Aloha | PV Riptide

Le soleil se levait, étincelant tel un bijou sur la surface azurée des flots agités de la mer. Le ciel se colorait du même rose qu'un dalia fraîchement éclot, de l'orange vif d'une flamme naissante et du bleu pur des yeux d'un nouveau né. Un véritable chef-d'oeuvre de couleurs digne d'un maître peintre, qui se modifiait, qui changeait, de seconde en seconde, alors que l'astre magnifique s'élevait en son royaume, traînant le jour avec lui. La chaleur de ses caresses apportait un peu de réconfort aux habitants de Punk-Wolf qui commençaient tous à trouver l'hiver bien rude, et l'une d'entre elles en particulier appréciait tout particulièrement les attentions chaleureuses du soleil. Couchée dans le sable d'un beige nacré, la bête était étendue de tout son long, le museau sur ses longues et fines pattes grises. Grise, elle l'était de haut en bas, du bout du nez au bout de la queue. Le soleil avait beau jouer dans ses poils, les reflets semblaient tout aussi gris, bien que plus pâles. C'était comme si sa fourrure absorbait toute couleur pour la transformer en nuance grisâtre. Ses prunelles grandes ouvertes sur le spectacle d'une indescriptible beauté étaient elles aussi magnifique. D'un vert tendre et pâle, on distinguait à peine ses pupilles de ses iris, lui donnant l'air d'un aveugle. Ce qu'elle était. Elle ne profitait donc pas du tout du décors, mais bien tout simplement de la chaleur, bien que moindre, que lui procurait le soleil.

Mele avait su apprivoiser le sol bien étrange de la côte, qui s'enfonçait un peu sous le poids, sans le faire autant que la vase ou la boue pourtant. Elle aimait le son du ressac, le chant de l'océan, mais elle n'osait absolument pas s'y aventurer de trop près. Et pour cause, elle ne savait pas nager. L'attrait d'un bain de mer était de beaucoup atténué par la perspective de la mort par noyade. Et puis, il était fait connu que les points d'eau étaient des lieux dangereux pour les proies, et Mele n'était pas assez éloignée d'une proie pour se sentir tout à fait en sécurité près de ceux-ci. La louve s'étira comme un chat dans le sable encore froid et fixa ses prunelles sur les dunes de sables. Pour elle, il ne s'agissait que d'une flaque de couleur floue, sa vue atrophiée ne lui permettant pas de voir la profondeur ou d'évaluer les distances. Elle était plus aveugle qu'une chauve-souris, comme le lui répétait autrefois si souvent son père. Mais, en contrepartie, ses autres sens étaient bien plus habiles que la moyenne. Son ouïe, son odorat et son sens du goûter dépassait de beaucoup ceux des loups ordinaires. Il s'agissait d'une nécessité de survie. Elle pouvait, à l'odeur, reconnaître les plantes toxiques et autres poisons. Elle pouvait reconnaître le moindre bruissement de feuille incongru.

La louve se recoucha sur la plage, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Elle avait passé la nuit à chasser de petits rongeurs, et si elle était finalement repue, elle était aussi complètement épuisée. Les petits animaux étaient les seules proies qu'elle pouvait chasser, et encore, elle avait du mal. Mais, surtout, avec l'hiver, la majorité d'entre eux hibernaient ou se cachaient. L'hiver promettait d'être très long pour la louve déjà bien maigrichonne. Une bourrasque de vent froid vint faire voler ses longs cheveux gris, ainsi que son foulard carmin, seule touche de couleur. Il était amusant pour elle de penser que, si son père avait été un loup aux allures efféminées, elle-même se faisait souvent prendre pour mâle, à cause de son look et de sa voix androgyne. Tous deux étaient d'excellents chanteurs toutefois, bien que Xercès ne le soit plus que dans l'autre-monde désormais. Se remémorant les chansons qu'ils chantaient autrefois à deux, la jeune louve entama bien tristement l'un des airs favoris de son père.

