Reno - Under Pressure [Libre]

Ses yeux s’entrouvrirent à peine avant de se refermer la seconde suivante, la faible lumière du soir suffisant à les agresser. Le mâle soupira longuement, avant de se retourner dos à l’entrée de leur tanière. Il était seul, les autres passant leurs journées à faire des choses normales, plutôt que dormir. Mais lui aimait bien, il trouvait la nuit plus confortable, plus agréable, douce. Même si en hiver elle avait tendance à être particulièrement froide et insupportable, comparée au jour déjà relou, certes.

Alors Reno n’aimait pas l’hiver.

On lui avait souvent raconté qu’un hiver beaucoup trop long s’était déroulé à peine quelques années avant sa naissance, tandis que lui et Paprika étaient arrivés durant le redoux qui l’avait suivi. Et damn il était content de ne pas y être né. Déjà l’actuel lui semblait bien chiant (vu que les saisons s’étalaient sur plusieurs années, la neige ça barbait rapidement) mais si en plus ça devait en durer le triple…respect pour les parents. Même si là, actuellement, il ne respectait plus grand-chose.

Car Reno était énervé.

Il avait beau s’être tiré fièrement de leur épreuve avec Aka, la tête haute et la mine sans regrets, ça l’emmerdait quand même grave. C’était, globalement, son premier échec cuisant. Il était réellement pas parti dans l’optique de revenir sans, et vraiment, l’idée d’être privé de son jouet lumineux pour des raisons aussi stupides que celles du vieux con le gavait. Merde tout le monde avait un pouvoir, lui aussi il y avait droit ! Même si jamais il ne l’avouerait devant son public, il se devait de garder la face, toujours.
Mais n’empêche ça le stressait un peu. Il hésitait à en parler à ses parents, qui de toute façon lui diraient que c’était pas grave, c’était juste une babiole là pour faire crâner les fiers ou joujou avec –Aeon hrem hrem– et qu’eux l’aimaient quand même, ce genre de choses. Oui, il se sentait chanceux d’avoir des parents aussi cools, et de ne pas se faire bannir de la famille pour cette merde, il en aurait vraiment souffert sinon. Mais il n’empêchait que lui aussi, il voulait être fier et crâner avec, rha ! Paprika elle, semblait n’en avoir strictement rien à foutre, ayant transformé tout le respect qu’elle avait pour le dieu rouge en aversion acide. Ce qui, malgré tout, était assez drôle. Il fallait imaginer que pour encore un certain temps elle allait placer des remarques discrètes pourrissant Aka à la fin de chacune de ses phrases.
Enfin, il semblerait que ses plans aient été perturbés, et qu’il fallait qu’il se fasse une raison.

Du coup, Reno déprimait.

Grâce à un truc qu’avait annoncé Raw il y a un moment, ils n’étaient tous les deux pas passés Omégas, mais avaient pu rejoindre la faction de leur choix. Lui et Paprika avaient déjà décidé avant leur épreuve de devenir des Soldats, mais là, cumulée à l’hiver, toute sa motivation pour s’entraîner et tout s’était barrée. Il attendrait ptêt au moins le dégel, sans ce putain de verglas sur chaque saloperie de rocher du camp ça le motiverait peut-être à ne serait-ce que sortir…
En parlant de sortir, il avait faim. Merde. Le brun se ramassa sur lui-même, appuyant ses deux pattes avant sur son museau, comme pour l’enfouir dans la fourrure de son poitrail, le faire disparaître au chaud dedans. Il était bien, ici. Dehors il faisait trop froid.
Mais il avait faim. Il laissa son esprit mourir un peu, repoussant le moment fatidique en se vidant la tête, replongeant dans un semi-sommeil. Avant de se dire que s’il attendait le coucher définitif du soleil les autres reviendraient dans la tanière familiale, et il ne serait plus seul. Et dieux, il n’avait pas la moindre envie de voir qui que ce soit.
Non sans divers grognements et râles tous plus élégants les uns que les autres, le jeune Soldat finit par se relever, insultant respectivement le temps, la température, la saison, les dieux, et un caillou qui avait eu le malheur de s’enfoncer dans un de ses coussinets.

