Lamento — Echos

Les nuits sont fraîches. Priam déteste le froid, la solitude qui s’installe progressivement dans son rythme de vie. En abandonnant sa cape, en se détournant de celle qui prétend être encore Yurai, il a tourné le dos à son clan. En eux, il ne se reconnaît plus. Comment pouvaient-ils tous prétendre préserver la paix quand derrière ils acceptaient le carnage de leur dieu ?
Quand l’amour qu’il y voyait a laissé à une forme d’acceptation de la violence.
Cette chose prétendant être en partie Yurai, représentait une menace pour eux tous, un nouveau danger. Priam ne pouvait lui accorder sa confiance, pas plus qu’il se reposait en les dieux pour protéger ceux qu’il aimait.
La dragonne l’a refusé, ne ferait rien pour les Nakhus. Priam n’avait pas besoin de la savoir préoccupé par leur sort, mais que quelqu’un agisse. Savoir quoi faire.
Je le ferais, si vous autres avez peur.
Ce qui l’obligeait à rentrer. Affronter le jugement des autres, aucune importance. Lui continuerait de passer pour le gamin couard qu’il avait toujours été à leurs yeux. Il rentrait pour sa mère, Dysis et… Echos. Son cœur se sert en pensant à cette dernière. Mistigri ressert son emprise autour de la patte de son ami.
Pardon Echos, d’être parti comme ça.
Tout ce temps, il s’était montré un bien pathétique ami pour elle. Alors c’était surtout pour elle qui rentrait après ces quelques semaines dans la nature. Un état bien pathétique. De retour, bien plus maigre qu’à son départ de par son alimentation de licorne bien plus compliquée en terres solitaires… la fatigue aussi. Priam n’était pas un combattant et devait prendre garde aux prédateurs, ce qui laissait des cernes bien visibles sous ses yeux. Sans accorder un regard aux nakhus qui le dévisagèrent, la Licorne s’avance jusqu’à la louve claire, se stoppant à quelques mètres, les traits déformés par le regret. Mistigri se laisse glisser sur le sol, s’assit entre eux deux.

« — … Echos… »

Je suis rentré.
Un instant, il l’observe avant de s’approcher. Priam n’a jamais été aussi peu hésitant, lorsqu’il sert la louve entre ses pattes.

« — … pardon Echos. »

Je suis rentré, pour toi, Dysis et maman.
Je ne repartirai plus sans toi.

Echos

C'est un torrent d'émotions diverses, contradictoires, mélangées, chaotiques et intenses qui se déversent et la figent lorsque se dresse cette grande silhouette sombre au milieu de tous, lorsqu'il brave la foule pour marcher d'un pas déterminer, presque provocateur lorsqu'on connaissait ce qu'il s'était passé, jusqu'à quelques mètres d'elle avant de se faire hésitant. Elle, Echos, était incapable de bouger, de respirer presque également, suffoquant alors que son cœur si douloureux paralyse tout son être. Elle ne parvient pas à savoir si elle est heureuse de le revoir, si sa colère et sa tristesse n'étaient pas trop grandes pour ça, si elle devait s'inquiéter de l'état dans lequel Priam revenait.
Elle ne le voit pas quand il est proche et qu'il vient l'enlacer de ses grosses pattes, son regard gris reste figé sur un espace plus lointain sans qu'elle ne parvienne à le pivoter, son absence momentanée la rend docile à l'étreinte du grand mâle.

C'est sa voix qui la réveille.
Son corps se parcourt d'un spasme, frisson qui hérisse son pelage en un mouvement bref alors qu'elle cligne des yeux pour revenir sur terre. La douleur de ses émotions, de celles qui devaient être contenues au plus profond de soit pour pouvoir continuer d'avancer, remonte comme un ouragan ravageur. Elle a l'impression qu'elle va exploser, Echos.
Elle s'échappe de l'étreinte de Priam, repousse son poitrail, ses grosses pattes qui la décoiffent plus qu'elle ne l'était déjà naturellement. C'est des yeux humides qui se posent sur le mâle sombre.

« Ça peut pas être aussi facile Priam. Tu peux pas juste revenir comme ça comme une fleur !»

Sous l'émotion vive, sa babine frémit et sa gorge est si serrée qu'elle a du mal à en sortir les mots.

« Tu t'es même pas retourné une seule fois, t'as même pas adressé un seul regard, t'es juste parti. Les jours suivants, t'es jamais revenu t'excuser, t'as jamais rien laissé pour dire que t'étais désolé. Tu nous as tous abandonné. »

Et là il revenait pour quoi ? Parce que finalement c'était nul sa nouvelle vie ? Parce qu'il avait froid ? Parce qu'il avait faim ? Parce qu'à force d'envoyer balader tout le monde, y'avait plus personne pour s'occuper de lui ?
Echos laissa tomber son arrière train jusqu'à s'asseoir et rompre le contact visuel, ses oreilles s'abattant à l'horizontale basse.

