Lumière • Roy

Une petite boule de poil pâle, rongée par la curiosité avait quitté le giron des pattes anthracite du père convalescent. Il s'était endormi en maugréant après avoir bu la décoction du soigneur blanc. Heever avait été fascinée par les effets des plantes médicinales. Son père lui avait dit que la connaissance était un bon moyen de régner sur ses pairs comme elle était censée le faire plus tard -après tout elle était fille d'Alpha et descendante d'une très noble lignée d'après Leemoncello-, aussi la louvette claire avait décidée de tout savoir des potions magiques que donnait Roy au meneur des Séides était un premier but tout à fait honorable ! Après avoir reniflé à grandes goulées d'air le récipient qui avait servis à préparer le liquide du guérisseur, l'enfant était partie en quête des odeurs recueillis dans sa petite truffe. Devinez les ingrédients étaient un petit jeu qu'elle avait commencé quelques jours plus tôt. Mais voulant éviter d'être contrôlée et évaluée sur ce qu'elle apprenait d'elle-même, la frêle petite femelle avait prit le partie de garder pour elle son appétit de connaissance et ses sujets d'études. Non pas qu'elle avait honte de ne pas pouvoir répondre aux demandes paternels, mais Leemoncello montait la barre très haut pour elle, souvent trop. Il oubliait qu'elle n'était qu'une louvette qui ne demandait qu'à jouer, écouter des histoires, et avaler tout ce qu'on lui disait. Heever n'avait pas conscience de ça, évidemment, mais inconsciemment, elle se protégeait de cette trop forte stimulation par le silence et la solitude : dès qu'elle pouvait, elle faussait compagnie à la silhouette sombre et ronronne pour explorer les alentours et fureter autour des Savants, le plus souvent. C'est le museau bien haut, les narines dilatées pour capter un maximum d'effluves, que la jeune fille de Leemoncello cherchait à repérer les odeurs voulues en cheminant entre les diverses grottes du creux aux loups.

Les jours étaient froids, l'hiver féroce et les souvenirs d'Everbloom encore bien présents, et pourtant une ambiance plus sereine et joyeuse que d'ordinaire semblait régner sur le campement Séide. De nouvelles petites têtes avaient fait leur apparition un peu dans toutes les tanières, émerveillant les visages avec leur allure pataude et pelucheuse, et rajoutant une charge de travail supplémentaire aux Savants déjà bien occupés. Il y avait eu la nouvelle venue Heever, ramenée par Leemoncello, puis la portée de Sekmet et Both, celle de ses propres parents et les petits de Sonic et Eeno. Une portée que le Savant blanc désapprouvait profondément, ne serait-ce que pour avoir dû participer à la terrible opération qu'avaient subi les deux nouveaux nés, qui suintaient la consanguinité dont ils étaient le fruit. Dans une autre situation - quelques mois plus tôt, c'est à dire - Roy aurait sans doute été profondément perturbé par cette naissance. Ou plutôt par le fait que tous les loups aient trouvé cela normal de tolérer une telle inceste au sein du clan. Même si Everbloom était passé par là, c'était une sorte de règle sacrée de la nature qui venait d'être enfreint,e en plus de ce qu'il aurait considéré comme étant une règle de la meute, au même titre que le meurtre ou le cannibalisme. Mais à l'heure actuelle, il se contentait de contempler froidement la situation dans laquelle ils se trouvaient, sans aucune ressenti, sans aucune émotion. De toute façon les parents regretteraient cela sans doute bien assez tôt, puisqu'en plus d'être atteint par la consanguinité, les deux petits étaient les fils d'un loup touché par Everbloom et en subiraient les conséquences bien assez tôt. Une vie pitoyable se promettait sans doute à eux, de son point de vue. Décidément, cette famille ne semblait rien apporter de bon.

Le mâle blanc venait de porter son remède à Leemoncello et de revenir à sa tanière. L'état du grand loup était stable, mais pas des plus rassurants non plus. Il avait gardé des séquelles de sa promenade jusqu'à l'Île Fantôme - tant qu'à faire de braver l'interdiction de sortie, pourquoi le faire à moitié - et sa guérison complète était de moins en moins certaine. Roy se refusait à donner un verdict pour le moment - déjà car il n'était pas assez sûr de lui, les miracles existaient - mais il voyait se profiler un sombre avenir pour l'Alpha du clan. Il avait ramené de sa promenade de non santé une petite louve qu'il avait présenté comme son héritière, et que Roy voyait d'un oeil mitigé. Si on lui avait demandé son avis et s'il avait jugé bon de le donner, pour lui les deux Alphas ne survivraient pas jusqu'à ce que la petite jeunette soit en âge de gouverner - et il espérait qu'ils ne se retrouveraient pas avec un meneur de tout juste un an.

