The Anvil - Echos.

« The heart, more urgent comes our cry
Not to be spared but to be used,
Brain, sinew, and spirit, before we die.
Beat out the iron, edge it keen,
And shape us to the end we mean. »

[ Dédale Occulte - Dans une grotte proche de l'entrée où perce la lumière du jour grâce à une meurtrière naturelle. Début de matinée. ]

Il aura passé beaucoup de temps à la bibliothèque, ces dernières semaines.

Il y eut les recherches théoriques peu après la bataille, dans lesquelles il se perdit finalement plus longtemps qu’il ne l’aurait cru, captivé par la richesse insoupçonnée des récits de ceux qui côtoyaient les dragons de plus près. Mais il n’oublia pas qu’il avait un projet à mener à terme - et d’autres rayons à parcourir pour progresser, quand bien même son élan se trouvait parfois entrecoupé par l’aide qu’il apportait aux projets de son clan, malgré son manque d’intérêt pour leur principale Déesse.
Il y eut alors les recherches au sujet des pierres. Puisque sa première escapade au désert fut… Infructueuse, du moins en ce qui avait concerné l’objet initial de son déplacement, il préféra mieux cibler ses attentes avant d’y retourner ou de les chercher ailleurs. Le saphir s’érigea en premier questionnement, puisque mentionné comme faisant partie des pièces les plus affectionnées des dragons bleu - restait à voir si les significations qu’on lui prêtait étaient cohérentes.
Puis il chercha aussi la célestine, l’azurite, le lapis lazuli, la fluorite.
Les sources étaient chaque fois multiples tant en leurs origines qu’en leurs conclusions - plus encore que les opinions à propos des dragons. Rien d’étonnant, au final. On prête bien plus de choses de caractère subjectif à un minéral qui ne peut s’exprimer qu’à une créature douée d’intelligence.
Au final, il se décida à croiser plusieurs des ressources, chacune dans un but différent. Le coeur du dragon serait en saphir - pour symboliser sa vie via l’une des pierres qu’il estimait le plus.
Les yeux seraient en lapis lazuli, pour les nombreuses références qu’il parcourut et qui l’appelait pierre des Dieux.
Enfin, son corps sculpté serait parsemé de fragments d’azurite - pour son nom similaire à la couleur de l’adversaire et ainsi rappeler ses écailles, pour les nombreuses mentions de ses vertus en lien avec le pouvoir, l'immortalité, la liberté et l’âme.
Ainsi avait progressé l’élaboration de l’objet, et il ne lui manquait finalement qu’à entamer ce qui se révélerait sans doute être le plus ardu.

Tailler la corne, et ne pas la gâcher. Il n’aurait pas d’autres essais.

D’autres livres, encore, pour se plonger dans l’univers inconnu des faiseurs d’objets. Des dizaines d’ouvrages triés, de multiples pages parcourues à la recherche des instructions les plus parlantes et accessibles. Ceux qui étaient détaillés d’illustrations en leur description étaient rares ; pourtant ô combien les plus précieux et informatifs. Grimalk n’avait jamais douté que l’artisanat était une compétence complexe dont la maîtrise se raffinait au cours de toute une vie, très semblable à n’importe quelle technique appliquée de combat ou à de l’intelligence stratégique - mais il comprenait désormais mieux toute l’étendue de la difficulté, accrue par l’utilisation nécessaire d’outils qui se devaient d’être adaptés.
A travers différentes cultures et autant de variations de savoir-faire, il se renseigna sur les bases de cet art qui sculptait les restes de corps.
Il demanda des conseils, en-dehors des murs calfeutrés de la Bibliothèque. Le savoir théorique connaissait toujours ses limites au bout d’un moment, et c’est à la forgeronne qui lui confectionna la dague à partir de la griffe de ce même dragon qu’il posa des questions d’ordre pratique.
Il fallut également des premières tentatives, des brouillons sans s’attaquer dans l’immédiat à sa précieuse matière - car d’ouvrage détaillant comment sculpter de la corne de dragon spécifiquement, il n’en trouva pas. Ce serait à lui de s’exercer sur les matériaux plus classiques, de comprendre, d’assimiler - puis de juger ensuite, une fois la noble corne de retour entre ses doigts plus experts, à laquelle des autres cornes il pouvait le plus la rapprocher.

