Sunrise ~ Feat. Jo

Il y avait quelqu'un d'autre sur les criques ce matin-là. À vrai dire, Jo avait passé la nuit ici, dans le but de voir le soleil se lever. Il se réveilla instinctivement alors que la nuit enveloppait encore les environs. Ce loup avait une horloge interne parfaitement au point... quand ça l'arrangeait. Il loupait souvent les rendez-vous par exemple. Et ça, ça n'était pas très bon pour les relations sociales. C'était aussi pour ça qu'il était seul la plupart du temps. Et, comme tout le monde le sait, tout le monde se portait pour le mieux de cet arrangement. Une fois que l'astre de feu se fût élevé dans le ciel, dépassant le niveau de la mer, et ayant bien fini de l'aveugler, Jo se mit en marche : il rentrait chez lui, ou du moins, dans un de ses chez lui. Le plus proche était sans doute le trou qu'il occupait occasionnellement dans la brousse. Oui, c'était une bonne idée.

Qui va là ?

Une voix inconnue, appartenant à un loup qui semblait jeune. Jo, interloqué, sentit ses oreilles se dresser sur son crâne, et il tourna la tête en direction de la voix. Effectivement, il avait failli passer sous le nez d'un jeune loup. Il n'était pas très grand, et ne devait pas avoir plus de six mois. Il ne possédait pas -encore?- de glowstick. Mais surtout, il était très loin de toute forme de groupement social. Sans doute un solitaire ? Ou un petit aventurier. Cela lui plaisait bien.

─ Un ami, enfin, je crois. Tu n'as rien à craindre de moi.

En se blottissant près du sol, le loupiot paraissait encore plus minuscule, si c'était possible. Et oui, ça l'était. Jo décida qu'il n'avait pas envie de passer pour violeur d'enfants, aussi joua-t-il la carte de l'honnêteté directe, histoire de calmer un peu le petit.
Il commença par confirmer ce que Boule-de-Poils soupçonnait.

─ Je vis en solitaire. Ce qui ne veut pas dire que j'aime assassiner les louveteaux de clan... tu n'as rien à craindre, je te dis.

Sauf éventuellement un bon mal de crâne...
Mais ça, ça ne concernait pas seulement les louveteaux, mais tous ceux qu'il croisait.
Jo s'étonna d'être d'humeur si peu fantaisiste : c'était suffisamment rare pour le relever.

Un vent froid mais néanmoins agréable leur arrivait du Nord, et ajoutait un certain charme à cette scène. Le sable mouillé leur gelait les pattes, mais il était facile de s'en accommoder, du moins, pour Jo. Il se dit que le petit allait mourir de froid s'il restait plus longtemps près du sol. Il frissonna rien qu'en imaginant le vent glacé s'engouffrer entre le sol humide et sa fourrure duveteuse, encore trop peu épaisse pour affronter correctement les rigueurs de l'hiver, contrairement à celle des adultes -hé, ça n'était pas pour rien qu'on laissait les louveteaux dans leur terrier. Cela dit, celui-ci avait l'air d'avoir dépassé l'âge de rester dans le terrier à attendre que maman revienne. D'où le fait qu'il soit ici tout seul -sans maman.

[T'inquiète, j'ai rien à dire de ce côté là de toute façon xD]

Jo se fit la remarque qu'il était bien imprudent de la part du louveteau de croire sur parole tout ce que lui disait un inconnu, mais ne dit rien. Après tout, il était vrai que lui-même n'avait pas d'intention hostile à l'envers de ce jeune loup : ainsi, pas besoin de l'alarmer. S'il devait tomber sur quelqu'un de mal intentionné, cela ne changerait de toute façon pas grand chose.

─Je m'appelle Esterno! , fit-il en souriant.

Jo lui rendit son sourire, plus par automatisme que par véritable bienveillance : pour lui, un sourire était un masque, et il aimait porter ce masque. Cela permettait, entre autres, que les gens lui fassent confiance, et il aimait qu'on lui fasse confiance, même si lui n'avait confiance en personne -pas même en lui-même. De toute façon, il ne comptait pas abuser de cette confiance. Elle lui était tout simplement utile pour observer d'un peu plus près les différents caractères des gens qui peuplent le monde.

