Le retour à la terre || Pv. Hlynn et Kaméo

Comme tous les matins, Aendil et Ska étaient partis chasser.
Le plus vieux des deux appréciait ces moments passés avec son fils. Quelques années plus tôt, il n'aurait jamais pensé qu'il serait possible de recréer les liens qu'il avait massacrés quelques heures après la naissance des gosses. D'ailleurs, ils n'étaient certainement pas ce qu'ils auraient dû être : ses meilleures actions ne suffiraient pas à combler l'année d'absence dont Ska avait eu à souffrir. Et dont Lucien souffrait encore. Aendil serra les crocs à cette pensée. Un jour, il devrait trouver le courage pour se rendre à la bibliothèque et parler à ce fils oublié. Ça ne se passerait peut-être pas aussi bien qu'avec Ska qui était un modèle d'insouciance et d'optimisme mais c'était tout aussi important : Lucien devait savoir d'ou il venait. Plus encore, il devait savoir qu'il était aimé. Malgré l'erreur grave que ses abrutis de géniteurs avaient pu commettre.

Mais pour le moment, il se trouvait encore à des lieux de la bibliothèque et comptait bien profiter de cette mâtiné passée avec Ska. Avant que ce dernier ne doive rentrer au Squat pour exercer son rôle de conseiller. C'était drôle de se dire que ce petit gars, qu'il avait presque vu naître, et qui sautillait de gauche à droite et ne cessait jamais de s'émerveiller devant tout ce qu'il voyait, portait sur ses épaules d'aussi lourdes responsabilités. Pour le moment, il semblait bien s'en tirer... à sa manière. D'après ce qu'il avait pu voir, les autres loups de la meute l'appréciaient -comment aurait-il pu en être autrement ? Son fils était la gentillesse incarnée. Son opposé à lui, qui tirait toujours la gueule.- et il s'entendait plutôt bien avec ses camarades conseillers.
Cependant, pour être sûr, mieux valait le lui demander.

▬ Alors, c'est pas trop dur d'être membre du conseil ? Tu t'en sors ?

Le gros loup blanc tourna la tête vers son géniteur et hésita quelques instants. Il avait réellement été touché par la confiance témoignée par ses parents mais doutait aussi parfois de sa légitimité au conseil. Par ce qu'il était Brethen depuis beaucoup moins de temps que d'autres de ses camarades -Illa et Khal compris-, encore très jeune et... qu'il savait bien qu'il n'était pas un modèle d'intelligence et de jugeote. Lui aimait se promener, le grand air et découvrir de nouvelles choses. Le pouvoir ne l'intéressait que très peu, de même que les responsabilités.
Il ne voulait pourtant pas décevoir ses parents.

▬ Ça va... C'est pas très compliqué et Illa et Khal m'aident. Ils sont gentils, je les aime bien.

Ska n'avait jamais su mentir. Il en eut d'ailleurs la confirmation lorsque son père fronça les sourcils.

▬ Ska, si tu as besoin d'un conseil ou... je ne sais pas quoi, si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là pour t'aider. D'accord ?

Ce n'était pas ça, le problème, mais Ska hocha la tête et reprit sa route.
Ils ne tardèrent pas à arriver devant le palais. Evidemment, ils ne trouveraient pas de gibier à l'intérieur mais ce n'était pas bien grave. Aendil appréciait l'endroit, probablement la plus belle terre de cette île. Terre qui leur appartenait.
Apparemment, ils n'étaient pas les premiers arrivés sur les lieux. Il reconnaissait deux silhouettes féminines qu'il rejoignit en trottinant, après avoir invité son fils à le suivre d'un signe de tête.

▬ Bien le bonjour mesdames.

Ska, lui, était mal à l'aise comme jamais. Cette louve bleue était la compagne de son père... et pas sa mère. Savait-elle qui il était vraiment ? Lui en tenait-elle rigueur ?

De belles journées arrivaient et les températures devenaient bien plus agréables. Mais ce jour ne serait certainement pas le plus simple pour les deux louves qui se baladaient dans le palais. Hlynn avait amené sa fille pour lui parler un peu, cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas fait. Bien que son ventre se tordait de douleur face à l’annonce qu’elle voulait lui faire.