C’est beaucoup de travail.

Mais ça le fait vibrer, de s’absorber dans cette découverte et de s’y plonger tout entier. Ce ne serait peut-être qu’un intérêt temporaire, comme le sont beaucoup de ses lubies et de ses passions éphémères à l’exception de l’attrait pour l’art du maniement de ses lames, qu’il ne perdit jamais - et qu’il pense pouvoir affirmer conserver pour le restant de ses jours. Au final, la réalisation de sa sculpture devient jour après jour une fin en soi, au-delà l’idée même de la présenter à Ao.
Il s’agirait toujours de l’offrande qu’il lui porterait, bien-sûr. Grimalk n’oublie pas l’objectif, même au crépuscule des journées les plus intenses où il lui semble qu’il ne réapprend à respirer qu’après de longues heures les yeux rivés sur des lignes de texte qui finissent par se confondre quand il oublie de prendre des pauses. Pour autant, ce n’est pas uniquement dans l’espoir de faire impression auprès de la Déesse qu’il y consacre autant d’énergie.
C’est pour que l’objet lui plaise à lui-même, avant tout.
Qu’il se sente satisfait et accompli, qu’il puisse parcourir son travail d’un œil fier, qu’il sache qu’il aura déployé l’intégralité des efforts qu’il peut fournir sur le temps qu’il se délimite.

C’est dans l’une des grottes du Dédale, proche de l’entrée pour pouvoir regagner rapidement l’extérieur et profiter de l’une des rares ouvertures sur la lumière du jour, qu’il a installé son atelier temporaire : puisque le lieu sera bientôt déserté, il ne gêne personne tout comme peu de présences viennent le perturber en retour.
Aujourd’hui, c’est une corne de buffle qu’il exploite.
Le loup l’a déjà évidée, lavée, séchée - il commence désormais à la polir, de mouvements répétés et intenses qu’il améliore à chaque nouvel exercice.
Derrière lui, beaucoup d’autres cornes et autres bois de cervidés - même des os. Certaines matières premières sont déjà travaillées sur des formes diverses, d’autres attendent leur tour.

Pour l’heure, il s’applique à maintenir la solide brosse sur sa corne et à frotter la corne avec force et régularité.

Echos

Elle faisait pas mal d'aller retour entre le Dédale et le Plateau du Soleil, pour aider à déménager, pour tout déplacer. Echos ne le faisait pas vraiment par grande envie ou grande hâte de ces logements nouveaux, elle aurait préféré rester au Dédale qui lui semblait plus... privé ? Sécurisé ? Ils passaient de grands murs solides, à des pièces un peu enterrées à des espèces de tentes fragiles qu'un coup de vent aurait emporté. Il faisait plus froid aussi là haut, au milieu des montagnes et le camp se retrouvait excentré de tout, ceci dit ces deux éléments étaient peut-être la raison de ce choix, ainsi les profiteurs seraient moins propices à venir.
Dans le Dédale délaisser cependant s'installaient les ateliers d'artisanat. Il n'y en avait pas qu'un de loup, qui avait profité de l'abandon des alvéoles habitées pour y installer tout son bardas destiné à la réalisation de projets personnels sans avoir à déranger tout le monde ou être déranger. C'était cependant encore loin de devenir la fonction nouvelle des lieux.

Il n'y avait pas grand monde aujourd'hui, Echos avait entendu des bruits de frappe et de taille et par curiosité avait été jeté un œil pour constater que c'était ce mâle là, au port de tête basse et à l'oeil noir juge vachement flippant, Grimalk. La louve n'avait jamais cherché à le côtoyer – il allait falloir cependant, vu qu'ils étaient à présent Mage tout les deux – ni à le connaître mais c'était une de ces figures lointaine qui hantait le clan dans lequel elle avait grandi. Inconnu toujours présent dans le background du paysage de ses souvenirs. Echos ne s'occupa pas plus de lui.
Elle rassembla quelques couvertures oubliées, un peu de cordes, du matériel divers. Il ne restait plus rien de véritablement intéressant à vrai dire et l'objectif était surtout de laisser l'endroit propre. Lieux qui se chargea presque soudainement d'une odeur ferreuse qui vint surpasser un peu celle de la mousse et de l'humidité des grottes. Rapidement Echos tomba sur des tâches fraîches au sol.
Merde.
C'était peut-être le mâle sombre qui était présent aussi.
C'était peut-être un monstre blessé que ses anomalies avaient ramené.

