Expédition l Alth

Des Falaises littorales, lieu de prédilection d'Ely, on accédait facilement aux Monts Célèstes, et d'ici aux Champs Mystiques. C'était pourtant un chemin que, peu aventureux, Ely n'avait jamais pris jusque là. Déjà parce que traverser les Monts Célestes était une chasse de plusieurs heures particulièrement désagréable, mais en plus parce qu'il savait que, bien que sur un territoire pacifique, ces terres ne leurs appartenaient pas. Pire. Elles appartenaient à d'autres.

Mais d'un autre côté, peut-être trouverait-il en ces lieux nouveaux quelque chose d'intéressant à ramener à sa grotte. Plus le temps passait, et plus Ely se sentait l'âme d'un collectionneur de choses toutes plus étranges les unes que les autres. Il trouvait un galet d'une forme étrange, et le fourrait dans le poil épais de son cou pour pouvoir le ramener. Parfois, des proies chatoyantes, parfois des branches d'une forme peu commune. Depuis ses pérégrinations sur l'Île Abysse, il trainait soigneusement plié et attaché dans son collier un grand sac de toile de jute un peu rustre, qui grattait un peu dans le cou, mais qui lui permettait de ramener plein de choses. Ce qui lui manquait jusque là.

Lorsque les montagnes reculèrent pour laisser place aux grands champs brumeux, le poil du loup gris frissonna. Il régnait ici un charme étrange et hors du temps qu'il n'avait jamais vu. La terre des Nakhus était vraiment étrange. Ses occupants l'étaient-ils tout autant ?

C’est qu’ils étaient nombreux les étrangers à parcourir ces terres Nakhus ces derniers temps. Celui-ci semblait plutôt robuste. L’ex-raeder s’approcha de l’étranger sans crainte, Poe posé sur épaule. La jeune louve mauve observa la longue crête du loup.

« — Whouah, ça à l’air grave soyeux pour une crête qui parcourt TOUT ton dos. »

Un sourire aux babines, la native pirate se coucha face à l’étranger.

« — Que fais donc un Etelkrus, par ici ? À moins que tu ne veuilles parler d’autre chose, Ombre-Traversée-Par-L’-Orage. »

Peut-être fuyait-il son clan ?

C'est avec suspicion, peut-être même une certaine crainte bien cachée derrière ses yeux dorés, qu'Ely regarda approcher la petite louve violette et son... Poisson sur l'épaule. Grenouille. C'est pareil. Ils formaient un bien étrange tableau, qu'Ely ne pouvait s'empêcher de fixer. Mais il fixait toujours tout le monde ainsi, curieux mais impassible.

Son appellation, Ombre-Traversée-Par-l'Orage, avait un certain charme qui plaisait à cette partie en lui qui s'intéressait au beau. Le commentaire sur sa crête, par contre, ne le toucha pas. Ely se contenta d'une réponse courte et directe, comme à son habitude :

Je cherche de quoi satisfaire le coeur de la Déesse Renarde.

Rien de plus.

C'était bien la question qu'elle avait posé, non ?

Un Etelkrus.

Gentil p’tit Etelkrus,
Ne creuses pas de p’tit trous,
Qui te permettrait de m’enfouir dessous…

Lewis connaissait bien les tensions qui régnaient entre Etelkrus et membres raeders, même si elle n’en faisait plus partie, son apparence était trompeuse. Ombre-Traversée-Par-l’Orage prétendit être ici pour la Renarde… LA RENARDE ? Celle dont le pouvoir avait empoisonné le sang de son père ?

« — Renarde comme celle du… »

Lewis vint mettre sa patte devant la bouche de l’amphibien, un air réprobateur.

« — Chut Poe ! »

La mauve la voyait, la lumière orange lorsqu’il parlait, directement incrustée dans sa dent. Plus discret que la plume qu’Alys abordait, pourtant, sûrement, même poison. Les oreilles de Lewis partirent vers l’arrière, alors qu’une de ses pattes vint effleurer la fiole contenant le sang d’Alys, cachée dans son capuchon, dans la doublure.

