[EVENT] La boisson des Dieux

Une sécheresse qui durait depuis bien trop longtemps désormais étouffait le corps de chacun des loups de Punk Wolf. Dans les meutes, une faiblesse générale se faisait ressentir et aucun moyen n'avait été mis en oeuvre pour palier à cela. Peut-être que les alphas s'attendaient à un miracle des Dieux ou tout simplement que tout redevienne comme avant ? Ça faisait assez longtemps qu'ils attendaient que quelque chose se fasse tout seul et ça, Tendô n'en pouvait plus.

Du haut de ses 13 ans, allongé sur une pierre proéminente dans un coin du Grand Castel, le mâle contemplait sa meute évoluer de jour en jour depuis qu'il avait rejoint les doyens. En ce moment c'était de pire en pire et lui-même en souffrait à cause de la déshydratation massive qui touchait petits et grands, vieux et jeunes. Le roux observait les museaux asséchés de ses confrères de son même regard violacé et vide de quelconque émotion. Il avait vu sa famille et son village détruis par la guerre et par conséquent, il ne pouvait concevoir l'idée que sa meute se fasse entièrement éradiquée par une vulgaire sécheresse.

C'était si désespérant... Il y avait forcément une solution...
Et peut-être qu'elle était là où personne ne l'attendait.

"Allez-vous tous cesser d'attendre votre mort comme de vulgaire condamnés ?!" lança-t-il de sa voix grave.

Maintenant qu'il avait l'attention de tout le monde, il se leva avec peine de son piédestal pour descendre à terre. Ses sourcils froncés rendaient son regard profondément colérique et les cernes sous ses yeux apportaient une lueur de folie dans ses yeux violacés, comme si la vieillesse et surtout la sécheresse lui était montée à la tête.

"Je refuse d'attendre que les cadavres s'empilent de la sorte." cracha-t-il. "Il y a une solution que personne n'a envisagé jusqu'à présent. Peut-être qu'aucun de vous n'y avait pensé, peut-être que certains avaient trop peur d'évoquer cette éventualité... Cependant, pour ma part, mon corps est bien trop asséché pour que je continue à tenir ma langue comme vous tous !"

Il redressa la tête, plongeant son regard froid dans les yeux de chacun que ses camarades qui l'observaient.

"Les fontaines des Dieux sont encore pleines à ras bord... Elles nous tendent les pattes... Allons-nous servir !"

Risquer de passer pour un fou ou mourir de déshydratation... Le choix était vite fait pour Tendô... Dans tout les cas, son corps tout entier ne réclamait que de l'eau, il ne voulait que ça à l'instant même, quitte à payer n'importe quel prix.

Les temps étaient plus durs que jamais. Chaque jour, le climat se faisait plus insupportable, les journées plus brûlantes et les nuits plus glaciales. Les loups faiblissaient, certains tombaient malades, tous vivaient avec la faim au ventre car il était devenu bien difficile de chasser. Le jeune loup avait terriblement maigri, brûlant tout ce qu'il avalait à arpenter le territoire pour tenter de ramener aux autres de quoi se sustenter, veiller à ce que les solitaires ne profitent pas de leur faiblesse pour chasser leurs proies déjà trop rares pour eux. Sa silhouette, élégante une année auparavant, était devenue celle d'un loup aux muscles secs. Il tenait désormais ses longs cheveux attachés sur son crâne en une sorte de parodie de chignon entremêlé, ce qui lui donnait un faux-air de Méléagant. La ressemblance s'arrêtait là toutefois, personne sur Punk-Wolf n'avait connu le Chevalier dans un tel état de fatigue physique. Ses yeux vairons étaient cernés, et paraissaient enfoncés dans leurs orbites, plus sombres. Oublié, leur éclat joueur et mutin de jeunesse.

