Sans toi | Yurai

Ce matin-là, elle s'était réveillée tard. Ca ne lui ressemblait pas.

Elle avait peiné à s'endormir, à trouver sa place, et lorsqu'elle avait plongé dans les bras de Morphée, ce fut pour en ressortir quelques heures plus tard, en proie à l'une des plus terribles terreurs nocturnes qu'elle n'eut expérimenté au cours de sa vie. Affolée, les yeux grands ouverts dans l'obscurité, elle avait cherché un point de repère qui lui eût permit de reconnaître l'endroit où elle se trouvait. Ce n'est qu'en sortant du repère et en posant son regard sur le ciel nocturne piqueté d'étoiles blanches, où trônait une lune majestueuse, qu'elle parvînt à se calmer et à reprendre son souffle. Elle était retournée dans la caverne une fois que sa respiration eût reprit un rythme normal, et s'était rendormie assez rapidement.

Le soleil brillait haut dans le ciel lorsqu'elle ouvrit les paupières. Elle s'étira, profita de ce semblant de paix qui l'habitait pendant encore quelques minutes, et se leva. Ses pensées, comme d'ordinaire, étaient agitées. Elles ondulaient entre Raw et Tatsu, mais se focalisaient aussi beaucoup sur Yurai. Elle avait souhaité se rendre au temple pour contempler sa déesse, seule, loin de la cérémonie qui avait permit de la faire revenir. Cela faisait bien trop longtemps qu'elle n'avait plus faire corps avec elle, et cela lui manquait cruellement. Elle mit donc immédiatement le cap sur la Forêt Pluviale, le coeur un peu plus léger maintenant qu'elle avait un but précis et utile en tête.

Sur le chemin, elle prit un bain de rivière et chassa un écureuil au pelage long et épais qu'elle décida d'offrir à sa déesse au lieu de le manger. Son voyage fut des plus calmes, et aussi des plus agréables : pas un nuage ne venait troubler l'éclat du soleil qui, quoique faible, permettait de réchauffer son pelage. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait plus ressenti sa chaleur ! Ca lui faisait un bien inimaginable. Elle se mit à galoper, portée par une énergie toute neuve, et s'engouffra dans la Forêt Pluviale sans un bruit. Elle atteignit rapidement la caverne derrière la cascade, qui abritait le temple de la déesse pourpre, en passant le rideau et marqua un temps d'arrêt à l'intérieur.

Le temple semblait si frais et si neuf qu'elle ressentit un léger malaise. Ce n'était pas comme d'habitude, ce n'était pas le temple qu'elle avait toujours connu. Mais elle savait pertinemment que cela ne changerait rien. Yurai ne l'avait pas oubliée : elle avait fait appel à elle pour l'aider à revenir parmi les mortels. Et c'était un honneur incroyable. Valka avait des remerciements à fournir auprès de Yurai. Et, tout simplement, elle voulait la voir, lui parler, l'admirer. En sa qualité de Zélote, les dieux représentaient toute sa vie, mais la Corneille avait une place bien spéciale dans son coeur, et elle le savait pertinemment. La chamane s'approcha, déposé la proie au pied de la statue et s'inclina avec la plus profonde déférence. Elle rabattit ses oreilles contre son crâne, et plia les postérieurs pour se coucher face à l'édifice.

- Oh, Yurai ! psalmodia t-elle d'une voix aussi vibrante que douce. Permets-moi de te rendre un énième hommage. Laisse-moi prêter ma voix aux prières de tes disciples, et t'offrir ce modeste présent, en gage de ma gratitude. Merci d'avoir fait appel à moi. C'est un honneur indéfinissable, que je n'oublierais jamais. En me choisissant, tu as redonné des couleurs à mon existence. Je t'en serai à jamais reconnaissante.

Elle marqua une courte pause, déglutit, puis reprit à voix basse.

- Tu m'as manqué, Yurai. J'ai eu si peur de ne plus jamais te revoir ! J'ai senti mon corps s'affaiblir, mon esprit s'écraser, mais ma foi n'a jamais vacillé. C'est ce qui m'a permit de garder la tête haute, et de me battre crocs et griffes pour te ramener. Jamais je n'aurai pu le faire seule, cependant : j'ai été secondée par les âmes les plus nobles et les plus loyales que je n'ai jamais rencontré, et je sais que tu les reconnaîtras à leur juste valeur.

Elle ferma les yeux à demi, et prit une grande inspiration.

- Maintenant, Yurai ... Si je pouvais avoir l'audace de te demander une ultime faveur ... J'aimerai pouvoir t'admirer.

Elle ferma les yeux, posa le menton entre ses pattes antérieures, et attendit, le coeur gonflé d'amour et de passion.

[Valka se voit offrir un rajeunissement (lot Je veux rester jeune transmit in RP)]

La corneille ondoyait.
Errant dans cet état d'omniscience céleste, comme un corps stellaire sans substance à mille lieues de l'enveloppe charnelle de ses disciples. D'ici, de ce néant coloré et scintillant, de cette retraite où seules les divinités pouvaient aller, au delà des dimensions, Yurai contemplait le monde. La déesse gardait un œil bienveillant sur les êtres de l'île, octroyant une attention toute particulière aux loups qu'elle avait bénis par le pourpre. Elle restait présente pour eux, à leurs côtés, logeant une partie de son incandescence dans les petits tubes de verre qui lui certifiaient leur dévouement.

