Call me later || Pv. Hlynn

Les jours passaient et se ressemblaient tous.
Tout autour, il entendait ses congénères mener leurs vies. Le matin, les éclaireurs dont il avait auparavant fait plus ou moins partie partaient à la chasse et revenaient le soir. Les Lanternes, elles, s'affairaient dans le Squat dans un joyeux brouhaha. Ces choses là, il n'avait jamais pu clairement les constater avant. Par ce que lui aussi avait été l'un de ces loups actifs qui ne savaient plus où donner de la tête tant il y avait de choses à faire. Mais ces choses, il ne pouvait plus les voir. Alors il restait là, allongé dans l'une des tanières les plus reculées afin de croiser le moins de monde possible et fuir leurs regards chargés de compassion. Ces choses là se sentaient.
Et de leurs bons sentiments, il n'en voulait pas.

Aendil avait toujours été un loup inutilement fier. Et maintenant que son orgueil s'était trouvé lacéré en même temps que son œil droit, il supportait difficilement les marques de sympathie de ces loups qui ne le connaissaient que peu. Sa propre espèce le dégoûtait et, si il avait pu, il se serait fait ermite. Sauf qu'au vu de son état, cela n'était guère possible et qu'il ne pouvait, de toutes manières, pas lâcher sa meute. Ni sa famille d'ailleurs. Aussi dur soit ce passage de sa vie, il se devait d'aller trouver d'aller la trouver. Ou sa compagne, du moins. Il avait récemment appris que celle ci avait été traînée au purgatoire quelques dizaines de minutes avant lui et qu'elle avait été défigurée. S'enquérir de son état était donc la moindre des choses. C'était ce que les loups aimants faisaient, après tout.

Il quitta sa tanière a pas lents et longea le couloir pour sortir du Squat. Hlynn devait probablement se trouver quelque part, avec les autres éclaireurs ou bien seule à essayer d'attraper les quelques lapins -un peu cons vu leur présence sur cette terre- qui vivaient là. Son intuition ne le trompa pas et il ne tarda pas à sentir l'odeur familière de la femelle bleutée.

▬ Bonjour ?

Elle semblait heureuse de le revoir.
Sa voix ainsi que le coup de langue déposé sur son museau provoquèrent chez lui un vague sentiment de culpabilité. Pourquoi fallait-il qu'il soit si blasé, si cynique dans ses pensées, alors qu'elle s'avérait être la compagne que beaucoup d'autres loups auraient souhaité avoir. A coup sûr, quelque chose ne tournait pas très rond dans sa tête. Enfin, ça ne datait pas d'aujourd'hui. Il s'en rendait juste compte maintenant que son monde se cassait doucement la gueule et qu'il n'était plus capable de juger les gens sur des critères purement physique et vivre selon sa loi du paraître. Peu-importait la façon dont ses congénères le voyaient désormais. Bien que ce ne soit pas une raison pour agir comme le plus gros connard du monde... après les Precursors.
En plus, tirer la gueule toute la journée ne lui rendrait pas ses yeux -hélas- alors autant faire preuve d'amabilité.

▬ Oh, ça peut aller. Je me fais doucement à ma nouvelle condition.

Bien sûr, il ne pouvait s'empêcher de regretter amèrement les années heureuses ou, hissé sur le dolmen, il avait pu contempler la vaste plaine en compagnie de Suète et d'Eandir, mais ces temps là étaient révolus et il se devait d'avancer. C'était soi ça, soi il se tuait de toutes manières. Et puisqu'il tenait à vivre pour une personne, il se l'était promis, ne lui restait plus qu'une solution.
Il devait tenir bon.

▬ Et toi ? Est-ce-que tu arrives à... oublier ?

Il faisait évidemment référence à la torture qu'elle avait subie après que les Precursors l'aient attrapée. Lui s'en remettait plus ou moins doucement. Ses nuits avaient beau être hantées par les images qui lui revenaient en tête, il ne restait néanmoins plus prostré à l'intérieur d'une tanière. Enfin, cela n'avait pas du arriver à Hlynn. Il l'avait toujours soupçonnée d'être d'un naturel bien plus détaché que lui.

« Oublier ? Hmpf on n’oublie jamais rien, on vit avec. C’est peut être là que nos visions divergent. »

Si il n'en montrait rien, Aendil ne fut pas moins atteint par ce jeu de mot et, pendant une seconde, il crut s'arracher au contact de la femelle sur son épaule. Elle ne pouvait pas plaisanter sur ces choses là. Pas alors qu'il était blessé, traumatisé et qu'il se remettait à peine de sa torture. Il avait beau avoir un sens poussé de l'autodérision, là, ça faisait beaucoup trop mal pour être drôle. Plus que son ego de mâle, c'était à quoi il croyait et son avenir qui avaient été réduits en poussière lorsque la patte du Precursor s'était enfoncée dans son orbite. Nénamoins, une scène pour si peu serait probablement mal venue et il n'avait pas besoin de plus de tumulte dans sa vie. Ainsi donc, il joua encore de ses talents de comédiens, ravala sa douleur et offrit un sourire discret à sa compagne.