« — Ton cadeau de la Renarde, il est empoisonné lui aussi ? »

Curiosité d’une pirate qui n’y connaissait pas grand chose aux dieux, qui se demandait bien si le don de cet Etelkrus était tout aussi lourd de conséquences que celui d’Alys jadis.

Il n'eut aucune réaction lorsque la grenouille prit la parole, ça ou autre chose après tout... Mais ses mots l'interpelèrent. Ainsi, ils connaissaient la déesse renarde. Cela en soit ne le perturbait pas tant que ça, mais éveillait sa curiosité. Les paroles de la petite louve, tout de suite, éveillèrent en lui plus d'émois. Ses babines se redressèrent légèrement, dévoilant ses crocs dont l'orange qui brillait dans l'ambiance tamisée des champs, ses oreilles se plaquèrent en arrière, et un grondemend sourd naquit au fond de sa gorge.

Et, aussi vite qu'il était arrivé, disparut. Ely se calma, son rythme cardiaque reprit sa cadence habituelle.

Ainsi, elle connaissait quelqu'un qui avait pâti d'un cadeau de la Renarde. Il ne pouvait le nier, les dieux étaient parfois facétieux, et plus d'un souffraient de leur glowstick au point parfois de le briser. Triste destinée. Ely s'assit, le cul sur le sol froid et humide, avant de répondre, comme s'il n'avait eu aucun changement d'attitude, de sa voix si morne et terne :

Les dieux existent selon un schéma qui nous est impénétrable. Parfois, seulement, ils acceptent de partager avec nous certaines de leurs visions.

Et pour répondre à sa deuxième question, il commença à faire changer de couleur les herbes qui les entouraient, les passant du vert au rouge, au bleu, à l'orange, au citron. Chaque brun d'herbe prenait une couleur unique et tout autour d'eux se créa un arc-en-ciel joyeux et délicat.

Poe, lui, prit une teinte azur du meilleur gout.

L’Etelkrus sembla un instant méfiant, voir presque menaçant afin de se calmer aussitôt. Lewis s’était contentée de l’observer impassible, nullement effrayée par l’idée de la mort. La louve posa son arrière-train sur le sol.

« — Tu en partages toi aussi, des visions avec eux, Ombre-Traversée-Par-L’-Orage ? »

Alys n’avait jamais parlé de cela, mais peut-être qu’il n’était pas un des privilégiés de la déesse orange ?

« — Oh ! C’est joli ! »

Un rire enfantin s’échappa de la gorge de Lewis, pur, innocent. Voir toutes ces couleurs, c’était si beau. La pirate passa ses pattes sur les bruns d’herbes colorés avant de se saisir de Poe entre ses pattes, qui lui, avait pris une jolie teinte bleutée.

« — Un jour, une grenouille bleue avait répondu mon appel, mais elle était dangereuse… J’aime beaucoup Poe dans cette couleur, tu crois que tu peux le laisser comme ça ? »

Peut-être que lui aussi finirait par flotter au-dessus du rhum, comme son prédécesseur numéro… combien déjà, treize ? Quatorze ? Bah, les grenouilles étaient des êtres fragiles après tout…

Des visions ? Sûrement voulait-elle parler des prêtres. De ceux qui communiaient régulièrement avec les dieux et les déesses. Sa réponse fut un peu plus longue que ce à quoi on aurait pu s'attendre, de sa part. Mais elle s'était émerveillée des couleurs de l'herbe, et il avait apprécié :

Seuls les prêtres peuvent s'en vanter.

Il était implicite qu'il ne l'était pas. Il jeta un coup d'oeil sur la grenouille bleue.

Oui.

Après tout, il ne lui en coutait rien. Mais Ely ne souhaitait pas s'arrêter là, il voulait aller un peu plus loin. Il se souvenait encore des cris de Joy lorsqu'il avait teint son pelage, et de la lassitude d'Anette lorsqu'elle lui avait intimé de lui rendre sa couleur. Ah ! Mais la petite violette n'était pas Joy, et ça n'était pas de fleurs et de nuit qu'il voulait la couvrir.

Discrètement, la marque de la grenouille se distingua sur sa cuisse, rouge et noire de teinte pour rappeler sa capuche et contraster avec le blanc de son ventre. Il ajusta quelques traits, puis en fut satisfait.

