J'irai dormir chez vous | Ft. Ezhekiel

J'irai dormir chez vous

Je m’étais levé de bon matin, une fois de plus cessant de lutter contre les insomnies qui m’assaillaient continuellement depuis la fin de l’existence de Chronos. Les temps n’étaient pas très cléments avec ma caboche fatiguée, et les Dieux ne m’avaient pas permis de souffler en me proposant ce poste. J’étais perdu, et pourtant je refusais d’abandonner la mission que l’on m’avait confiée. Seul l’avenir pourrait prédire ce qui m’attendait, et je n’étais pas de ceux qui aimaient patienter gentiment. Depuis plusieurs jours, nous nous affairions à recruter les âmes en peine qui erraient de-ci de-là sur ces nouvelles terres. Tout cela demandait moult actions et nécessitait une organisation importante : nourriture, abris, soins ; Tous les individus qui pouvaient apporter une aide étaient mis à contribution, moi inclus.

Je fis rouler les muscles de mes épaules dans l’espoir vain de me détendre un peu. La fatigue planait telle une épée de Damoclès en continu au-dessus de ma petite personne, et pourtant je ne pouvais me permettre de flancher. C’est pourquoi ce matin-là j’avais pris la décision de partir aux Dents de Roc. Sous prétexte d’aller chasse, j’avais principalement l’envie de renouer avec mes longues courses de surveillances dans les montagnes. La cordillère n’était plus, mais la modification du paysage suite à cet évènement tragique m’avait apporté de quoi apaiser mon cœur. J’étais à l’aise dans ce paysage sauvage qui aurait tendance à éreinter les plus fragiles.

Si mon esprit ne parvenait pas à se libérer de ses contraintes et responsabilités, mon corps lui aspirait à une libération primale : foncer, entraîner tout mon être dans une course effrénée et violente. Pourquoi luter ? Je trottinais donc, laissant mes pattes fouler avec entrain cette terre fraîche et rocailleuse qui recouvrait les Dents de Roc. J’étais déjà venu repérer les lieux lorsque les Etelkrus se les étaient appropriés et mes déambulations m’avaient permis de tomber sur un ruisseau qui, à n’en pas douter, devait desservir certains habitants de ces rocheuses. J’en pris donc la direction, ondulants entre les hauts rochers et zigzagant entre les troncs des hauts pins. J’accélérais la cadence au fur et à mesure de ma progression. Les rayons du soleil avaient des difficultés à traverser cet environnement hostile, et la pénombre glissait sur mon pelage de jais tel un camouflage incomplet.

La discrétion était mon crédo, l’ancien Gabelou en moi se réjouissait de cette sortie matinale, et mes instincts balayaient doucement mais surement mes pensées scabreuses de jeune alpha. Une conscience aigüe de mes capacités me poussait à aller toujours plus vite dans ce dédale de roche et de bois, suivant l’odeur fugace mais néanmoins présente de la proie. Ma proie. Il ne fallut pas longtemps pour que j’arrive près du cours d’eau, et la course poursuite s’en suivit. Halètements, accélérations, bond… Soupir . Cela parut me prendre plusieurs minutes, alors que seules quelques poignées de secondes avaient été ôtées du timer de ma vie. En revanche pour le lièvre agonisant, son temps était écoulé. Aucune pitié ou sentiment ne vint perturber ma satisfaction. La petite fringale qui m’avait saisi durant mon ascension allait être comblée, et c’était tout ce qui m’importait en cet instant.

J’emportais mon casse-croute avec moi, quêtant un endroit adapté pour le déguster. Ce fut quelques centaines de mètres plus loin que je décidais de m’installer, proche d’un rai de lumière mais caché dans les ombres d’un haut pin. Je me fis plaisir et mes pulsions s’occupèrent de ronger la carcasse encore fumante. Diantre quel bien cela faisait que de retrouver un repère de ma vie d’avant.

Et alors même que j’avais le museau dans les entrailles, un impudent vint interrompre mon petit plaisir. Par les Dieux, ne pouvais-je pas avoir le luxe de profiter d’un instant de paix et de tranquillité ? Je soufflais un grand coup et tournais mon museau ensanglanté vers le prénommé Mylo Machinchose. Mon regard froid et calculateur accrocha ce gamin inconnu de ma personne et je m’interrogeais sur son identité et son alliance. Mais en ces périodes troubles, il n’était pas impossible qu’il ne sache pas ce qu’il faisait ici lui-même. Tout ce que je savais c’est que je ne parvenais pas à associer son odeur à un des miens. Enfin, je ne pouvais même pas l’affirmer tout haut : il fallait bien reconnaître que je n’avais pas encore mémorisé toutes les odeurs qui continuaient d’arriver dans la meute.

