Tout en bas du monde | Libre

Tout en bas du monde
Cassius, 4 mois

Ca lui avait pris un petit moment.
Il commençait certes à s’habituer aux particularités du canyon et à ses dangers potentiels, bien loin de ceux que recelaient le Nord d’où il était arrivé quelques semaines plus tôt, mais cela ne voulait pas pour autant dire qu’il avait abordé la manœuvre avec légèreté.
Cassius n’était globalement pas quelqu’un de léger : par sa taille actuelle, peut-être — et encore, il lui suffisait de se placer à côté d’Apparence pour se dire qu’il était peut-être un peu gros, pour un petit –, mais clairement pas par l’esprit. Il mettait un point d’honneur à tout aborder avec sérieux et attention. A ne jamais se distraire.
C’était ce qui était attendu de lui.
Il avait donc entrepris de descendre tout en bas de la Passe Ventue avec minutie, évaluant soigneusement les voies possibles et leurs particularités, évitant autant que possible de poser ses grosses pattes de louveteau à la coordination pas ouf sur les petits tas de gravas dont il savait qu’ils pouvaient à tout instant se mettre à rouler sous ses pas pour l’emporter avec eux tout en bas, certes, mais bien trop vite. Il avait pris le temps.
Ca avait bien dû lui mettre une heure, oui, mais à présent Cassius pouvait le dire avec une certaine satisfaction : il avait touché le fond.

Le fond de la Passe, qu’il n’avait jamais aperçue que depuis quelque renfort rocheux en hauteur aux côtés de son père, des fois, et qui l’intriguait tant. Il y aurait eu de l’eau, ici, avant. C’est elle qui aurait creusé la montagne ainsi, au fil du temps, lui donnant cet aspect scindé en deux si particulier.
Mais maintenant il n’y en avait plus.
Ca ne l’empêchait pas de chercher, tandis qu’il longeait la paroi, ne s’approchant quand même pas trop du centre, restant un minimum à couvert. Il se disait qu’il trouverait peut-être quelque chose. Peut-être un fossile. Mais pas de dinosaure. Il n’y avait pas de dinosaures ici. Il y avait des monstres, selon son père, mais pas de dinosaures. Et il doutait franchement qu’il y ait un monstre dans les parages. Même s’il était vieux, il savait que son père était encore tout à fait capable de les chasser, et qu’il ne laisserait jamais un monstre résider si près de leurs tanières, à eux deux, et à Justice et Apparence, aussi.
Son père avait battu un monstre, ici, avant. Avec l’aide de son oiseau.
Un jour, Cassius pourrait faire ça, aussi. Il l’espérait. Il ferait tout pour. Comme ça, il pourrait protéger sa famille. Même s’il n’avait pas trop d’idée de ce qui pourrait la constituer. A part Apparence. Ca, ça ne faisait aucun doute.
La petite déception était que l’absence d’eau signifiait aussi l’absence de plantes. Il y avait certes quelques vestiges de végétation gigantesque et mourante qui rôtissaient parfois contre un mur, des ronces, beaucoup, mais pas grand-chose de vert. A part quelques cactus. Comme celui, très grand, au pied duquel Cassius était actuellement assis, la nuque tirée vers le haut, la tête légèrement penchée sur le côté, tentant de distinguer le sommet, sans vraiment y arriver. Il n’avait pas eu l’occasion de voir beaucoup de plantes dans sa vie, entre sa naissance dans le Nord gelé et sa rapide exode vers de Canyon aride, mais les quelques unes dont il avait croisé la route avait systématiquement piqué sa curiosité. Ce cactus n’était pas comme les quelques herbes de toundra qu’il avait pu voir dans le Nord. Il était plus haut. Il était pâle, comme elle. Il était rigide. Et il n’avait pas l’air sympa.
Les plantes étaient quand même bizarres. Son père lui avait dit qu’elles avaient généralement des feuilles, mais pour l’instant, il n’en avait vu aucune comme ça. Est-ce que les épines comptaient pour des feuilles ?
Il n’en était pas sûr.

D’accord, Nyu s’était peut-être un peu perdue. Juste un peu. Sa mère avait parlé de trouver des monstres assez gros pour elle qui lui permettraient de rassasier la marque. La gamine trouvait ça un peu inutile, la marque étai cool quand elle était grande, parfois même que ça lui envoyait des petites décharges.
Nyu ne comprenait pas forcément le danger.
D’ailleurs, si c’était aussi important, pourquoi sa mère l’avait amené à proximité d’un trou ? La boule électrique ne tenait pas en place… aussi lors d’une démonstration, elle en avait profité pour descendre. Elle n’était plus un bébé… enfin pas tant que ça. Parfois quand elle bondissait, des petits cailloux tombaient. Encore une fois, elle ne voit pas le danger.

Au fur et à mesure l’excitation monte, son poil s’hérisse alors que sur son corps, de petits éclairs jaillissent. Qu’est-ce qu’il y avait en bas ? Dans tous les cas, c’était sacrément amusant. Nyu ne se soucie pas du temps passé, se balade tranquillement entre des plantes visiblement piquantes et des cailloux. L’endroit semblait assez vide.
Jusqu’à ce qu’au loin elle reconnaisse la silhouette d’un loup de son âge.
Ravie à l’idée de rencontrer du monde, elle trottina jusqu’à lui sans chercher à être discrète, adoptant aussitôt une position de jeu.

« — T’as plein de piques, comme un hérisson ! »

Ses pupilles s’étirent dilatées, alors que sa queue féline se balançait doucement.

Méditer sur le sens de la vie tout en observant des cactus ne l'empêchait pas de rester sur ses gardes, ne serait-ce que parce qu'il n'était pas sûr du sort qui pourrait l'attendre si jamais son père — parti à la chasse avec son oiseau – le débusquait ici, tout seul, au fond du canyon, loin de leur tanière.
Cela commença par une sensation diffuse dans son cou, le long de son échine, qui commença lentement à se diffuser dans le reste de son corps. Son poil, déjà bien épais, semblait se hérisser de lui-même. Un peu comme s'il y avait de l'orage dans l'air. Un peu avant un gros éclair, pas loin.
Ce n'était pas normal.
Est-ce qu'il y avait dans le coin des monstres ? Il y avait des monstres électriques, d'abord ? Son père allait le tuer s'il tombait sur un monstre en se promenant seul loin de la grotte.
Alarmé, Cassius regarda rapidement autour de lui, ses yeux jaunes scrutant attentivement les alentours, son nez attentif à la moindre odeur suspecte... mais il n'eut pas à chercher bien loin, car il ne lui fallut qu'une poignée de secondes pour aviser une petite silhouette qui semblait se diriger vers lui le plus naturellement du monde.
Sans la moindre précaution, avec avec confiance, voire panache. Quelques instants de plus suffirent à ce que son odorat identifie un autre loup, une femelle, d'ailleurs, et la perspective de se retrouver confronté à une congénère d'un âge similaire au sien aurait pu permettre à ce sentiment d'affolement qu'il avait commencé à ressentir de se calmer, si elle n'avait eu l'air si sûre d'elle, toute seule au milieu de ce canyon coupe-gorge... et si elle n'avait porté sur elle la marque olfactive des Etelkru.