Il ne disait rien, mais son regard planté sur la croupe de la femelle était bien assez révélateur.

Ainsi, donc lui n’en était pas un de prêtre.

L’ancienne Raeder sembla presque attristé pour le loup, lui qui semblait tant aimer sa déesse. Bien que Lewis ne connaissait pas l’amour que l’on pouvait porter à un dieu, elle admirait qu’on puisse se dévouer corps et âme à une telle cause, à une entité non vivante mais supérieure.

« — Qu’y-a-t-il à vanter, lorsqu’on n’est que simple messager, Ombre-Traversée-Par-L’-Orage ? »

L’enfant des mers rit joyeusement lorsque le mâle accepta sa demande. Ce Poe resterait ainsi de cette couleur jusqu’à ce que mort s’ensuive ! Mieux encore, il ne serait pas vénéneux et ne représenterait aucun danger. Le silence s’installa, nullement gênant, la mauve observa l’herbe un moment avant que le regard insistant du loup ne l’oblige à regarder. Une grenouille. Sur sa cuisse. Les yeux de la mauve semblaient briller comme des étoiles alors qu’elle montrait le dessin à son amphibien.

« — Whouah ! C’est trop bien ça ! Regardes Poe. »
« — Presque aussi beau que moi. »

La louve sourit joyeusement à la remarque, s’approchant du grand loup. De par sa taille, elle dût se mettre sur ses pattes arrières pour poser sa truffe contre la joue du noiraud.

« — Merci. »

Sa première réponse le bloqua. Son choix de mot, en effet, n'avait pas été le plus judicieux. Ca n'était pas dans ses habitudes. Il s'était saisi de cette formulation toute faite, et l'avait ressortie sans considération de sa signification.

Rien-

Il n'y avait rien à vanter.

Il ne parlait pas beaucoup, mais en plus s'il se plantait lorsqu'il parlait ! Il n'en était pas fier - il était même, oui, perturbé. Alors il réfléchissait, immobile, sans même un froncement de sourcils pour signifier ce à quoi il pensait, lorsque

La petite louve vint apposer sa truffe sur sa joue.

Un instant, Ely ne sut pas quoi faire. Une seconde, hors du temps, son cerveau, son corps ne purent enregistrer ce qu'il se passait. Puis il rompit le pas, fit un pas en arrière, instaura plus de distance entre eux, son regard, pour une fois légèrement expressif. Un peu perdu, effrayé.

Que devait-il faire ?

Ses parents ne lui avaient jamais dit quoi faire, dans ce genre de situation. Etait-ce une situation normale ? Devait-il faire quelque chose, répondre quelque chose ? Est-ce qu'il allait se faire disputer, est-ce que c'était une convention qu'il avait oublié ? Il devait dire merci, de rien, pardon, permission ?

Que devait-il faire ?

Bien que son visage ne laisse paraître qu'une faible confusion, les éclairs sur son corps se succédaient en flashs agressifs qui le rendaient presque blanc, difficile à discerner.

Lewis se contenta de se sourire à la réponse du loup, parce qu’il n’y avait rien à ajouter, rien à vanter. Les prêtes n’étaient que messagers. L’Etelkrus recula à la suite du contact, ce qui amusa fortement la mauve dont la queue qui remuait gaiement trahissait l’amusement. Avait-il peur ? Ce n’était pas la petite bête qui allait manger la grosse après tout non ? Le corps du noiraud fut parcouru de plusieurs éclairs, un spectacle fascinant. Lewis en était-elle l’origine ?

« — Je ne vais pas te mordre. »

Pas de suite du moins.

M’enfin, Lewis se contenta de formuler la remarque à voix haute. Les pattes de la louve vinrent déloger la plume jaune coincée dans ses cheveux alors qu’une nouvelle fois, l’ancienne pirate rompait la distance que semblait vouloir maintenir à tout prix le mâle. Sans crainte, ses pattes touchèrent une nouvelle fois le grand loup alors qu’elle coinçait la plume dans son collier, cela resterait dans les teintes de son glowstick comme ça, même si ce n’était pas orange…

« — C’est un bien maigre présent, mais cette plume a beaucoup de valeur à mes yeux, je serais honorée si tu acceptais de la porter. »

Puis bon, les plumes ça se remplaçait ! Alys ne lui avait-il pas appris quelles étaient les plus belles plumes et où les dénicher ? La louve sourit joyeusement avant de reculer d’un pas - petit certes - pour respecter le souhait du loup.

