Expédition Glacée ~ Esterno [FINI]

L'immensitude glacée. D'un blanc pur rongée par des plaques bleutées, la banquise était d'une beauté indicible. Une beauté cruelle et dangereuse. La neige cachait des crevasses profondes de plusieurs mètres, la glace pouvait rompre à tout moment sous vos pas et vous précipiter à l'eau, proprement glaciale. De nulle part pouvait émerger de gigantesques et territoriaux ours polaires, ou encore un léopard des mers. La Grève Gelée n'était pas faite pour les louveteau. Ni pour les créatures de feu. Pourtant, c'est ce qu'elle vit. Du haut d'un rocher, son corps enflammé fouetté par ce vent glacial, Fireheart aperçu une petite boule de poils qui marchait dans la neige. Une boule de poil qui lui rappela elle-même au même âge. Une boule de poils enflammée. La femelle s'inquiéta aussitôt. Un loupiot de cet âge ne pouvait se retrouver seul ici sans risquer sa vie. S'il ne mourrait pas de froid, il finirait sous la neige, la glace, ou dans l'estomac d'un prédateurs, et les dieux savaient que ceux qui vivaient sur ces terres étaient affamés. Et la petite chose n'était guère subtile.

Mais que faisait la louve carmin, tout autant flammes que le petiot, dans cet endroit de froid et de glace ? Elle cherchait des réponses peut-être. Ou alors elle s'amusait à repousser ses limites. Mais, plus vraisemblablement, elle déprimait. Et la morsure amère du froid était ce dont elle avait besoin. Il s'agissait d'une douleur physique, externe. Elle pouvait y faire quelque chose. Elle pouvait, par exemple, se changer en flammes et se réchauffer. Ou aller dans cette grotte dans laquelle le louveteau s'était réfugié. Oui, elle pouvait faire cela. La louve descendit de son promontoire avec prudence, s'assurant de la fermeté du sol sous la neige avant de poser son poids sur chacune de ses pattes. Elle avait déjà vu un caribou disparaître dans l'une de ces crevasses qui l'effrayaient tant. La bête s'était brisée le cou en bas du ravin d'une vingtaine de mètres. Elle se concentra, donc. Pas de chute vertigineuse pour elle. C'est en un morceau qu'elle rejoignit l'entrée de la grotte. Un doux sourire aux lèvres, elle posa les pattes sur le sol rocheux dépourvu de neige. Un souffle légèrement chaud montait du fond de la grotte qui s'étirait loin dans l'ombre. La louve muette s'assit à l'entrée et remua gentiment la queue pour signifier ses intentions pacifiques.

Il n’était qu’un tout petit corps, dans une immensité de blancheur. Légère tache de braise sur les flammes froides et dangereuse de l’hiver sur la banquise. Elle ne savait pas les raisons de sa venue en terres si dangereuses et imprévisibles. À en croire les circonstances, le jeune louveteau, pour sa part, s’était lancé à corps perdu dans une promenade qui s’était voulu quotidienne pour simplement s’attirer le respect du silence. Sans qu’il ne forge lui-même ses limites, il venait probablement de les dépasser. Peut-être que, comme elle le faisait souvent elle-même lorsque elle n’était confronté qu’au froid mordant de l’hiver, par des temps de déprime intense, le petit s’était exposé de lui-même à cette scène glaciale pour exposer ces sentiment face au nouvel univers dans lequel il s’était retrouvé.

Au moment où la vie avait détruit une partie de celle de Fireheart, une toute petite boule de poils s’était permise de lui offrir du temps pour se retrouver, et des tas de questionnements. « Qui êtes-vous ? », jappa le louveteau. Et voilà les premières questions qui arrivaient.

Fireheart redressa ses oreilles, tout en laissant de l’espace au jeune. Son corps semblait calme, malgré ses extrémités qui voltigeait d’elles-mêmes tout autours. Elle s’arrêta de penser un moment, baissa la tête, inhalant l’air devant elle et ouvrit la gueule, pour la refermer ensuite. Silence total.

Encore la même journée, encore la même douleur. Seule sous le vent sale de cet hiver... Cette lumière chaude que les deux loups de feu dégageaient faisait fondre la glace qui s'était formée au plafond de la caverne, tombant en goutte à goutte, en continue, sur le temps de leur existence. Leur expression d’isolement et de solitude portait les canidés à se guetter avec quiétude. Maintenant qu’elle avait pénétré ici, Fireheart ne pouvait s’empêcher de regarder le petit, sans se demander si cela avait été une bonne idée, si elle ne ferait pas bien de partir de nouveau, d'aller s'endormir sous la souffrance d’une douleur externe qu’est le froid… Après tout, le silence était rarement une chose qui aimait être partagé et elle le comprenait. Elle qui faisait toujours tout en silence, dans un monde misérablement bruyant.

Toujours dans ce même silence, seule véritable chose qu’elle puisse donner au monde, Fireheart jeta un coup d’œil autour d’elle. Aucune paille, aucun os, aucune terre. Cette grotte ne servait pas de logis, mais plutôt d’abris, de sanctuaire solitaire et temporaire. La solitude semblait donc être partout. Elle abaissa ces oreilles en dansant légèrement des pattes avant. Que pouvait-elle faire sans voix ? Elle fronça les sourcils, puis enflamma sa patte, écarquilla les yeux, en signe de signification profonde, puis après s’être éteint, déposa cette même patte sur son cœur, en espérant que le petit comprendrait la juxtaposition de ces gestes.

La louve ouvrit des yeux surpris. Elle était habituée à être nommée de bien des façons. " Flamme ", " Hey toi ", "la crâmée ", " la rousse ". Mais pas par son nom. C'était assez rare qu'on devine son nom. Quelques uns parmi les Séides le savaient, mais la majorité ne faisait pas l'effort de deviner. Et puis elle aimait bien Flamme aussi, mais il n'y avait que Marcus qui l'appelait ainsi. C'était joli, Flamme. Enfin, bref, tout ça pour dire qu'elle ne s'attendait certainement pas à ce que le gamin comprenne son nom. Surtout que les loups PWolfiens n'ont pas l'anglais comme langue seconde de façon courante. Fireheart elle-même ne parlait pas anglais, ni ne le comprenait. Elle savait la signification de son nom parce que sa mère le lui avait dit, mais c'était tout. Elle pencha la tête, pensive. Elle se demandait si le gamin parlait l'anglais, ce qui l'intéressait vivement, ou s'il ne s'agissait que d'un de ces " coups de chance " orchestré par un être derrière son écran d'ordinateur contrôlant la situation.

Puis elle soupira. Elle avait sentit le vent s'amoindrir dans son dos au fil de leur conversation. Le gamin allait s'en sortir. Elle avait ses propres problèmes à gérer. Elle jeta un coup d'oeil derrière elle. Oui, le vent et la neige était de nature bien plus tranquilles. Le gamin ne mourrait pas de froid. Il n'aurait plus qu'à éviter les crevasses est les ours polaires. Elle offrit quand même un sourire au petit avant de lui tourner le dos et de disparaître entre deux bourrasques de vent modérée, comme une ninja trop badass. Il était temps pour elle de rentrer chez elle, elle allait bientôt affronter divers problèmes qui n'attendaient qu'elle pour ruiner sa vie.