Peu de temps après leur emménagement à la Passe Ventue, Joaquín avait emmené Cassius jusqu'aux abords de la frontière avec le clan, pour lui apprendre à reconnaître leur odeur. C'était de mémoire la plus longue promenade que tous deux avaient pu faire depuis qu'ils étaient ici, et jamais à ce jour Cassius n'avait été aussi loin dans le territoire.
Ce jour-là, Joaquín avait été clair : s'il en venait à sentir l'odeur d'un Etelkru quel qu'il soit alors qu'il était seul, il devait se cacher. Et si jamais il lui arrivait le malheur de croiser un Etelkru, il devait fuir.
Car les Etelkrus étaient l'ennemi, au moins autant que les dinosaures, au moins autant que les monstres qu'il pourrait croiser ici.
Ils ne devaient en aucun cas l'attraper.
C'était mal barré.

Surtout qu'elle venait de la direction qu'il avait empruntée pour venir jusqu'ici, celle qui menait le plus rapidement à sa tanière. Elle bloquait un peu sa possibilité de fuite la plus simple.
Sentant son poil qui se hérissait un peu plus, mais clairement pas à cause de cette étrange électricité ambiante qui semblait s'amplifier à mesure que la femelle s'approchait, il se tassa légèrement sur lui-même, prêt à bondir...

— T’as plein de piques, comme un hérisson !

... avant de se figer, interloqué.

— C'est quoi un... hérisson ? articula-t-il péniblement — pas facile de prononcer un mot qu'on ne connaissait pas dans une langue qui n'était pas celle qu'on maîtrisait le plus, surtout quand il y avait un r dedans et que ça, clairement, on n'arrivait pas à le prononcer dans le rouler.

Il se redressa un peu, la regardant avec curiosité. Elle n'avait pas l'air agressive. Mais c'était peut-être un piège.
Elle avait un chapeau presque aussi gros qu'elle, avec un oeil dessus qui semblait le questionner, et sur le côté, une espèce de petite boule lumineuse un peu pétillante qui semblait... vivante ? Dormir ?

— C'est ça ? fit-il en désignant le machin jaune d'un petit signe de patte.

Il en avait oublié de flipper, sur le coup.

Il a pas l’air trop rassuré l’inconnu. Nyu n’y prête pas trop attention, approchant sa truffe de la sienne, curieuse.
Les gamins Etelkrus étaient si rares, y’en avaient beaucoup plus à l’extérieur !

« — C’est un animal avec pleinnnnnnnnnnnnns de piques ! »

Elle se redressa, un peu pensive lorsqu’il désigné son familier.

« — Non ! Enfin, ça pourrait attends. »

Nyu se saisit de la boule électrique, tire un peu sur les éclairs qui la composent pour lui donner l’apparence souhaitée. Ça la chatouillait un peu, mais la marque et son lien avec l’électricité n’en faisait rien de douloureux.
Au bout d’un moment, plutôt satisfaite elle mit la boule d’électricité sous la truffe du louveteau.

« — Normalement c’est tout gris et blanc ! Quand tu les touches ça pique… comme les piques de ton collier… OU COMME LA PLANTE LÀ ! »

Elle la désigne du bout de la griffe, son familier reprenant aussitôt sa place sur le chapeau.
Ravie, la louvette sourit, son corps parcourt de petits éclairs dorés.

Cassius eut un léger mouvement de recul lorsque la louve lui flanqua cette chose qui sentait comme la foudre et ressemblait à la foudre et se ressentait comme la foudre mais qui avait l'air vivante et qu'elle manipulait sans la moindre gène sous le nez, sentant ses moustaches le picoter à sa proximité.
Elle ne le lui avait heureusement pas jeté dessus. Il avait le sentiment que ça n'aurait pas été très agréable si ça l'avait touché. Il ne se détendit légèrement que lorsque ce qui semblait être un animal retourna de là où elle l'avait délogé. Mais demeura sur ses gardes.

— Oh, fit-il lorsqu'elle conclut son explication en lui désignant le grand cactus derrière lui. D'accord. Je n'en ai jamais vu.

L'une de ses pattes alla machinalement effleurer l'un des longs pics qui ornaient l'épais collier de cuir qui lui enserrait la gorge. Similaire à celui de son père, si on excluait le côté hérisson, il était censé lui garantir une certaine sécurité : avec ça, personne n'oserait s'approcher de sa gorge, à moins de vouloir risquer de perdre un oeil, et de se faire empaler le museau. C'était globalement assez gênant pour lui au quotidien aussi et il lui arrivait fréquemment de l'enlever lorsqu'il était en sécurité à la tanière, ou même pour dormir. Et ne manquait pas de se faire rabrouer par son père s'il le surprenait ainsi lorsqu'il revenait de l'une de ses excursions.
Il se demanda si les hérissons avaient le même genre de problème. Notamment pour interagir les uns avec les autres. Son collier ne laissait pas vraiment la possibilité d'une proximité. Mais il était rarement proche des autres. Il l'enlevait aussi pour jouer avec Apparence, mais ça, c'était évident. Il n'allait pas prendre le risque de la blesser, ou même de se faire lui-même mal avec.

— Toi aussi tu as des pics !

Il désigna cette fois-ci de la patte l'épaisse tignasse qui tapissait le haut du crâne de la femelle, et une bonne partie de son corps, aussi. Ce n'était certes pas tout à fait pareil, mais même s'il n'avait jamais vu de hérisson, il supposait qu'ils devaient peut-être un peu lui ressembler aussi, d'une certaine manière... non ?

Comment on ne pouvait n’avoir jamais vu de hérisson ? Peut-être qu’ils n’aimaient pas ces terres sèches… Nyu pencha son museau sur le côté, curieuse.

« — T’habites ici ? Parce que chez moi, y’en a plein ! »

Si il voulait, elle pouvait lui en rapporter. Après, est-ce que les hérissons apprécieraient d’être déplacés jusqu’ici, ça c’était une autre histoire…
Nyu s’efforça de rester immobile, l’une de ses pattes se mettant à trembler. Oh oui, mais c’était des pics bien différents qu’elle abordait. Depuis bébé, ce serait d’ailleurs super bizarre si elle ne les avait pas !

« — Oui, c’est à cause de l’électricité, une sorte de pouvoir… et parce que mon papa est un loup-lion aussi ! »

La queue féline s’agite doucement.

« — Ça te piquera pas, mais ça te chatouillera ! »

Maman grimaçait parfois.
Débordante d’énergie, Nyu bondit sur le côté, avant de reprendre la parole.

« — Je m’appelle Nyu et toi ? »

Les griffes de Cassius vinrent distraitement gratter le sol, tandis que son malaise ne diminuait pas.
Son père lui avait dit de se méfier des Etelkrus. Et même si cette louve avait l'air sympa, elle était Etelkru. Ca pouvait être une ruse.

— Euh... J'habite... pas loin... mais pas ici.

Ce n'était pas la manière la plus subtile ni la plus charismatique de brouiller les pistes, mais il espérait que ce soit suffisamment flou pour ne pas révéler le fait que oui, il vivait totalement dans la Passe Ventue avec son père, et d'ailleurs que sa tanière n'était pas si loin que ça. Un peu quand même mais pas trop. Joaquín avait été clair : leur repère devait rester secret. Et étonnamment, il semblait avoir bien plus confiance en Apparence pour garder le secret en question qu'en lui. Différence de traitement que Cassius n'était pas sûr de comprendre, mais qu'il acceptait comme le reste : en essayant de ne pas trop y penser, et en ne montrant surtout pas que ça le chagrinait.

— Oui, c’est à cause de l’électricité, une sorte de pouvoir… et parce que mon papa est un loup-lion aussi !

