Charognards – Siam

Ronchonnant dans son coin, Leikn jetait des regards haineux tout autour d’elle. Depuis qu’elle se débrouillait seule, la licorne avait entendu que la sécheresse avait pas presque anéanti toutes les proies. Quelle chance pour crever un peu plus de faim! Sa nature secondaire l’empêchait de tuer, aussi les charognes et les rares baies et racines étaient devenues son seul mode d’alimentation. Heureusement que son estomac était plus ou moins résistant, au vue de ce que Leikn lui infligeait… Tout ceci n’était pas aussi compliqué lors de sa vie humaine, mais maintenant que son corps réclamait de la viande, les choses étaient un peu plus corsées. Sa longue cape rouge traînant sur le sol rendu désormais humide par les pluies, la louve avançait des parties de son corps maculaient de boues dans le but de se camoufler. D’après la solitaire qui l’avait préservé en vie jusque-là, les territoires étaient habités par des loups souvent sans pitié, parfois même de véritables monstres. Une libellule passa sous la truffe de Leikn. À Descna, il n’y avait pas d’insectes, la chaleur était beaucoup trop élevé pour ces bestioles sans parler des froids glaciaux qui sévissaient lors de la saison froide. Aussi, voir ces étranges petites créatures avaient été véritablement fascinant, surtout que la licorne ne pouvait craindre de les écraser par mégarde étant donné qu’ils n’étaient pas considérés comme être vivants par les licornes de Descna.

Une odeur putride vint chatouiller la truffe bleu pâle de Leikn qui suivit tant bien que mal l’odeur. À moitié embourbé dans la boue, un cadavre de cerf en phase de décomposition avait visiblement eu une faim douloureuse. Ses yeux étaient vitreux, d’un geste tendre, la licorne baissa les paupières. La lutte de cet animal s’achevait ici. La solitaire approcha sa gueule de la chair de l’animal, hésitant à mordre dedans. Ce n’était certes pas la première fois, mais à chaque fois cela la répugnait. Un craquement de branche fit sursauter la louve qui fit volte-face, toutes babines dehors. Ses prunelles vertes se posèrent sur un loup dont-elle ne pris pas la peine de juger l’apparence, reportant son attention sur son futur repas.

« —Va voir ailleurs si les démons sont blancs, je veux manger tranquille. »

Remuant sa queue, la louve eut espoir que le nouvel arrivant fasse demi-tour, mais c’était trop en demander dans ce monde de prédateurs. Un soupir s’échappa de sa gueule, tandis que agacée, Leikn jeta un regard noir au gamin. Visiblement les Etelkrus n’avaient pour habitude d’exaucer les demandes, aussi simples qu’elles puissent l’être. La solitaire s’attarda quelques secondes rapides sur le physique du loup, assez haut sur patte, cela n’en restait pas moins un gamin, bien que ses plumes le grandissaient. Enfin, la licorne n’était pas le mieux placé pour juger, à peine plus vieille que lui dans ce corps animal… Un sourire provocateur vint étirer les babines de la louve qui baissa la tête vers le cerf avant de prendre la parole.

« —Qu’est-ce qui te fais dire que j’ai envie de le sortir de là ? Hors de question que je risque ma vie et puis accepter l’aide d’un gamin, non merci. »

Aussi, sans même réfléchir, la louve pris une bouchée de la chair flétrie du cerf, mâchant rapidement sans se pré-occuper du goût. C’était bien loin d’être agréable, mais lorsqu’on avait le ventre vide c’était mieux que de mourir de faim. Prenant une seconde bouchée, la louve se retourna une nouvelle fois vers l’inconnu. Il n’avait toujours pas bougé. La jugeait-il ? Comptait-il lui voler sa proie ? Qu’il approche si il en a le cran, ce n’est parce que je ne peux tuer qu’il m’est impossible de l’éloigner. Leikn était prête à tout pour protéger son repas de fortune, les muscles tendus, prête à bondir au cas où le gamin bougerait. Elle était encore beaucoup trop ignorante de ce monde pour savoir quel était le tempérament des meutes et de leurs membres.

Bien que chasser le loup par la force démangeait fortement Leikn, la licorne se retint tant bien que mal. La boue qui lui collait aux pattes et la faim qui tiraillait son estomac ne jouaient clairement pas en son avantage. Cependant, l’Etelkrus posait beaucoup trop de question, ne pouvait-il pas passer son chemin et la laisser tranquille ? Visiblement non. Foutu loup à la noix... Il se prenait probablement pour une graine de génie avec ses remarques, comme si Leikn n’avait jamais pensé à tout ceci ! Bien sûr qu’une proie fraîche serait plus savoureuse et nourrissante, mais il fallait s’adapter aux circonstances et là, les choses faisaient que la licorne n’était capable de chasser pour sa personne. D’ailleurs, il était fort peu probable que quiconque se présente pour l’aider.

« —Peut-être bien, mais je doute que tu apprécies que je chasse sur les terres de ton clan alors que les proies sont encore rares. Quoique au vu de ton âge tu dois être nourri et logé par les plus compétents...»