Kameo, toujours aussi insouciante, passait un coup devant la louve gris bleu puis restait derrière selon les périodes de cette promenade. L’éclaireuse plus âgée observait sans rien dire comme si les mots ne pouvaient pas sortir, ce n’était peut être pas le bon moment. H’ prévoyait tout, toutes les réactions possibles même les plus inattendues, sans pour autant se résoudre à garder le silence. Un peu perdue dans ses songes, la voix nasillarde de la jeune femelle blanche perça l’air frais :

« Maman, maman regarde, on est arrivée. »

Un large sourire fendait la face encore un peu enfantine de Kam’ qui sautillait d’une patte sur l’autre pour montrer son enthousiasme.

« En effet, entrons ma chérie. »

Son ton neutre était tout ce qu’il y avait de plus normal mais la demoiselle se figea quelques seconde. Elle ne l’appelait généralement pas comme ça, s’en était presque bizarre. Enfin c’était sans compter sur son enthousiasme légendaire qui la fit passer à autre chose en un claquement de doigt.

Les deux silhouettes passèrent l’entrée pour se retrouver dans cette grande salle. L’immense statue de Cronos les observait, un regard vide et froid, il fallait s’y attendre venant d’une statue après tout. La louve observa attentivement les sculptures puis s’éclaircit la voix. Sa fille se tourna vers elle tant l’écho semblait significatif.

«Approche-toi Kam’, s’il te plait. »

L’inquiétude traversa le regard violet de la jeune louve puis elle obéit sans piper mot et s’assit face à son aînée. Elle tentait de ne pas regarder sa mère dans les yeux, glissant du mieux qu’elle put sur les cicatrices de son visage, ancien vestige de la terreur des precursor.

« Tu sais, cela fait de nombreuses années que je reste sans conviction ici, à faire que ce clan continue de vivre. Tu étais de loin la seule chose qui me retenait avec les Brethens… »

« Et papa ?! »

Rétorqua-t-elle un poil indignée tout en coupant la parole de la brune.

« Ne me coupe pas je te prie. »

Kameo tourna le museau tout en boudant, elle ne souhaitait pas réellement entendre la suite.

« Autant aller vite, vu ta mine, je sais que ça ne te plait déjà pas. Bref, je compte quitter la meute pendant quelques temps. Ceci n’engage que moi et je souhaite que tu restes avec ton père. »

« Mais pourquoi tu t’en vas ? » Fit-elle avec une voix de louveteau mécontent.

« Tu es grande ma fille, je ne serais pas là éternellement et il y a des choses que je ne peux t’expliquer sans qu’Aendil ne soit là. »

Hlynn soupira face à la complexité de la situation. Elle ne pouvait lui avouer de but en blanc qu’elle avait deux frères qui n’était pas de sa mère. Kameo quant à elle ronchonnait dans son coin puis lança dépitée :

« Et papa tu lui as dis ? »

Un geste négatif du museau servit de réponse mais alors qu’elle s’apprêtait à continuer, la voix d’Aendil perturba son discours. La louve tourna le museau pour voir le nouvel arrivant. Il tombait bien mais Lynn se ravisa lorsqu’elle vit Ska le suivre. Ce n’était peut être pas plus mal, comme ça tout serait fait d’un coup. Elle esquissa un léger sourire puis salua les mâles d’un mouvement de tête. Kameo boudait encore, la tête basse, elle ne fit pas attention aux deux canidés blancs mais bougonna quand même :

« Ouais ouais, salut. »

Le corps fin de la mère se tourna pour les accueillir.

Il y avait de l'eau dans le gaz.
Sa fille, d'ordinaire enthousiaste et sautillante, était bien grave et Aendil eut l'impression d'interrompre une conversation importante entre les deux louves. Il ne savait plus ou se mettre, devait-il trouver un prétexte pour s'éclipser ou bien rester là ? De toutes manières, certaines choses, cachées depuis bien des années, se devaient d'être dites. Des secrets qui avaient fait du mal à tout le monde. Le loup blanc se racla la gorge.

▬ J'ai quelque chose d'important à vous dire.

Son regard croisa celui de sa fille. Elle était celle qui aurait le plus à encaisser. Qu'allait-elle penser de lui, après tout ça ? Déjà qu'il n'avait pas été le père le plus exemplaire... Quand à Hlynn, elle avait beau connaître une bonne partie de l'histoire, il doutait que la pilule soit beaucoup plus facile à avaler.

▬ Kaméo... avant toute chose... Je veux que tu saches que je suis sincèrement désolé. J'ai pas été un bon père, je t'ai jamais offert tout l'amour que tu méritais... Je suis tellement désolé ma fille.

