailleurs, vers la meilleure façon de formuler cette révélation, et sa voix qui s'éleva enfin était petite et un peu éraillée.

—  Je l'ai vue, Pepper, tu sais. Un soir, il y a quelques mois. Elle est apparue dans la Salle des Trônes.

À l'intérieur de la forteresse, pas sur le toit de celle-ci.

—  Je suis entrée un peu par hasard et... Elle était là. Comme dans un rêve, mais pour de vrai.

Ses yeux avaient maintenant quitté la bougie pour simplement se figer dans l'horizon, vides d'expression.

—  Holly était là aussi.

Elle ajouta ces quelques mots dans un souffle et garda le regard rivé vers le ciel de longues secondes durant avant d'oser le ramener sur le visage de son ami, un peu brillant, un peu anxieux.

Anita fit en sorte de ne pas laisser vaciller son regard à la première syllabe monocorde qu'elle obtint en réaction.
Plutôt, elle le promena avec un peu plus de concentration -  peut-être même un peu d'avidité - à la recherche du moindre signe de peine ou de toute autre émotion néfaste qui trahirait le désordre qu'elle venait de provoquer.
Mais rien ne vint.
Les oreilles d'Anita se pointèrent l'une après l'autre pour demeurer droites et hautes dans sa direction pendant que s'étira le silence et que les yeux de Dez dirigés vers les terres traduisaient la réflexion qui devait l'occuper, le temps de traiter l'information dans son ensemble.
Elle en retenait presque son souffle dans l'attente de la suite, de sa conclusion, qui vint finalement en plusieurs morceaux.

Il trouvait cela... Mieux.
La respiration d'Anita mit un certain temps à reprendre son cours normal alors qu'elle réalisa que ce qu'elle avait craint n'avait pas lieu d'être. Peut-être s'agissait-il même du contraire ? Peut-être qu'il y avait pour lui une forme de satisfaction à savoir que même s'il n'en avait pas personnellement bénéficié, toutes ces bougies et toutes ces pensées dirigées vers elle n'avaient pas été vaines.
La mention des regrets de Pepper lui fit hocher la tête, doucement, tandis qu'elle comprenait que de cela aussi, il avait été au courant. La maladie de l'Alpha bleue n'avait pas été le seul secret dont il avait été affublé - celui de la succession et d'elle ne savait quoi d'autre encore lui avait été confié.

D'une certaine manière qu'elle n'avait encore jamais vraiment réalisé... Même si Dez n'avait pas eu sa juste place dans le cœur de Pepper, son rôle de fils demeurait incontestable dans cette prolongation d'elle-même qu'elle fit involontairement de lui, devenu réceptacle de ses projets et de certaines de ses pensées les plus intimes, qui vivaient toujours à l'abri dans son esprit quand bien même Pepper était décédée.

Si l'idée d'un tel fardeau posé sur les seuls épaules du loup gris l'avait de prime abord dérangée et la dérangeait toujours un peu... Anita pouvait aussi désormais y voir une nouvelle facette plus optimiste.
Si Pepper n'avait su l'aimer, elle avait au moins eu pour lui la plus totale des confiance.

Un sourire se remit à fleurir sur les babines de l'hybride alors qu'elle acquiesça avec un peu plus de vigueur à la question de son ami.

—  Oui, beaucoup. Sa mort avait été si... Soudaine, j'étais triste de n'avoir rien vu venir et de n'avoir jamais pu lui dire adieu. C'est chose faite.

Même s'il avait été difficile que ce moment eut pour destinée de toucher à sa fin peu après -  voir s'effacer la silhouette bleue avait été un second au revoir empreint de douleur.
Mais un qui avait le mérite d'être bien plus apaisé, empreint d'un sentiment de complétion.

—  Je crois que ça a été un peu dur pour Holly, à cause du choc et de la surprise, mais que ça lui aura aussi fait beaucoup de bien. Et que Pepper aura pu voir qu'elle s'en sort bien, maintenant. Enfin, mieux.