« Pardon, c'est ce que t'aurais du venir dire bien plus tôt. »

C'est à présent des larmes bien trop grosses qui perlent à ses yeux gris pour venir humidifié ses joues café au lait.

« Tu m'as laissé toute seule derrière. »

Echos le repousse. Priam s’attendait à ce rejet. Un simple pardon ne suffirait pas à éteindre la peine de son amie, il le sait, car elle vivait son départ comme une trahison. Ô combien, il comprenait ce sentiment, alors qu’on lui avait arraché Yurai, tourné le dos à toutes ces valeurs que certains disaient raccrochées aux Nakhus.
La Licorne observe la louve, la laisse vider son sac. Son expression est plus sérieuse. Quelques semaines auparavant, pareils reproches l’auraient fait paniqué.

« — Je devais partir. Cette nouvelle divinité, ce n’est plus Yurai, pas après toutes les atrocités qu’elle a commise. Comment pouvais-je resté ici, quand tant d’autres n’y voyaient aucune différence ? Que rien ne changeait à leurs yeux ? » Le ton de sa voix baisse, alors que son cœur s’alourdit un peu. « J’aurais tant souhaité que rien ne change, que les Nakhus ne fassent rien vis à vis du Dragon… que nous trouvions un autre endroit pour nous établir, que Yurai ne parte jamais. Elle n’aurait pas dû partir. Je n’ai pas su la retenir. »

Il baisse le regard, repensant à sa dernière entrevue avec la déesse.
À cette Yurai, j’aurais offert toute ma foi et ma dévotion.
Cette nouvelle version, a piétiné tout ce en quoi je croyais.
… mais je ne la laisserai pas piétiné ceux que j’aime.
Priam fit un pas.

« — … c’est vrai… je t’ai abandonné, toi et Dysis. » Il vient toucher la joue d’Echos de son museau. « … mais tu n’as jamais été derrière dans mon coeur, Echos. »

Jamais.
Doucement, il vient poser son museau sur la tête de la louve, la serrant d’une patte, lui laissant la possibilité de se dégager.

« — Tu peux me détester, tout comme les autres peuvent me détester. Je suis rentré pour ma famille et pour toi. Je veillerai sur toi Echos. » Il marqua une pause. « Je ferai ce qu’il faut. »

Pour que jamais personne ne vous fasse de mal.
Divinité ou loup.
Qu’importe si la malédiction des Licornes doit me consumer.

Echos

Il lui parle de divinités, de Yurai, de Nakhus et des autres mais tout ça n'avait pas tant d’importance pour Echos. C'était des excuses qui sonnaient creuses, des raisons et des explications qui ne faisait que rendre son petit cœur plus douloureux.

« Tout ça ne n'est que des principes, des convictions et des croyances, ça a le droit d'exister. C'est des choses importantes mais c'est pas grave si on pense pas pareil ou si on est pas d'accord, on aurait même pu en discuter. Mais t'étais pas obligé de faire ça comme ça, de partir sans te retourner et ne pas redonner de nouvelles pendant aussi longtemps, de ne même pas laisser au moins un message. »

Elle n'avait pas la force de faire cesser les larmes qui coulaient sur ses joues comme elle n'en avait pas non plus pour repousser à nouveau l'étreinte du mâle, de s'échapper de cette tête lourde sur la sienne ou de ce poitrail à la fourrure épaisse qui était revenu se poser contre elle.

« Tu m'as quand même laissé toute seule, moi, et Dysis aussi. Tu aurais très bien pu prendre encore plus de temps ou même ne jamais revenir, on aurait quand même du se débrouiller avec ça comme on a du le faire jusque là. »

C'était injuste, parce qu'elles n'avaient rien à voir avec tout ça. Elle ne savait pas Echos, comment Dysis avait vécu ces derniers événements mais pour elle, c'était dur aussi tout ces événements récents. Elle aussi avait peur, elle aussi nageait en pleine incertitude mais elle était obligée de faire face, contrainte de le faire seule également.

« J'veux pas te détester mais t'as été égoïste. Toi tu t'en fiches, tu peux être triste, en colère, crier, partir et revenir, t'auras toujours quelqu'un pour rester avec toi, y'aura toujours moins ta famille. »

Même s'il était parti comme ça pendant plusieurs mois sans rien dire, Echos était quasiment sûre que sa mère l’accueillerait de nouveau même si elle devait râler un petit peu avant quand même. Lorsqu'il était parti, après avoir crier sur tout le monde, après les avoir tous envoyer balader, Echos n'avait pas pu suivre Priam, pas pu le rattraper, parce qu'il y avait eu Mica qui lui était passé devant en la bousculant presque.