« — Ombre-Traversée-Par-L’-Orage. »

Un titre qui lui allait bien au final.

Ses paroles, rassurantes pourtant, ne réussirent pas à calmer complètement le loup gris. Elle n'allait pas le mordre, peut-être, il l'espérait bien, mais que devait-il faire ? Et elle s'approcha, de nouveau, cueillit une des magnifiques plumes qui ornaient sa chevelure, une jaune, et s'approcha encore.

Ely, plus encore que d'habitude, s'astreignait à l'immobilité. Tétanisé, par ces contacts qu'il ne comprenait pas, ces initiatives, dont il n'avait pas l'habitude. Lorsque ses petites pattes touchèrent son col, nouèrent la plume dans son collier, il se contenta de ne pas bouger. Il avait compris, l'intention, bien que le geste lui restait curieux - d'habitude les loups hurlaient lorsqu'il touchait à leur poil. Mais cette petite, en réponse, lui avait fait un cadeau.

Il pencha la tête en avant pour, de sa patte avant, aller effleurer le présent qui lui avait été fait. Ses coussinets chatouillèrent la plume - ou était-ce l'inverse ? et le loup gris releva la tête. Son expression changea. Légèrement. Si légèrement ! Ca n'était même pas un sourire. Avait-il déjà souri un jour ? Personne n'était capable de le dire. Mais ses babines frémirent légèrement, et sa voix était peut-être plus chaude qu'à l'accoutumée, une différences infimes mais qui pour Ely voulait dire beaucoup. Avait-il déjà vraiment remercié quelqu'un ? En le pensant vraiment ? Une fois, deux peut-être.

Merci, Louve.

Louve.

Pardon. Veux tu bien ?

Les mots étaient maladroits, les phrases hachées.

M'offrir ton nom ?

La demande surprit Lewis, dont les yeux s’écarquillèrent un instant. Son nom ? Son vrai nom ? Pas un des surnoms qu’on lui avait attribué ? Pourquoi donc ? Après tout, la mauve ne lui avait pas demandé sono à lui, se contentant de lui attribuer un titre, comme elle le faisait pour chacun. Qu’était le poids d’un nom après tout, si il ne vous représentait pas ? Se prétendre digne du nom de naissance n’était que prétention, mais prétentieux, tous l’étaient. Fiers de donner leur nom à tout va, fiers de se faire connaîtront de ce dernier. Pourtant, la mauve accède à la requête du noiraud.

« — Lewis. »

La louve adopta une expression neutre, la même que son père abordait la plupart du temps, loin du sourire narquois d’Hypoxie. Délicatement, la Nakhus en devenir replaça Poe sur son épaule avant de faire volte-face, sa queue recourbée remuant doucement.

« — Ne tardes pas à revenir, Ombre-Traversée-Par-L’-Orage, »

Un sourire vint étirer ses babines.

« — Il serait dommage, que nos chemins ne se recroisent de nouveau. »

L’ancienne pirate disparut dans les fourrées, laissant l’Etelkrus sur ces mots.

Il mit un certain à venir, ce nom. Mais lorsqu'il arrive, Ely le recueillit avec un certain soulagement. Il avait cru qu'il n'aurait pas du poser la question. Qu'elle ne voulait pas, mais s'était sentie forcée. Mais il était trop tard pour revenir en arrière. Alors c'est rassuré, qu'il recueillit cette information.

Merci. Lewis.

Là. Il pouvait proprement la remercier. C'était bien.

Mais avant que la gêne ne s'installe, avant qu'il ne sache plus quoi faire et que la frustration ne naisse, elle se détourna et lui offrit quelques dernières paroles.

D'invitation.

Etrange...

Mais ses pas le mèneraient probablement de nouveau en ces terres.

Pour trouver de quoi offrir à Dairo.

Sûrement.