Le sourire de la louve demeura et ses yeux revinrent se poser sur le bout de ses doigts dont les griffes jouaient avec la cire en quelques gestes absents et répétitifs, creusant quelques sillons dans le matériau.
Un instant de silence s'installa et Anita inspira, hésitante, avant de relâcher son souffle en même temps que ce qui lui restait sur le cœur.

—  Je suis tellement heureuse que ça ne t'ait pas fait mal d'apprendre ça.  J'aurais tant voulu que Pepper réussisse à t'aimer, j'ai souvent regretté qu'on n'ait su l'aider à y parvenir.

Mais l'important, au final, c'est que tu n'en souffres plus et que tu saches désormais exister en-dehors de son ombre.
La sensation de froid et de malaise qui avait envahi sa poitrine s'était dissipée et c'était maintenant une chaleur légère qui la remplaçait.
L'une de ses pattes cessa de triturer la cire de la bougie et vint se placer juste à côté de celle de Dez sans pour autant la toucher, toujours séparées par un espace infime, puis ses yeux améthystes allèrent chercher les siens.

—  Qu'est-ce qui te manque le plus, chez elle ?

La voix à nouveau baissa en intensité, cette fois davantage pour s'adapter à l'intimité du moment comme de la question.

Sans surprise, Dez confirma malgré tout avoir voulu la voir. Mais l'acceptation de cette tournure des choses demeure, tout comme les mots qui suivirent eurent le même écho que ses pensées.
N'empêche que, même si elle n'en avait pas voulu et n'avait jamais su trouver d'amour pour lui... Pepper avait eu un fils formidable.
Les oreilles droites et le regard attentif, Anita garda ensuite le silence pour écouter la réponse du loup sur ce qui constituait le plus de manque. Ses yeux repèrèrent sans tarder cette très légère inflexion des commissures qu'il avait de plus proche d'un sourire et elle s'en délecta, surtout quand elle le vit se renforcer au détour d'une phrase plus qu'une autre.
Et les yeux finirent par se lever un peu au-dessus de lui, vers le ciel, dans lequel elle rejoua comme en projection les images de ce duo qui ne connaissait aucune limite. Et qui attirait aussi tous les regards, qu'ils soient d'émerveillement, d'admiration ou de crainte, de voir ainsi la minuscule guerrière bleue portée par un serpent volant aux éclats rubis.

Leur alliance dans ces moments avait été si dépareillée qu'elle en devenait harmonieuse.
Discrètement elle acquiesça et glissa juste quelques mots avant que lui ne poursuive.

— C'est vrai que c'était très impressionnant, rien ne vous arrêtait.

Pas même un œil crevé.
Dez énonça alors une autre chose, avec l'air de celui qui se reprenait et ajustait sa réponse, comme pour mieux la calibrer. Elle n'était plus étonnée de ce comportement, Anita, même si elle gardait un certain amusement au fond des yeux chaque fois que cela arrivait. Selon elle, ce qu'il mentionna juste avant était une réponse tout à fait valide et adaptée.
Ce complément fut accepté d'un nouvel acquiescement et d'un sourire persistant.
Et quand la question fut retournée, elle dut lever le museau quelques secondes, un air pensif sur le visage et un petit son de réflexion résonnant au fond de sa gueule.

— Leurs étreintes et leurs conseils, je dirais.

Le mieux était l'union des deux, pensa-t-elle avec un sourire davantage attendri que mélancolique. Quand elle pouvait se blottir contre la forte carrure de l'une ou le long du corps fin de l'autre et qu'en même temps résonnait leur voix sur un timbre serein et apaisant.
Comme une parole porteuse de toute vérité qu'il était systématiquement réconfortant d'entendre.

— Ça rendait tout bien plus facile de juste pouvoir me référer à elles en cas de doute. J'avais l'impression qu'elles détenaient les réponses à absolument tout et qu'il me suffisait juste d'écouter pour que le monde entier tourne correctement.

Les derniers mots dansèrent sur sa langue au rythme d'un petit rire qui s'invita par surprise et resta présent sur son air rayonnant.
Tous les enfants pensaient que leurs parents avaient raison, mais chez elle... Cette confiance absolue et ce réflexe d'apaisement avait dépassé l'âge de l'enfance.