« Au moins Kameo n’a pas encore eu à vivre ça… j’espère qu’elle ne foncera pas tête baissée dans le tas. »

Le fait qu'elle ne se soit pas mêlée au petit groupe de jeunes qui s'était aventuré dans les mines quelques jours plus tôt relevait du miracle. Après tout, leur fille n'était pas connue pour sa sagesse et son obéissance. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé d'en faire quelqu'un de raisonnable. A voir ce qui était a remettre en cause : la nature de Kaméo ou l'éducation qu'ils lui avaient donnée. Faute d'avoir élevé un autre enfant qu'elle, sauf Aeryn mais cette dernière profitait davantage des bons soins et des valeurs de Taormine que de son propre enseignement.
C'était peut-être ça, le problème. Il n'avait pas été assez présent pour sa fille. Trop occupé à vadrouiller et à s'abandonner à des sentiments qui lui semblaient tellement plus prenants que cette petite vie de famille parfaite.
La mascarade avait été trop loin et il lui semblait s'enfoncer chaque jour davantage sous l'image du mâle parfait qu'il montrait à ceux qui voulaient bien la voir. Il suffirait pour que ce masque de cire fonde pour que ses frères l'aperçoivent tel qu'il était vraiment : un lâche.

« Une petite promenade ça te tente ? Je serais ton guide … et puis je t’abandonnerais à ton sort dans la cambrousse. »

Aendil fit semblant de réfléchir.

▬ Je préfère rester ici. Les promenades n'ont plus rien d'agréable pour moi.

Et dire qu'avant il avait pu passer des heures à courir droit vers la ligne d'horizon, sans se retourner, pour attraper quelques lapins. Désormais, ses rares sorties relevaient du parcours du combattant et il ne cessait de se heurter contre les arbres et de se prendre les pattes dans leurs racines. Et ce, avec ou sans guide.

▬ On ne peut pas empêcher Kaméo de sortir. Elle est adulte maintenant et fera ce qu'elle voudra... C'est comme ça qu'on apprend, après tout.

Il haussa les épaules.

▬ Enfin bon, j'espère qu'elle sera assez intelligente pour ne pas se jeter dans la gueule du loup. Ces types sont forts.

Aendil se leva et commença à faire les cents pas. Il s'arrêta cependant après avoir manqué de trébucher sur un petit rocher.

▬ Le pire, dans cette histoire, c'est que je ne pourrais même plus leur refaire le portrait si ils font du mal à mes enfants.

Il omit volontairement de préciser que Ska s'en était tiré avec quelques côtes fêlées l'autre jour, par sa faute. Plus le voile était présent sur l'identité desdits gamins et mieux c'était.

Ça sentait mauvais.
Aendil resta totalement silencieux quelques secondes. Il savait que le courant ne passait pas spécialement bien -bel euphémisme pour ne pas dire pas du tout- et doutait fort que que la situation s'améliore si Hlynn apprenait la vérité. Dans le meilleur des cas, elle lui interdirait de passer du temps seul avec Suète et dans le pire... Ça allait péter. Bien que la question de la femelle ne lui demande pas de noms précis, il risquait fort de se trahir puisque la mère en question, il la voyait tous les jours puisqu'elle était sa meilleure amie. Sa tête s’enfonça entre ses épaules. Il aurait aimé disparaître.

▬ Effectivement, j'ai revu l'un des gamins très récemment. Quant à la mère... Je la revois souvent. Elle est du clan donc c'est dur de ne pas se croiser...

Il omit volontairement de préciser -ça faisait beaucoup de mensonges par omission depuis le début de ce topic- qu'il ne faisait pas que croiser Suète. Bien qu'il n'ai presque rien à se reprocher au niveau de sa conduite. Il ne manqua d'ailleurs pas de le faire remarquer à sa compagne.

▬ Cette portée, c'est de l'histoire ancienne. J'ai mes défauts, mais l'adultère n'en fait pas partie.

Si il avait pu, il aurait regardé Hlynn dans les yeux juste pour lui montrer toute sa bonne foi.
Malgré toutes ses erreurs, Aendil avait des principes et refusait de blesser Hlynn pour son plaisir personnel. D'ailleurs, il n'avait jamais rien tenté auprès de Suète, priant pour que le feu qui brûlait dans sa poitrine s'éteigne à force d'être oublié, et remerciant la louve de ne pas être plus affectueuse. Sauf lorsque lui prenait l'envie de plonger son museau dans la fourrure de son cou. Mais il préférait se persuader que ce geste était totalement innocent. Lui même devrait désormais être et prudent et ne jamais rien lui montrer de ce débordement sentimental. Ce serait risquer de briser cet équilibre qui, pour le moment, lui convenait plutôt bien. Pourtant, rien n'était simple et il ne pouvait s'empêcher de se sentir déchiré entre ses principes et ses sentiments. Entre la sécurité et la peur d'un amour qu'on ne lui rendrait jamais. Et puis, il y avait la gamine.

