Ehnala » Coriace
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| Sujet: When crystals break Mar 12 Sep 2017, 20:46 | |
| [Cette scène a lieu avant le renouveau de Punk-Wolf ~] C'était une soirée des plus exceptionnelles. Dans un lieu bien loin de celui-ci se tenaient des pourparlers qui allaient être décisifs pour le destin de tous. Dans peu de temps se jouerait le destin du monde, et celui-ci changerait à jamais. Tous les Séides, tous les Brethens, tous les loups qui peuplaient Punk-Wolf allaient être témoin de la métamorphose du visage de leur univers, du bouleversement de leur réalité. Ils devraient faire des choix déchirants, certains marqueraient l'histoire et d'autre rejoindraient la masse qui construisait discrètement l'histoire de laquelle ils faisaient partie.
Mais elle, elle ne verrait pas tout cela. Ca n'avait jamais été son destin. Ca ne le serait jamais.
Alors que se jouaient de grandes choses dans les terres hostiles de la Grève Gelée, Romance avait marché en silence jusqu'aux Bois de l'Oubli. D'une démarche lente trahissant son grand âge, d'un pas hésitant trahissant sa cécité, elle avait parcourut à un train de sénateur les chemins qui descendaient de la Jeune Cordillère pour filer vers cet endroit si important pour elle. Elle avait croisé quelques pistes de congénères, sans toutefois sentir la présence de l'un d'eux une seule fois. Sa silhouette argentée et que l'âge n'avait pas blanchie avait fait son petit morceau de chemin sans déranger personne. Sans que personne ne la remarque. Cela ne l'avait pas attristée. Pas vraiment. Elle s'était faite à la vie que l'on mène lorsque le ciel nous a retiré le don de la vue. Le contact visuel si important dans les relations avec autrui creusait pas à pas une distance infranchissable entre elle, et le reste du monde. Dans une réalité un peu plus heureuse, elle aurait sans doute eu la chance d'avoir sa famille à son cheveux. Mais son cher et tendre les avait quitté bien des années auparavant. Sa fille l'avait suivi dans la tombe. Puis son fils lui avait échappé et avait disparu de sa vie, pour n'être plus que des éclats de voix froids, qu'elle ne reconnaissait presque plus. Quant à ses autres enfants, ils avaient entamé leur apprentissage, et étaient partis eux aussi. Alors il n'était plus resté qu'elle au fond de sa caverne, dans le silence et dans le noir.
Elle devinait que ce jour-là avait été une belle journée. Les odeurs qui saturaient l'air étaient celles des soirées d'été. Un léger sourire se dessina sur ses babines à cette pensée. Elle avait toujours adoré cette saison, elle qui était née durant le plus long hiver que ces terres avaient connu de mémoire de loups. Six années dans le noir et le froid, puis la venue de la lumière. Et avec elle celle d'Aristote. Le sourire devint triste, ses prunelles blanchies se chargèrent d'une sorte de mélancolie, d'une nostalgie amère et poignante. Pour certaines c'était sans doute impossible à comprendre, mais son existence n'avait réellement pris tout son sens que lorsque ses pas avaient croisés ceux du loup blanc. Lorsqu'elle s'était composée une belle existence de guérisseuse, de mère et d'épouse. Ces quelques années avaient été les plus belles et les plus lumineuses de sa vie. Lorsqu'Everbloom les avait frappés, elle n'avait pas compris combien cela bouleverserait tout ce sur quoi son utopie reposait. Si elle avait su combien ils paieraient tous pour cela, aurait-elle pu changer quelque-chose ? C'était presque réconfortant de se dire que non. Que rien n'aurait empêché Aristote de se tuer à la tâche pour qu'elle puisse guérir. Que rien n'aurait arraché Roy de son travail permanent aux côtés des malades. Que rien n'aurait pu empêcher l'assaut de Maisie contre le monstre qui avait déclaré la guerre à leur famille. Tant de choses qui avaient scellé à jamais leurs destins.