« Aloha ʻoe, aloha ʻoe
E ke onaona noho i ka lipo
One fond embrace
A hoʻi aʻe au
Until we meet again. »

Sa queue caressait le sable, alourdie par l'eau par l'eau dont elle était imbibée et Riptide grelottait.
C'était ce qu'il se passait, lorsque l'on manquait de logique au point de se jeter dans les eaux glacées de la mer, pour pêcher quelques poissons, au lieu de favoriser une chasse efficace qui réchauffait les muscles et le corps. Mais Riptide n'avait jamais été réputée pour la cohérence de ses réflexions et elle obéissait souvent aux envies qui la prenaient, à l'instant T. Et aujourd'hui, elle avait voulu jouer dans les vagues, comme une enfant, en profitant pour se nourrir un peu.
Ça lui allait si bien, au fond. Après tout tout, sa mère l'avait toujours surnommée "Petit poisson".

Tâchant de se réchauffer, désormais, la femelle hâta le pas, jusqu'à courir sur la plage. C'était grisant, de sentir ainsi le vent se glisser dans ses cheveux, défaisant son chignon lâche et ébouriffant son poil. C'était amusant, de voir les mouettes s'envoler sur son passage.
Elle finit cependant par s'arrêter, lorsqu'elle perçut une silhouette grise quelques mètres plus loin. Ravie de croiser une âme lupine en ces contrées, elle remua joyeusement la queue, se hasardant à faire quelques pas vers l'individu. Et quel individu ! Il s'agissait clairement d'une femelle, rien de surprenant à ce niveau là mais... ses cornes quoi ! C'était la première fois que Riptide voyait un loup avec de tels attributs. De loin, on aurait pu la prendre pour une proie.
La jeune louve remua les oreilles, écoutant -sans gêne- ce que sa congénère chantait là.

- Oh, tu chantes bien ! Et tu es si jolie !

Comment ça, c'était bizarre de complimenter d'office quelqu'un que l'on venait de rencontrer ? Baaaah, ce n'était pas très étonnant, venant de Riptide.

«AAAAAAAAAHH !!!!»
Avec un beuglement digne d'un porc à l'abattoir, Mele bondit sur ses pattes, la fourrure hérissée de toutes parts. Ses pattes dérapant dans le sable fin et froid, elle s'écrasa ensuite sur le sol meuble, avec un grognement sourd. Plus prudemment, elle se redressa sur ses longues jambes et chercha de son regard flouté l'être l'ayant surprise. Elle était tranquillement couchée sur le bord de la mer, à chanter avec le vent marin, les yeux clos et l'esprit tout à sa chanson, quand, sortie de nulle part, une voix tout aussi douce et joyeuse avait brisé le moment, éclaté la bulle musicale de la Solitaire monochrome. Elle avait été trop concentrée, trop dans son monde. Elle n'avait pas entendu les pas s'approcher, le sable crisser. C'aurait pu être si dangereux, si l'inconnue avait voulu lui faire du mal par exemple.

Une tache lavande se tenait là, tout près. Mele aurait été incapable de donner davantage d'informations sur la louve, si ce n'était qu'elle était femelle, à cause de sa voix. Frémissant toujours d'angoisse, la louve tenta tout de même de s'assurer qu'aucune autre bête ne se tenait près. Cependant, à l'exception du ressac de la mer et de la respiration mesurée de l'inconnue lilas, rien d'autre ne venait troubler le silence.

« Je... Qui es-tu ?, demanda la cornue encore nerveuse, n'ayant même pas enregistré les paroles de l'autre tant elle avait eu peur.

Riptide bondit en arrière lorsque son interlocutrice se mit à hurler, visiblement très surprise par son arrivée.
Ne l'avait-elle pas vue, entendue ou même sentie ? Sûrement. L'autre louve semblait si concentrée dans ce qu'elle faisait... Aka chanter. Elle mit d'ailleurs un moment avant de poser sur elle un regard très clair, si ce n'était blanc... Ce qui fit pencher la tête sur le côté de Riptide. Était-elle aveugle ? Si tel était le cas, les dieux avaient été bien cruels avec celle louve, pour la priver des beautés que ce monde avait à offrir.
Elle remua les oreilles lorsque sa congénère lui posa une question, nerveuse et paniquée.
Alors, qui est tu, petit Riptide ?

- Je ne suis pas une ennemie.

C'était déjà bien de le préciser.
La jeune femelle eut un doux sourire.

- Mais tu m'as demandé qui je suis, et qui je ne suis pas. Je vais donc te répondre. Ici, on m'appelle Riptide. Je suis une solitaire dénuée de mauvaises intentions à ton égard, petite antilope lupine.

