Il y avait beaucoup de tristesse, beaucoup de colère.
De peine, de douleur, de larmes. De rire qu'on entend plus, de joie qu'on attend plus.
Des visages mornes et fatigués de ce danger, de ce dragon.
Des morts.
D'une que tu retiens. Tatie Prudy était partie.
Partout existe le printemps mais il s'est arrêté ici.
Il y a des fleurs sur sa tombe.

Et toi tu as pleuré, aussi fort que M'man.
Dans ce chagrin partagé, qui ravagea ton cœur comme... Tu t'en souviens encore, tu n'étais pas même né.
C'était la fin de son père. Désormais c'est sa sœur.
Ça laisse un trou immense dans son cœur, tu le sais. Dans le tien, c'est un petit. Mais il est là, malgré tout. Petit ne veut pas dire inexistant.

Et dans son cœur à elle, existe-t-il un trou ?
Tatie Prudy ne fut pas la seule à partir.
Tu venais trop souvent ici pour ne pas le savoir.
Et est-ce qu'elle pleure, la Corneille ?
Tu as souvent repensé au long regard, qu'elle posa sur toi. A celui qui s'attarda, un peu plus longtemps que sur Mica. De ce que tu avais senti, dans ce cœur qui ne disposait encore d'aucun petit trou, à ce moment précis.

Tu t'étais aussi dis, lorsque ta 'zine disparue, que tu aurais aimé avoir un peu plus de force. De celle que P'pa et M'man portait en bleue, de celle qui te manqua un peu.
Celle d'une conviction. Celle d'une foi.
En pensant à ça, c'est encore à elle que t'avais pensé. Encore.
Celle qu'il te faudrait, pour aider à chasser ce dragon. Tu ne l'affronterais pas, toi, tu savais que tu n'en étais pas capable, tu l'avais même dit à M'man. Tu n'étais pas sûr d'en avoir envie, aussi, on ne t'avait élevé pour tuer, tu serais là pour sauver.

Il y a quelque chose qui t'y lie, t'en es sûr.
(A Yurai)
C'est d'elle, dont tu sens proche, tu crois la comprendre
(Yurai)

C'est devant son temple que tu t'arrêtes. Tu comptais allait trouver ta famille d'ici, mais avant il te fallait te rendre là.
Tu n'es pas sûr d'être très sage, pas encore, il faudrait encore attendre un peu. Mais du reste, tu tiens.
C'est un pas que tu fais. La gueule chargé d'un présent, que tu poses devant l'autel. Des graines.
Pour replanter, pour combler le trou de son cœur, la promesse de faire sortir de la terre calcinée le vert tendre. Des graines qui viennent des légumes que tu fis devenir soupe ou séchées avec M'man, et qui se rappelle à un chouette souvenir. Quelque chose qui fait du bien.
Quand tu y repenses, tu souris.

« Oï, déesse Yurai. »

Comme là. Tu souris.

« Je viens voir si le trou dans votre cœur ne s'est pas agrandis. M'man aussi, en ce moment, en a un grand. Mon 'zin aussi, et même P'pa. J'sais que vous aussi, vous aimiez celles qui sont parties. »

Tu joues avec les graines, du bout d'une griffe.

« Je sais pas, si vous pouvez lire c'que j'voulais dire avec ça. J'espère que si ? Que vous pourrez p't'être voir les souvenirs, aussi. »

Tes pattes s'reposent sur le sol.

« J'suis pas encore très sage, alors j'viens pas encore pour vous savez quoi. Mais j'voulais savoir. Si je pouvais faire quelque chose, pour vous aider. »

C'est ici qu'elle s'initia.
Ta foi.

C'est comme la foi où ils sont venus avec P'pa, Mica et lui. Elle n'avait pas tardé à leur apparaître, la Corneille. Il suffit qu'il cligne une seule fois des yeux, pour qu'elle se montre.
Triste.
Tellement que ça t'en picote les yeux, même avant que ne coule cette larme blanche tombée de ses yeux lumineux. Elle en noie presque ses graines, celles dont elle comprend toute la signification.
(Au fond, si tu en doutais un peu, tu savais qu'elle en comprendrait toute la portée, car c'était le propre de toute déesse, de tout comprendre)

Et de ses pattes, elle ramassa les graines.
Et de ses yeux, coula encore une larme.
Il faut que tu en essuies une aussi, sur ta joue, qui mouille dans un sillon plus foncé le poil brun qui s'y trouve.

« Si le passé est plus vieux qu'mes parents, vous devriez être quitte ? »

Pensée simple d'adolescent simple.
Et puis, à toujours se rappeler au passé... Elle s'interdisait à jamais d'être aidé, non ? Toi tu les connaissais pas, ces loups du passé. Tu le connaissais même pas, le passé. Toi, tu estimais qu'elle avait bien le droit d'en recevoir encore, de l'aide, que c'était pas quelque chose pour lequel on faisait donnant-donnant, qu'on devant compter, quantifier, enfin !
Tu penches la tête.
(Elle a le sourire triste)

« J'aimerais bien les planter avec vous, dans le jardin. Si vous permettez. »

Il y avait pleins de manières, de boucher les trous, dit un jour le loup paon. Tu avais fais un cadeau. Des paroles gentilles ? Maintenant, tu serais aussi là.

Tu l'écoutes encore, la déesse.
'puis tu lui souris.

« J'comprends. »

Si c'est ça, qui lui convenait le mieux, alors tu n'pourrais aller à cette encontre. Chacun pensait différemment, chacun avait besoin de trouver c'qui serait le mieux, pour lui.
Surtout une déesse, avec tant de pouvoirs, de responsabilités, de disciples sur qui veiller...
C'était une quête qu'il était important qu'elle mène sans soutien, pour se prouver à elle-même qu'elle avait la puissance légitime qu'on imputait à son rôle.

La Corneille se changea alors en luciole, mauve petit point qui se contrastait à peine parmi les lumières tamisées du temple.

« J'arrive ! »

Tu te laissas guider par cette lumière, empruntant le chemin vers le plateau du soleil. Contournant les terres dévastés, ignorant la peine que te véhiculait cette vision pour ne porter ton regard que sur l'horizon plus vert.
Et planter avec elle, les graines qui deviendront demain plantes.
L'amorce d'une reconstruction.
Quand toi, tu te construisais encore.