Il n'avait pas d'excuse.
Son début de vie avait été difficile et il ne s'était jamais vraiment remis de l'abandon de sa première portée. Et surtout pas au point de tout recommencer et refaire un môme pour se déculpabiliser. Ça avait été son erreur : il n'aurait jamais du enfanter dans ces conditions. Ce n'était sain ni pour lui, ni pour Hlynn et encore moins pour la gamine.
Elle allait tellement le détester lorsqu'elle saurait ce qu'il était vraiment. Et dire qu'il s'était évertué, durant des années, à faire le mec bien sous tous rapports, le parfait petit père de famille, conseiller de surcroît, pour que jamais personne ne vienne déterrer son secret. Et maintenant, il prenait lui même la bêche pour l'exhumer.
Ecoute, ma fille, comme ton père est un connard.

▬ Il y a quelques années, Suète et moi avons eu une portée.

Le premier pavé était jeté dans la mare. Il n'osa pas regarder Ska.

▬ Ils étaient deux petits mâles. Deux pauvres gosses qui n'avaient rien demandé à personne. Nous ne pouvions pas les assumer... Nous étions trop faibles pour ça. Et surtout trop cons. Nous l'avons amèrement regretté.

Il croisa le regard de sa compagne. Enfin elle savait qui était la mère de la première portée. A coup sûr, elle n'allait pas apprécier cette vérité. Ça avait toujours été tendu entre Suète et elle, d'après ce qu'il avait pu voir. A cause de lui, surtout. Sa voix trembla.

▬ J'ai...J'aurais tout donné pour les récupérer. Mais c'était pas possible... Vous n'imaginez pas le nombre de nuits blanches que j'ai passées à me torturer, à me demander ce que je devais faire. Ce que je pouvais faire pour remplir mon rôle de père sans blesser Suète et sans blesser les mômes. J'étais prêt à expier cette erreur pour tout le reste de ma vie... Je ne voulais plus d'enfants.

Il regarda sa fille.

▬ Mais tu es née quand même. Avec toi, j'espérais pouvoir rattraper mes erreurs... Quelle connerie, ma fille. Tu as toujours eu à subir le poids de mon échec. Je ne pouvais pas être un bon père pour toi pendant que tes deux demi-frères grandissaient sans moi.

▬ Je t'en veux plus.

C'était si dur d'entendre son père raconter tout ça. Ska avait des larmes plein les yeux et devait se faire violence pour ne pas éclaté en sanglots, submergé par le flot de ses émotions. Il aimait sincèrement ce père repentant. Ce père qui, tous les matins, venaient le chercher pour qu'ils puissent passer quelques heures ensemble. Ce père qui l'aimait, malgré toutes ses maladresses, il en était bien certain.
Ses parents n'étaient peut-être pas les meilleurs du monde, mais Ska les adorait.
Il regarda Hlynn dans les yeux.

▬ Je suis l'un des fils de Suète et d'Aendil. Pour ça, je comprendrais que tu me détestes. Je suis vraiment désolé de faire du mal à ta famille.

Si elle le voulait, il resterait loin d'elle et de sa fille, se contentant de la seule présence de son père. Car, malgré tous ses bons sentiments, il n'était pas généreux au point de renoncer à ce bonheur auquel il goûtait à peine. Celui d'avoir des parents, de vrais parents de sang qui l'aimaient et lui voulaient du bien.

Quand une journée est merdique, elle le reste. Voilà ce que ça voulait dire, ce ton, cette façon de placer des mots qui, tour à tour, brisaient les pans fragiles de son beau petit monde. Kameo écoutait ses parents mais savaient-ils réellement ce qu’elle pensait de tout ça ? Certes les choses n’avaient jamais été les plus jolies mais c’était bien suffisant non ? Alors pourquoi ces deux abrutis de parents avaient-ils fait des choix aussi merdiques ? Plus son père parlait, plus la haine et la colère montait. Lui et Suète ? Cette montagne de muscle ? Et abandonner ses propres enfants ? Devait-elle s’estimer heureuse de connaître ses parents alors ? La jeune louve grognait dès que le borgne reprenait la parole. Perdue entre la joie de savoir qu’elle n’était pas seule fille de sa famille et la rage que lui inspiraient ses parents.