Alors qu'il ressortait de sa tanière, ses pattes encore humides de leur récent nettoyage, il croisa le chemin d'Heever, qui semblait en quête de quelque-chose. Elle se promenait le museau en l'air et humant l'entrée des tanières, dans une posture assez étrange - mais lorsque l'on est enfant, ces choses là ont bien peu d'importance. Alors qu'elle s'avançait vers lui, concentrée et visiblement sans apercevoir qu'il se trouvait sur sa route, il s'écarta d'un pas.

"Tu cherches quelque-chose, Heever ?" Lança-t-il.

Alors que la gamine pâle passait devant l'entrée d'une petite grotte, sa truffe repéra quelque chose : par là-bas il y avait ce qu'elle cherchait ! Avant même qu'elle n'esquisse un pivotement pour modifier sa trajectoire, une voix familière et imposante surprit la louvette, qui se figea en levant un regard innocent vers le Savant qui s'occupait de son père, tout les jours et sans relâche. Avec expérience et dévouement. Heever avait beaucoup de respect pour le loup blanc, qu'elle côtoyait presque autant que son propre père. En fait, elle l'estimait même plus; parce que même si elle appréciait énormément ses parents, ces deux-là étaient réduits à un état déplorable et pesant pour la meute. Et Leemoncello essayait de lui inculquer l'importance d'être fort et vaillant. Les prunelles bleu glacé de la loupiote s'ancrèrent dans celle du soigneur tandis qu'elle plissait les sourcils, jaugeant s'il était digne de confiance. Papa et Maman disait toujours de ne jamais dévoiler complètement ses intentions au premier venu. Même si Roy n'était pas vraiment un inconnu qui sortait de nul part. Et puis... Il était Savant. Il avait donc de grandes compétences qui intriguaient énormément l'enfant. De méfiante, Heever passa à intéressée. Un large sourire fendit le petit museau clair. Leçon n°1 de charisme : se montrer agréable et souriante pour obtenir ce que l'on veut.

« J'essaye de trouver ce que tu donnes à Papa. »

La petite femelle s'assit sur ses postérieures, histoire de ne pas poser son derche sur le sol poussiéreux.

« On sait jamais, si tu voulais l'empoisonner ! »

L'enfant rentra légèrement la tête dans les épaules et jeta un coup d'oeil suspicieux autour d'eux, et acheva sur le ton de la confidence, soufflant vers Roy :

« Ce serait tellement facile, pas vrai ? »

Les iris givrées d'Heever scintillèrent avant qu'elle ne se redresse d'un bond, comme prête à en découdre, comme tout louveteau soudain prit dans un jeu d'aventure fantastique.

« Mais je suis là pour veiller au grain ! »

Elle serait la petite mais puissante guerrière qui protégerait la meute, parce que c'était son devoir, en tant qu'héritière. L'idée de devenir un jour la meneuse de tout ce bon monde l'emplissait d'une joie certaine. Elle était comme tout les enfants qui ont tout dès la naissance : ils prennent tout pour acquis et sont souvent capricieux. Heever n'échappait pas à la règle, d'autant plus qu'elle était couvée par son père et que sa mère en faisait une tête brûlée. Un savant mélange donnant naissance à une petite aristocrate en quête de savoir et de domination couplée à une boule de poil un peu teigneuse et bien trop téméraire. Merci les parents.

La petite sembla effectivement surprise de le trouver ici, mais son étonnement ne dura pas puisqu'elle se fendit d'un grand sourire avant de lui répondre avec franchise. Il se demanda brièvement s'il y avait un réel intérêt derrière cette phrase innocente, ou s'il ne s'agissait que d'un jeu d'enfant. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait Heever déambuler dans le camp - et d'ailleurs elle ne semblait pas exactement savoir quoi faire de ses pattes. Il fallait avouer que sa formation par Leemoncello, en ce qui concernait l'aspect entraînement physique, devait frôler le zéro absolu, et imposer à une enfant une éducation uniquement basée sur des dires n'était sans doute pas quelque-chose de parfaitement efficace. Elle s'assit devant lui, dans un geste qui trahissait l'envie de le piéger ici pour ce qui s'engageait comme une conversation. C'était amusant, cette attitude qu'avaient ses congénères lorsqu'ils voulaient, consciemment ou non, montrer qu'ils souhaitaient rester discuter un peu. Roy se permettait rarement de le faire, à part lorsque ses interlocuteurs étaient déjà en position assise ou allongée. Il imposait rarement la discussion.