Cela faisait beaucoup d'informations d'un coup, qu'il n'était pas sûr de totalement comprendre — dans la mesure où sa maîtrise de la langue locale était bien moins bonne que celle de l'espagnol. Mais son père lui avait aussi parlé des pouvoirs que les meutards obtenaient grâce à des divinités. Mais il pensait que c'était un truc d'adultes, pas de louveteaux.
Aussi, il n'avait pas non plus la moindre idée de ce qu'était un lion. Mais il s'abstint de le faire remarquer, parce qu'il en avait un peu marre de passer pour un débile. Il supposa donc que son père avait une particularité. Comme beaucoup de gens du coin, apparemment. Mais pas comme lui, Cassius, simple loup, tout ce qu'il y avait de plus lambda.
A côté de lui, celle qui s'appelait donc Nyu commençait à s'exciter. Cassius, de son côté, était partagé : il se méfiait toujours et tout ce qu'on lui avait appris jusque là lui disait que c'était bien et qu'il serait d'ailleurs bien qu'il trouve un moyen de se défaire de cette situation gênante et juste de se barrer. Mais en même temps, elle était sympa, avait envie de jouer, et lui aussi il aimait beaucoup jouer, en plus il ne pouvait le faire qu'avec Apparence et des fois un peu avec l'oiseau de son père, donc pas si souvent que ça, et du coup, il avait quand même sacrément envie de jouer avec elle.

— Moi je suis Cassius. Et voilà que malgré ses efforts pour rester stoïque et posé, sa queue commençait à le trahir en s'agitant de droite à gauche. Mpffff. Est-ce que ça — il désigna du museau le petit machin bizarre qui roupillait sur son chapeau – c'est ton... glaustique ?

Il ne se souvenait plus comment ça s'appelait, exactement. Son père n'était pas très friand en informations côté vie culturelle des meutes locales, hormis le fait qu'elles étaient des ennemis. Mais elle devait bien avoir un glaustique, si elle avait un pouvoir, non ?
Et même si elle disait que ça chatouillait et ne faisait pas mal, il espérait qu'elle ne s'en servirait pas contre lui. Il commençait à comprendre pourquoi son père tenait tant à l'entraîner à se battre tous les jours.

De ses grands yeux pourpre et nuit, Apparence épie avec grande attention la scène qui se déroule quelques mètres en contrebas.
Ce qu'elle y voit pique son intérêt, bien qu'elle ne sache pas réellement dire si derrière cela se cache autre chose que l'envie d'être l'observatrice extérieure, spectatrice postée au-dessus des deux protagonistes du spectacle, se délectant de leurs mouvements et de leurs dialogues comme on profiterait d'une pièce de théâtre.
Même si Apparence ne sait absolument pas ce qu'est le théâtre, et qu'elle ne se penche pas tant à faire quelconque analogie.

Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle est happée par leurs faits et gestes, et que chaque minute qui passe lui fait questionner la suite.
Mais Apparence aime également être actrice ! À la tanière, c'est tous les jours qu'elle a l'occasion de l'être. Alors pourquoi pas à l'extérieur aussi ? Surtout qu'il y a quelqu'un de nouveau !

Bientôt, la petite louve n'y tient plus et entreprend de descendre, prenant garde à son équilibre encore précaire qui parfois la trahit, jusqu'à pouvoir bondir aux côtés de celui qu'elle connait et de l'étrangère.
Son regard s'attarde d'abord sur Cassius. Son corps et son visage sont neutres à cet instant, et elle cherche dans son expression comment se calibrer, comme elle le fait souvent. Voilà qu'il y a en cette inconnue une nouvelle équation à prendre en compte, aussi ; et elle se souvient également de toutes les interactions qu'elle a enregistré depuis son petit perchoir.
Alors Apparence se fend brusquement d'un sourire qui paraît un peu bancal, abaisse ses coudes plus près du sol, laisse s'agiter de quelques battements sa queue aux longs poils.
C'est bien ce genre de choses, qu'ils étaient en train de faire : elle aussi, elle sait le faire !

— Cass'! Tu présentes ton amie ?!

La voix qu'elle adopte se veut la plus enjouée possible, montée quelques tons au-dessus de son timbre habituel, plus grave et monocorde.
Et c'est ensuite vers cette amie qu'elle tourne son regard perçant, suffisamment proche désormais pour mieux tenter de la percer à jour.

Qui es-tu ? Que veux-tu ? Que penses-tu ?

Oh, pourquoi tant de mystère ? Le museau qui se penche sur le côté. Les autres au clan, parlaient de loups auxquels il ne faut pas accorder sa confiance, ceux qui vivent de l’autre côté de l’océan. Maman disait qu’ils ressemblaient à des monstres. Nyu trouvait cela très amusant, la possibilité de croiser la route de l’un d’eux.
Les monstres, c’était son rayon après tout.
Cassius, donc ? Un rire qui échappa à la gamine.

« — Oh non, c’est juste… de l’électricité ! »

Adoptant une position de jeu, Nyu sentit la marque bouger sur son corps, tournant son museau vers la nouvelle arrivante. Oh, c’est qu’il y en avait plein des enfants ici ! Bien plus qu’au Castel. Un léger ronronnement qui échappa à l’Etelkrus.

« — Tu veux jouer avec nous ? » Peut-être qu’ils lui apprendraient de nouveaux jeux ? « Vous jouez à quoi d’habitude ? Faire la course ? À chat ? Cache-cache ? Des concours de pirouettes ? »

À chaque mots, les pupilles de Nyu semblent se dilater un peu plus.

Ce n'était pas son glaustique, c'était juste de l'électricité. Difficile pour Cassius de cacher sa moue dubitative à la réponse de Nyu, qui lui parlait d'électricité qui parcourait visiblement son corps comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
Son père lui avait dit que les gens d'ici étaient étranges, qu'ils n'étaient pas comme eux, que beaucoup n'étaient pas que de simples loups. En entendant ça, Cassius s'était demandé de quoi il pouvait bien parler. S'il lui arriverait de croiser des loups qui étaient plus des monstres qu'autre chose, et comment il pourrait bien réagir, si cela arrivait.
Il commençait à comprendre.

Mais il n'eut pas le temps de se poser plus longtemps sur la question car une odeur bien connue vint chatouiller ses narines et interrompre ses réfléxions.

— Cass'! Tu présentes ton amie ?!

Ecarquillant les yeux, Cassius avisa Apparence qui, débarquant littéralement comme une fleur, vint se poser à ses côtés le plus naturellement du monde, de toute évidence prête à jouer avec cette petite Etelkru qu'il ne connaissait que depuis cinq minutes et qui avait juste de l'électricité dans tout le corps. Ce qui n'était pas très safe.
Et ne pas être safe, lui, c'était une chose, mais qu'Apparence ne soit pas safe en était une autre, encore plus si elle était avec lui, c'est à dire, comme le disait très bien son père, sous sa protection.
Son anxiété, qui s'était jusque là tassée, monta d'un cran.

— Euh, c'est Nyu, et, euh, non, on fait pas de concours de pirouettes !

Et non, il n'avait plus du tout envie de jouer, si son père le surprenait à jouer avec Apparence et une Etelkru électrique, il allait se faire tuer !

— Justice est ici ? demanda-t-il en se tournant vers Apparence, priant absolument tous les Dieux en lesquels son père ne croyait pas pour que ce soit effectivement le cas.

Justice serait plus compréhensif. Peut-être même qu'il le couvrirait. Mais cela ne risquait-il pas de mettre Nyu en danger ? Même si elle l'impressionnait un peu, avec son électricité, elle s'était ouvertement pas hostile, et il n'avait pas envie de la mettre en danger non plus.
Mais quel bazar !