Hlynn, quant à elle, se contenta d’écouter. Quelque part, cela la soulageait de ces poids inutiles qu’elle portait malgré elle. Même si l’aveu était douloureux à supporter, la dame resta de marbre, ne cherchant même pas à blâmer l’un ou l’autre et puis de toute façon elle se doutait de bien des choses. Le problème restait que sa fille encaissait tout d’un coup. Et même si sur le papier c’était une adulte, elle restait bien jeune pour supporter tant de choses. Pourquoi ne pas arrêter le mâle dans cet élan d’honnêteté ? Peut être qu’elle pensait qu’il valait mieux tout sortir pour que les choses soient claires. Un jour où l’autre, Kam’ comprendra se répétait-elle pour se rassurer. Ce qui lui fit plaisir, c’était que Ska tartine cette scène mélodramatique d’excuses insensées. Mais alors qu’elle s’apprêtait à lui répondre, sa fille grogna de plus belle, d’abord sur un ton grave :

« Alors c’est pour ça que tu te casses maman ? Tu me fais presque pitié… »

C’était blessant surtout venant de sa propre fille, la chair de sa chair, H’ resta pantoise. Puis cette voix d’ordinaire si joyeuse et niaise continua, le visage bien sombre :

« Vous vous êtes passés le mot pour briser ma vie ? En fait vous n’en avez rien à foutre de rien à part de vos petites personnes. Je vous hais tous les deux, bande de cons, tu parles de parents… »

Elle se releva puis ricana nerveusement sans pouvoir retenir ses larmes. Un sourire carnassier s’afficha bien visible face au regard écarquillé d’Hlynn. Puis elle continua de plus en plus fort, sans jamais crier avec cet air perdu et rageur :

« Vous pouvez bien partir, crever, refaire votre vie, allez donc vous faire foutre. Un beau petit duo de menteurs, de lâches, pas capable d’assumer sa propre vie, vous n’êtes rien. Vous n’êtes même plus mes parents. »

Pourtant la douleur traversait ce visage, des larmes déchirantes qui sillonnaient les poil de sa joue. Une flamme naquit à son tour, puis un océan, son glowstick envoyait une lueur puissante et bientôt les trois autres lupins voyaient le palais prendre feu. Mais elle ne laissa le temps à personne de réagir ni même de comprendre que c’était une illusion, Kameo déboula à toute vitesse dans ce vacarme assourdissant prenant le temps de tailler les épaules des deux géniteurs reniés. Puis elle disparut et ses flammes avec.

Les propos tenus par la petite femelle blanche résonnaient encore, c’était dur mais elle ne pouvait s’empêcher de la comprendre. Hlynn laissa une larme s’échapper malgré ce mur de glace qu’elle gardait pour se protéger.

« Mauvais timing… »

Elle regarda le jeune conseiller, presque ravie de savoir qui il était. D’une voix qui se voulait rassurante, elle dit calmement :

« Je suis ravie de faire ta connaissance Ska, bien que ce soit difficile de ne pas te connaître… Ne te sens pas coupable de tout ce qu’il s’est passé aujourd’hui et les années précédentes, je ne risque pas d’en vouloir à un innocent qui subit les choses plus que les autres. »

La louve se tourna vers Aendil, un petit sourire en coin puis continua amusée :

« Tu peux rajouter l’absence de communication à tes bourdes mon vieux. Et, espèce d’imbécile, laisse lui le temps de digérer les choses, ne va pas lui courir après. D’ailleurs je pense que le seul qui pourrait essayer ce serait Ska… »

La femelle tourna le museau, un brin inquiète sur ses prédictions, vers le grand mâle. Quelque part, il ne s’en sortait pas si mal pour un enfant abandonné. Puis elle reprit calmement :

« Ça tombe plutôt bien que vous soyez là tous les deux, je n’aurais pas à le répéter comme ça. Ce dont je parlais avec ma fille tout à l’heure, c’était de mon départ. Je compte laisser les Brethens pour un temps, me recentrer sur l’essentiel. »

Cependant, cette journée resterait bien pourrie sur le calendrier de leurs vies. Le picotement de son épaule commença à devenir gênant, et une grimace de douleur se forma sur le visage plein de cicatrices.

« Alors c’est pour ça que tu te casses maman ? Tu me fais presque pitié… »

Aendil ouvrit un œil rond.
Hlynn comptait visiblement partir et il l'apprenait de la bouche de leur fille. Leur couple était-il brisé au point qu'il n'y ai plus la moindre communication entre eux ?
Non. C'était autre chose. C'était de sa faute à lui. Les choses ne pouvaient pas se dérouler normalement lorsque l'on trainait le même mensonge pendant plusieurs années. Lorsque l'on s'accrochait désespérément à une vie de famille utopique tout en songeant à une autre, inaccessible. Il avait joué, longtemps, et avait perdu.
Tout perdu.

