Il faisait presque nuit ; le coucher du soleil éclairait les terres Etelkrus d'un feu orangé qui rendait presque palpable la présence de la divinité le long des abruptes falaises. Ce fut en tout cas le sentiment d'Armada lorsqu'il s'aventura sur la sente étroite qui les longeait pour mener au temple de la Renarde. Pas après pas, il devait être d'une prudence extrême. Il aurait sans doute été plus raisonnable de venir accompagné par un loup qui connaissait bien l'endroit et qui lui aurait montré le parcours le plus sûr. Mais ce n'était pas vraiment le genre du loup coiffé de feu. Peut-être voulait-il se prouver qu'il était capable, comme ses ancêtres avant lui, d'aller rendre hommage à la déesse Dairo par ses propres moyens.

Entre les crocs, il tenait une proie fraîchement chassée. Il savait que les dieux appréciaient les offrandes, sans toutefois avoir compris exactement ce qu'il aimaient. Peut-être simplement que parce qu'il avait mis le coeur et la volonté à chasser une proie digne, cela en faisait une bonne offrande. Il l'espérait en tout cas. Les crocs serrés, les cheveux fouettés par les vents capricieux de la mer, il progressa avec une lenteur infinie. Durant un instant, il se demanda même si cela pouvait être une sorte de plaisanterie et qu'en réalité il n'y eut rien au bout de ce chemin. Comme un bizutage pour les nouveaux arrivés dans la meute, une mauvaise blague qui les faisait rentrer bredouille et épuisés, avant de leur révéler le véritable emplacement du temple divin.

Mais à peine cette pensée l'eut-elle effleurée qu'il aperçut, derrière le dernier pan de roche à contourner, le pourtour d'une ouverture. De nombreuses traces de pas avaient poli la pierre sous ses pattes ; ce n'était sans doute pas un canular. Son coeur battit un peu plus fort lorsqu'il baissa la tête pour faire entrer sa haute silhouette dans le temple de Dairo. Le son de l'extérieur parut s'éteindre alors qu'il pénétrait la Crypte. Seul le cliquetis de ses griffes résonnait ave un écho étrange, presque distordu par la forme atypique de la pièce.

Le jeune loup s'approcha à pas prudents de la statue qui surplombait la fontaine, saisi par l'intensité du regard de la sculpture. Il douta que ce fut la déesse elle-même, mais il devait reconnaître que cette figure de pierre inspirait le respect. Il souffla en silence, puis déposa sa proie - un lièvre de belle taille, remercions-en le printemps - au pied de la fontaine. Il garda la tête basse et lança :

"Déesse Dairo, Dame Renarde. Je me présente devant vous avec cette offrande. Vous avez jadis béni mes ancêtres de votre étendard, pour cela j'honorerai à jamais votre couleur."

Il recula d'un pas et se redressa légèrement.

"Peut-être lisez-vous dans mon esprit que je ne sais encore vers quel dieu me tourner pour être le meilleur des disciples. J'ignore s'il s'agira de vous."

Autant jouer cartes sur table : il n'était pas venu demander une épreuve.

"Feu Sire Agravain a autrefois arboré votre couleur. Je souhaiterais... en apprendre plus à son sujet. Si cela vous grée."

Il y avait un détail en particulier qui avait attiré son attention lors de ses recherches à la Bibliothèque : la fin tragique qu'avait connu ce Chevalier des temps jadis. Perdu à jamais dans les océans, dans lesquels il se serait jeté de sa propre volonté. Il était difficile pour Armada d'imaginer ce qui aurait pu pousser un loup d'une telle grandeur à un geste si désespéré. Peut-être aussi souhaitait-il voir derrière les héros des histoires les véritables loups qui avaient vécu, et que les dieux étaient les seuls à avoir encore connus.

"S'il faut rendre des services pour cela, je suis prêt à vous servir." Ajouta-il, et une lueur déterminée s'alluma dans son regard.
Il abandonnait rarement avant d'opbtenir ce qu'il souhaitait. Cette quête là ne ferait pas exception.