Et comme la conversation devenait pesante, il tenta de le prendre à la plaisanterie. Combien même ça ne le faisait pas rire. Il joua alors de ses talents pour offrir un sourire malicieux à sa compagne.

▬ Tu ne serais tout de même pas jalouse ?

Il pria silencieusement pour qu'elle suive le mouvement et ne pose pas plus de questions.

Elle fuyait.
Parfois, Aendil se demandait si sa compagne ne se lassait jamais de se voiler la face de cette façon. Soi disant pour préserver leur gamine. Gamine autour de laquelle tournait son existence désormais. Non, véritablement, il n'y avait plus rien. Plus rien qui puisse le faire sourire, plus rien qui ne puisse susciter son intérêt pour cette femelle, aussi belle soit elle. Lui même avait sombré dans la banalité d'une vie de famille morne et insipide. Lui aussi se sentit en colère et, sans même réfléchir, il lui emboîta le pas pour la pousser doucement dans un recoin de roche afin qu'ils ne soient pas entendus par la patrouille qui revenait.

▬ Je n'ai jamais dit que mes enfants n'avaient jamais compté. Je les aime plus que tout au monde. Malgré tout ce que j'ai pu faire. Tu n'as aucune idée du nombre de fois ou j'ai rêvé d'eux. Et tu ne sais pas que, même maintenant, alors qu'ils sont adultes et responsables, ils continuent d'occuper mes pensées.

Il admettait cependant pour lui même que sa précédente formulation laissait prêter à confusion. L'acte de reproduction -puisque je n'ai pas trouvé d'expression plus délicate-, lui seul, appartenait au passé. Pas les enfants qui en étaient nés et, hélas, pas la mère.

▬ Si tu as des questions, pose les. J'y répondrai. A une exception.

Il approcha son museau de l'oreille de sa compagne et y glissa quelques mots.

▬ Je ne te dirai jamais qui est leur mère. Je ne peux pas.

Si elle venait à l'apprendre, les conséquences seraient sûrement désastreuses. Et Suète ne devait pas payer par ce qu'il n'avait pas été foutu de tenir sa langue quelques années plus tôt. Hélas, il ne possédait pas comme pouvoir celui de retourner dans le passé et si, vraiment, elle devenait compromettante, il devrait l'éloigner. Ou pire, la mettre hors d'état de nuire. Il était prêt à tout pour préserver son secret, les gamins et Suète.

▬ J'en suis désolé.

Ah, les femmes, toujours à se jalouser entre elles. "Est-elle plus jolie que moi ? ' 'L'aimes tu plus que moi ? ' 'Mais qu'est ce qu'elle a de plus que moi ? " étaient probablement les phrases qui revenaient le plus souvent dans les conversations de couple dans ce genre de cas. Ce devait être normal, leur espèce, ou du moins celle qui vivait sur Punk Wolf, se montrait, dans la plupart des cas, assez possessive avec leurs conjoins ou ceux qu'ils aimaient. Peut-être aurait-il été jaloux, aussi, si sa compagne ou Suète avaient éprouvé de l'intérêt pour un mâle qui n'était pas lui. A la différence de Hlynn, il aurait cependant ravalé ses suspicions.
Et cassé la gueule du connard qui menaçait sa position.
C'était tellement plus simple de régler ces choses là par la violence. Celle des coups et celle des mots. C'était d'ailleurs à celle ci que sa compagne avait le droit ce matin. Par ce qu'on ne tapait pas les filles.

« Réfléchis bien à ta réponse, en attendant, je dois travailler, on en reparlera plus tard. »

Aendil maugréa mais la laissa passer. A quoi bon la forcer à discuter ? Il n'avait plus grand chose à lui dire de toute manière et était a peu près certain de manquer de tact et de gentillesse si cette conversation continuait de la sorte. Il avait essayé de changer de sujet pour garder une bonne relation avec Hlynn, pour cette gamine qu'elle affectionnait tant et à qui il ne portait que peu d'importance.
Il n'était peut-être pas fait pour la vie de famille, finalement et s'y était accroché par simple désir de ne pas se retrouver seul lorsqu'il s'était déchiré avec son amie carmin.

Clairement, il ferait mieux de la quitter. Il le savait, n'ayant jamais rien éprouvé d'autre pour elle qu'une forte complicité, quoique fade comparée à celle qui l'unissait à Suète et à son regretté frère. Hlynn avait été sa roue de secours dans les pires moments, l'oreille attentive. Il l'avait appréciée, évidemment, mais pas de là à pouvoir vivre heureux et parfaitement épanouis à ses côtés. L'arrivée de la môme n'avait rien arrangé : Il n'en avait pas voulu et ne l'avait offerte à sa compagne que par ce qu'il savait qu'elle désirait un enfant. Au début, il devait bien l'avouer, il s'était attendri devant cette petite boule de poils qui portait son sang. Puis elle avait grandi, était devenue chiante, hyperactive et avait perdu pas mal d'intérêt à ses yeux de père indigne.
Ouais, en fait, il aurait mieux faire de s'abstenir.

Il haussa les épaules.

▬ C'est ça. Travaille bien.

Il se désintéressa totalement d'elle pour retourner au Squat.