Les paroles qui suivirent l'intriguèrent d'avantage, et il laissa la blanche poursuivre. C'en était presque déroutant, cette manière qu'elle avait d'évoquer quelque-chose de cet acabit avec le ton d'une semi-plaisanterie. En vérité, cela lui jeta à la figure un aspect de son rôle qu'il n'avait jamais vraiment considéré. Il avait toujours considéré que le rôle des Savants était de protéger la vie de ses semblables, mais il était vrai que c'était plus simple que cela : ils avaient une sorte de contrôle sur cette vie, puisqu'ils connaissaient suffisamment les plantes pour décider de sauver ou de retirer la vie. Cette affirmation, pourtant extrêmement évidente, demeurait légèrement troublante lorsqu'elle était si clairement présentée - et de surcroît par quelqu'un d'aussi jeune et qui prenait le sujet à la plaisanterie. Son regard demeura impassible, mais cette idée avait fait surgir d'autres réflexions qui ne manqueraient sans doute pas de venir se rappeler à son bon souvenir lorsqu'il serait moins occupé.

"Je vois." Répondit-il "J'en déduis que tu es déjà capable d'identifier les ingrédients que j'utilise, si tu mènes cette enquête seule et sans poser de questions."

Cette phrase n'avait pas de but provocateur, mais appelait clairement un petit retour à la réalité - qui pouvait peut-être apparaître comme un peu cruelle au vu de sa jeunesse, mais il ne jugeait pas qu'Heever était une toute petite louvette non plus. Elle allait certainement sur ses six mois au vu de sa taille, et ce n'étaient certainement pas ses parents qui réussissaient à la responsabiliser en l'éduquant depuis leur paillasse.

Il était évident qu'elle n'en était pas capable, Roy n'avait aucun doute sur le sujet. Ce n'était pas par condescendance ou surestime de ses propres connaissances, mais il avait passé son enfance et une partie de son adolescence à apprendre les ficelles du métier auprès de Romance, puis était venu Everbloom, qui l'avait forcé à une efficacité et à une imagination terrible. Il avait consacré sa vie à son rôle de Savant, et était conscient que sans formation, il fallait bien plus que quelques mois pour comprendre les nuances de chacun des remèdes, connaître les noms et les propriétés de chaque plantes, connaître celles qu'il fallait éviter de confondre, éviter de donner, toutes ces subtilités qui pour lui étaient devenues des évidences.

Il était extrêmement agaçant que les adultes, comme Roy à l'instant, ai cette fâcheuse manie de renvoyer d'un revers de patte nonchalant toute exaltation purement enfantine. Si la louvette avait espérer pouvoir arracher une esquisse de sourire au Savant blanc, elle comprit bien vite que c'était perdu d'avance pour aujourd'hui. L'idée d'ailleurs, qu'elle n'avait pas cette capacité la glaça quelques secondes. Papa ne lui souriait jamais, même lorsqu'il la félicitait. Et encore, il s'agissait toujours d'une demie satisfaction, puisqu'elle n'évoluait pas assez vite à son goût. Maman ne souriait jamais vraiment rien pour elle non plus. Et Heever avait trop le droit de côtoyer les louveteaux de son âge, même si elle parvenait parfois à fausser compagnie à ses parents. N'y avait-il donc personne pour apporter un peu de soleil dans sa vie trop plate ?! Instinctivement et complètement inconsciemment, une petite moue se dessina sur le petit museau pâle. Bien sûr, son égo déjà bien grand pour une si petite boule de poil hurlait qu'évidemment elle était capable ! D'où il se permettait de douter de ses connaissances ?! Mais la fin de la phrase, qui sonnait comme une espèce de réprimande sous couvert, fit tilter la fille des Alphas. Il lui reprochait bien de chercher dans son coin, toute seule, sans aide. Dooonc...