« T’es perdu gamin ? Et je suis celui qui s’interroge sur ta présence à mon petit festin, si t’es venu pour bouffer désolé mais j’ai la fâcheuse manie de ne pas partager vois-tu. »

Comment ça j’étais grognon ? Ouais bon, peut-être un peu mais il faut dire qu’il venait m’importuner au mauvais moment aussi. Ma voix grave et basse semblait résonner dans le murmure de cette forêt si particulière, et je fixais de mes yeux d’or ce jeune inconscient. Ce sourire niais qui m’était adressé me tapait sur les nerfs, j’avais envie de le lui effacer. Comment était-il possible de sembler si innocent après tout ce qui s’était passé ? Finalement, il s’était peut-être véritablement paumé.

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J'irai dormir chez vous

Diantre qu'il était du genre pipelette ce jeune loup. Je ne m'étais toujours pas levé, continuant à le lorgner d'un œil mauvais. Il m'était difficile de savoir s'il feintait une gentillesse et une naïveté exacerbée, ou s'il était véritablement d'un naturel bavard et engageant. Non pas que ça soit une tare, mais je passais mon temps à écouter les membres de ma meutes venir discuter et j'avais besoin d'une pause. Ces nouvelles attributions n'étaient pas des plus simples à gérer pour un solitaire de ma trempe ne nous mentons pas.

Une visite de territoires hein... Je levais mon museau rougi vers le haut des cimes environnantes. Les troncs paraissaient infinis et le feuillage ne laissait filtrer que quelques rais de lumière disparates. Il était temps de mettre ce masque qui me saillait tant depuis mon changement de rang. Sa tirade avait été tellement rapide qu'il avait enchaîné les sujets avant de filer dans les buissons. L'énergie de la jeunesse je vous jure. Je tournais mes yeux d'or vers ce fameux Mylo Xyloto lors de son retour et tentais maladroitement de rattraper ce début d'échange plutôt mal engagé.

" On ne peut nier que les nouvelles terres n'ont rien à envier aux anciennes. Les ambiances sont diverses mais ma meute a, selon moi, des terres véritablement privilégiées. Tanière protégée, terrains de chasse bien garnis, et des lieux de découverte et de détente à n'en plus finir. Je n'ai plus qu'à espérer supporter cette potiche de femelle pour les mener vers un futur radieux j'imagine. "

Je me relevais et me secouais tel un cabot. Mes muscles protestèrent un instant mais comme à mon habitude je n'en fis pas cas. Je m'étais bien développé au cours de cette terrible péripétie morphologiquement parlant, c'était plaisant. Il s'agissait maintenant de parvenir à conserver toute cette mécanique et ça n'allait pas être la même ! Adieu tranquillité et liberté d'action.
Je louchais sur les fruits qui venaient de m'être déposés. Non pas que je n'en veuille pas mais je ne comprenais pas bien pourquoi on cherchait à me nourrir. Mais soit, prenons les choses telles qu'elles arrivaient après tout.

" Merci."

J'étais presque mal à l'aise devant tant d'entrain et de bonne humeur. Si on regardait les choses avec du recul, on aurait tout de même pu croire que cet énergumène avait quelques soucis psychologiques et qu'il s'était véritablement perdu ici. Evidemment comme il était de mise que j'apprenne à ne pas dire ce genre de chose tout haut, je me contentais de le penser très fort avec un rictus en coin de gueule. Ce dernier disparu bien vite quand je continuais.

" Tu visites, mais un jour viendra où il te faudra te fixer et décider sur quelles terres tu souhaiteras t'établir. Les meutes nouvelles nées sont encore un peu friable mais les liens vont se former et alors les choses reprendront leur cour comme à l'origine. "

Un gargouillis peu délicat s'extirpa de mon estomac, me coupant dans ces quelques paroles qui se voulaient sages. Finalement le lapin sur son lit délicat de mûres n'allait pas suffire à me calmer. Observant le jeune loup en face moi, je décidais qu'il était temps de bouger.

" Une petite chasse au gros gibier t'intéresserait-elle ? J'ai soif d'exercice et d'excitation. "

Vu son physique, je n'étais pas sur qu'il soit taillé pour la chasse et cela faisait des lustres que je n'avais pas proposé un binôme pour partir sur une traque. Mais le besoin de bouger était plus fort que tout, et le jeune impudent avait quand même tenu à me nourrir. Je pouvais bien lui proposer à mon tour un petit en-cas non ? Chasser la noirceur de mon moral et en profiter pour plonger mes crocs dans une veine bien chaude, quoi de mieux sincèrement ? Et puis avec un peu de chance courir le ferait taire.

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