Il est temps de grandir. ○ Anthem ♥

Le regard ambré de la jeune femelle sondait l'eau argenté. Les rayons de la lune accentuait ce côté mystique de l'Etang que Nout affectionnait tant. Elle se souvenait y avoir joué des heures durant, dans des explosions éclatantes et des gerbes d'eau pareil a du métal liquide sous les puissantes caresses du soleil. La femelle aux atribbuts reptiliens adorait l'eau, et tout ce qui s'en rapprochait. Nager la détendait, lui vidait la tête et apaisait ses souffrances autant physiques que morales. Hésitant à peine, la louve sombre se laissa glisser dans l'étendu miroitante. Un bain lui ferait le plus grand bien. Elle venait tout juste de rentrer de la mission confiée par Paprika. En bonne élève soldate, elle s'était empressé de courir retrouver le mâle Alpha pour le ramener. Les Séides ayant besoin de lui. Mais ces longues semaines d'absences lui avait été pesantes. Ne pas voir ses parents, ses frères et soeurs et ses amis l'avait rendue morose. Lorsqu'enfin elle avait mis la patte sur Leemoncello, son sentiment de solitude lui avait laissé un peu de mou, son étreinte s'était desserée et elle s'était sentit plus légère. Malgré l'urgence et l'angoisse, elle s'était senti un peu mieux. Enfin rentrée, elle se permettait une petite pause pour se reposer avant de ré-attaquer et de se rendre utile. Aussi, comme elle ne comptait pas rester inactive trop longtemps, elle avait fait parvenir à son père et sa mère l'info de son retour tout en disant qu'elle serait à l'Etang jusqu'au levé du soleil. Cela lui laissait une nuit pour se reposer, détendre ses muscles endoloris d'avoir trop couru, et manger un bout. Lappant quelques gorgées d'eau fraîche pour apaiser sa gorge encore brûlante de cette course effranée, et apaiser les tensions, elle ferma les yeux et imagina, quelques secondes, que ce n'était qu'un mauvais rêve et que tout irait mieux dès que l'astre diurne réapparaîtrait au dessus des montagnes...
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle ne vit rien de plus et rien de moins qu'avant. Deux canards barbottants de l'autre côté de l'étangs, la brise qui chantait dans les roseaux, les grenouilles qui coassaient en coeur et son propre myocarde qui battait la chamade. Elle inspira et plongea ses prunelles d'or dans la contemplation de la voûte célèste. Son estomac gargouilla. Elle ronchonna discrètement et se mit à avancer très lentement dans l'eau, en évitant un maximum de clapotis, pour tenter de débusquer un amphibien, son met favori.

C'était étrange, cette bulle de silence et de calme au milieu de la frénésie et de l'angoisse qui régnaient au Creux aux Loups.

Le regard vairon de l'anthracite contemplait sans mot dire la surface irisée de l'étang, au milieu de laquelle se mirait la lune, ronde et blanche par delà le firmament. Il avait eu vent du retour de Nout de l'expédition pour laquelle elle était partie depuis quelques temps déjà. Tout s'était passé si vite ici qu'il n'avait pas eu le temps de percevoir son absence comme si longue. Tous ces évènements concernant la mousse, les plantes gigantesques, et maintenant la maladie. Et puis il y avait Plume aussi qui était de plus en plus mal et pour laquelle il ne savait que faire. De vieux fantômes revenaient à lui parfois lorsqu'il la voyait. Il y avait Romance aussi, dont les enfants avaient grandi et qui avaient tout récemment reçu leur glowstick et leur rang. Tant de choses se déroulaient autour de lui, si vite, si vite...

