Scars — Yurai & Dysis

Chaque pas l’avait un peu plus rapproché de la nouvelle entité. Celle qui à présent remplaçait Yurai. Son estomac est noué, alors que son esprit est quelque peu embrouillé. Priam ne sait pas par quoi commencer, que dire en premier. Il avale difficilement sa salive, sait que ce n’est plus le moment de reculer.
Des semaines lui furent nécessaire, pour arriver à cet instant précis. Les nuits blanches à réfléchir, les journées au regard perdu dans le vide à déterminer ce qu’il devait en penser.
Ce n’est plus Yurai.
À revoir les scènes défiler, son départ avec Mistigri, suivit de son retour chaotique. Ce que cela avait engendré.
Yurai n’est plus, je l’accepte, pourtant cela m’est tellement douloureux.
Dysis à ses côtés, sa présence, cela réconforte la Licorne, le rend plus confient dans sa démarche. À ses pattes Mistigri trottine, avant de se stopper devant un sortcelier. Ceux qui veillent sur l’entité. Priam sent son cœur tambouriner.
Je suis partie, parce que tout mes espoirs ont été brisé.
Il s’avance d’un pas.
Je suis revenu parce que…
…
Il se stoppe.
… parce que…
…
J’avais espoir de vous retrouver.

« — … je ne sais pas trop par quoi commencer… »

Il n’a pas de texte tout établi, n’est pas doué pour l’improvisation car les émotions sont trop fortes.

« — … est-ce que vous vous souvenez ? »

Se souvenir de comment ils étaient les Nakhus avant l’arrivée du dragon. Avant toute la haine.
Les sablés.
Nos discussions.
Mistigri.
…
Mon départ ?

Dysis ne s’impose pas, reste à l’écart pour le laisser prendre la parole en premier. L’entité semble éveillée, en meilleur état qu’au moment de la première rencontre. Priam observe les yeux multicolores, essaye d’analyser à qui il avait à faire.
Ce n’est plus Yurai.
Un simple fragment.
Qui lui propose de partager des souvenirs. La licorne secoue doucement son museau.

« — Non, je ne veux pas de souvenirs. C’est ce que vous ressentez maintenant que vous êtes deux à partager ce corps qui m’intéresse. »

Priam sait ce qui a été fait. Que dans ce corps, en plus de Yurai et l’entité, il y avait d’autres âmes.
Le cornu prend une longue inspiration, avant de finalement lever ses yeux mauves vers ceux multicolores de l’entité.

« — … je croyais en Yurai. Aux valeurs que devaient représenter les Nakhus. J’y croyais si fort, que lorsque le dragon est apparu… quand Yurai a donné son accord pour que certains loups du clan aillent le combattre… j’ai senti la foi se briser. Progressivement. » Priam eut un sourire triste. « … mais j’avais encore espoir. Je suis venue la trouver, la Corneille pour comprendre… avant qu’elle ne parte trouver l’autre partie qui vous compose. Je lui ai confié mon ami le plus cher, Mistigri. Celui qui comporte une part des Nakhus, un peu de Prudence aussi.
Elle avait promis de revenir.
J’étais prêt à la lui donner ma foi, à son retour.
Parce que je voulais croire en nos valeurs. »

J’y crois encore.
Juste moins en ceux qui prétendent les faire respecter.
Se livrer ainsi, libère Priam d’un poids, tout comme le rapproche d’un choix qu’il lui faudra faire. Son cœur tambourine dans son poitrail.

« — … et puis vous êtes revenus ensemble. J’ai compris que vous n’étiez plus Yurai. Je l’ai compris et je l’accepte, même si c’est si douloureux. » Une larme qui coule sur sa joue. « J’ai besoin de savoir, ce que vous attendez des Nakhus. »

Priam a besoin de savoir, si du mal serait fait aux Nakhus, à ceux qu’il aime ou si comme envers Yurai, il pouvait faire confiance à cette nouvelle entité. Ao avait semblé méfiante à son sujet, avait-elle raison ? Pouvait-on lui accorder le bénéfice du doute ?

C’est vers un nouveau chemin que la nouvelle divinité semble guider les Nakhus. Priam écoute, ne l’interrompt pas. Tant de projets évoqués, certains qui furent lancés, d’autres abandonnés, délaissé… tant de passions mises de côtés.
C’est la partie concernant la protection qui l’inquiète un peu plus. Parce que la Licorne a vu, jusqu’où les autres étaient prêt à aller pour cette protection, jusqu’à ôter la vie d’une mère dragon.
Se comportant comme le monstre qu’ils jugeaient bon d’éliminer.
À la question, le jeune loup plisse un peu les sourcils. Quelques secondes s’écoulent, avant qu’il ne prenne la parole.