Son museau se fronça dès qu’il sortit à l’air libre et froid de l’en-dehors, et il grommela en se dirigeant vers le tas de gibier. Il chopa un truc au pif, qui s’avéra être un rongeur quelconque un peu maigrichon, et commença à grimper vers ses rochers aériens préférés pour observer tranquillement le camp sans se faire emmerder, avant de frissonner violemment en sentant la brise glaciale d’en-haut lui descendre sur la gueule.

« Mais, samer j’peux même plus bouffer où j’aime sérieux »

Il était, de toute évidence, un rageux pourri et égocentrique, mais jamais il n’en avait été douté de toute façon. Ce fut donc sur ces poétiques mots qu’il vint s’abriter dans un creux à l’abri du vent pas très loin du tas de gibier, et manger à un endroit normal, un repas normal – soit quelque chose d’assez sec, vu la saison – comme un membre normal de la meute.
Sauf que ça l'emmerdait, d'être normal ; il voulait pas être un énième loup banal dans ce clan, ouais, énième, parce qui se démarquait un peu des autres dans ce tas de clampins ? Raw, parce qu'il était Alpha, avec sa Tequeela, c'étaient les premiers qui venaient. Puis ptêt Caïn parce qu'il était quand même vachement chaud ce type. Bêta malgré un handicap, avec une petite copine Brethen pour en rajouter une couche, on doutait pas de sa paire de couilles.
Tous les autres étaient écrasés sous la pression du clan. C'était l'hiver, ils devaient continuer à se donner eux-même pour tous, pour les Alphas, malgré le froid etc.
Il voulait pas se faire emmener comme eux, mais il finissait par se demander s'il c'était possible. Ses parents y arrivaient, mais le mot Séide n'avait qu'un sens de tanière pour dormir et tas de bouffe pour eux, ils étaient plus vraiment Séides dans le fond. Mais lui voulait être Séide, faire partie de son clan, mais en gardant son intégrité et sa personnalité ; enfin, ça avait l'air pas très compatible, Aka lui avait fait expressément comprendre que les règles associées à lui et sa sœur, ça coinçait.
Mais il devait foutre quoi alors, pour vivre comme il voulait, quitter le clan ? Quitter sa famille ? Rejoindre les Brethens ? Nan ils étaient vraiment trop mous eux.
Il avait un peu peur de penser à tout ça.
Under pressure.

Dépiotant lentement son casse-croûte, la tête ailleurs, il ne remarqua pas trop son petit frère avant que celui-ci ne se ramasse dans une formidable galipette devant son nez. L'expression de son museau se radoucissant soudainement, il eut un rire bref avant que l'autre vienne lui faire coucou.
Il avait beau savoir pertinemment que c'était un monstre aussi terrible que les autres, quand il le regardait de ses petits yeux bleus la tête posée sur les pattes comme ça il le trouvait juste trop mignon.

« Diiiis, pourquoi t'es triste ? »

Reno ouvrit légèrement plus les yeux. Lui, triste ? Il n'était...mouais. Il devait vraiment tirer une tronche dégueulasse pour que Eeno lui-même vienne le lui faire remarquer. Le grand brun lui fila une pichenette du bout du museau sur l'oreille, avant de voir son père arriver vers eux. Ah, ce devait être l'heure de les coucher.
En soi, il voulait pas trop voir de monde, même plutôt finir son repas avant de se casser se changer les idées loin d'ici -au camp Brethen peut-être, histoire de les emmerder un peu, ça faisait longtemps. Mais, en même temps, voir sa famille devant lui comme ça l'apaisait un peu. C'était bizarre comme impression, de ne vouloir absolument pas voir certaines personnes mais se sentir mieux malgré une légère tension en les voyant finalement.
Il suivit l'échange monologueux de son père avec le petit frère, qui avait profité de sa présence pour l'escalader gracieusement et se planquer derrière lui.

« J'suis sûr il a rien remarqué, mini-frère » chuchota Reno au gamin avec un sourire en coin.

Il déchanta un peu en constatant que Zeno s'installait auprès de lui, et se laissa recoiffer sans rien dire.

« Tu t'es levé plus tôt que d'habitude »

Ouais, pour vous fuir. Il avait un peu honte. Ses parents étaient quand même les derniers à qui il pouvait en vouloir, mais il avait cette espèce de mal-être coincé qu'il n'arrivait pas à virer autrement qu'en crachant sur le monde. Enfin, ça l'excusait pas trop de vouloir s'éloigner d'eux, c'était stupide.