Il s'était donc rendu après la longue journée qui venait de s'écouler au lieu où elle avait dit qu'elle serait. Il ne pensait pas que Plume viendrait. Pas avec la pleine lune si proche, pas dans l'état de fatigue qui la tenait depuis quelques temps déjà. Elle était encore jeune pourtant, comparée à lui, et il lui souhaitait de belles années lorsqu'il serait parti. Non pas qu'il s'agissait d'un plaisir de penser à cela, mais il avait suffisamment de détachement pour savoir que cela ne tarderait plus. Il était incapable de savoir si ce serai encore une question d'années ou de lunes. Mais il ne tarderait pas à s'effacer de ce monde là. Il ne savait trop s'il aurait souhaité rencontrer la louve plus jeune. Le pan de son histoire qu'il gardait au fond de lui, celui durant lequel Etheria avait marché à ses côté, lui avait laissé des blessures béantes et de profondes cicarices, mais il avait aussi quelques précieux souvenirs de bonheur. Et puis il y avait Romance. Il baissa un instant les yeux - personne ne l'avait remarqué, entre deux vallonnements au dessus de l'étendue aquatique - à cette pensée. Il demeurait des choses que sa Compréhension ne parvenait entièrement à comprendre. Il avait compris avec l'âge que jamais la vie ne lui livrerait tous ses secrets, même si son pouvoir y aspirait. Il avait peut-être finalement atteint ce qui s'appelait la sagesse. Une certaine forme en tout cas.

Il finit par reposer le regard sur Nout. Il avait réalisé le dernier souhait de sa soeur et l'avait élevée comme sa propre fille Morokei, tout comme ses frères et Améthyste. Ils formaient une famille soudé,e aux antipodes de ce qu'il avait vécu lors de sa première "histoire". Les sentiers sinueux de la vie réservaient bien des surprises. Il dressa les oreilles en voyant la jeune louve entrer doucement dans l'eau. Elle lui rappelait sa soeur, dans son allure, dans sa façon de parler, dans certaines mimiques qui réveillaient en lui des souvenirs à la fois heureux et douloureux, puisque Maât n'était plus là. Il se mit en marche vers l'étang. Il espérait qu'elle ne soit pas trop déçue que Plume ne vienne pas. Mais elles se verraient au camp. La louve caramel avait toujours désiré protéger ses enfants ainsi que ceux qu'ils avaient adoptés et, comme Morokei et Améthyste, il avait été formellement interdit aux autres tout d'abord de sortir à la pleine lune, et ensuite de s'approcher d'elle en ces mauvaises nuits. Mais cela ne l'avait pas empêché de les élever et de les éduquer avec cette douceur qui lui était si caractéristique.

L'anthracite s'arrêta près du bord, silencieux. Il devinait Nout en chasse et ne désirait pas l'interrompre ou la perturber.
Il attendit donc, silhouette sombre sur le bord de l'eau, qu'elle s'aperçoive par elle-même de sa présence.

A mesure qu'elle approchait des roseaux et du bord de la rive, les exclamations des grenouilles se firent moins nombreuses, et plus faibles. Comme si une rumeur parcourait la communauté des petits animaux de la grande mare, comme un chochotement que l'on se mururerait d'une oreille à l'autre d'une voix toujours plus basse, l'étang finit par se taire. Mais Nout était suffisemment discrète, juste assez délicate et retenue pour s'approcher tout en se ramassant sur elle-même. Bougeant si doucement, et avec tant de maîtrise du milieu aquatique, que nul ondée ne vint pertubrer la surface lisse et brillante de l'eau à peine remuée. L'hybride louve-crocodile était à présent allongée sur le ventre. Seul le haut de son poitrail, ses épaules et sa tête dépassait encore. Encore un infîme pas. Et elle se retrouva là, truffe à truffe avec sa proie devenue muette. Un long regard s'échangea entre le prédateur et son futur repas. Nout sentait la peur transpirait de la grenouille. Cette dernière ne se savait pas perdue. Ses orbites roulèrent de droite et de gauche, cherchant un point de chute salvateur, puis elle croassa, paniquée. C'était le moment. L'instant précis où tout bascultait. La bout de la queue reptilienne de la Séide vint fouiller dans une touffe de roseau, juste sous la surface de l'eau. Le bruissement signala le danger imminent au batracien qui se détendit tel un ressort en imaginant échapper à son inévitable. Une fraction de seconde et ce fût sa fin. La gueule pleine de crocs se referma sur le petit animal vert encore suspendu dans les airs dans un claquement vif et sec. Si seulement la proie avait su que Nout était déjà trop prêt, si seulement elle avait su que la Soldate connaissait son terrain de chasse par coeur. Si seulement...