« — Ce que j’attends des Nakhus… »

Ce que j’attends d’eux, c’est ce que j’ai toujours cru être le bon chemin.

« — … que nous ne prenions plus part à aucun affrontement, que nous ne versions plus de sang. Je ne veux plus que les Nakhus soient associés à quoique ce soit pouvant causer du mal.
Je ne veux plus que le nom Nakhus soit prononcé si il est nécessaire de combattre.
Il y a d’autres solutions, il y en a toujours eu d’autres.
Que nous ne soyons plus destructeurs, mais créateurs.
Je veux voir les Nakhus se soutenir. Être présents les uns pour les autres quand des moments tristes surviennent, se soutenir lors d’épreuves ou moments difficiles, se rassembler pour créer des liens en faisant des sablés et partager des goûters, explorer de nouveaux endroits pour découvrir de nouvelles choses.
Je veux voir tous les Nakhus sourire, que l'ombre disparaisse enfin de leur visage. »

Ces ombres qui ne cessent de grandir depuis Kerguelen, le dragon et la disparition de Yurai au profit de la nouvelle entité.
Priam ne veut plus les voir, ces soucis, ces tracas, chez les autres.
Il veut revenir au temps, si court pourtant, où ils pouvaient se poser dans les cousins afin de déguster les madeleines d’Oncle Sobieski et discuter autour d’un thé.
Je veux retrouver ces Nakhus là, ceux qui ne pensaient pas à faire du mal à autrui.
Un sourire qui vient déformer ses babines, alors qu'il laisse les larmes s'échapper de ses yeux.

« — J’attends des Nakhus, qu’ils soient ce qu’ils auraient toujours dû être, une grande famille.
Prête à aider les autres.
Compatissante.
Forte.
Aimante.
Que personne ne soit délaissé, personne mis de côté. Que chacun puisse être heureux, puisse compter sur les autres. »

Je veux retrouver cette famille.

Priam se redresse en sentant le contact de sa soeur contre son épaule. Soutient réconfortant. Une longue succession de questions qui suit les mots de Priam.
La question d’allégeance.
La question du pacifisme.
La question des compromis.
Tant de sujets délicats, des sujets auxquelles il avait réfléchi au cours de son isolement, au fil des retrouvailles avant de venir jusqu’ici. Echos. Dysis. Chacune avait permis de soulever l’un ou l’autre des problèmes, de le mener jusqu’ici. La Licorne n’interrompt pas la divinité, la laisse s’exprimer. Un sourire vient étirer ses babines, une expression plus sûre étirant ses traits.

« — C’est pour ma famille que je suis revenu. »

Pour ceux que je ne veux pas laisser derrière.
Ceux pour qui je suis prêt à faire tous les compromis possible.
Priam plonge ses yeux dans ceux si étrange de la déité. Certaines choses, il ne les avaient pas dites à Dysis, ni à Echos. Nul ne leur ferait de mal, il n’accepterait pas qu’on s’en prenne à sa famille, était prêt à faire ce qu’il faut pour cela.
Même si la malédiction des licornes doit me consumer.
Ce n’est qu’un maigre prix à payer pour leur bonheur.

« — Je peux prêter allégeance, à une divinité qui aspire à ne point leur nuire. Qui ne souhaite point faire volontairement le mal.
Mon allégeance peut aller à une divinité qui promet de pas commettre les mêmes erreurs.
Ce que Yurai a fait à l’entité.
Ce que l’entité a fait à ces âmes. »

Ni l’un, ni l’autre n’avait eu raison.
Priam inspire, se tournant vers Dysis. Toutes ces années, sa soeur avait cherché à l’épargner concernant ses chasses, à point partager cette partie de vie avec lui, sachant ô combien cela le rebutait. Ses sourcils se froncent, alors qu’une grimace vient déformer ses babines.
Dis-moi petit soeur, est-ce que tu as eu peur que je te rejette à cause de cela ?
Il vient toucher le front de sa cadette, de son museau blanc.

« — … mes états d’âmes, mes compromis… ce que je suis. Tout cela fait parti de mon propre combat. Celui que je dois mener pour trouver le juste équilibre, entre ce que la licorne considère comme mal et ce que le loup voit comme juste. » Il reporte son attention sur l’entité. « Je ne tournerai pas le dos à ma famille. »

De cela, il en est certain.

« — Les chasseurs et les pacifistes… il existe un entre-deux. Une juste mesure. C’est cela qu’il faut que les Nakhus puissent trouver pour rester forts et unis.
Tous ensemble. »

Mistigri vint doucement tapoter l’entité de ses pattes pelucheuses. La Licorne se demandait si il se souvenait de ce qui s’était passé là-bas, quand il était avec Yurai.
Ce qu’il dirait si seulement la parole lui avait été accordé.
Avant de se rappeler que certaines choses sont mieux lorsqu’elles sont gardées sous silence.