« Tu répondrais ? »

Heever était un peu sceptique, dans la mesure où on ne lui répondait que très rarement lorsqu'elle se posait des questions, et que généralement on lui demandait de simplement écouter et imprimer pour pouvoir recracher tel quel ce qu'elle venait d'entendre... C'est là que naquit un nouvel espoir dans ce petit coeur à la curiosité insatiable. C'est là que la louvette claire cru trouver quelqu'un qui accepterait de l'aider à apprendre d'autres choses, qui l’intéressait davantage que les leçons apprises dans la pénombre d'une tanière où suintait la maladie et la faiblesse d'un guerrier en train de s'éteindre. Enfin, Heever ne le pensait pas exactement de cette manière, mais elle sentait, quelque part, que Leemoncello ne serait pas toujours présent auprès d'elle. Ce qui l'attristait beaucoup d'ailleurs, mais comme personne ne lui avait rien dit à ce sujet et que tous agissait comme si tout allait bien, a part Roy qui restait toujours soucieux et silencieux, l'enfant avait prit le partie de faire, elle aussi, comme si tout allait bien. C'était presque plus facile d'ailleurs, puisqu'elle ne comprenait pas exactement ce qu'il se passait. Les oreilles surdimensionnées par rapport à la petite tête de bébé qu'Heever possédait encore se dressèrent vers le soigneur au pelage de neige. Ses prunelles glacées le fixait, scintillantes d'une curiosité vorace. Serait-il le loup qui l'entraînerait vers le monde extérieur et lui apprendrait des choses bien plus palpitantes que Leemoncello qui lui rabâchait les oreilles de choses qu'elle avait déjà acquise et d'autres trop peu passionnantes pour qu'elle ne les retienne aussi aisément ? S'il te plait, monsieur Roy le Savant. Vous imaginez le sourire immense de Simba et Nala qui demandent à un truc à leur mère ? Bien. Vous avez donc le minois d'Heever qui attend avec trop d'impatience la réponse du grand blanc !

S'il te plaiiiiiiiiiiiiiiiit !

Une myriade d'émotions successives se dessina sur le museau de la petite louve à sa remarque, mais il nota que cette dernière semblait avoir l'effet escompté : la faire réfléchir quelques secondes. Après ce bref instant où son visage afficha une moue presque réprobatrice, elle lui posa une question qui lui sembla déjà bien plus pertinente que ses précédentes remarques. Mais avant qu'il n'ait eu le temps de formuler une réponse, la petite lui adressa un sourire immense qui indiquait clairement que si possible, fournir une réponse positive serait vraiment très sympathique de sa part. Ladite réponse était évidemment oui - Roy vivait presque uniquement pour son métier, et encore plus depuis Everbloom, aussi ne voyait-il pas d'inconvénient à répondre aux interrogations des jeunes loups à ce sujet. Ils n'étaient pas vraiment en position de refuser toute aide supplémentaire de toute façon, même si sur ce point le pire était passé. Sur d'autres, cela restait encore à déterminer.

Il jaugea en silence la petite silhouette souriante qui se trouvait devant lui - l'aspect souriant n'ayant aucune incidence sur sa réflexion. Il pourrait être réellement intéressant que la désignée héritière des Séides soit formée à l'art des Savants - après tout, c'était une fonction aussi honorable que le rôle de guerrière auquel pensait sans doute la réserver son paternel. Paternel adoptif ou non, les rumeurs couraient encore à ce sujet - cela permettrait aussi sans doute de lui donner une activité un peu plus cadrée à laquelle occuper ses journées de jeune loup. Même si elle n'était qu'une enfant et que le statut d'adulte permettait encore de lui imposer une certaine autorité, il doutait fort que cela ne demeure valable si sa jeunesse continuait à emprunter le chemin qu'elle avait pris.

"Bien-sûr." Répondit-il simplement avec un temps de silence qui ne trahissait en rien l'état avancé dans lequel se trouvaient ses réflexions à son sujet.