C'est avec une satisfaction presque enfantine que Nout s'éloigna de la berge d'un petit bond tout en gerbes de gouttelettes opalines. Le crépitement de l'eau qui retombe et brise la surface parfaite et nacré de l'étang était comme une douce musique aux tympans de Nout. Mais quelque chose dérangea la jeune femelle grise et elle fronça les sourcils et le museau. En arrêt, les oreilles aux aguets et ses prunelles d'or fouillant la pénombre, elle chercha ce qui gardait la population du bassin en haleine. Une petite patte molle pendait nonchalemment de la gueule de la Soldate alors qu'enfin, ses pupilles s'accrochaient à une ombre. Un autre loup inquiètait les volatiles d'eau douce et les amphibiens. Un autre loup venait perturber son territoire de chasse. Son lieu de repos et de détente. Les oreilles de Nout se couchèrent contre son crâne, disparaissant sous la touffe sauvage de cheveux immaculés qui lui couvraient le crâne. Les pupilles de la louve-gavial s'étrécirent et enfin, elle se détendit dans un large sourire d'où s'échappa une deuxième patte de batracien. La lune donnait des reflets presques mystiques à l'incroyable chevelure paternel. C'était grâce à cela qu'elle l'avait reconnu, et surtout, grâce à cela qu'elle le voyait car dans l'obscurité le pelage anthracite d'Anthem était le meilleur des camouflages. Calmant ses ardeurs, elle avança vers lui plus tranquilement mais non moins heureuse et soulagée. Le père de Nout avait cet effet sur elle de l'apaiser en tout temps. Sûrement parce qu'il incarnait la sécurité, la quiétude, l'imperturbabilité. Anthem était un roc. Du moins, il était celui de la jeune louve grise. Dans son sillage, la tignasse de neige de la Séide s'étirait comme des griffes avides en ondoyant. Puis elle atteignit la terre ferme.

Nout s'ébroua vigoureusement dans une nuée d'étincelles argentées puis resserra les crocs autour de sa prise, sans toutefois atténuer son large sourire. Enfin, elle vint frotter sa tête contre la large et forte épaule paternel dans un salut affectueusement sobre.

Les sens acérés de la jeune louve finirent sans doute par lui faire détecter sa présence, aussi immobile et silencieux soit-il, car elle émergea soudain de l'eau de son côté de la berge. Une myriade de gouttelettes luisirent sous l'éclat de la lune lorsqu'elle ébroua son épaisse crinière avant de le rejoindre d'un pas certain. Il frôla la joue de Nout de son museau lorsqu'elle le salua en silence, d'un simple contact. La lumière de son regard se réchauffa légèrement et ses pupilles fendues cherchèrent le regard de sa fille. Même adoptive, il avait si longtemps prétendu qu'elle était la sienne que cette fausse vérité avait doucement caché la réalité. Il lui portait la même affection qu'à ses véritables enfants - en cet instant où elle semblait tant lui ressembler, peut-être même d'avantage encore. Il ne pouvait pas le savoir, mais l'image qu'ils reflétaient à cet instant, deux silhouettes sous la lune, faisaient écho à deux autres loups qui s'étaient de la même manière tenue sur les berges d'un semblable lac. Ils étaient comme un souvenir soudain revenu pour les plus grandes volontés de ce monde. Anthem ferma les yeux un instant, puis son regard se posa sur la proie que tenait sa fille entre les crocs.

"Belle prise." Murmura-t-il.

Elle avait été rapide, efficace, du travail propre. Lui n'était pas un Chasseur né. C'était Maât qui était la plus rapide, la plus agile, et qui l'avait toujours été. Des images de la louve crocodile dansaient en filigrane de ses pensées, ce soir-là plus que jamais. Il n'était pas du genre nostalgique, pas avec tout ce qu'il avait vécu. Il ne regrettait pas les temps passés car ces derniers ne lui avaient pas apporté de bonheur. Il avait vécu sa vie seul, avait endossé la responsabilité de son orgueil de jeunesse sans que personne ne lui vienne en aide - ou bien sans qu'il n'accepte l'aide de personne. Il n'était pas certain. Et aujourd'hui, il était bien âgé et contemplait toujours sans mot dire ce qu'il avait malgré tout réussi à construire avec les ruines semées sur son chemin. Il n'avait pas fait que de mauvaises choses, tout compte fait. Il avait bine rempli les derniers pans de la grande fresque de sa vie. Il eut un soupir silencieux. Il se sentait rarement la nécessité de dire quelque-chose, de parler, d'engager une conversation.