─ Ça te va bien. Tu ressembles à une braise, je trouve.

C'était du moins ce qu''il jugeait : les couleurs du jeunot lui rappelaient le lit d'un feu tout juste éteint, encore rougeoyant, sur lequel il ne fallait pas marcher sous peine de se brûler sévèrement les coussinets.

Jo aussi humait l'air. Le sel piquait sa truffe, et le vent emmêlait sa chevelure bouclée, de plus en plus longue. Mais peu importait : c'était ce qu'il aimait. C'était lui, pour ça, la vie de solitaire. Il faillit le répondre à Esterno, la braise de l'Est, comme il l'appelait déjà dans sa tête, mais se ravisa : après tout, le petit était dans un clan, et sentait lui aussi le vent, le sel; entendait lui aussi la houle, le fracas des vagues qui s'échouent sur la plage.

─ Je ne sais pas.

C'était une réponse stupide. Jo aurait pu songer à : "Ca donne froid, quand au plus profond de la nuit je n'ai personne contre qui me blottir, et à qui confier mes peurs", mais cela ne lui traversa même pas l'esprit. Il n'était pas ce genre de loup. Il était plutôt un O.V.N.I. dans le paysage lupin de l’Île de Punk Wolf.

─ Je ne saurais pas vraiment le décrire... Je marche, beaucoup. Je parle, beaucoup. J'ai faim, j'ai froid, je m'ennuie. Mais j'aime ça. Parce que je suis libre de le faire, tout comme je suis libre de ne pas le faire, de choisir de faire autrement. J'ai toujours été solitaire, donc je ne peux vraiment imaginer à quoi ressemble la vie de clan, mais la vie que je mène actuellement est celle qui se rapproche le plus de la vie dont aurait pu rêver le louveteau que j'étais.

Ce n'était qu'à moitié vrai. Jo avait depuis longtemps oublié le louveteau qui était en lui, et qui était parti trop tôt, laissant place à l'adulte, terne et froid.

Jo acquiesça sans trop de conviction.

─ Si c'est ce que tu aimes faire, alors ne laisse personne t'en empêcher. Mais si tu veux partir, pars.

C'était une vision simpliste de la vie, il le savait. Beaucoup lui auraient dit que les choses ne fonctionnaient pas ainsi, qu'il y avait des obligations à remplir -familiales, hiérarchiques, relationnelles. Mais pour Jo, ce genre de chose n'était qu'une liste d'excuse. Insouciant et égoïste qu'il était, Jo vivait comme il l'entendait, sans jamais se soucier de personne. Pas même de la vie qu'il sentait grandir dans son ventre - à peine quelques semaines, au moment où se déroule ce sujet.

─ Il n'y a pas que le schéma des clans qui existe. Il y a quelques années, le clan des Brethen n'existait même pas.

Il s'abstint de dire qu'il avait rencontré l'une de ses fondateurs des années plus tôt, alors que celle-ci fuyait le clan des Séides, sous le beau titre de renégate. Jo ne trouvait pas ce genre d'histoires très intéressantes ; il avait tort, bien sûr.

"Oui c'est vrai. A vrai dire je n'ai pas réellement choisi de les rejoindre. Il m'ont trouvé et depuis je me débrouille pour être le plus utile possible. Pour rendre les autres heureux autour de moi. Je suppose que c'est mon but dans la vie !"

Jo ne pouvait comprendre ce genre de raisonnement. En théorie, il comprenait. En pratique, il n'arrivait pas à concevoir un tel dévouement. En tant que personne très préoccupée par ses intérêts personnels -et futiles- ce genre de philosophie lui était quasiment étrangère. Il essayait néanmoins de les respecter. Ce n'était pas la première fois qu'il l'entendait de la bouche d'un Brethen.

─ Est-ce que tu connais un loup, de ton clan, couleur sable, avec de longues canines, au glowstick orange ? Tu me le rappelles un peu.

Jo faisait référence à Khal. Il n'arrivait simplement pas à se souvenir de son nom, voilà tout. Les noms n'étaient pas exactement le fort de Jo.