Ce jour-là, il était sorti à l'aube pour une chasse vaine, et était revenu aux premiers rayons du terrible soleil qui les guettait désormais. Il s'était réfugié à l'ombre d'une sorte de colonne de pierre et somnolait, la chaleur insoutenable empêchant un véritable sommeil. Il était perdu dans des pensées troubles lorsqu'une voix un peu rauque résonna dans le camp, détonnant avec le silence qui régnait quasiment sans cesse désormais. Il était de bon goût d'économiser sa salive quand l'eau venait à manquer, autant que son énergie. Tirer de ses songes presque fiévreux, Athelstan redressa la tête et ses yeux plissés cherchèrent du regard qui avait ainsi décidé de jouer la provocation au milieu de leur meute. Il n'eut pas de peine à le trouver puisqu'il était perché sur une pierre proéminente. C'était un ancien du nom de Tendô, qui avait jusque-là assez bien supporté les affres de leurs conditions de vie. Les vieux loups, comme les plus jeunes, étaient les plus touchés par la chaleur.
Pourtant, celui-ci semblait faire preuve d'une énergie certaine, au vu du ton sur lequel il avait scandé sa première invective.

Le jeune loup se redressa assis tandis que l'autre descendait, tous les regards fixés sur lui. Et commença à débiter une tirade qui, Athelstan le pressentit, ne pouvait pas bien se terminer. Il ne vit pas où l'ancien allait en venir jusqu'à ce que celui-ci ne finisse par parcourir l'assemblée du regard pour asséner sa solution miracle : aller boire aux fontaines des deux.
... Quoi ?!
Le jeune loup afficha une mine perplexe tant la proposition lui parut absurde. Dans un autre contexte, il aurait même pu en rire comme d'une belle plaisanterie. Mais l'heure n'était pas à la rigolade, et il comprit en un instant que Tendô était parfaitement sérieux. Mais quelle mouche l'avait donc piqué ? Le brun n'imaginait pas plus grand blasphème que d'aller boire le liquide lumineux et magique qui emplissait leurs glowsticks comme s'il s'agissait d'une vulgaire flaque d'eau. Certes, c'était du liquide. mais c'était là, à ses yeux, le seul point commun.

Il se redressa d'un bond et s'avança pour faire face aux vieux loup, la tête haute.

"Est-ce que tu veux tous nous faire tuer, Tendô ?" Gronda-t-il, un peu plus hargneusement qu'il ne l'aurait souhaité. La chaleur n'avait pas de très bons effets sur lui non plus. "Rien ne dit que ce liquide nous désaltèrera, ni qu'il n'y aura aucune conséquence. Vois le pouvoir que confère la quantité dans un glowstick. Que crois-tu que peut faire une pleine bolée ?"

Quelque-chose de très puissant, si elle ne te tue pas, chuchota une voix dans son esprit, qu'il préféra ignorer. Il prit conscience soudain de la manière dont pouvait être interprétée sa répartie : comme une suggestion à ce que ce liquide les rende plus fort plutôt que de les tuer. Aptes à supporter cette canicule. Mais il était trop tard pour reprendre ses mots, maintenant qu'ils étaient sortis. D'autant qu'il ne serait sans doute pas le seul à réagir aux propos de l'ancien.
Damné soit-il.