Il voyait désormais sa fille, sa pauvre petite fille qui n'avait pas fait d'autre erreur que celle de naître d'un couple déjà bancal, extérioriser toute sa souffrance.
Hlynn l'avait aimé et au lieu de se comporter comme un mâle honnête et de lui dire, tout de suite, que ses sentiments n'étaient pas réciproques et qu'il aimait désespérément une autre âme avec qui ça avait toujours été compliqué, il avait commencé à tissu le mensonge le plus laid qui soit. Sous prétexte de ne pas vouloir blesser la louve bleue en la repoussant.
Foutaises.

Tout ce qu'il craignait, c'était la solitude lorsque Suète ne se trouvait pas à ses côtés.
Sa fille avait raison, il n'était qu'un sale menteur, un lâche qui n'assumait rien. Un enfoiré de première entouré de personnes bien meilleurs que lui. Ce devait d'ailleurs être pour cette raison que les Dieux l'avaient puni en lui ôtant ses deux yeux. Sans doute avaient ils voulu le faire redescendre sur terre, lui faire comprendre qu'il n'était pas leur égal et que, de ce fait, il ne pouvait pas faire n'importe quoi. Que seul, il n'était rien d'autre que le pire déchet de ces terres. Tout juste bon à faire du mal à ceux qui l'aimaient.

A cause de lui, Hlynn abandonnait sa fille.
A cause de lui, Kameo était brisée.
A cause de lui, Ska demandait à sa compagne d'excuser son existence.

▬ Hlynn, je suis sincèrement désolé.

Il ne chercherait pas à se rattraper, les erreurs étaient faites et ancrées dans leurs vies. En agissant ainsi, il avait craché sur leur amitié passée.

▬ Tu devrais rester avec Kameo. Elle n'a que toi. Si quelqu'un doit partir, c'est bien moi.


**

Les mots de Hlynn le touchèrent. Il était heureux, si elle ne lui en voulait pas, si elle ne le détestait pas pour ce qu'il était.
C'était bien la seule chose positive.
La petite Kameo avait hurlé un tas d'horreurs avant de partir en courant. Ca avait été -a peu de choses près- sa propre réactions, dans le même lieu, ironie du sort, lorsqu'il avait eu connaissance du lien qui l'enchaînait à Aendil. Il savait donc à quel point c'était douloureux de se sentir trahi.
Et son père parlait de partir. Ce même père qui lui avait promis de ne plus jamais l'abandonner bafouait ce serment. Alors qu'il n'avait rien demandé à personne, Ska se retrouvait encore jeté sur le bas côté.
Par ce que ce mec ne pensait qu'à sa gueule, qu'à son honneur. Ou à ce qu'il en restait.

Ska bondit sur son géniteur et le plaqua au sol, les larmes aux yeux et la voix rauque.

▬ Je te l'interdit. Si tu me laisses je...

Il avala sa salive.

▬ Je serais super triste, comme quand j'étais orphelin.

Ska craignait la solitude. C'était d'ailleurs ce qui l'avait poussé à pardonner à ses parents sans trop se poser de questions. Il n'avait vu que deux issues : Chasser Suète de sa vie et demeurer seul et triste, à des lieues de cette mentor qui l'avait pris sous son aile ou tout lui pardonner et découvrir les joies de la vie de famille. Il avait évidemment opté pour la seconde option sans vraiment pouvoir en profiter puisque sa mère était partie. Ne lui restait que son père dans ce clan.

▬ S'il te plait... Me laisse pas tout seul, j'aime pas ça ;__;

Il se leva et regarda les deux adultes dans les yeux, tout à tour.

▬ Votre fille a besoin de vous deux. C'est à vous de lui courir après pour la consoler. Montrez lui que vous l'aimez, que vous vous souciez d'elle.

Son regard se fit accusateur.

▬ Vous n'avez pas le droit de l'abandonner.

Quand bien même il se confondait en excuse, Aendil ne comprenait jamais rien à rien. Mais Ska devança les actions et les paroles de l’éclaireuse. Il bondit, plaquant le mâle borgne sur le sol glacé. Interloquée, Hlynn observa et écouta attentivement ses paroles. C’était certain, le nouveau conseiller était un radical opposé de son paternel. Ce n’était pas plus mal. Le grand loup blanchâtre aux tatouages rouges restait tout de même écorché, un peu comme Kameo mais le comprenait-il lui-même.