L'herbe s'était depuis longtemps changée en humus sous ses pattes lorsque les effluves familier de la Clairière Sauvage lui parvinrent. Un frémissement la secoua et elle s'arrêta à la lisière du petit oasis au milieu des grands bois. Tous les grands coups de théâtre de sa vie s'étaient joués entre ces troncs, sur cette mousse moelleuse, sous les chants des oiseaux qui pépiaient sur les branches. Le dernier était une blessure qui ne se refermerait jamais. La disparition de son bien-aimé avait fracassé tout ce en quoi elle croyait, avait siphonné sa foi de vivre, sa joie de vivre. Ses enfants s'étant envolés de leurs propres ailes, pourquoi devrait-elle rester garder le nid dans sa glaciale solitude ? Cela faisait quelques temps déjà qu'elle se sentait faiblir. Son corps devenait le reflet de son esprit fatigué de vivre sans raisons, sans but, comme un errant parmi toutes ces âmes occupées et vivaces. Elle avait fait de nombreux détours durant sa marche avant de parvenir ici, comme si elle repoussait l'issue. Rien que d'y penser, ses pattes tremblaient. Elle eut l'égoïste souhait que sa famille fut à ses côtés pour cet ultime départ, qu'elle ne reste pas éternellement seule sous les hautes ramures dont les bruissements seraient son ode funèbres. Mais le destin avait décidé déjà que personne ne viendrait. Il n'y aurait avec elle que le souvenir de son compagnon, les échos de la vie qu'ils avaient menée, pour repousser sa peur. Car oui, elle avait peur. Elle avait peur de ce qui se passerait lorsqu'elle quitterait le monde, lorsque son coeur cesserait de battre et son glowstick de briller. Son vieux coeur battait la chamade, comme s'il était celui d'un jeune louveteau, ignorant du fragile équilibre avec lequel il jouait.
Elle s'avança d'un pas et vacilla légèrement. Maintenant qu'elle y était, qu'elle avait achevé sa route jusqu'à cette ultime place, son corps avait compris qu'elle ne se battrait plus. Elle ne put que faire quelques pas jusqu'au pied d'un grand arbre avant de s'effondrer avec douceur sur le sol. Couchée sur le flanc, le souffle rapide mais silencieux, elle sentit la brise caresser son pelage. Une envie terrible de se redresser la prit, lui serra la gorge avec force. Elle voulait se relever, retourner là-haut dans la montagne où vivaient ceux de son sang, faire comme si rien ne s'était passé. Comme si elle avait repoussé l'inéluctable. Le dernier instant venait-il donc toujours ainsi ? Tous ceux qui y passaient devaient-ils prier ainsi pour repousser l'issue fatale, une dernière fois ? Pour qu'on leur accorde encore une lune, un jour, une heure, un souffle...
Elle sentit les battements de son coeur ralentir petit à petit, calmant son angoisse. Au-dessus d'elle, les oiseaux s'étaient tus face au drame qui se déroulait en contrebas, comme respectueux. Ou peut-être ne les entendait-elle plus. Elle sentit le froid venir chatouiller ses pattes malgré le grand soleil dont les éclats faisaient luire son pelage. Son visage se crispa, et ses joues se trempèrent de larmes. Comme l'enfant abandonnée qu'elle avait été, Romance ferma les paupières et invoqua devant elle l'image d'Aristote. Un sourire se dessina sur ses babines baignées d'eau salée, alors que le visage du loup blanc devenait de plus en plus distinct. Il était là.
Il l'attendait.
Alors elle oublia le froid et s'accrocha à cette vision. Elle oublia son coeur qui vacillait dans un ultime effort. Elle oublia la peine profond qui l'habitait. Elle ne vit plus que la lumière. Et son âme s'éteignit dans un triste silence, comme les cristaux qui ornaient sa couronne...
RIP Romance 16.08.2015 - 12.09.2017 |
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