Son sourire devint rire. Léger, presque enfantin alors que ses yeux oranges brillaient de cette joie de vivre qui était sienne. Encore plus lorsque ses pas venaient à croiser ceux d'un autre congénère.

- Et toi, qui est tu ?

L’inconnue parle et les tremblements qui agitaient la pauvre et frêle aveugle commencèrent doucement à s’estomper. Les instincts de la grise réalisaient lentement que l’étrangère ne leur voulait vraisemblablement aucun mal. Après tout, elle aurait eu l’occasion de le faire bien avant. Prudemment, Mele détendit ses muscles endoloris par sa chute et se redressa de toute sa grandeur, son port de tête bien droit afin de minimiser les douleurs à la nuque qu’elle ressentirait éventuellement à cause du poids des excroissances osseuses qui lui vrillaient le front. Après un petit soupir, elle abandonna toute tension.

L’autre s’était d’abord présentée comme « pas une ennemie » et elle donnait à présent son nom. Riptide; elle trouva le nom très joli, et, sans savoir pourquoi, elle trouva qu’il lui allait bien. Elle fit la moue, toutefois, à la mention du surnom détesté. Antilope. Elle allait finir par être rebaptisée ainsi si les loups continuaient à la surnommer de cette façon.

« Je suis Mele, enchantée, dit-elle calmement, son père lui ayant au moins appris la politesse. Je ne suis pas une antilope, par contre, ni même en partie. Je tiens mes cornes de ma mère, du moins c’est ce que mon père disait, ajouta-t-elle candidement.

Sa congénère finit par se calmer et se redresser, au plus grand bonheur de Riptide.
Voilà qui était mieux ! Elles allaient enfin pouvoir discuter tranquillement... Et puis, la louve mauve était bien contente de voir qu'elle n'était pas si effrayante que cela, malgré son introduction pas très conventionnelle. Joyeuse, elle remua encore la queue et ouvrit la gueule en un sourire typiquement canin, écoutant l'autre louve se présenter à son tour.

- Oh, Mele, c'est joli... Aussi joli que toi !

Hop, petit compliment lancé avec le plus grand naturel. Elle ne se prenait pas la tête, Riptide, formulant les choses sans la moindre pudeur et comme elle les pensait réellement.
Allez, cesse de te dissiper, gamine, la louve t'a dit autre chose de tout aussi intéressant que son prénom. C'est une petite partie de sa vie que l'on te livre là. Riptide pencha la tête, réfléchissant et se retrouvant un peu perdue... Comment Mele pouvait-elle avoir des cornes d'antilope sans en être une, en partie ? Et si c'était sa maman, qui était une antilope, justement ? Argh mais non, sinon elle en serait une aussi, au moins un peu !

- Wow, c'est quand même fou que toi et ta maman ayez des cornes d'antilope sans être un p'tit peu antilope ! Enfin, tu me diras, j'ai une queue comme celle des chevaux... Et pourtant mes parents n'étaient pas des chevaux ! Mon papa était grand et gris ! Et ma maman toute petite et fine, avec de longs cheveux ! Je lui ressemble un peu.

Elle n'était pas du tout consciente de trop parler, par contre... Et poursuivit, pour la forme.

- Et toi, comment était ton papa ?

Puis qu'elle n'avait pas connu sa mère, visiblement, il ne servait à rien de lui poser des questions sur cette dernière...

Un petit sourire timide étira les babines de la Solitaire, son regard pétillant de plaisir. C'était plutôt rare qu'on lui faisait des compliments ! En fait, c'était assez rare qu'elle croisait des gens, point. Et, surtout, des gens sympas. Étant Solitaire, malheureusement, la majorité des loups de meutes avaient d'immenses a priori à son sujet, et les autres Solitaires étaient... et bien, solitaires. Mele, elle, n'avait jamais eu l'âme d'une vagabonde, ou d'une ermite. Elle n'aimait pas vivre esseulée, la compagnie de son père lui manquant chaque jour. Elle regrettait parfois que Xercès ait choisit de partir vivre en Solitaire après la refonte des meutes, mais elle croyait fermement qu'il avait eu ses raisons. Et, pour cela, elle rechignait elle-même à le faire. Et puis, près tout, qu'elle meute voudrait d'une infirme ? Secouant ses pensées, la jeune louve cornue répondit bien aimablement à Riptide.