La femelle, lasse de tous ces évènements, soupira un bon coup puis s’approcha des deux imbéciles, père et fils. Ses pattes avant quittèrent la surface lisse pour se poser sur les imposantes épaules du jeune puis elle exerça une forte pression pour le dégager du corps d’Aendil. Il paraissait bien malingre face à tout ce tas de muscle, ce qui lui fit penser à la dame rouge. Comment pouvait-on ne pas faire de rapprochement ? A moins d’être aveugle. Hlynn lança à l’encontre de loup à la colonne vertébrale hérissée de piques :

« Ce n’est pas en l’étouffant que tu ne seras plus seul jeune loup. »

Son regard pouvait paraître ferme mais dans le fond la brune éprouvait un sentiment presque maternel à son encontre. Bizarre, elle s’était cent fois imaginé cette rencontre et bien souvent, la colère prenait le dessus quand l’imagination faisait apparaître la mère de ces enfants inconnus. Enfin, elle observa son désormais ex-compagnon, qui somme toute, la prenait sûrement pour une conne puis cracha sans retenue :

« Tu sais Aendil, je ne suis pas idiote et quelque part j’ai toujours su que cette histoire nous enverrait droit dans le mur. Le seul à n’avoir jamais voulu en prendre conscience c’était toi. Combien de nuit j’ai pensé à ma bêtise d’éprouver des sentiments pour toi ? Peut être que j’avais pitié et que je voulais réparer les injustices, c’était certainement stupide mais j’ai réellement pensé tout ce que j’ai pu te dire. »

Sa voix s’éteignit dans un éclat de mélancolie et d’agacement puis elle posa son regard violacé sur l’autre interlocuteur puis enchaîna :

« Ne te méprends pas Ska, je n’ai jamais dis que j’abandonnerai ma fille. J’ai besoin de remettre mes compteurs à zéro, faire le ménage d’une vie que je n’ai pas su maîtriser… »

Ses paupières closes, ‘Lynn tentait de mettre un ordre précis à tout ce qu’elle voulait lui dire.

« Je ne quitte cette meute que temporairement, aussi, j’aimerais continuer de vous être utile à ma façon. Je te propose un marché, je pars vagabonder et je laisse traîner mes oreilles un peu partout puis je te rapporte tout les faits notoires de ce pays. En contrepartie, je souhaiterais que tu t’occupes de ta sœur le temps de mon absence. Même si tu ne t’en rends pas compte, je suis certaine que tu es le mieux placé pour la comprendre en ce moment. »

Pour une fois, elle se montrait un peu plus égoïste et pensait à sa vie. L’éternelle vie de hippie, ce n’était pas le modèle qui marcherait sur le long terme. La dame bleuté revint vers Aendil puis lui parla sèchement, une expression froide et teintée de colère :

« Quant à toi, respecte un peu ces enfants, ils ont besoin de toi. Ne t’avise pas de partir ni même d’y songer sinon je viendrais te faire payer. Et puis regarde l’état dans lequel se trouve ton fils, penses-tu sincèrement qu’il supporterait un abandon ? Après ces années seul ? »

Il sentit le poids du corps de Ska quitter ses épaules mais ne se sentit pas mieux pour autant.
Il avait bien conscience de tout le mal fait à ses enfants. Et même si l'imposant mâle blanc lui souriait la plupart du temps, il n'en gardait pas moins de cicatrices dues à son abandon. Aendil se releva, un peu penaud et écouta sa compagne. Evidemment, il n'avait pas pensé que cette histoire -elle parlait probablement de la portée- rendait la leur vouée à l'échec. D'ailleurs, il ne le pensait toujours ça : Ce n'était pas ça le problème. Sa conduite avait été irréprochable et, jamais, il n'avait envisagé de se mettre en couple avec une autre femelle qu'elle.

▬ A t'entendre, j'ai l'impression d'être un connard de première, un enfoiré qui courait vers une autre dès lors que tu avais le dos tourné.

Il soupira.

▬ J'ai réellement cru qu'on pourrait être heureux ensemble. Je t'aimais bien, Hlynn et je t'aime toujours bien, d'ailleurs. Mais pas comme il fallait. Ça m'a toujours frustré... et en même temps, ça me faisait plaisir de te voir heureuse. Et je m'accrochais à cette vie de famille par ce que ça m'empêchait de sombrer dans la solitude...

Son regard croisa celui de son ex-compagne.

▬ J'ai merdé. Je n'aurais pas du consentir à devenir ton compagnon... ni même avoir d'autres enfants après Ska et Lucien.

Il s'inclina.