Elle entendit l'appel de Valka. Les visites dans son temple étaient rares, et son omniscience fut happée, quelques secondes de son éternité, par cette marque toute particulière d'attention. Pas qu'elle en attende autant de ceux qui la choisissaient, le fait qu'ils évoluent continuellement dans la voie de la sagesse la comblaient parfaitement. Mais cette proie, cette offrande sans arrière pensée et cette foi sans limite dont lui faisait don la touchaient. Elle ne pouvait se montrer insensible à cette louve qui avait participé au rituel qui lui avait permis de survivre. Si elle était profondément reconnaissante à ce peuple qui s'était uni autour d'elle, ceux qui parmi ses disciples s'étaient donnés pour lui permettre d'exister encore conservaient une place particulière en elle.

Devant Valka se matérialisa cet être intangible et irréel, illuminant de ses rayons pourpres la caverne de la Forêt Pluviale. La dernière fois qu'elle s'était incarnée ici, elle remuait faiblement sous les regards soulagés des dieux et des loups, unis pour la première fois dans le but de la sauver, elle, la septième divinité, elle qui avait été l'illégitime, la déesse qui n'aurait dû exister. Désormais, elle avait sa place entre les divins, et dans le cœur des loups. Grâce à ceux qui avaient assisté et surtout participé au rituel. En cela, Valka méritait cette petite entorse, cette confirmation qu'elle pouvait encore avoir foi en elle, la Corneille.

— Je te remercie pour ce présent, Valka. Tu mérites amplement de me voir ainsi, au sommet de ma puissance. Car tu en fus une des architectes et en cela, je te dois un petit quelque chose.

Une aura sembla, un court instant, émaner du glowstick pourpre de la disciple. Quand elle eu disparu, la zélote semblait plus jeune.

— A bientôt, zélote.

Puis elle s'évapora. En apparence, seulement, car elle n'était jamais bien loin de ses disciples.

Peu de loups comprenaient la foi qui animait Valka.

C'était de ces choses que l'on ne pouvait pas vraiment assimiler, tant que l'on ne l'a pas vécu. Pour Valka, honorer les dieux et y consacrer chaque minute de sa vie, c'était son devoir, son travail. Les longues heures à arpenter l'île pour se rendre aux sept temples en une journée, c'était son rythme de vie, et c'était aussi probablement pour cela qu'elle vieillissait très vite. Se rendre d'un endroit à l'autre, peu importe le temps, chasser des offrandes, se nourrir très peu entre chaque aller-retour, et ne pas se reposer du tout, prier, entrer en contact avec les dieux, et les esprits ... Oui, au final, rien d'étonnant à ce que la louve soit aussi grisonnante à la moitié de sa vie, aussi amaigrie et aussi épuisée. Les derniers événements, Raw, Tatsu, les Precursors, n'avaient pas aidé non plus. Toutefois, elle ne s'en plaignait pas. La vie aurait été bien triste sans tout cela, et au fond, elle savait qu'elle sortait de chaque épreuve un peu plus forte qu'elle ne l'était avant.

Pour autant, cela ne l'empêchait pas de vivre dans la crainte. Elle se préoccupait peu de son sort, Raw déciderait ce qui lui plairait, et elle obéirait. Elle s'inquiétait surtout pour sa fille. Elle avait peur que ses erreurs ne laissent une trace indélébile sur la vie de la jeune louve. Et ça, elle ne pourrait jamais se le pardonner.

C'était alors que ces sombres pensées l'envahissaient à nouveau que Yurai apparut, balayant toutes les énergies négatives qui tentaient de s'emparer de Valka. Magnifique, pleine de vie, au sommet de sa puissance, la Corneille se tenait là, juste devant elle. C'était loin d'être la première fois, et sûrement pas la dernière, mais la Zélote était à chaque fois transportée, se sentait à chaque fois bénie, et chanceuse au-delà des mots. La déesse ne se manifesta pas longtemps, et parla peu, mais ses dires emplirent Valka d'autant de surprise que de plaisir.

Se manifester représentait déjà beaucoup pour elle. Mais Yurai parlait d'un présent supplémentaire. Les yeux de la louve se fermèrent contre sa volonté, et elle sentit une énergie surpuissante, fraîche, indescriptible, tourbillonner en elle et la soulever dans les airs. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Yurai n'était plus là. Elle ne comprit pas tout de suite, et demeura un long moment silencieuse, le regard rivé là où la divinité se tenait quelques instants plus tôt. Lentement, à pas feutrés, elle s'approcha de la fontaine et y plongea le regard. Son reflet lui apparût de façon très nette, et elle en eut le souffle coupé. Ses yeux étaient moins vides, ses cernes moins profondes, ses cheveux moins gris. Elle prit une grande inspiration en reculant, le coeur battant. Yurai venait de lui offrir un souffle de vie : elle venait de rajeunir d'au moins un an !

Un très large sourire fendit la gueule de la Zélote, qui se jeta aux pieds de la statue en essayant de contenir la joie bouleversante qui l'habitait. Sa déesse était trop clémente envers elle. La revoir, c'était déjà là le plus beau don de la vie. L'avoir de nouveau, à l'abri de son temple, parmi tous les éléments de Punk Wolf, elle n'en demandait pas plus. Et pourtant. Pourtant, Yurai avait trouvé un autre moyen de la combler de bonheur.

Elle se redressa et posa sur la statue un regard empli d'amour et de fierté. Puis, après quelques instants, elle tourna les talons et sortit du temple, traversant la cascade sans frémir.

Sa déesse était la perfection incarnée, et elle était fière d'être sa disciple.