« T'es jamais vraiment tout seul, toi si tu le demandes, tu trouveras toujours quelqu'un. »

Echos est secouée par de nouveaux spasmes, un reniflement également.

« C'est pas l'cas pour moi. »

Pour Priam ce n’était pas que de simples convictions. Un dur enchaînement de circonstances, d’épreuves. L’arrivée du dragon, sa traversée dans les marais avec Dysis, la disparition de celle-ci, la mort de Prudence… les Nakhus qui se lançaient dans une bataille contre le dragon, Yurai qui approuvait avant de revenir sur sa décision et de disparaître… son grand retour, enfin le retour d’une partie.
Aux Nakhus qui ont privé des enfants de leur mère dragon.
Aux Nakhus qui ont accepté cette entité, dévastatrice.
Partir sans se retourner, Priam assumait ce choix, le referait si c’était à refaire. Une manière à lui de dire au revoir aux valeurs Nakhus que tant ne défendaient plus, mais dont lui était imprégné. Mica était venu le rattraper, mais il était bien le dernier que Priam souhaitait voir.
À cette branche de la famille qui se disait Licorne, mais acceptait la mort.
Y contribuait.
Laissez moi tranquille.
Il veut oublier Prudence, oublier ce que la malédiction des Licornes lui infligerait si il participait à la mort d’un être vivant.
Silencieux, il écoute son amie. La solitude qu’elle a ressenti en son absence, ce vide qu’elle a en elle, depuis son plus jeune âge.
Si tu le demandes tu trouveras toujours quelqu’un.
Le loup sert les crocs. Oui, certains voulaient absolument s’immiscer dans sa vie, souvent par compassion ou peut-être par pitié aussi. Lui, le gentil grand loup apeuré de tout.

« — Tu m’auras toujours moi. »

Il ressert son emprise sur la louve.

« — Qu’importe que je m’absente, qu’importe que je sois en colère ou triste. Qu’importe que je crie. » La Licorne eut un sourire triste. « Je reviendrai toujours, pour vous. »

Peu importe la distance.
Peu importe ce qu’il ressent sur l’instanté comme face à Yurai.
Son regard se perd un peu dans le vide.

« — … j’aurais préféré que ce soit toi… qui me rattrape ce jour-là… je t’aurais écouté… » Il passe doucement sa patte dans les cheveux mauves. « … mais ça m’a aussi permit de revenir… »

Mistigri vient doucement serrer la patte d’Echos.

« — Je m’assurerai que tu ne sois plus jamais seule, Echos. »

Plus jamais.

Echos

Elle sent, Echos, la pression sur son dos lorsque Priam ressert un peu plus son étreinte, l'épaisseur du pelage du mâle dans lequel elle ne peut que s'enfoncer, son cœur dans sa poitrine qui bat si proche de son oreille. Ses yeux la piquent, ses cils collent mais les larmes s'arrêtent un peu de couler, son remplacer par les reniflements. Elle ne l'étreint pas mais ne le repousse pas non plus, restant sagement entre ses pattes à l'écouter, les oreilles toujours abattue vers l'arrière. Echos répond cependant à aux murmures de la licorne.

« J'sais pas si j'aurais vraiment eu quelque chose à dire. » Elle en doutait, Echos était comme tout le monde, comme tout les autres, perdue au milieu de tout ces changements, de tout ces bouleversements. Elle renifle à nouveau. « Mais on m'a pas laissé le temps de venir, on m'est passé devant. »

On lui marchait sur les pattes comme si elle n'avait eu aucune importance.
La louve tricolore essuya ses yeux du dos de la patte avant de les lever, rougis, encore un peu humide, vers ceux de Priam.

« Et tu feras quoi si j'fais un truc qui te plaît pas ? Si j'fais pareil que ceux que tu critiques ? J'suis restée Nakhus moi, j'ai même été nommée Mage. »

Si Echos n'avait pas participé, elle n'était pas vraiment contre, elle, de la décision quand au sort du dragon. Et peut-être qu'un jour, pour permettre au Nakhus d'avoir une vie un peu meilleure, elle devrait faire des choses que Priam trouverait lui horrible, des choses que tout le monde trouveraient peut-être immoraux. Il fallait un cœur pour son golem.

Oui, ce jour-là Mica l’avait devancé. Priam n’avait aucune haine envers son cousin (peut-être un peu de jalousie, envers ce cousin qui avait connu une vie de famille si parfaite quand sa propre mère n’osait pas le regarder), aurait juste préféré qu’il s’abstienne ce jour-là de quelconque remarque. C’était fait.