Élaine

Depuis que le désert s'était installé sur les terres, Élaine s'est fait discrète publiquement. Elle travaillait à trouver de nouvelles solutions, pour éviter la famine et le manque d'eau à sa meute, mais le résultat était là. Malgré ses efforts, elle était incapable de lutter contre les Dieux, et après avoir passé plusieurs lunes à se priver de sommeil, à prier la Renarde, elle s'était faite à l'idée qu'il lui fallait attendre, et être présente pour tous ceux qui avaient besoin d'aide. Elle comptait beaucoup sur les jeunes de la meute, plus solides, plus fougueux, pour aider les plus vieux. Elle mourrait de soif, elle ne le dirait pas, préférant s'oublier pour les siens, mais lécher des pierres était devenu son quotidien, une douleur fulgurante l'envahissait jour après jour. Malgré ça, elle restait la même, confiante, elle devenait de plus en plus inquiète, répétant à qui veut bien l'entendre que l'ombre était la solution temporaire, et la meute vivait avec le soleil, se levant quand il se couchait, se couchant quand il se levait. Aujourd'hui, elle sent la tension de plus en plus profonde, plus insupportable. Et en descendant entre les dédales de couloir, elle jette un œil vers la cour commune. Elle ne voit que les siens, affalés, abattus, le regard fatigué, la langue pendante, haletant comme des chiens. Elle se tenait derrière l'un des doyens, Tendô, et elle entendit tout ce que sa voix rauque lança aux autres. La jeune alpha resta silencieuse, presque cachée, et attendit la réponse des autres, si elle venait. Comme elle s'y attendait, Athelstan s'opposa fermement à sa proposition, et la longue queue d'Élaine fouetta l'air d'irritation. Boire dans la fontaine des Dieux était un blasphème atroce, impensable. Peut-être les Dieux les mettaient à l'épreuve, peut-être devaient-ils prouver qu'ils ne deviendraient jamais blasphématoires malgré la chaleur horrible ?

Elle écouta avec attention les paroles de sa cousine Lucie, et un instant de fierté s'empara d'elle. Elle se leva, et descendit lentement, prenant soin que tous les siens présents la voient. Depuis le temps, elle avait appris à gagner leur confiance, à imposer son autorité sans passer pour une despote, et elle estimait être devenue une bonne alpha. Elle ferma les yeux un instant, et regarda Tendô d'un regard sévère.

"J'apprécie tes idées pour notre survie, malheureusement, la fontaine des Dieux est tout sauf un abreuvoir géant. Rien ne nous dit que le liquide ne se transforme pas en métal une fois dans notre gueule. Tu devrais te tenir à l'ombre, Tendô, le soleil te fait du mal."

Un grognement inconscient ponctua sa phrase. Si certains de la meute devenait fou, elle craignait un conflit surréel. La famine les tenaillait tous, et si Tendô lançait sa prochaine idée : manger les plus vieux et les plus affaiblis des Etelkrus ? Elle frissonna à cette idée, puis s'assit à l'ombre. Elle était fatiguée, et les marques de stress avaient creusé son visage, ses yeux étaient cernés, et le manque d'eau avait fait perdre l'éclat de ses prunelles vertes.

"Nous devons nous serrer les coudes, pour survivre. Aller prier, quémander la pitié de nos Dieux protecteurs, adapter nos modes de vie, vivre la nuit quand la chaleur est moins insupportable, dormir le jour au fond du Castel, contre la pierre froide. J'ai remarqué quelques traces vers l'Île Abysse, peut-être que des proies s'y réfugient. "

Une dernière question subsistait : l'eau. Elle baissa le regard un instant, se sachant observée, puis elle releva la truffe, confiante.

"Pour l'eau, nous devons prier, encore et encore, faire des rondes autour des lacs et points d'eau."

Elle cherchait une solution pour dessaler l'eau des océans, mais elle ne savait comment s'y prendre. La seule solution qu'elle avait était de sucer des racines, creuser des trous dans le sable, rien de bien concret et surtout infaillible. Elle se tut un instant, prête à entendre les reproches des siens. Elle était une mauvaise alpha, elle était incapable de trouver une solution. Elle regarda Lucie, son regard plein d'espoir, et réfléchit à la possibilité de faire appel aux autres meutes. Malgré tout, une fierté mal-placée gonfla son cœur. Elle n'irait pas quémander l'aide des autres, encore moins celle des Lazulis. Peut-être les Nakhus, à la rigueur, ils sont sages et attentionnés. Avant de prendre une seule décision, elle se promit d'en discuter avec Ezhekiel. Peut-être les Dieux attendaient-ils que les meutes s'allient pour survivre ? Elle soupira, et attendit d'autres suggestions. C'était insupportable, et il fallait que la situation se débloque, sinon ils allaient tous mourir.