C'est un bouquet de réactions différentes qui succèdent à son arrivée, et Apparence s'en estime ravie.
Cela signifie qu'elle a su faire impression, mais surtout, qu'il y a tout un nouveau panel d'émotions, de voix, de gestes et de regards à décrypter chez ses camarades.
Autant de choses à apprendre et à appliquer par la suite.
C'est d'abord vers l'inconnue qu'elle fixe alors son regard étrange, la plus rapide à répondre, la plus vive tout court. Elle lui rappelle un peu ces oiseaux téméraires qui s'aventurent parfois dans le canyon et dont elle a oublié le nom, ceux qui n'hésitent pas à disputer une place simplement pour satisfaire une forme de curiosité et ne semblent pas éprouver de peur - seulement un intérêt farouche et imprudent pour toute chose capturant leur attention.
Peut-être qu'elle même est un peu comme ça, à bien y réfléchir. Ou bien que les avoir observés et avoir été suffisamment intriguée lui donne envie de mimer leur façon de faire.
Elle ne sait pas.

Elle sait seulement que l'autre fille de leur bande nouvellement formée est prête à jouer, et qu'elle regorge d'idées. C'est vrai, ça, à quoi jouent-ils d'habitude ? Apparence n'a aucune idée de si les activités auxquelles ils s'adonnent ont un nom. Peut être que faire la course compte dedans, oui. Mais le reste ?
Son regard fuse dans l'autre sens quand c'est Cassius qui reprend le flambeau de la parole. Elle peut d'ores et déjà noter les changements au ton plus fébrile qu'il adopte, à son corps qui s'agite et à ses yeux qui semblent s'attendre à tout moment à ce que l'un de leurs tuteurs ne débarque. Elle l'a souvent remarqué, ce comportement.
Elle, elle n'a jamais vraiment à s'en inquiéter : Joaquin ne semble jamais la tenir pour fautive de quoi que ce soit, et Justice se contente de se murer dans le silence qu'elle cultive en retour comme une force.
En revanche, plus Cassius encaisse à sa place les conséquences d'actes pourtant le plus souvent partagés, plus elle s'installe dans la confortable position de celle qui peut en profiter et repousser chaque fois les limites. Et elle comprend de mieux en mieux, aussi, comment tirer à son avantage les signes avant-coureur de cette angoisse chez celui qui est presque un frère.

Si Cassius ne veut pas -plus ?- jouer, elle a décidé que si, ils joueraient.

— Non, parti. Loin, comme d'habitude. Tu as besoin de quelque chose ? Tu veux que je trouve Joaquin ?

Ses lèvres s'étirent sur un grand sourire et elle adopte l'air le plus angélique dont elle est capable pour le moment, battant innocemment des cils.
Sans même attendre de réponse, elle enchaîne, reportant son attention sur celle dont elle connaît désormais le nom.

— Je veux bien que tu montres les pirouettes, Nyu !

Il lui semble approprié de relancer les battements de sa queue à ce moment.

L’attitude de Cassius changer l’approche de l’autre. Avait-il la trouille ? Nyu la trouvait pas super intimidante, m’enfin peut-être que c’était une bagarreuse. En tout cas, lui ne veut plus jouer quand la louve si. L’Etelkrus fronça légèrement les sourcils, essayant de suivre tout ce qui se disait.

« — C’est qui Justice ? Joaquin ? »

C’était des méchants à combattre ?
La queue féline se balance, alors que le museau se retourne d’un coup vers la louve. Oh donc concours de pirouette quand même ? Un sourire qui étire ses babines.

« — D’accord ! Mais tu devras m’en montrer une aussi ! »

D’accord, c’est parti ! Nyu pencha son corps vers l’avant, décollant son arrière train du sol. Concentrée, elle leva ses pattes arrières au-dessus de sa tête, gardant cette dernière en bas. Tient la pose quelques secondes, avant de relâcher, faisant une roulade pour se relever.
Héhé, c’est qu’elle la bossait depuis longtemps cette figure.

« — Tu m’as pas dit ton nom ! »

À toi.

Les yeux de Cassius s'écarquillèrent à la suggestion d'Apparence d'aller chercher l'un de leurs deux pères, et il secoua rapidement la tête, prêt à rétorquer que ce n'était nullement nécessaire, mais l'attention des louveteaux et les lois du RP étant ce qu'elles sont, le sujet fut bien vite remplacé par quelque chose de beaucoup moins anxiogène et il n'eut pas à bafouiller quelque justification inventée sur le tas pour se dépêtrer de ce qui semblait bien parti pour être une situation compliquée.
Les deux petites louves paraissant bien plus enthousiastes à l'idée de comparer leurs skills de pirouettes qu'à la perspective de parler des deux vieux mâles, il mit un point d'honneur à se montrer particulièrement attentif à la cascade que réalisa Nyu, ne pouvant malgré tout s'empêcher de jeter de temps en temps un coup d'oeil qu'il espérait discret aux alentours. Craignant à tout moment de voir se découper sur les roches rouges une silhouette sombre et familière, mais faisant mouche à chaque fois — et heureusement.
Cassius supposait que c'était au tour d'Apparence de faire une pirouette — il n'avait pour le moment pas vraiment la tête à se lancer dans la compétition, trop occupé qu'il était à baliser à l'idée de voir son père débarquer au détour d'un cactus. Sans piper mot, bien content de n'être ici qu'un spectateur silencieux, il leva les yeux vers sa presque-soeur, attendant de voir ce qu'elle ferait.

La connaissant, il était fort probable qu'elle arrive à faire un truc hyper stylé. Parce que c'était généralement ce que faisait Apparence.
Un truc plus stylé que les autres.
Ou un truc plus stylé que lui, au moins. Il n'avait pas encore eu la possibilité de comparer avec quelqu'un d'autre. C'était peut-être le moment ou jamais de voir si Apparence était vraiment stylée, ou si c'était juste lui, qui était un peu plus nul que la moyenne.

Les yeux de Cassius ont changé en réponse à sa proposition. C'est à peu près ce à quoi elle s'était attendue, que de voir dans son attitude une manifestation proche de ce qu'elle assimile à de la peur.
Et elle s'en estime satisfaite, d'avoir correctement deviné comment il réagirait : il lui importe en revanche bien peu de se poser des questions sur la conséquence chez l'autre des sentiments provoqués.
Son rôle à elle, après tout, c'est la petite sœur innocente. Elle n'a fait que cela : poser une question, avec un sourire.

Poliment.

Et si son presque-frère se retrouve soudainement dans le mutisme, plus occupé à guetter l'ombre inquiétante d'une silhouette adulte tandis qu'Apparence n'en a cure, Nyu relève les noms et pose elle aussi une question.
La tête de la jeune louve se penche sur le côté alors qu'elle se creuse brièvement la tête : que dire sur eux ? Et comment le dire ?
Quelques secondes passent, pendant que l'enfant cherche et tourne différentes formulations.

— Les adultes qui gardent l'endroit !

Elle s'est penchée vers l'étrangère pour le lui dire, le regard intense et la voix basse qui chuchote comme pour un secret. Elle se dit qu'il y a plein de façons différentes d'interpréter une telle réponse, et Apparence n'attend qu'une chose : de guetter sa réaction. Peut-être aussi que ça peut faire partie du jeu, non ?
En tout cas, il y a aussi un autre jeu déjà en cours auquel s'adonne sans broncher la nouvelle, sous les yeux attentifs de la solitaire. Voilà qu'elle s'apprête à découvrir ce qu'est une pirouette, et qu'elle va devoir en faire une à son tour. L'enfant électrique se penche, bascule le poids de son corps vers l'avant tout en élevant l'arrière-train : bientôt, c'est tout son dos qui est presque droit et seules ses pattes avant qui touchent le sol.
Alors c'est ça, une pirouette ?
Durant toute la prestation, Apparence demeure figée dans une expression neutre, sa concentration employée à décrypter ce qui allait se passer sous ses yeux. Mais maintenant que la performance est finie et que l'attention de Nyu va revenir sur elle, elle imagine qu'il faut... Une quelconque réaction.
Probablement quelque chose qui encourage le jeu à continuer, pour que Nyu reste encore avec eux.
Alors Apparence créé un large sourire sur ses lèvres et ouvre la gueule d'un air enthousiaste, frappant brièvement ses deux pattes avant l'une contre l'autre dans un simulacre d'applaudissement.