Il s'y était contraint lorsqu'il se trouvait avec ses enfants durant toute leur prime jeunesse, pour qu'aucun ne devienne comme lui sans doute. Il ne voulait pas que ce qui lui restait de sa soeur ne prenne le même chemin que lui. Il avait fait de son mieux pour être un meilleur père que le loup qu'il était. Mais e cet instant, il avait l'étonnante et sereine certitude que Nout ne lui en voudrait pas de son silence. Sans doute car il la savait bien meilleure que lui à lancer des conversation, peut-être aussi car son salut silencieux lui était apparu comme une marque de... compréhension. Comme si la louve avait saisi une petite part de son univers de silence, et s'y était fondue plutôt que de le briser à grands coups de mots.

Pour l'hybride il n'y avait rien de plus agréable que de ressentir l'estime, la fierté ou l'approbation de l'un de ses parents. La voix peu audible d'Anthem était un ronronnement à ses tympans. Nout remercia le mâle anthracite d'un sourire fugace. Entre eux, un regard suffisait de conversation. Lorsque les pupilles fendues noyées de miel de la jeune femelle rencontraient la glace et l'or des yeux du Soldat aguerri qu'était Anthem, il n'y avait plus besoin de mot. Clairement, et en dépit de ses efforts, le paternel avait échoué à rendre sa fille loquace et socialement épanouie. Néammoins, le naufrage de cet apprentissage n'était pas total : la jeune louve était déjà visuellement plus expressive que lui ! Tranquillement, elle s'installa dans l'herbe à côté de son père, tourna une ou deux fois pour applatir les hautes tiges de roseaux et enfin s'allonger sur le ventre. Ensuite, elle lança sa proie en l'air pour sectionner le batracien en deux morceaux d'un claquement sec et puissant des mâchoires. Elle ne fit qu'une bouchée de la première partie et poussa le seconde vers Anthem du bout de la truffe. Elle se demanda vaguement s'il aimait ça, au moins, la grenouille ? Mais le ciel étoilé attira son attention comme un aimant attire sa paire. Nout se prenait à rêver que tout allait bien et que l'ambiance tendue et effrenée du campement de la meute des Séides ne soit que la cause d'un concours de chasse ou au pire d'une famille d'ours ayant élue domicile trop prêt de leurs tanières dans la Jeune Cordillère.

La sérénité de l'étang innondait la jeune louve. Le rideau diaphane que la lune posait sur le monde cette nuit là appuyait la sensation d'être hors du temps, hors du monde. Comme si on avait mis la vie sur pause, l'espace de quelques heures. Peu à peu, les habitants de la mare argenté recommencèrent à papoter tandis que les canards reprenaient leur lent ballet silencieux. Nout baissa le museau vers son père, observa les cheveux ondulés, neigeux, qui tombaient en cascade sur ses larges épaules. Cette même tignasse qu'elle arborait fièrement. Bon, un peu moins a l'aise que son père avec cette masse capillaire capricieuse, Nout demandait souvent de l'aide à Plume Blanche pour les natter, histoire de les discipliner un peu. Elle adorait tellement ces moments mère-fille calme et complice. Autant qu'elle aimait les heures muettes partagées avec Anthem. Elle se rendit compte à quel point sa famille lui avait manqué. Morokei, Deucalion, Améthyste, Amon ainsi que leurs caractères bien marqués à tous lui avait tant manqué ! Même Romance et Ether, pourtant bien moins proches. Un petit sourire en coin étira les babines de la jeune hybride alors que ses prunelles d'or liquide remontèrent rencontrer les astres. Le bout poilu de sa longue queue crocodilienne trempait nonchalemment dans l'eau, ajoutant des petits clapotis réguliers à la rumeur de l'étang nacré.

