Lis ma douleur | Chimaera

Encore une journée à errer dans son cimetière, plus misérable que jamais.

Toute son énergie était consacrée à s'occuper de cette terre sacrée et à prétendre que tout allait bien. Elle ne voulait pas traumatiser son enfant, ne voulait pas le stopper dans sa croissance. Elle avait ainsi créé une façade, celle de la mère insouciante, mais aimante. Il était mieux pour Mimë de vivre de lui-même, d'apprendre auprès de loups qui n'étaient pas maudits, qui portaient encore du bon en eux. Alors qu'Uma lui offrait une maison et un amour inconditionnel, elle l'encourageait grandement à aller voir ailleurs, de s'ouvrir aux autres... tout en gardant ses distances des fontaines magiques. C'était sa seule règle et elle faisait confiance à sa progéniture de suivre cet ordre à la lettre.

Mais voilà que l'hybride devenait de plus en plus indépendant et commençait à se poser de plus en plus de questions. Uma ne pouvait plus pousser l'inévitable, et quelque chose lui disait que le jeune en savait déjà beaucoup. Il était très intelligent et observateur, et peu de choses ne pouvait passer sous son museau...

Alors que l'insomnie frappait encore à la porte de la croque-mort, elle avait finalement décidé de prendre une plume et de l'encre qui trainait dans sa tanière depuis un long moment déjà, puis avait commencé à écrire au capitaine des Raeders. Au doux son des ronflements de Mimë, des mots se formaient sur le long parchemin...

***

Mon cher Chimaera,

tant de choses se sont passées depuis la défaite de Céto et la rencontre entre nos deux clans, n’est-ce pas ? Plusieurs pleines lunes sont passées dans le ciel déjà, et du fruit de notre union est né Mimë, un être qui a hérité du meilleur de toi. Malgré cet événement heureux et inattendu qui a changé ma vie à jamais, j’ai bien peur d’avoir une mauvaise nouvelle à te confier… ou plus précisément, un fardeau qui me pèse sur les épaules depuis mon retour sur l’Île Funèbre.

Tu as probablement remarqué mon absence, la distance pesante que j’ai décidé de prendre envers toi, mais tu es loin d’être le seul dont je me suis éloignée. Il y a une raison à cela, et ce n’est aucunement de ta faute, mais plutôt de la mienne. Laisse moi te raconter…

Un peu de contexte avant de rentrer dans le vif du sujet, il est à noté que tu as instantanément remarqué ma lumière rose qui arborait mon cou lors de ma visite sur Morne-Oeil, et à ce moment-là, la bénédiction de Moiro avait été un miracle à mes yeux : sans elle, jamais n’aurais-je pu ouvrir la porte qui emprisonne à présent la carcasse de Paquot. Tu avais eu des doutes quant à mes intentions, bien que tu as su être compréhensif quant à mon choix de suivre la voix de cette divinité. Je dois dire qu’à présent que ma naïveté m’a durement punie et pour cela, je te demande pardon. Je ne porte plus ce bijou maudit, mais la déesse m’a laissé une marque dont je ne peux me défaire.

Ce que je veux dire par là est que, fraîchement de retour sur mes terres, j’ai tout de suite posé mes pattes sur son île de fleurs afin de lui remercier de sa précieuse aide. Malheureusement, Moiro fut prise d’une colère effrayante en apprenant mes actions pour vous aider et décida de nous marquer, moi et Mimë, d’une malédiction terrible. Chacunes de nos paroles ont pour effet d’instaurer le doute chez l’interlocuteur, de là mon silence… et peut-être ce qui explique l'ambiguïté de la rencontre que tu as pu avoir avec ton fils.

Sache que ces mots sur cette feuille sont la seule façon pour moi d’être vraie à tes yeux, et que je tente du mieux que je peux de remédier à ce sort horrible, bien que je commence à perdre espoir. Aucuns livres semblent avoir réponses à mes questions, et j’ai bien trop peur de m’approcher d’une autre déesse de couleur… car qui sait si cela ne ferais qu’empirer les choses ? Je ne peux pas me permettre de baisser les pattes cependant, car Mimë mérite mieux… Notre ange est innocent dans cette histoire.

Étant donné que ce dernier est à présent assez grand et endurant pour voyager en ma compagnie, je comptais l'emmener sur Morne-Oeil avec moi le plus tôt possible. Cette lettre étant ma façon de t’expliquer le tout avant notre visite, j’espère que tu ne sera pas contre notre présence auprès des autres pirates. Peut-être qu’à plusieurs nous arriveront à trouver un remède ?

En espérant que ma chouette te livre ce message sans tracas,

Umaïma

***

Elle sortie de son refuge, avant de trouver son familier dans un arbre dénué de feuille. L'oiseau était en pleine dégustation, un rat décapité entre ses puissante serres. Uma attendit poliment que son festin soit terminé, puis lui offrit le rouleau. La lettre était attachée à l'aide d'un bandeau, le tissus que Chimaera lui avait offert des années auparavant. Elle espérait ainsi que la chouette puisse le porter à son ancien propriétaire.

Allez, va maintenant.

La louve regarda en silence la bête lumineuse partir au loin, déjà impatiente de son retour.