La première réaction qu'il eut, celle de la compréhension, fut accueillie d'un bref mouvement d'oreille. Elle savait qu'il l'assimilerait sans mal, ce fait : ceux qui avaient connu ses mères savaient à quel point leur voix dispensait une sagesse qui leur était propre.
Et elle savait aussi qu'Anette avait eu à plusieurs reprises l'occasion d'échanger un peu de cette sagesse avec Dez - il aurait été impossible d'envisager qu'elle ne fasse pas de son mieux pour soutenir l'enfant de Pepper de toute manière, un peu comme s'il était l'un des siens par extension. Même si la situation avait été différente et que Dez avait été enfant aimé et désiré, elle n'imaginait pas à un seul moment que sa mère ne se soit pas érigée comme un autre pilier dans sa vie tel qu'elle en avait été un pour Pepper dans ce duo complice et solide qu'elles avaient formé.
Quant à Sheina, elle n'était pas certaine qu'ils aient beaucoup partagé, mais le constat demeurait similaire : celle qui fut Prêtresse de Kiro avant elle avait cette même réputation de poser des bons mots pour guider et orienter.

Alors quand son ami reprit la parole et l'attira en-dehors de ses pensées qui s'étaient encore étalées... Ce qu'il dit décupla au centuple la chaleur qui sommeillait dans son torse depuis quelques minutes.
Elle gonfla d'un souffle soudain, pareille à un feu qu'une brise serait venue nourrir, remonta tout le long de son cou pour ensuite inonder sa tête jusqu'à la pointe de ses oreilles. Dans son sillage, incontrôlable et vivant, s'éveilla un sourire qui étirait peut-être bien au maximum les muscles de son visage - et animés de cette même flamme s'allumèrent au fond de ses iris milles éclats brillants.

Anita tenait ses mères en si haute estime que leur reconnaître puis lui accorder cette même valeur... C'était possiblement le meilleur compliment que l'on pouvait lui faire.
Le bout de sa queue ondula de quelques lents mouvements et le visage rayonnant, l'hybride ne manqua pas de transmettre son ressenti.

— Alors j'en suis heureuse. Si je peux donner autant qu'elles m'ont donné...

Et plus encore.
Si Anita avait la sensation d'avoir voulu aider les autres en ouvrant son cœur et en léguant sa pensée dès que possible, elle n'avait jusque là jamais eu de retour direct quant à sa capacité de réaliser cet exploit. Celui de changer des quotidiens, de changer des vies.
L'apprendre de vive voix lui fit plus de bien qu'elle ne l'aurait cru.
Pendant ce temps là, en revanche, les flammes n'en avaient pas profité pour acquérir un regain de vie. Elle vit le regard de Dez être attiré par le petit feu bleu qui vacilla, et elle même observa les bougies à ses pattes en train de diminuer et de céder face aux assauts du vent.
Jusqu'à être complètement soufflées, deux mots de son ami s'inscrivant en conclusion.

Ses sourcils se haussèrent et elle sentit son cœur faire un bond quand les lumières qui représentaient ses deux mères s'éteignirent - mais après tout, ce n'était que suite normale, bien qu'un peu soudaine.
Toujours envahie par cette chaleur qui la gardait sereine, Anita eut pour réaction une conclusion moins définitive à ce moment, alors que son ami pliait ses ailes rouges et brisait l'immobilité de l'instant.

— Oh. Je me demande...

Elle fronça les sourcils, concentrée sur une pensée qui était passée en coup de vent mais ne s'était pas stabilisée.
Par chance, elle revint s'imprimer bien vite.

— ... Si on ne pourrait pas leur rendre leur liberté au lieu de les laisser s'éteindre au sol. Tu as déjà vu des dessins de lanternes ? On peut les laisser divaguer dans le ciel, ce serait comme si leurs âmes voguaient au gré des vents, librement.

La louve leva le nez au ciel, pensive, sourire toujours aux lèvres. Elle avait vu l'illustration dans un livre, et cette représentation lui avait parut belle. Maintenant qu'elle avait assisté au rituel de Dez, elle ne pouvait empêcher son esprit de connecter les deux situations.