« Mh... »

Mais il se sentait plus trop à sa place où que ce soit. Fronçant les sourcils, il craqua et enfouit son museau dans l'encolure de son père. Son odeur rassurante l'embruma, et il se concentra sur sa respiration pour arrêter de réfléchir.
Ta gueule Reno putain.
Il resta comme ça un petit moment, puis repositionna sa tête pour juste la poser contre Brun-père, afin de pouvoir parler.

« J'dois faire quoi, maintenant ? »

Son père sembla réfléchir un petit moment, pendant que Eeno essayait de s'incruster comme il pouvait entre eux en mode boeuf haché dans un burrito.

« C'est ce qu'il s'est passé à ton épreuve qui te tracasse ? »

Bah, entre autres... En soi, c'était plus parce qu'il ne savait plus trop quel but global donner à sa vie. Est-ce que continuer de jouer tous les jours était encore assez satisfaisant ? Plus vraiment, de fait. Il était passé Soldat oui, mais en soi, c'était plus pour l'insigne badass sur le torse et les enseignements de combat que pour surveiller le camp sous les ordres de Raw. C'était moins son kiff disons. En fait ce n'était pas comme si ça lui donnait le but à long terme qu'on était censé lui filer en quittant le stade "adolescent" pour "jeune adulte", et ça le perturbait sûrement un peu trop.

« Ce n'est qu'un glowstick tu sais. J'ai laissé le mien sur place et ça ne m'a empêché de vivre. Ce n'est pas parce que les autres en ont et pas toi qu'ils sont meilleurs, bien au contraire ! Je suis sûre que tu es capable de faire de grandes choses, ne te laisses pas abattre. »

Il apprécia la léchouille du padre, mais il ne se sentait pas vraiment concerné par ses paroles. Ouais, ça l'emmerdait de pas avoir de glow, il aurait grave préféré en avoir un mais...de là à se sentir inférieur ? Pas trop, enfin au moins son père le concertait dans son idée : il avait beau avoir raté son épreuve, il valait mieux que tout le ramassis de mous du croupion qui composaient le clan.

« Et puis... si tu tiens tant que ça à ton épreuve, je suis sûre que si tu reviens vers les dieux avec quelques excuses et un cadeau, ils te pardonneront. Ils marchent à l'égo ceux là, si tu le gonfles bien, ça passe crème. »

Le gamin aux yeux bicolores les leva vers Zeno, une lueur d'intérêt au fond d'eux. Peut-être qu'effectivement il ne serait pas privé à vie, mais qu'en se repentant il pourrait retenter un jour ? Il rit intérieurement, se disant que ça allait être dur de faire efficacement semblant.
Reno se rendit compte que tout de même, il aimait son père. C'était bête comme sentiment, mais se dire qu'il était venu le voir en sentant qu'il allait moyen et avait pensé à quelques phrases rien que pour lui pour le réconforter lui réchauffait un peu le cœur.

« Ouais, j'vais tous les défoncer. »

En fait il n'était toujours pas trop sûr de ce qu'il allait faire, mais un câlin ça faisait toujours du bien, et ça venait de lui éclaircir un peu les idées. Pour le glow il fallait attendre que les dieux les oublient un peu, du coup il devait remettre ça à plus tard pour l'instant. Qu'est-ce qu'il lui restait à faire alors, actuellement ?
Il lui fallait Paprika pour voir ça, en fait. Ça ne servait à rien de planifier un truc tout seul, puisque toute activité en solo l’ennuierait. Elle devait bien s'occuper à quelque chose en ce moment, de toute façon, l'imaginer brouter innocemment des fleurs dans un coin étant proche de l'oxymore.

« Même que s'ils sont encore méchant avec toi, bah j'irais les taper d'abord :D ou alors je leur donnerais Ieno à manger »

Reno éclata de rire.

« Haha t'inquiète ! C'est moi le boss du coin, personne peut rien contre moi. Mais j'aime l'idée de leur donner Ieno en appât... »

Il chopa soudainement son père d'une patte et le gosse devant lui dans l'autre et les serra dans un câlin, embarqué dans une soudaine vague d'amour qu'il aurait jugée pathétique avec un peu de recul envers sa famille.

« Vous êtes cools »