▬ ... En fait, c'est ce que je suis, un enfoiré. J'ai été odieux avec toi. J'espère que tu pourras me le pardonner.

Pour ce qui était du reste, il assumerait ses erreurs. Même si ça n'avait pas été une bonne idée, il avait une fille qu'il se devait de protéger. Une fille qui devait le haïr à l'heure actuelle.
Il regarda son fils et décela une instance tristesse dans son regard. Aendil lui offrit un sourire désolé. Par ce qu'il l'était, pour avoir voulu, une fois de plus, n'en faire qu'à sa tête sans tenir compte de ce que les autres pouvaient ressentir.
Il était tellement blasé.

▬ Allez nounours, me regarde pas comme ça. Je ne vais pas partir.

Par ce que c'était son fils tout craché, ça, une grosse peluche d'ours toute douce et tendre. Un gamin qui n'avait jamais vraiment grandi. Ça aussi, ça devait-être de sa faute.
Il aurait bien rajouté "pas comme ta mère" mais s'abstint : Ce devait être de sa faute aussi, si Suète était partie. Tout était de sa faute, de toute manière.

▬ Ska, tu n'es pas obligé de prendre soin de ta demi-sœur. C'est mon rôle à moi.

L'intéressé hocha doucement la tête et la tourna vers Hlynn.

▬ Je persiste à croire que ton départ n'est pas une bonne chose pour ta fille... Mais je comprend aussi les raisons qui te poussent a ne pas vouloir rester ici pour le moment.

Aendil avait fait beaucoup de mal. Plus par bêtise que par une réelle volonté de nuire, mais du mal quand même. Ska n'était pas content de l'attitude de son paternel. Au lieu de se raccrocher au peu de famille qu'il lui restait, de courir après sa fille pour la consoler et lui montrer qu'il pouvait-être un bon papa.
Donc ce serait à lui de le faire et de tout mettre en oeuvre pour que tout se passe bien entre eux. Par ce qu'il n'y avait rien de plus déprimant que le drama.

▬ Tu n'as pas besoin d'aller jouer les espionnes. J'ai juste une seule requête... Si tu croises ma mère, n'envenime pas les choses. Ce n'est pas de sa faute.

Enfin, si, un peu quand même. Tout cela ne serait jamais arrivé si ses deux bras cassés de parents avaient assumé les sentiments qu'ils se portaient mutuellement et s'étaient mis ensemble au lieu de vouloir faire les guerriers sans cœur chacun de leur côté. Pour ça, il leur en voulait un peu.

▬ Je vais rejoindre Kameo. Soyez sages.

Le jeune mâle tourna les talons et s'éloigna en courant.

Aendil resterait toujours Aendil, Hlynn l’écouta sans le couper. Ses yeux se perdaient vers l’horizon qui se profilait entre les piliers comme si quelque chose l’attendait. Peut être qu’un jour, avec le temps, elle finirait par changer les choses. Mais cette possibilité était aussi floue que la ligne brisée par les reliefs lointains. Bien sûr, ses longues oreilles tressaillirent quand il admit que leur vie de famille n’était qu’un écran de fumé, bien que les choses restaient plus compliquées. La brethen s’assit puis détourna son attention sur son épaule légèrement écorchée, assénant quelques coups de langues pour que le sang cesse de sortir de la plaie. Allait-il assumer d’avantage ces fameux enfants en étant seul à s’en occuper ? C’était probable, H’ ne vendait pas la peau de l’ours et songeait à faire quelques allers-retours au squat pendant son exil.

Puis Ska reprit, un peu plus calme. Il avait raison mais l’eau devait couler sous les ponts avant que sa fille ne puisse comprendre son geste. Ce que la louve bleuté espérait, pourtant serait-elle apte à lui pardonner ? Le jeune blanc ne faisait que semer le doute dans l’esprit de l’éclaireuse. La louve se contenta de fermer les yeux pour réfléchir quelques secondes. Un univers parallèle factice qui l’aidait tant à reprendre les choses en main.

« Je ne peux rien te promettre Ska mais je ferais en sorte de ne pas détériorer les choses. »

Au moins il l’avait écouté et elle enchaîna alors que la silhouette musclée repartait :

« Merci. »

Puis vint le temps du tête à tête. Ce serait sûrement le plus dur, la dernière fois n’avait rien apporté de bon si ce n’est une prise de conscience de la femelle. Les deux perles d’améthystes froides retournèrent sur le borgne. Que rajouter de plus ? Le mâle attendait certainement des réponses mais ‘Lynn ne pouvait pas tout dire.

