Réunis à nouveau [ft Hedwige]

Elle aussi se souvenait de s'être endormie. Une odeur de sel dans les narines, une brise tiède caressant son pelage, le parfum de ses enfants dans le cou. Rien n'avait été brutal ou tourmenté. Elle s'était assoupie sur le sable, l'esprit ressassant les préoccupation d'une mère mais aussi tous les bonheurs qui allaient avec. Et ce sommeil avait été long. Si long.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, une immense paix l'habitait, et elle sut. Elle devina, sans en comprendre exactement la raison, ce qui s'était passé. On lui avait souvent conté la mort comme quelque-chose de froid, d'effrayant, de vertigineusement infini. Il y avait cet infini, mais pas la peur ni le froid. Elle état incapable de dire ce de quoi était fait l'Après, mais la profonde plénitude dans laquelle elle se trouvait lui donnait la certitude que c'était pas chose à craindre. Elle état inéluctable de toute manière, alors était-il vraiment utile d'en avoir peur ?

Elle avait réintégré les limites de son corps physique, du moins en partie. Ses sens lui paraissaient plus fins qu'avant, sa perception du monde plus pertinente, précise, intuitive. Son instinct, qui n'avait été qu'un murmure dans son esprit, lui indiquait clairement la direction à prendre comme une évidence. Si ce soir-là elle avait retrouvé une forme de substance, c'était pour retrouver quelqu'un.
Alors elle s'en fut le retrouver.

Elle était réelle sans vraiment l'être, mais elle eut la certitude lorsqu'elle posa son museau dans l'épaisse fourrure du col de Cheza qu'il sentirait sa présence. Que durant un moment qui n'appartiendrait qu'à lui, ils se reverraient.

"Bonsoir mon frère." Murmura-t-elle, et sa voix avait comme un écho.

Une sorte de mélancolie s'empara petit à petit des larges prunelles de la louve éthérée, alors que Cheza lui ouvrait son coeur comme il avait toujours su le faire. Elle se savait impuissante désormais à agir sur ce qui le tourmentait, dans un monde où elle n'avait plus corps. Mais sa simple présence était peut-être un signe ; un signe pour lui. Le signe d'un changement à venir, d'un tournant que devait prendre son existence. Après tout, eux-mêmes n'auraient pas existé si des loups du passés n'en avaient pas fait autant.

"Si tu te sens étrangers chez les Nakhus et réprouve leur comportement... Peut-être est-il temps pour toi de t'envoler vers d'autres cieux qui seraient plus à ton image ?" Dit-elle doucement.

Elle posa une patte sur le poitrail de son frère et sa voix murmura :

"Je sens les émotions qui t'agitent, mon cher frère. Je te sens envahi d'une tristesse et d'une amertume que je ne te connais pas."

Elle inspira profondément, fermant les yeux, et souffla :

"Un jour, notre mère a quitté sa famille et sa terre pour découvrir d'autres horizon. Un autre jour, notre père a quitté sa meute pour tourner son regard vers la déesse Yurai. Qui sait à quoi aurait ressemblé le monde s'ils avaient simplement gardé leur rancune et étaient restés chez eux."

Ses paupières se soulevèrent, et elle adressa un sourire léger à Cheza.

"Envole-toi mon frère. Embrasse un destin qui doit être le tien. Il est temps de laisser le passé au doux creux de nos souvenirs et d'aller de l'avant."

Son regard doré parut soudain plus brillant, plus lumineux - plus irréel -.

"Tu es celui qui a le plus compté pour moi, avec mes chers enfants. Je te remercie de m'avoir pleurée. Je t'aime mon frère, et je serai toujours avec toi. Même si ton corps n'est plus dans les lieux de notre enfance, moi je suis là."

Sa patte appuya un peu plus fort sur le poitrail du grand mâle. Elle sentait sous ses coussinets battre son grand coeur.