— Impressionnant !

Elle fait de son mieux pour être convaincante, mais il y a dans le fond des éclats de voix qu'elle veut les plus sincères et impactant toujours quelque chose qui sonne faux. Désaccordé.
Alors que son tour va débuter, une question vient vers elle, et l'enfant n'hésite pas longtemps avant de répondre sobrement, d'un ton brusquement changé pour revenir sur une neutralité qui lui est plus commune.

— Mon nom, c'est Apparence.

Maintenant que tous les protagonistes de la pièce sont nommés... A son tour de se donner en spectacle.
Son observation l'a déjà amenée à pré-établir ce qu'elle compte faire comme pirouette, cherchant l'équilibre entre ce qu'elle comprend de l'exercice, ce que Nyu attend d'elle, et ce qu'elle se pense capable de réaliser sans avoir pu s'y exercer. Alors elle tâtonne le sol du bout des pattes, ressent ses muscles et ses articulations, s'imagine lever l'un ou l'autre membre et devoir compenser autrement. Après quelques secondes, Apparence se lance : appliquée, la louve raffermit l'appui de ses pattes arrières sur le sol et commence à se dresser dans une posture bipède. Elle prend un peu d'assurance et s'assure d'être stable avant l'étape suivante : usant de sa longue queue comme d'un balancier pour l'aider à garder l'équilibre, elle lève l'un de ses postérieurs pour ne plus laisser le poids de son corps que sur une de ses pattes arrières. Déjà, ses muscles tremblent sous l'effort : elle doit rapidement conclure.
Alors, rassemblant ses dernières forces, Apparence sautille comme elle peut en accomplissant un tour sur elle-même, manquant de peu de se tordre la patte à plusieurs reprises, avant de soulager toute la tension de son corps en relâchant la pose.

Un peu haletante et le cœur accéléré par la manœuvre, elle fixe son regard sur Nyu, occultant complètement Cassius resté silencieux et en retrait.

Alors ? C'était comment, comme pirouette ?

Les loups mentionnés, devaient être sacrément impressionnant pour que Cassius réagissent ainsi. De bons chasseur ? Ou simplement de bons combattants ? Cela intriguait Nyu dont le poil se gonfla légèrement. Un sourire en réponse aux mots de la louvette. Des gardiens donc.

« — Intéressant… »

Apparence. Apparence.
Si elle le répète deux fois, c’est que cela doit être important, non ? Nyu ne sait pas trop, n’est pas assez douée pour comprendre la possible subtilité. Au lieu de ça, observe plutôt la pirouette. De la même manière qu’elle utilisait sa queue féline pour se maintenir en équilibre, Apparence s’en servait pour restée debout. Quand la petite représentation est terminée, la chasseuse sourit.

« — Ça c’est trop cool ! »

Une étincelle jaune qui parcourt son corps, alors qu’elle se tourne vers Cassius.

« — C’est ton tour ! »

Sans surprise à ses yeux, la pirouette d'Apparence était, à l'image de son auteur, singulière. Impressionnante. Surtout au vu de la corpulence plutôt frêle de la petite louve : Cassius n'avait pas manqué de remarquer à quel point l'action semblait lui en couter physiquement, et avait même dû se faire violence pour ne pas bouger en observant sa cheville trembler sous l'effort. Il avait envie. Il aurait dû. Mais il n'avait pas envie de s'imposer devant celle qui était littéralement la première personne hors Justice et Joaquín qu'ils rencontraient. Il n'était pas sûre qu'Apparence apprécie le geste, qui, d'une certaine manière, aurait traduit un manque de confiance en son aptitude à réaliser la prouesse.
Sa queue battit avec enthousiasme la poussière du sol sur lequel il était assis lorsqu'elle se redressa fièrement après sa cabriole. Aussi bien pour se montrer encourageant que par soulagement : il n'avait pas vraiment envie de rentrer chez lui accompagné d'une petite soeur blessée sous sa surveillance.

— C’est ton tour !

Et zut.
Cassius papillonna rapidement des yeux lorsque l'attention de Nyu se reporta sur lui. Il semblait que ce fut à son tour d'effectuer une pirouette. Hm. Son premier instinct fut de refuser : il s'abstint cependant de répondre immédiatement, et cela eut le mérite de lui faire réaliser qu'il ne voyait pas spécialement en quoi cela posait problème qu'il fasse lui aussi une pirouette. Il pouvait essayer, même s'il doutait que son move soit aussi stylé que les leurs.
Le seul problème c'était qu'il n'était pas sûr au final de ce que pouvait être une pirouette : Nyu avait tenu quelques secondes dans une espèce de poirier avant de rouler vers l'avant. Apparence avait choisi quelque chose de différent et avait sauté à cloche-patte avant de faire rapidement demi-tour sur elle-même.
C'était quoi une pirouette, en fait ?

— ... d'accord... fit-il sur un ton sceptique.

Il supposait qu'il lui fallait faire quelque chose de similaire... mais différent. Mh. Mh, mh, mh. Mhhhhhhh...
Cassius regarda autour de lui, se balançant pensivement d'une patte sur l'autre. Il n'était pas vraiment habitué à l'improvisation : d'ordinaire, pendant ses entraînements, son père lui montrait comment faire quelque chose, une fois, et après il devait le refaire. Ici, personne ne lui montrait rien. Mais de ce qu'il comprenait, l'idée, c'était de faire un tour sur soi. En l'air. Un peu.
Il avisa un rocher un peu haut, dont le sommet devait être à une soixantaine de centimètres du sol, et eut une petite épiphanie salvatrice. Après un coup d'oeil vers les deux femelles, il s'en approcha prudemment, avant de l'escalader. Arrivé tout en haut, il s'approcha du bord, et prit une grande inspiration.

Cassius n'était pas très doué. C'était en tout cas le sentiment global qu'il tirait des leçons de son père, et des nombreuses remarques et engueulades qu'il y récoltait de manière quotidienne. Il s'efforçait du mieux que le pouvait son petit corps de reproduire les actions de son paternel et estimait plutôt pas mal s'en sortir — de mieux en mieux, même –, mais ce n'était visiblement jamais assez et la barre semblait toujours plus haute. A ce jour, le plus beau compliment qu'il était parvenu à récolter au cours d'une session d'apprentissage du combat était un ça passe grogné en espagnol après qu'il ait correctement réussi à reproduire l'enchaînement sauter d'un endroit en hauteur + se réceptionner en roulade + rebondir rapidement après sa roulade puis faire volte-face qu'il y était censé apprendre. Il était à peu près sûr que ce vague encouragement était dû au fait qu'il était parvenu à effectuer l'action du premier coup, mais ça, c'était aussi parce qu'il maîtrisait maintenant plutôt bien la roulade au sol. Et cette roulade, il avait vraiment trimé pour la réussir. Ca avait pris des jours. Et beaucoup de remontrances.
Il n'était pas très doué selon les critères de Joaquín — ou en tout cas s'il était doué ou au moins juste okay Joaquín s'abstenait bien de le lui faire ressentir – mais à force de se prendre des bleus, des coupures et des courbatures, il n'était pas non plus incapable. Il jouissait même d'une carrure un peu plus imposante que la moyenne pour un louveteau de son âge et était assez agile. Il pouvait donc tenter quelque chose.
Quelque chose comme une petite modification de son combo saut/roulade/saut/demi-tour, tronqué aux trois-quarts. Il estimait être suffisamment haut, et au pire, s'il se cassait la gueule, il se taperait une grosse honte et de nouveaux bleus, mais avec son paternel, il avait l'habitude. Même s'il n'avait pas envie de se ridiculiser devant les deux louves.