Un lueur chaleureuse réchauffa le regard de l'anthracite lorsqu'il croisa celui de sa fille. La lune donnait à leurs regards un air presque commun, leurs pupilles fendues s'arrondissant dans la semi-obscurité. Elle ne lui répondit rien, mais il n'avait besoin d'aucune parole pour saisir ce qu'elle voulait lui dire. Cette situation était bien rare. Même avec Plume, il se sentait le besoin de parler puisque la louve caramel donnait aux paroles une grande importance. Il se savait obligé de se faire comprendre avec des mots, avec des phrases avec des sonorités et des sens qui la rassureraient. Il ne blâmait personne pour cela - après tout, la normalité semblait le vouloir - mais il en avait de ce fait presque perdu cette connivence qu'il ressentait parfois avec ses congénères, sans que rien ne soit dit. Jusqu'à ce qu'il découvre qu'il existait encore quelqu'un sur cette terre avec qui ce lien existait, alors que grandissaient ses enfants et ceux de Maât. Son regard suivit le mouvement de Nout lorsqu'elle tourna sur elle-même avant de s'allonger sur le sol. Lorsqu'elle lui tendit un morceau de sa proie, il la remercia d'un regard bref avant d'attraper entre ses crocs le morceau de grenouille. Il n'y avait jamais goûté encore. Même s'il appréciait grandement la baignade, il ne lui était jamais venu l'envie encore de faire du terrain aquatique un terrain de chasse. Il en aimait le silence, la tranquillité, cette espèce de fraîcheur qui était la seule à lui être agréable. Les êtres s'y mouvaient avec une aise qui était inconnue aux créatures terrestres, le temps semblait n'avoir aucune emprise sur tout ce qui se trouvait sous la surface irisée de l'eau. Le goût de la grenouille était original, mais pas mauvais. Il était presque étonnant qu'à son âge, il fasse encore de nouvelles découvertes de ce genre. On aurait pu croire qu'il avait peu à peu tout appris, son pouvoir aidant, sur ce qu'un loup pouvait faire dans cet univers. Si seulement la réalité avait été aussi simple.

Son regard se perdit dans le reflet du ciel que renvoyait l'immensité devant eux. Le miroir de l'eau semblait créer une autre dimension, un autre ciel qui les appelait par-delà sa surface à peine troublée. Il inspira en silence. L'air était encore pur ici - mais pour combien de temps encore ? -. Seul l'odeur froide de l'eau, qui se mêlait à celle de Nout et aux senteurs végétales légères qui montaient des hautes herbes, faisait frémir son museau. Pris d'un élan soudain, il s'avança lentement vers l'eau. Il eut comme une hésitation, et la soudaine constatation qu'il n'avait pas depuis longtemps profité en toute simplicité de cette empathie qu'il avait avec l'onde lui sauta au visage. Il cilla et posa une patte juste à la frontière de la berge et du grand étang. Il y eut un moment de suspend, quelques secondes, quelques battements de coeur qui furent une pause dans le temps. Puis il s'avança sans plus hésiter. Sa silhouette sombre fendit les flots alors qu'il marchait, l'eau grimpant autour de ses pattes, puis jusqu'à son ventre. Il prit une inspiration lente et profonde, avant de se laisser glisser dans l'eau, vers le centre du lac. Sa tête disparut sous la surface pour entrer dans cette dimension où l'on flottait plus que l'on tombait. D'un coup de patte assuré, il se propulsa vers le fond. Ses longues mèches blanches se déroulèrent derrière lui en une auréole de neige, que la lune teintait d'argent.

Il y avait presque une sorte de vertige à flotter ainsi au-dessus des endroits les plus profonds. A voler sans difficulté au-dessus des hautes plantes et des sombres fonds au reliefs inégaux. Il resta un moment ainsi à contempler l'immensité silencieuse qui s'étendait sous ses pattes aux battements réguliers. Puis sa condition de mammifère se rappela à lui et ses poumons commencèrent à manquer d'air. A regrets,il revint vers la surface. Son museau la crevait dans une gerbe de gouttelettes, et il demeura ainsi, la tête seule émergeant de l'eau. Son regard chercha la silhouette de Nout.