La brève pensée qu'elle pourrait une sorte... d'apprentie lui avait traversé l'esprit, mais il doutait fort que ce soit une bonne idée à moins qu'elle ne le veuille absolument. Il savait qu'il n'était pas dans la meilleure période de sa vie - en être conscient était déjà une chose qu'il considérait comme une sorte de point positif - et il n'avait aucune idée de ses compétences en tant que pédagogue ou éducateur de substitution. C'était vrai, il se permettait de juger l'éducation que fournissait Leemoncello à sa fille alors que lui-même ne pouvait prétendre à la moindre expérience en la matière. Une lueur froide passa dans son regard, presque imperceptible. Il avait parfois l'impression de toucher enfin du doigt l'être qu'il devenait, mais à chaque fois quelque-chose d'autre apparaissait, pour le ramener vers la surface ou le pousser encore plus vers le fond des eaux noires dans lesquelles il sombrait.

"A quoi occupe-tu tes journées maintenant que tu es plus grande, Heever ?" Demanda-t-il après quelques seconde,s sans que son ton n'aie vraiment changé.

Evidemment, Roy exprimait autant d'émotion qu'une statue. Cela vexa légèrement Heever que le grand mâle blanc ne prenne même pas la peine de ressentir un brin de compassion pour le sourire le plus enjôleur qu'elle possédait dans sa panoplie d'enfant presque gâtée. Le mine de la petite gris cendre se referma tandis qu'elle plissait ses prunelles de glace sur le soigneur de son père. Les secondes s'égrenaient où l'enfant comprenait que le mâle la détaillait. Si être ainsi étudiée la froissa plus encore, elle ne le montra pas. Que cherchait-il à voir en elle ? Voulait-il lui aussi trouver en elle quelque chose de suffisamment intéressant pour estimer s'il avait le besoin de lui répondre ou non ? Attendait-il aussi d'être déçu par ce qu'il verrait dans ses grands yeux clairs ? Foutu adulte. Tout les adultes étaient-ils comme Leemoncello ? Impatiente et scandalisée, le poil légèrement gonflé maintenant, Heever allait tourner les coussinets lorsque finalement le loup de neige répondit le plus sobrement du monde. AH. QUAND MÊME. MERCI. Donc il l'avait jugée digne d'entendre la voix de sa Majesté le Savant ?! Sympa. Bouffon sans coeur.

La voix de Roy brisa le mutisme d'Heever, surprise qu'il lui pose une question, comme si, peut-être, il avait un minimum d’intérêt pour elle. Jamais son père ne demandait ce qu'elle faisait en dehors des leçons qu'il lui inculquait à coup de répétitions barbantes ou des rares excursions avec sa mère pour apprendre les bases de la chasse ou du combat. Même si rien dans l'attitude du grand loup n'ai changé d'un mili-poil, l'enfant à l'humeur très malléable décida de repousser un peu sa frustration pour se concentrer sur ce sentiment très agréable qu'est celui de sentir un peu d'attention de la part de quelqu'un. Ayant perdu son majestueux sourire de princesse pour un museau froncé mimant la réflexion, Heever hésita à parler franchement. Parce que si son père venait à apprendre par la bouche de son soigneur ce qu'elle avait sur le coeur, alors la petite lueur de doute et de consternation qu'il avait lorsqu'il posait ses yeux vides de pupilles sur son frêle petit corps de louveteau deviendrait quelque chose d'effrayant et de dévorant. Heever avait peur que son père regrette de passer un peu de temps avec elle, même si elle s'ennuyait souvent à ses côtés. Après tout, hormis ses parents et Noroi qu'elle avait rencontré une après-midi d'escapade tout à fait illicite, elle n'avait personne.

En dehors de ces trois personnes assez proches, elle côtoyait évidemment beaucoup le Savant disciple de Mido puisqu'il soignait ses parents, et Nout, qui était l'ombre de Leemoncello. Elle se sentait très seule sinon.

« J'aime sentir les plantes et apprendre à quoi elle servent. Comme ça je peux dire ce que tu utilise et pourquoi, pour soigner Père. Comme ça quand tu sera mort, je serais là pour te remplacer. »

Ah la naïveté et l'innocence des yeux... La tête de la gamine rentra entre ses épaules et elle ajoute, d'une voix presque chuchoté et la culpabilité se lisant dans ses grands yeux devenus tristes.

« Ca m'évite de m'ennuyer trop quand je suis toute seule. Ou comme ça j'ai l'air en train de réfléchir quand Père m'apprend des choses. »

Elle bondit debout vivement, en fronçant les sourcils, comme piqué par une mouche.

« Mais si tu lui dis, je trouverais de quoi te faire taire ! è_è »

Acheva t-elle, la queue haute et doublée de volume. Elle ne plaisantait pas.