« — Je sais. »

Ni toi, ni moi ne pouvons changer ce jour-là.
Aux questions d’Echos, Priam sent son coeur se serrer. Oui, vivre au sein des Nakhus, songer à y revenir l’avait poussé à ce les poser ses questions. À déterminer si i était prêt à accepter ce côté sombre du clan, de ceux qu’il aimait.
Combien de fois, était-il resté dans le déni quand aux pratiques de Dysis ?
Le pouvait-il encore ? Il vient effleurer le front d’Echos de son museau.

« — Je n’ai pas de réponse à ça. C’est une bataille que je dois mener, contre la malédiction des Licornes. Elle n’est pas adaptée à ce monde… mais elle est là. Elle peut me faire réagir de manière qui te semble horrible, me faire faire des choses idiotes… »

Les feras-tu ces choses, si cela peut me causer du mal ?

« — … mais je ne pourrais rien y faire sur le coup. Notre compassion est un cadeau empoisonné. »

Quand d’autres n’y voyaient que du bien…

« — Je ne sais pas pour les autres.
Je ne sais pas comment je réagirai si tu viens à… faire du mal à quelqu’un.
Je ne sais pas.
…
Ce que je sais, c’est que tu es Echos, mon amie.
Ça c’est plus important que n’importe quelle malédiction.
Ça, rien de ce que tu feras, peut me le faire oublier. »

Ses amis étaient bien trop rares pour qu’il les néglige, pour qu’il laisse la Licorne en lui les mettre de côté.
Je ne peux pas laisser cette malédiction faire ça.

Echos

Les oreilles toujours rabattue en arrière mais peut-être un peu moins fébrile, Echos resta silencieuse, le regard rivé vers le sol, ses yeux gris la brûlant après toutes ces larmes. Elle se demanda si elle n'avait pas été un peu égoïste elle aussi, qu'à cause d'elle Priam devait se confronter à sa malédiction. Mais... Elle en avait fait beaucoup des efforts, Echos, pour essayer de comprendre, pour tenter quelques solutions, malgré la peur qu'elle même ressentait, l'incertitude, cette sensation d'avoir perdu à jamais quelques réponses sur elle même.

« J'veux pas faire de mal à quelqu'un pour faire du mal à quelqu'un. Mais si lui le fait, si on essaye encore de nous menacer, si on détruit une nouvelle fois notre maison ou même pour éviter que tout ça se reproduise, j'pourrais pas rien faire. Ma malédiction à moi, elle n'est pas comme la tienne, fuir c'est pas toujours possible et... tout perdre c'est pas envisageable non plus. »

Echos laissa tomber sa tête sur le poitrail de Priam, elle avait l'impression de ne pas avoir dormi depuis des jours et était épuisée.

« Mais j'veux pas non plus que tu sois triste, blessé ou en colère à cause de moi. »

Parfois le monde pouvait se montrer hostile et simplement tout leur laisser paraissait à ses yeux profondément injuste. Echos pardonnait un peu moins facilement aux autres, créatures ou loups s'il le fallait.

Priam pouvait accepter l’injustice, tant que cela ne coûtait as la vie à autrui. C’est ce qu’il avait expliqué à Yurai, qu’il étai prêt à partir ailleurs, si le dragon les voulait tant leurs terres, car de toute façon tout avait été détruit. Reconstruire ailleurs, aurait évité tant de problèmes, tant de choix difficiles.
Les Nakhus avaient choisi de verser le sang.
Pouvait-on leur en vouloir pour cela ? Priam savait qu’il aurait existé d’autres alternatives, le combat pour lui avait été le choix facile. Pour autant… il sait qu’Echos, n’est pas de ceux qui prennent plaisir à causer le mal. À faire souffrir. Un timide sourire qui vient étirer ses babines, alors qu’il pose sa patte derrière la tête de la louve quand elle vient s’appuyer contre lui.

« — Je sais. »

Ça me fera quand même mal, si tu le fais.
Ce n’est pas grave.
Je sais ce que tu vaux, au fond de toi.

« — Je ne te laisserais plus jamais derrière. »

Je ne veux plus te voir pleurer par ma faute.

« — Je serais ton Mistigri. »

Toujours à tes côtés.
Amis, pour la vie.
C’est la promesse la plus sacrée, qu’il peut faire.

Echos

Elle ne dit plus rien Echos, parce qu'elle n'aurait pas su quoi ajouter d'autre à cet instant. Elle ne pleure plus non plus, ses larmes avaient suffisamment verser. Pour autant, son cœur n'est pas encore totalement apaisé, elle sentait encore son cœur gonflé comme une blessure enflammée dans l'attente de cicatriser.
Elle laissera son étreinte à Priam, jusqu'à ce que ce soit lui qui décide de s'en lasser. Sa colère, sa tristesse, il lui faudra sans doute encore un petit peu de temps à Echos, pour s'en remettre, pour que ses blessures à elle aussi, prennent la voie de la guérison.

[J'pense m'arrêter là pour ma part, j'ai plus rien à dire]