Les sourcils de Cassius se froncèrent comme à chaque fois qu'il était concentré et son regard se figea. Son corps se raidit, et lentement, il se ramassa sur le sol. Après une nouvelle inspiration, il s'élança aussi haut et aussi loin qu'il le pouvait, poussant une grande expiration, et, arrivé presque au sommet de la petite cloche que décrivait sa trajectoire, il se braqua soudainement vers l'avant, contractant son abdomen et ramenant sa tête entre ses pattes arrières, vers sa queue. Pas le temps de voir le monde tourner : en un instant à peine il revenait au sol, ayant heureusement réussi à faire un tour quasi-complet sur lui-même. Il atterrit de manière un peu malhabile sur ses pattes arrière — fallait pas déconner il allait pas faire un vrai salto de kéké non plus –, s'éraflant un peu les talons au passage, puis ses pattes avant touchèrent également le sol, et puis, voilà.
Pour être honnête il n'avait pas la moindre idée de ce qui venait exactement de se passer : tout était allé très vite, ça tournait grave, même maintenant ça tournait toujours, mais il espérait que ça avait marché. Il secoua la tête et finit même par s'ébrouer, le sentiment de tangage s'estompant peu à peu.
Il tourna la tête vers Apparence et Nyu, attendant que tout cesse de tourner avant de les rejoindre, au risque de tituber comme un débile.

— Euh, voilà.

Cassius, grand virtuose des mots.

Au vu de la réaction de Nyu - sourire, phrase enjouée et cette drôle d'énergie qui se met à parcourir son corps, Apparence estime avoir réussi la prouesse de la pirouette.
Et comme d'habitude, il n'y a rien pour venir s'allumer chez elle en réponse. Ce sourire qu'elle fait naître en réponse, la queue qu'elle fait battre - elle en ordonne consciemment le mouvement car ils paraissent adéquats à la situation, mais d'eux-mêmes ils ne viennent pas.

Quand l'étrangère se tourne ensuite vers Cassius, Apparence réalise qu'elle en avait presque oublié sa présence et elle suit son regard pour fixer son presque-frère. Lui aussi, il a l'air content de ce qu'elle a fait. Il l'est pratiquement tout le temps, en ce qui la concerne, et la jeune louve a l'impression qu'elle pourrait faire n'importe quoi et quand même gagner son approbation.
Il l'est beaucoup moins, content, quand Nyu le désigne comme suivant.
Apparence penche la tête et pose sur lui ses yeux singuliers, dans l'attente silencieuse de sa pirouette à lui. Son corps s'est calmé, son expression s'est lissée : elle ressemble de nouveau davantage à une enveloppe vide qu'à une enfant de son âge.

Cassius réfléchit, se décide, se prépare. Il gagne un point un peu en hauteur et s'exécute, réalisant quelque chose de tout à fait différent d'elles, mais qui selon la petite louve rentre bel et bien dans la catégorie pirouette. De ce qu'elle en a compris, du moins.
Quand il a fini et qu'il est de retour, un peu plus ébouriffé qu'avant, elle décide de rester relativement sobre dans son expression.

— Oh. C'était bien. On aurait dit comme Joaquin.

Sa tête se penche cette fois de l'autre côté quand elle peint sur son visage l'innocence qu'elle aime tant adopter avec l'adolescent sombre.
Elle ne sait pas s'il s'agit tout simplement de ce qu'il se passerait par défaut dans tous les cas, ou si c'est du fait d'en jouer si fréquemment, mais Apparence a toujours une certaine impression de puissance quand elle agit de cette manière. Qu'elle pourrait lui dire des choses méchantes ou lui faire peur et que pourtant, il ne se fâcherai jamais contre elle.
Ce n'est jamais vraiment de sa faute. Même quand ça l'est, elle n'a pas fait exprès.
Il aime la protéger, et elle le laisse faire et observe avec curiosité.

Toujours est-il qu'en cet instant, elle n'est pas certaine de ce qu'elle s'attend à voir apparaître sur la tête de Cassius à la mention de son père et à la comparaison esquissée, mais elle ne va tarder à le découvrir.
D'ailleurs... Ne peut-elle pas un peu corser les choses pour voir se dévoiler un plus grand éventail d'expressions ?
Apparence décale soudain son regard pour le porter vers le lointain, derrière Cassius, et fait mine de plisser les yeux. Ses sourcils se rapprochent et elle pointe les oreilles, se hisse sur le bout des doigts : comme si tout la bas, parmi les formes irrégulières du canyon, elle voyait quelque chose.

— Tiens ? Ce n'est pas Joaquin, qui arrive ?

Elle sait qu'il va se retourner. Et paniquer.
Et Nyu, alors ? Que va-t-elle faire face à l'un des maîtres des lieux ? Sa réaction à elle sera la plus grande inconnue, quant à celle de Cassius - sans doute la plus divertissante.

Apparence, elle, sait qu'il n'y a pas l'ombre d'un loup noir et elle s'assoit, passant en revue les deux autres protagonistes.

Le museau de Nyu s’était approché de celui de Cassius, les pupilles dilatées. Pensait-il échapper au jeu en faisant mine de surveiller les alentours ? Voyant qu’il se prêtait à l’exercice, l’Etelkrus s’assit aux côtés d’Apparence, sa queue ondulant. Figure faite, ne pouvait être refaite. Alors qu’allait-il leur proposer ?
Escalade.
Saut.
Roulade.
Réception.
Nyu vint taper ses pattes entre elles, un large sourire étirant ses babines.

« — … tu remportes le jeu ! Ça déchire ! »

Donnait encore plus envie à Nyu de s’entraîner à exécuter d’autres pirouettes. Joueuse, elle vient faire claquer sa mâchoire à proximité du loup foncé, avant de se tourner vers Apparence qui évoque encore le nom de Joaquin. Celui qui semblait un peu faire flipper Cassius.
Est-ce que cela l’amuse ?
Nyu… ça ne l’inquiète pas du tout.

« — Qu’il vienne jouer avec nous ! »

Sa démonstration eut l'air de faire son petit effet, et c'est avec soulagement que Cassius accueillit les expressions enjouées d'Apparence et de Nyu — cette dernière semblait même très enthousiaste. Un grand sourire commença à se former sur ses babines, sourire qui se figea à la première mention de son père.

On aurait dit comme Joaquín.
La première réaction, la plus instinctive, fut de ressentir un léger pincement à l'estomac. Vague anxiété suite au rappel à l'ordre : l'espace de quelques instants, Cassius avait oublié son père. Oublié la menace permanente d'un regard froid et déçu qu'il encourrait alors qu'il était ici, seul avec Apparence et une Etelkru, à jouer loin de leur tanière.
Mais cette anxiété se dissipa néanmoins au profit de quelque chose d'un peu plus agréable : si aux yeux d'Apparence cette pirouette rappelait Joaquín, est-ce que ça ne signifiait pas, un peu, que pour une fois, il avait pu être à la hauteur ? Est-ce qu'il ne s'approchait finalement pas un peu plus du but à chaque entraînement qui passait ? Etait-il peut-être, même à son niveau de tout jeune loup, d'une certaine manière, capable de protéger ?
Apparence voyait-elle en lui un protecteur ?