Et de s'imaginer construire pour les deux bougies représentant ses mères une embarcation qui les emporterait vers le firmament, là où elles étaient reines.

Ce qui s'eveilla sur son visage à la mention des lanternes maintint le sourire chez Anita.
À l'intensité du regard qui changea, à l'air qui subtilement se modifia... Elle pouvait dire qu'il était intéressé. Et les paroles qui vinrent ensuite s'inscrivaient dans le même élan.

— Je n'ai jamais essayé, mais je vais faire en sorte de changer ça. Je ne sais pas si je retrouverai l'image, mais je pourrai la redessiner. Et je te montrerai.

La louve ponctua ses mots d'un hochement de tête appuyé et d'un battement de queue, confiante en sa mémoire visuelle et en sa capacité de refaire une version plus ou moins fidèle de la scène si elle s'y appliquait davantage que pour ses dessins habituels.
Dans tous les cas, son objectif premier resterait de réussir à obtenir une lanterne vraie et fonctionnelle à apporter à Dez.

Par la suite, alors que le moment touchait bel et bien à sa fin et que son ami énonçait sa salutation... Anita ne répondit pas immédiatement, ses yeux violet dans ceux or et rubis.
La vérité, c'était qu'elle n'avait pas très envie de rester seule dans la continuité de cette soirée.
C'était quelque chose qu'elle n'avait pas mentionné, n'y pensant qu'en second temps, mais c'était aussi ce qui lui manquait beaucoup depuis la disparition de ses mères - et le relatif démantèlement de leur famille qui s'était ensuivi. Anita avait longtemps et souvent continué de dormir dans la tanière familiale, contre le flanc d'une mère ou de l'autre, d'un adelphe quand elle le pouvait et qu'ils le souhaitaient.
Et cette chaleur, cette présence...
Parfois, en être privée la bouffait.

Alors elle hésita quelques secondes, sans doute assez pour que le loup gris ait commencé à s'éloigner, avant de se lancer d'une voix claire.

— Est-ce que tu voudrais bien que je dorme avec toi ce soir ?

Une patte levée en suspend, la tête inclinée sur le côté, la louve ne masqua ni l'envie ni l'espoir sur son visage.
Même si un refus était une possibilité à envisager et dont elle ne lui tiendrait évidemment pas rigueur. Elle pourrait toujours trouver un autre proche contre qui se lover et passer la nuit, dans ce besoin de cocon chaleureux qui se faisait ce soir impérieux.

Mais dans la suite logique de ces moments passés ensemble, c'était avant tout à ses côtés qu'elle espérait s'endormir.

Il y eut le temps de quelques battements de cœur quand il s'arrêta. Puis une réponse d'un mot qui tomba, redressant haut la queue d'Anita en même temps que son cœur fit un petit bond.
La chaleur qui avait envahi son corps pourrait ainsi rester vivante tout au long de la nuit fraîche.
La mention de Sourire raviva encore le sien, de sourire, et elle hocha la tête sans rien ajouter. Ce n'était pas Clou, la créature-sœur de Sourire qui naquit ce même matin du drôle de rêve, qui allait lui tenir chaud : il était plutôt tout l'inverse, avec son petit cœur spectral qui battait toujours à distance d'elle.

Sur des pattes légères et aériennes portées par sa joie, Anita engagea un trot à la suite de son ami et se laissa guider jusqu'à son antre.
Là, l'hybride saurait glisser son corps souple dans la position qui conviendrait le mieux à ne pas déranger Dez et les autres petits occupants de la grotte. Qu'il s'agisse d'enrouler toute sa longueur de corps et de queue à la manière d'un autre serpent, ou de plutôt former une boule compacte qui tiendrait chaud, flanc contre flanc, ou encore d'étendre ses ailes pour envelopper cet ensemble d'une noire couverture à l'instar de ce sommeil qu'ils partagèrent il y a très longtemps, juste adolescents... Elle s'adapterait.

Et s'endormirait avec la joie et l'apaisement aux lèvres comme dans la poitrine.