« Grimalk, j'te dérange désolée mais y'a du sang partout dans le couloir, ça vient de toi ? »

Parfois, d'autres présences passent à proximité.
Ses sens y sont attentifs ; d'une oreille qui se tourne au son étouffé et lointain de pas dans le couloir, au discret souffle qui peut résonner entre les murs de roche, à l'écho distant d'un objet déplacé. Mais sa concentration, elle, ne diverge jamais des gestes répétés qu'il exécute et ces informations restent bloquées devant l'entrée de sa conscience, non autorisées à y pénétrer. Aussi n'accorde-t-il aucune pensée à ces rares allées et venues qui, tant qu'aucune alerte ne se trouvera levée par sa vigilance dormante, n'obtiendront pas la moindre fraction de son attention.
Brosser, frotter, récurer. Il répète les mouvements en boucle, regard intense concentré sur l'objet qu'il maintient, ses gestes rythmés par les sons qu'il produit lui-même dans l'action. C'est comme une machine, dont les rouages une fois enclenchés s'entretiennent par mécanique mutuelle.

Une voix prononce son nom à quelques mètres d'ici, et d'un seul coup éclate ce voile immatériel qui le coupait du monde extérieur.
Il sursaute et son regard bondit dans l'immédiat sur la source de la perturbation, vif et presque sauvage, le poil légèrement hérissé. A quelques mètres, devant l'entrée de la pièce qu'il a réquisitionné, se tient Echos. Son odeur et des traces de sa présence régulière en ces lieux, il en a connaissance - mais tout comme elle ne vint jamais le déranger ni lui adresser la parole, lui en fit de même, ne portant sur elle qu'un œil distant et observateur qu'il destine à toute figure de son quotidien.
Le mâle doit rejouer dans son esprit les paroles de la jeune louve pour comprendre ce qu'elle vient faire face à lui, dans cette brève mais fréquente absence mentale qui le frappe lorsque c'est avant tout un instinct d'action et de réaction qui le foudroie.
Du sang.
Ses yeux se plissent légèrement, perplexes, et il casse l'immobilisme de sa position tendue pour baisser les yeux vers ses pattes. Elles sont couvertes de coupures diverses dues au maniement d'outils auxquels il était encore étranger quelques jours plus tôt, mais la grande majorité d'entre elles sont en voie de cicatrisation - et les plus récentes sont si fines qu'elles n'auraient pu laisser la moindre empreinte ailleurs que dans son poil.
Son regard remonte vers celui de la louve, devenue collègue Mage.

— Non.

Le silence s'installe après cette unique syllabe lâchée d'une voix grave, et Grimalk est tenté d'en rester là. Tout son esprit, frustré de l'interruption, ne demande qu'à s'absorber de nouveau dans la tâche qu'il a entrepris.
Il sait cependant qu'il fait partie d'une meute, dans laquelle il a récemment gagné nouveau rang et par conséquent une responsabilité supplémentaire à leur égard - et que les codes veulent que si Echos s'est dirigé vers lui, il ne la laisse pas seule dans l'investigation qui doit s'ensuivre.
Du sang au coeur de leur ancien foyer n'est pas anodin, après tout.
Le loup sombre serre les crocs pour évacuer la tension qui l'habite encore, puis, jetant un dernier regard de convoitise sur l'ouvrage qu'il se doit de temporairement abandonner, prend appui sur ses pattes pour se lever. A la protestation de ses muscles - il n'a pas changé de position depuis longtemps - il répond par quelques étirements de ses membres, puis rejoint la louve et la dépasse en silence pour sortir de la cave, les yeux déjà portés vers le lointain pour trouver les fameuses traces de sang. Elles sont effectivement plutôt en évidence au milieu du chemin - et définitivement pas de son fait. Son museau s'abaisse vers les tâches de sang pour les flairer, mais il n'obtient pas d'information particulière.