Ses réflexions ne purent aller bien loin car bien vite son attention fut de nouveau déviée : premièrement par le claquement inattendu des mâchoires de Nyu non loin de ses oreilles, qui eut pour effet de le ramener à la réalité, et deuxièmement par la mine pensive de sa presque-soeur, qui, perchée aussi haut qu'elle le pouvait sur ses frêles chevilles, pensait avoir aperçu... Joaquín.
Toute trace de sourire disparut aussitôt au profit d'une immédiate et indiscutable panique. D'un bond, Cassius fit volte-face, tendant le cou pour tenter de mieux y voir, scrutant avec effroi la direction d'où semblait provenir le spectre. Rien.
Allant jusqu'à se dresser sur ses pattes arrière, il huma l'air avec attention. Le vent sifflait dans la Passe, et il eut beau renifler tout ce qu'il voulait d'air, pas une seule fois l'odeur caractéristique de son père ne parvint à ses narines.
Mais Joaquín savait se cacher sous le vent. Pourquoi aurait-il décidé de le faire de la sorte s'il n'était pas à la chasse, alors ? Aurait-il été jusqu'à s'approcher à couvert d'eux pour mieux leur tomber dessus et le prendre par surprise ?
Il leva les yeux au ciel : pas de trace d'Ixcanul.
Il finit prudemment par revenir à terre, et se retourner vers les femelles. Malgré le retour positif de cette brève investigation, son regard semblait hanté :

— Je ne crois pas qu'il soit là. Tu es sûre ? Peut-être Justice... ?

Puis ses yeux d'aller se poser sur Nyu, qui ne semblait pas comprendre dans quel pétrin ils étaient tous trois — enfin, surtout lui et elle, il doutait que son père en veuille de quelque manière que ce soit à Apparence – si son père leur tombait dessus.

— Hm, euh, non, ce n'est pas une bonne idée. Il n'aime pas jouer, et... il n'aime pas trop les Etelkrus non plus.

Si un épais poil noir n'avait couvert ses joues, on les aurait sûrement vues se teinter de rouge, tandis qu'il baissa le regard sur ses pattes avec embarras.

La réaction de Nyu - celle qu'elle a le plus attendu, avec une forme d'impatience qui lui est propre - est effectivement en décalage avec ce qu'elle aurait pu deviner. L'éventail de réponses qu'elle avait brièvement constitué ne contenait pas cette indifférence presque totale, et encore moins la possibilité que la petite Etelkru l'invite à jouer avec eux.
Ça lui tire presque un sourire qu'elle aurait pu définir de spontané et naturel, à Apparence : mais elle sent bien que cela n'a rien de comparable avec ces expressions si larges qui se peignent sur d'autres visages. Avec tout ça, elle en a presque oublié d'observer ce qu'il se passe chez Cassius - alors elle ne tarde pas à déporter vers lui son regard, juste à temps pour le voir se dresser sur ses pattes arrières et scruter chaque point du décor, l'air paniqué.
Prévisible.
Si la déception ou la satisfaction avaient été capables de la traverser, elle n'aurait su que choisir entre l'ennui d'une devinette trop facile à résoudre et le plaisir d'avoir été capable de viser juste, très juste.

Au final, peu importe. Il reste dans la scène deux enfants très différents - une inconnue qui veut jouer avec un loup qui déteste son clan, et un presque-frère fébrile qui perd la tête à force de chercher un absent.
Quand il repose ses yeux dorés sur elle, écarquillés et habités de cauchemars, sa voix déborde d'angoisse. Et quand il se tourne cette fois vers Nyu pour lui répondre - c'est quelque chose d'autre qu'il dévoile, qui fait se redresser un peu Apparence et pointer ses oreilles vers l'avant. Pour mieux l'observer, cette autre expression aux oreilles tombantes et au regard fuyant.
La jeune louve ne compte en tout cas pas en rester là, et elle choisit d'abord d'acquiescer aux mots de Cassius en faisant face à l'enfant Etelkru.

— C'est vrai, qu'il aime pas les Etelkrus. Il veut pas en voir ici.

Puis elle fait évoluer son expression. De neutre et sérieux, son visage se défroisse à nouveau pour plus se rapprocher de l'air constamment survolté de Nyu - et par-dessus ça rajouter une nouvelle couche de candeur, quand elle bondit devant Cassius avec une énergie retrouvé.

— Mais Nyu est notre amie. Alors c'est différent, non ?

Derrière elle, sa longue queue bat l'air sous ses ordres.

— On peut lui demander ! On fait la course pour le trouver, d'accord ?

Elle s'applique à faire monter sa voix dans les aigus pour agrémenter le large sourire factice qui fend de sa gueule quand elle court en cercles devant les deux autres, l'air enchantée et sincèrement convaincue de pouvoir rejoindre Joaquin afin de lui proposer de jouer avec leur nouvelle amie.
Avant de bondir de l'avant sans plus attendre vers un point indéterminé, détalant de toute la vitesse de ses jeunes pattes.

Oh, c’est parce que Joaquin n’aime pas les Etelkrus que Cassius tire cette tête ? Après tout, le clan avait l’air plutôt détesté en dehors des frontières. Nyu avait du mal aussi des fois, les rares loups avec lesquels elle avait échangé… était soit trop condescends soit trop nuls en chasse.
Alors qu’au final, ils n’étaient au-dessus de rien du tout.
Les yeux dorés observent tour à tour les réactions de Cassius et d’Apparence. L’un semble plutôt inquiet quand l’autre… s’amuse ?

« — Ah ? »

C’est un peu étrange comme sensation.
La queue féline ondule au-dessus du sol, le poil se gonfle légèrement. Faire la course pour trouver le dit Joaquin… ça semblait être un jeu… mais…

« — … non. Cassius n’a pas l’air de vouloir. »

Nyu fait face à apparence, un sourire étirant ses babines.

« — Ce n’est pas drôle, les jeux où tu es forcé, moi en tout cas ça ne m’amuse pas. »

Un soupir, accompagné d’un haussement d’épaule.

« — … mais on peut faire un autre jeu, un jeu qui plaira à tout le monde. »

La situation tournait réellement au cauchemar. Ses tentatives de ramener cette rencontre dans des eaux calmes et sûres essuyaient l'une après l'autre des échecs, et maintenant, Apparence menaçait de détaler à tout allure il ne savait absolument pas où, visiblement surexcitée à l'idée d'aller retrouver Joaquín pour lui présenter leur nouvelle amie Etelkru. Le mettant ainsi triplement dans la panade : premièrement, parce qu'il n'attendait pas sagement à la Tanière comme il était censé le faire, deuxièmement, parce qu'il laissait Apparence se mettre en danger en caracolant au milieu du Canyon loin de sa propre tanière et exposée à tous les innombrables dangers que recelaient la Passe pour des louveteaux comme eux, et troisièment parce que voilà que tout à coup il devenait ami avec une Etelkru.
S'il avait pu transpirer, il aurait sué à grosses gouttes. Il avait l'impression d'étouffer et n'était même pas capable de bouger tant son effroi était grand : mortifié, il fixa Apparence qui s'éloignait... et c'est à peine s'il entendit la voix de Nyu lorsqu'elle parla.

Son regard quitta néanmoins sa presque soeur pour se tourner vers son ?amie?. Un mélange de surprise et de reconnaissance dans les yeux. Il soupira un grand coup, son soulagement évident, puis esquissa un petit sourire encore un peu crispé en hochant la tête :

— Oui... ça serait mieux. Je ne pense pas qu'il réagirait bien.