« Te pardonner ? Et pourquoi tu ne te pardonnes pas à toi-même ? Enfin j’exagère, j’ai des choses à me pardonner aussi et ce n’est pas le plus simple… »

Son museau retomba vers le sol, comme si la réponse y était écrite. Enfin le corps svelte se retrouva debout pour continuer sur un ton clair :

« Enfin laissons ces choses au passé, tâche seulement de ne pas les briser d’avantage. Surtout Ska… »

Ils avaient à peu près vécu la même situation pour les débuts et quand bien même son père adoptif étant quelqu’un d’insignifiant, il lui avait apporté des choses. Pour un loup qui n’a rien, ça a sa signification. Malheureusement pour le conseiller, le bagage émotionnel se révélait bien plus lourd.

« Je suis bien consciente que ça t’a coûté, et je n’ai jamais dis que tu étais un connard, juste un imbécile. Tu n’as pas grand-chose à te faire pardonner au final, enfin tu n’as pas besoin du mien… »

Ce ne serait certainement pas lui qui l’empêcherait de partir alors sans trop attendre, Hlynn fit comme le demi-frère de Kameo et se dirigea dehors, lançant par-dessus son épaule :

« Mais je maintiens, si tu leur fais plus de mal, tu entendras parler de moi. Sur ce, prends bien soin de toi. »

Sa quête commençait et la dame fit le premier pas.

Aendil se tendit.
Il n'avait, avant que Ska ne demande une faveur à Hlynn, pas vraiment envisagé une confrontation entre Suète et son ex-compagne. Evidemment, il allait sans dire que l'idée ne lui plaisait vraiment pas du tout. Il serra les crocs mais s'abstint de tout commentaire : La louve bleutée ne serait que plus blessée si il se mettait à défendre la rouge et il ne souhaitait pas lui infliger cela. D'ailleurs, il n'était même pas en mesure de lui présenter la moindre requête. Résigné, il écouta la suite de ses paroles d'une oreille attentive et sentit son cœur se serrer lorsqu'elle parla de choses à se pardonner. Pourquoi ? Les erreurs commises n'étaient pas les siennes : Elle avait été une bonne compagne et une bien meilleure mère encore. Comment pouvait-il la blâmer d'avoir voulu goûter au bonheur de fonder un foyer ?
Il soupira et posa son regard sur la louve qui commençait déjà à s'éloigner.

▬ Je ne suis pas un monstre. Ça ne m'amuse pas de faire souffrir les gens qui m'aiment. Faut croire que je ne suis vraiment pas doué. Maintenant, j'espère réussir à réparer ce que j'ai brisé. Du moins, en partie.

Il y avait des blessures qu'il ne pourrait jamais panser : Celles d'Hlynn.
Ses erreurs l'obligeaient à s'exiler pour un temps, celui qui lui était nécessaire pour se remettre de cette histoire chaotique, de ces mensonges qui lui avaient été servis. Même si cela impliquait de se séparer de sa fille, probablement ce qu'elle avait de plus précieux en ce monde. Finalement, peut-être qu'il n'avait pas eu tort de le lui offrir. Ce n'était qu'un petit sacrifice, l'histoire de quelques années passées à se fustiger, pour le bonheur d'une innocente.

▬ J'ai vraiment besoin de ton pardon... Pour pouvoir avancer. Je ne peux pas l'exiger aujourd'hui, après tout ce qu'il s'est passé. Peut-être que tu ne me pardonneras jamais, ce serait tout à fait normal.

Il hésita.

▬ J'espère vraiment que tu trouveras quelqu'un de bien.

Il s'inclina respectueusement devant Hlynn, mettant, le temps de ce geste, son ego de côté. Il n'y avait plus de fierté, d'ailleurs. Aujourd'hui, il avait pris conscience de ses erreurs, de la gravité de ses mensonges et du tord qu'ils avaient causé.
Et maintenant ? Il ne pouvait pas suivre la trace de Ska, il était probablement parti retrouver Kameo et Aendil était certain que le loup blanc saurait trouver les bons mots, ceux qui viennent du coeur, pour la consoler. Et que, même si c'était dur à admettre, pour le moment, il était le plus impuissant des loups.
Ne lui restait donc qu'à errer dans ce palais, en attendant que la tempête se calme un peu. Au fond, sous des couches de culpabilités, il se sentait étrangement libre. Finalement, ce n'était peut-être pas si mal d'être célibataire.