Cette déité, lit comme Yurai lisait en eux. Priam n’en ai pas surpris, n’ait pas plus gêné que devant Dysis elle viennent répéter ses pensées. Le sujet de la compassion est chose délicate, pour lui, pour ceux touchés par sa malédiction.
Lui n’en connaît pas les limites, ne sait pas jusqu’où elle le limite réellement, doit se contenter de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Il soutient le regard.

« — Je connais le prix de la compassion. Ses limites. Je ne puis l’accorder à moi-même, ce n’est pas mon rôle. »

Je connais le prix qu’elle a pour ceux de mon espèce.
Ce qu’elle peut nous pousser à commettre.
J'en accepte les risques.
Un sourire triste étire ses babines. Prudence le lui avait raconté, dans les brèves instants passés ensembles, dans les courts moments où il avait pu la côtoyer. À l’époque, tout l’effrayait, bien trop pour qu’il ne comprenne le poids des mots… le poids des actes.
Maintenant, il comprenait un peu mieux, avait commencé lors de l’apparition du dragon.

« — Les savoir heureux et en sécurité, cela suffit à mon propre bonheur. Cela m’a toujours suffit.
Je n’ai jamais cessé de penser à ma famille. Aux autres. Je sais que je ne peux pas satisfaire tout le monde, que mes actes peuvent leur causer autant de joie que de peine.
Que mes choix peuvent les faire autant rire que pleurer.
Que mes mots peuvent les toucher autant que les blesser. »

Pourtant, il n’abandonnait pas l’idée, d’apporter un peu de bonheur à chacun, de les voir sourire autant que possible.
J’ai vu ma soeur se battre pour me protéger.
J’ai vu des amis pleurer, car ils étaient perdus.
J’ai vu des Nakhus blessés pour ce qu’il pensait être juste.

« — Avant le dragon, avant le départ de Yurai, ces simples pensées, auraient suffit à me mettre mal. Je me dois de grandir, d’évoluer, pour moi-même, pour ma famille… pour les Nakhus aussi. »

Ceux qui doutent, qui sont tristes.
Priam se souvient du désarroi de Cheza quand cette nouvelle déité était apparue. Il revoit la peur de l’abandon chez Echos, la colère qu’il avait du affronter en revenant… faire face à ses choix.
Il se redresse, déterminé.

« — Alors oui, même en pensant cela, c’est à tout ceux que j’aime que je pense. »

C’est un choix, qui fait parti de mon équilibre.

C’est cette fois sa petite sœur qui semble troublée. Bien plus préoccupé par lui, que par les questions de la divinité. Un sourire qui étire ses babines, lorsque Dysis a fini de parler.

« — J’ai pleuré lorsque tu as été blessé par le dragon.
Je pleurerais encore si il doit t’arriver quelque chose.
Si l’on te fait du mal.
Je suis ton frère. »

Pour cela, je m’inquièterai toujours pour toi.
Même si c’est faire du mal aux autres qui a pu te conduire à être blessée.
Il se tourne vers sa cadette. Sa si petite et si forte sœur. Celle derrière qui il s’était tant cachée, car d’eux deux, Dysis avait toujours été la plus vaillante et la moins peureuse. Priam n’avait jamais jalousé la force de sa sœur, sa facilité à faire les choix difficiles.

« — On sera pas toujours d’accord sur tout.
On voudra pas toujours la même chose.
Mais on trouvera toujours une solution, ensemble, comme on l’a toujours fait.
Nos choix, ça n’a jamais atteint l’amour que nous nous portions mutuellement.
Alors si je pleure, je ne veux pas que tu t’en veuilles. »

Il vient poser son front sur celui de sa sœur étoilée, ses yeux mauves se plongeant dans ceux de la louve.

« — Je n’ai pas de secret pour toi, Dysis.
Je n’en aurais pas.
Y’en a jamais eu, parce que nous n’avions jamais eu besoin de cela.
Tu ne m’as pas tout dit, parce que tu voulais me protéger, mais la vérité je peux l’entendre à présent.
Je suis prêt à tout entendre. »

Tout ce que tu voudras bien me dire.

C'est une forme de promesse qui se forme, là, front contre front. Entre frère et soeur. L'un qui promet d'accepter la part sombre de sa cadette, quand cette dernière accepte de ne plus le lui cacher.
Cela faisait parti du parcours de Priam. Celui qui lui permettait de grandir.
Aiiro s'endort, après ses quelques mots prononcés. La Licorne se détache doucement de sa soeur, regarde la divinité.

« — Bonne nuit, Aiiro. »

Au revoir Yurai.

« — Rentrons à la maison. »

Là où nous attendent maman et les autres. Echos.
Ceux qui me sont chers.
C'est à leurs côtés que je veux être.