« C'est bien gentil, mais je ne suis pas si jolie !, souffla-t-elle un sourire aux babines. Je suis trop grande et maladroite, et, en plus, je suis presque aussi aveugle qu'une chauve-souris et j'ai des cornes d'antilopes ! Je ne pourrais même pas te rendre le compliment, je ne sais pas à quoi tu ressemble, ajouta-t-elle tristement.

Elle sourit à nouveau lorsque la louve mauve parla. Ainsi la louve était petite et fine, ça elle s'en doutait un peu, car elle devinait que la forme devant elle était moindre que sa taille à elle. Elle avait aussi donc de grand cheveux, puisqu'elle disait ressembler à sa mère. Mele le nota quelque part dans sa tête, bien qu'elle doutait que l'information lui soit utile un jour. Mais une chose l'avait fait tiquer. Chevaux ? Sa tête s'était penchée sur la gauche, comme un chiot qui entend siffler pour la première fois, ses oreilles rebondissant sur le côté.

« Qu'est-ce que c'est un cheval ?, demanda bien candidement la louve qui ne chassait rien de plus gros qu'un raton-laveur due à sa mauvaise vue. Elle connaissait de noms quelque plus gros mammifères, mais pas tous, et encore, seulement ceux que sont père avait chassé pour elle. D'ailleurs, l'autre lui demanda comment il était. Et Mele n'avait pas besoin de se faire prier pour parler de son loup favoris au monde.

« Mon père était drôle et maladroit, mais il avait la plus belle voix au monde, un peu comme une voix de fille, douce et cristalline. C'est lui qui m'a appris à chanter. Il savait plein de trucs sur les plantes qui soignent et qui nourrissent, et il me les a appris. Avant il était un loup de meute, mais il est partit quand ils ont voulu tout changer. Il a trouvé ma mère, et comme tous les deux voulaient avoir des enfants, ils en ont eu ensemble. Mon père n'était pas amoureux de maman, mais il l'aimait à sa façon. Il a dû être, bien triste, je crois, quand elle est morte en me donnant naissance. Mes autres frères et soeurs aussi sont morts, mais papa a pris soin de moi. Il m'a appris à me débrouiller toute seule malgré mon infirmité et je me débrouille plutôt pas mal. Enfin, c'est dur maintenant qu'il est mort, mais on survit ! »

La louve mauve sourit, ne se défaisant pas face aux doutes de sa congénère.

- C'est pas grave, si tu es trop grande et maladroite, ça change pas grand chose. Et moi, j'aime bien tes grandes cornes d'antilope. Tu sais, un compliment sincère n'est pas voué à être retourné.

Sinon, on ne pouvait être certain de la sincérité de ce retour. Or, Riptide n'aimait pas les mensonges. Elle préférait qu'on ne lui dise rien plutôt qu'un compliment pour satisfaire son ego.
Changeant de sujet, l'autre femelle s'interrogea sur ce qu'elle avait dit, lui demandant ce qu'était un cheval... Oh, elle n'en avait jamais entendu parler ? Dans ce cas, Riptide allait se faire un plaisir d'enrichir sa culture.

- Un cheval, c'est un animal ! C'est très grand et ça a des sabots. Son cou est long et sa tête aussi... Il a de gros trous de nez. Ah, et ses cheveux sont pas comme les notre, il les a tous le long du dessus du cou, ça tombe sur le côté, et à la place de la queue. Ça court très vite ! Plus vite qu'un loup je crois ! Surtout quand ils sont effrayés ! C'est vraiment un joli animal, je les aime bien.

Elle aurait aimé lui en montrer un, ça aurait été plus clair que ses explications un peu hasardeuse mais... ça n'avait pas l'air trop possible, étant donné les problèmes de vue de Mele. Tant pis, elle devrait donc faire avec ça !
La louve grise lui parla alors de son père, de ses qualités et de comment il avait pu rencontrer sa mère. C'était par désir d'enfant réciproque, qu'ils s'étaient liés. Hélas, il avait fallu que la femelle perde la vie en mettant au monde sa fille, laissant le père s'en occuper jusqu'à ce qu'il trépasse à son tour, laissant Mele seule sur ces terres.

- Il ne faut pas seulement survivre, il faut vivre !

Après tout, elle n'avait pas l'air bien vieille, cette louve ! Elle avait donc bien des choses à découvrir !

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