En mâchouillant une nouvelle bouchée de la charogne, Leikn manqua de s’étouffer en entendant la question du loup. Toussotant, elle reprit tant bien que mal son souffle, posant un regard venimeux sur le gamin, quelques injures lui brûlaient les lèvres, néanmoins avec un effort colossales, la louve se retint. Vexée, la licorne se refusa de répondre à la question, ce gamin se serait probablement moqué de sa réponse. Replaçant sa longue cape rouge tachée de boue, la solitaire se tourna vers l’Etelkrus, lui faisant face.

« —Je t’en pose des questions ?! Retournes donc dans les jupons des nourrices plutôt que de m’embêter. »

Intriguée, Leikn haussa un sourcil. Il lui autorisait à chasser sur ces terres, lui qui ne devait même pas avoir atteint l’adolescence ? Quel genre de pouvoir possédait-il mis à part celui d’agacer les gens ? Ou alors, l’Etelkrus se permettait de donner des autorisations alors qu’il n’était absolument pas placé pour le faire. La solitaire se demanda un instant si tout ce ci n’était pas un test ou alors un piège. Peut-être que d’autres soldats étaient cachés, là, derrière les arbres, attendant un signal pour lui bondir dessus. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt?! Tournant vivement la tête, Leikn tenta de percevoir un quelconque mouvement autour d’elle. Les bougres étaient sûrement bien cachés… ou alors les paroles du loup étaient sincères…

« —Pourquoi voudrais-je te poser des questions, si je suis solitaire c’est bien pour ne pas à avoir à fréquenter d’autres loups… ou le moins possible lorsque ça arrive. »

Sa voix était méfiante, tandis que ses yeux tentaient de percevoir le moindre mouvement, mais déjà la voix du mâle l’interpellait de nouveau. Cherchait-il à la distraire ? Leikn fit quelques pas en sa direction, s’extirpant de la boue, légèrement fléchie, prête à bondir sur lui en cas de problèmes. L’unique œil visible d’une couleur étrange vint se poser sur les cornes de la solitaire. Il n’avait jamais vu de loup cornu de sa vue ? Hum… pas sûr que cela courre les rues après tout… La licorne grimaça, ainsi donc il pensait qu’elle ne savait pas chasser ? Il avait en parti raison, après tout Leikn n’avait jamais réellement essayé, préférant soigner les animaux qui pouvaient l’être, attendant la mort de ceux qui ne le pouvaient.

« —Qu’est-ce qui me dit que tu ne vas pas partir chercher des soldats Etelkrus pour me chasser de votre territoire ? D’ailleurs pourquoi ferais-tu ça ? Personne n’agit sans intérêt, alors même si tu m’aidais, qu’est-ce que tu voudrais en échange ? »

L’ego de Leikn fut touché en entendant le gamin la traiter de méfiante et paranoïaque. Tous les mouflets sont-ils aussi pénibles sur ce monde ? Ou c’est juste celui-ci ? Il faut dire que depuis son arrivée, la louve n’avait pas vraiment eut l’occasion de côtoyer plus jeune qu’elle, enfin du moins en apparence. Ainsi donc il ne voulait rien ? Étrange, pourtant tous les loups étaient familiers avec le principe donnant-donnant, cet individu était vraiment particulier… peut-être un peu trop.

« —Je ne crache pas. Si cela te fait plaisir, amuse-toi donc petit...»

Son estomac poussa une plainte parfaitement audible à l’idée de pouvoir savourer un repas frais, même Leikn en salivait d’avance. Cependant, le côté licorne resurgit rapidement, montrant des scène horribles de la mort d’un être vivant dont-elle serait indirectement responsable. La culpabilité noua les entrailles de la solitaire, qui sentait la bile monter dans sa gueule, les images défilant de plus rapidement dans son esprit, la culpabilité rongeant son âme supposée être « pure ». Sous le coup, le peu de choses qui se trouvaient dans l’estomac de la louve ressortit, laissant une désagréable acidité sur sa langue. Leikn se sentait fiévreuse, l’idée d’accepter l’aide d’un autre pour tuer semblait révulser chaque pore de son être. Méfiante, elle se tourna vers le gamin, il devait sûrement la juger encore plus faible ou peut-être éprouverait-il de la compassion. Une certaine colère, plutôt dirigée envers sa nature secondaire incita Leikn à montrer les crocs au gamin.

« —Ne touches pas à un poil d’un être vivant. Je me contenterais de celui-ci. »D’un mouvement de la tête, la louve désigna le cerf en phase de décomposition. Les oreilles légèrement vers l’arrière, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain regret envers ce mouflet. « Vas-y, petit, je t’autorise à me poser une question si cela te fait plaisir, pour te remercier de ta proposition. »

Oulà, sortis de sa gueule, ces mots étaient beaucoup trop étranges… Un frisson la parcourut tandis qu’elle revint se placer auprès du cerf, reprenant une bouchée de sa chair putride.