Grimalk relève la tête, sourcils froncés.

— Il n'y a pas que des loups qui parcourent cet endroit.

Il est bien placé pour le savoir - Echos en aura peut-être déjà fait l'expérience elle aussi. Il s'agit peut-être d'une créature blessée.
Ses yeux dorés reviennent les iris, si pâles qu'ils en sont presque blancs, de l'autre Mage dans une interrogation muette.

Veut-elle essayer d'en trouver la source, alors même qu'aucune odeur d'un de leur congénère n'y semble associée ?

Echos

Grimalk répond par la négative et c'est sans doute ce qui l'incite à bouger. Elle le voit bien pourtant, Echos, qu'elle le dérange, n'a pas manqué de remarquer les petits regards se traîner sur ce qu'il a du arrêter. La louve a presque envie d'étendre son cou pour voir ce qu'il faisait de si important mais se retient, attends simplement que le mâle sorte dans le couloir pour venir voir ce dont elle parlait.
L'information qu'il donne n'a rien d'une nouveauté pour Echos.

« Oui, je sais. »

Elle se souvenait encore de l'espèce de méduse à l'oeil unique que Dysis avait... apprivoisé ? Echos n'aurait pas su dire si c'était le bon terme.

« Mais justement. Même si le principal du camp a été déplacé, y'a encore des loups qui viennent ici. » Grimalk et son atelier en était la preuve. « Une créature blessée peut devenir dangereuse, ou attirer des choses qui le sont. Ça vaudrait le coup de vérifier. »

Grimalk n'accueille sa première réponse que d'un bref mouvement de l'oreille, le reste de son corps demeurant tout à fait immobile à attendre la suite. Ça n'en est pas moins une information à classer dans ses pensées - Echos fait partie des loups qui ont donc déjà croisé autre chose qu'un congénère dans ces couloirs. A moins qu'elle n'ait seulement été là pour en entendre les rumeurs.
Il préfère tout de même partir sur la première option ; il sait que sa collègue nouvellement Mage est elle aussi une habituée du Dédale. Tout comme elle a la réputation d'attirer quelques bizarreries, sans qu'il n'ait encore eu l'occasion - ou l'envie - de s'intéresser à ce que cela signifiait exactement.
A la suite des mots de la louve, Grimalk rompt enfin sa posture figée pour redresser un peu l'encolure sans cesser de la jauger du regard. Il se mure dans le silence durant quelques secondes encore, comme s'il était occupé à les retourner plusieurs fois dans son esprit, avant de soudain regarder derrière lui - vers l'obscurité des recoins plus profonds des boyaux de pierre, où la lumière du jour ne pouvait plus du tout percer la pénombre.

— Mh. C'est vrai.

Cherchons d'où ça vient, alors.
Il se lève sans se retourner vers Echos, prenant immédiatement la direction que semblaient pointer les traces rougeâtres. Puisqu'elle a d'elle-même suggéré cette enquête, il paraît évident qu'elle suivra.
Grimalk fait quelques dizaines de mètres en silence, les yeux seulement rivés vers l'obscurité dans laquelle ils s'enfoncent de plus en plus, jusqu'à ce que son attention soit brièvement détournée par quelque chose au sol. Un insecte mort récemment - il reconnait ces êtres volants qui créent de la lumière, mais la vie de celui-ci l'ayant quitté, elle le privait également de ses couleurs.
Il brise le rythme régulier de sa marche pour l'effleurer du bout de la patte et le mettre en évidence devant la louve.
Lui n'a que faire de ce reliquat, il a déjà bien trop à faire et de quoi s'occuper l'esprit, mais il sait que d'autres de ses congénères sont friands de ces trouvailles.
Puis il reprend son allure comme la recherche initiale qui en motive les pas.
Le silence revient encore les accompagner, jusqu'à ce que sa voix grave résonne entre les pierres sombres.

— Qu'est-ce que tu as déjà vu, ici ?

Sa tête s'incline juste assez pour que l'un de ses yeux dorés se pose sur elle, à travers quelques mèches d'ébène le long de son visage.