Avant d'ajouter timidement, presque las à l'idée que cette nouvelle tentative d'apaiser la situation et d'exercer un semblant de contrôle dessus ne se fasse de nouveau démolir par l'innocence d'Apparence :

— A quoi vous voudriez jouer maintenant ?

Sa queue s'agita timidement. Lui qui était réticent à jouer avec elles un peu plus tôt, de peur d'être surpris, aurait vraiment tout donné pour ça, à présent. N'importe quoi. Vraiment.
Tant qu'ils restaient tous trois loin de son père.

Elle ne part pas bien loin.
Loin de l'engouement qu'elle aurait pensé susciter - de la part de Nyu bien plus que Cassius, évidemment, c'est finalement l'Etelkru elle-même qui se range du côté de son presque-frère.
Parce qu'il ne veut pas, parce que ce n'est pas agréable d'être forcé.
Oh. Apparence s'est arrêtée et retournée vers eux - elle incline maintenant la tête pour les regarder, toute l'excitation qu'elle s'était appliquée à construire quelques secondes auparavant désormais totalement effacée. Qu'ils ne la suivent pas, ça ne lui fait pas plus d'effet que s'ils s'étaient joints à elle, elle croit : en revanche, ça signifie un mauvais jugement de sa part sur la situation.
Ça veut dire aussi qu'en compagnie d'une autre, elle perd de son influence sur Cassius - elle est presque certaine que sans la petite louve, il l'aurait suivie. Il n'aurait pas vraiment eu le choix.

Elle finit par revenir vers eux. La discussion gravite maintenant autour d'un nouveau jeu à trouver. Un jeu qui plaira à tout le monde.
Mais elle ne sait pas ce qui lui plaît, Apparence.
À défaut d'élans naturels pour guider ses préférences, elle suppose qu'elle peut en définir par elle-même. Et décréter, si elle le souhaite, qu'elle n'a pas aimé que Cassius ne la suive pas dans le scénario qu'elle a tenté de mener ; qu'elle n'a pas aimé être laissée seule dans son élan, qu'elle n'a pas aimé que l'histoire qu'elle avait commencé à façonner soit si vite tuée et enterrée. Cassius n'a même plus l'air de s'inquiéter de la pseudo-présence de son père, censé être tout proche. Toutes les ficelles avec lesquelles elle avait joué, quelques secondes plus tôt, s'étaient étiolées. Apparence ne peut pas affirmer que c'est désagréable, car là encore, il n'y a rien en elle pour venir imposer ce ressenti comme une évidence.
Tout ce qu'elle sait, c'est qu'il n'est pas arrivé ce qu'elle voulait alors qu'elle avait été tout à fait sûre d'y parvenir.
Cela signifie qu'elle a fait des erreurs - de jugement comme de perception, sans doute. Elle a minimisé l'entrée d'une inconnue dans l'équation, également.
La prochaine fois, elle serait plus attentive.

En attendant... Elle estime qu'elle n'a pas envie de rentrer à nouveau dans le manège de leurs jeux qu'elle peine à comprendre et qu'elle applique sans autre but que de les répliquer et s'intégrer - comme beaucoup d'autres choses.
Ce qui l'importe en cet instant, c'est de faire comprendre à Cassius qu'elle est mécontente.
Qu'il y aura des conséquences.
Alors c'est sur lui, et seulement lui, qu'elle laisse longuement trainer un regard vide de deux yeux qui ne clignent pas, silencieuse et raide. L'échine courbée et la posture distante, elle laisse dans ses yeux hétéroclites se déverser tout ce qu'elle peut créer pour le mettre mal à l'aise et lui transmettre l'immensité de la rancœur qu'elle se créé de toutes pièces.
C'est peut-être la première fois de leur courte vie qu'il met l'avis de quelqu'un d'autre au-dessus du sien.

Et cela, Apparence considère que ça ne l'arrange pas du tout.

L'enfant finit par rompre le contact visuel et se détourne, sans ajouter un mot, de son presque-frère. Quand c'est devant Nyu qu'elle passe cette fois, un sourire léger revient sur ses lèvres.

— Merci, Nyu. Mais je suis fatiguée. Je vais rentrer. C'était bien de te rencontrer.

Envers elle, il n'y a aucun intérêt à faire preuve de quoi que ce soit d'autre que d'une sympathie modérée qui lui parait de circonstance. Nyu est une Etelkru, et Nyu est une accroche au monde extérieur.
Revoir Nyu, plus tard, promettrait d'être intéressant.

— Amusez-vous.

Son ton monta sur une intonation qui se voulait légère, mais une fois encore peinait à sonner vraiment juste.
Son visage fendu de deux couleurs se tourne une dernière fois vers les deux autres enfants pour un bref et dernier coup d'oeil, avant qu'elle ne reprenne la route jusqu'à la tanière.

Pour attendre, et y être sage.

Quelque chose se dégageait d'Apparence. Menaçant. Intimidant. Nyu y voyait quelque chose se rapprochant de certains monstres, sans pour autant que cela n'impacte sa marque. Une simple impression, qui pour autant semblait affecter Cassius. L'Etelkrus soutient le regard de la louve, répond à son sourire. C'était là bien dommage d'abandonner ainsi leurs jeux, quand ils auraient pu s'amuser encore un moment.
Certains loups sont parfois étranges.

« — Au revoir, Apparence. »

Nyu n'attend pas que la silhouette de la louve disparaisse pour se tourner vers Cassius.

« — Veux-tu encore jouer ou tu es fatigué ? »

Elle ne forcerait pas.

Le regard que lui jeta Apparence lui fit l'effet d'un énorme seau d'eau glacée qu'on lui aurait déversé dessus sans prévenir. Il déglutit avec difficulté, et eut l'impression qu'une énorme main invisible se refermait sur ses entrailles pour les serrer avec violence. Il fit soudainement très chaud, très froid. Sa presque-soeur se détourna d'eux et abandonna là toute possibilité de jeux, visiblement démotivée par son refus d'aller trouver Joaquín.

Voilà que par sa lâcheté, il avait tout gâché.

Instinctivement il se leva pour la suivre, mais la voix de Nyu le stoppa. La petite Etelkru attendait sa réponse, et il hésita un instant. Il savait très clairement ce qu'il devait faire, mais il avait déjà déçu Apparence, et n'avait pas envie de réitérer l'expérience avec Nyu quelques secondes plus tard seulement. Néanmoins, il n'était pas ici question de ce dont Cassius avait envie — c'était de toute façon impossible : il aurait juste voulu que tout s'arrange et que tout le monde soit content –, mais de ce qui était son devoir. Tant pis s'il devait en subir les répercussions par la suite : c'était comme ça, même si ça ne lui plaisait pas.
Avec un petit sourire désolé, il secoua doucement la tête.

— Il se fait tard, je pense qu'il vaut mieux rentrer. Et je dois la raccompagner.

Il agrémenta sa dernière phrase d'un petit signe de tête dans la direction où était partie Apparence. Il était absolument hors de question qu'il la laisse rentrer toute seule. Il avait déjà suffisamment fait n'importe quoi comme ça.

— Une autre fois peut-être ?

Dans des circonstances plus favorables. Enfin, si elle voulait bien.
Elle n'avait peut-être pas envie de le revoir. Il n'était pas spécialement amusant. Apparence était très clairement la plus intéressante du duo. Lui n'était au final que son ombre.
Mais il aurait bien aimé la revoir, quand même. Même si elle était Etelkru, et que ce n'était pas bien.