At world's end — Siam

La fin était proche.

Qu’était-il donc venu ? Lui jadis alpha, désormais roi déchu, errant sur les terres à proximité du temple de sa déesse. Cette déesse qui lui avait transmis ce cadeau empoisonné, celui qui le tuerait. Cela faisait plusieurs jours maintenant que Alys sentait la mort s’approcher, déjà de loin il pouvait distinguer sa silhouette encapuchonnée, serrant contre son corps squelettique cette faux qui fauchait tant de vie. Pourtant, l’Etelkrus n’avait pas peur. La douleur devenait insupportable et il n’avait qu’une hâte s’en débarrasser, une bonne fois pour toute. Le mâle déglutit, crachant un glaire de sang. Foutu sang ! Reprenant son souffle, le loup reprit sa marche, les hautes herbes chatouillant son ventre. Un instant de répit lui fut toutefois nécessaire, sa vue se brouillait de plus en plus, ses pattes le faisaient souffrir à un point inimaginable.

Ses yeux vairons parcoururent les falaises littorales. C’était ici que Nephthys avait trouvé la mort suite à une erreur stupide, mais de cela, Alys ne pouvait s’en rappeler. Les souvenirs se dissipaient progressivement, lui faisant oublier jusqu’à sa vie d’avant. Un frisson parcourut son échine, l’absence de son capuchon lui faisait bizarre, mais désormais, c’était à Lewis qu’il appartenait. L’etelkrus était satisfait de la fin de son histoire, au final, il avait réussi à avoir deux louveteaux qui n’auraient pas le temps de le haïr. Cette haine dont-il avait été la cause chez Siam, son fils aîné. Comment avait-il pu laisser les choses tourner de la sorte ? Comment avait-il pu se laisser haïr de son propre fils ?

Sa propre faiblesse avait engendré ce chaos, préférant taire la vérité de crainte de passer pour faible, laissant croire à Siam qu’il pourrait être ce père qu’il était en réalité depuis le début. Oh Ori, pourquoi en pas lui avoir tout avoué depuis le début ? Qu’avait-elle donc à craindre ? Alys l’aurait protégé au péril de sa vie, se serait même exilé avec lui si cela lui aurait permis de vivre en sécurité, mais au lieu de ça, le disciple de Dairo avait poursuivi ce terrible mensonge, causant un peu plus de mal.

Délicatement, Alys retira de sa tignasse la plume orange, celle qui n’était en réalité nulle autre que son glowstick. La lumière de ce dernier était incroyablement faible, vacillant. L’heure était proche. Mais ce n’était pas du genre du guerrier de laisser le destin choisir pour lui, plus maintenant. Posant la plume au sol, le loup observa un long moment la source de son malheur. Ce pouvoir qui le rongeait, ce pouvoir qui le détruisait, ce pouvoir qui le tuait. Rien de bénéfique en lui, jusqu’à son sang était pourri. Aussi, avec toutes les forces qui lui restaient, le mâle brisa son glowstick qui éclata, laissant le liquide orange s’écoulait sur le sol avant de perdre de sa couleur. Alys inspira, oui, ce n’était plus qu’une question de temps. Alors, l’ancien etelkrus se tourna vers celui dont-il attendait tant la visite, un air neutre sur ses traits.

« — Te revoilà donc, Siam, mon fils.»

Faisant face à la chair de sa chair, le loup observa le mâle noir. Cela faisait bien longtemps qu’ils n’avaient été aussi proches. Alys se rappelaient encore des nuits passées ensemble, des balades qui s’offraient, des histoires à dormir debout qu’ils s’amusaient à raconter… Une époque bien lointaine, devenant progressivement floue. L’ancien disciple de Dairo observa le ciel, ce simple effort le faisant souffrir.

« — Ainsi, le moment est venu. J’ai su, dès le moment où je t’ai recueilli que tu serais celui qui m’enverrait auprès des morts, pourtant à aucun moment, je n’ai pu m’empêcher de t’aimer.»

Alys marqua une courte pause avant de reprendre, le regard plus doux.

« — Mais comment t’en vouloir ?»

Est-ce ta faute si ton père est un menteur ? Est-ce ta faute si tu es devenu tel que tu es ? Non, loin de là Siam, tout ceci est la mienne. J'aimerais pouvoir dire ô combien j'ai fais une erreur en t'ayant, mais ce ne serait qu'un mensonge supplémentaire. Tu es et seras celui qui comptera le plus pour moi, tes soeurs ne pourront jamais rivaliser en cela, ni aucun dieux. Garde cela en tête Siam, mon cher et tendre fils, que tu me tues ici ne changeras en rien, l'amour que je porte à ton égard. Cet amour, n'aurait aucune difficultés à faire le tour du monde en un simple battement de coeur. Je t'aime, mon fils, Siam.

Visiblement, les mensonges répétés n’avaient fait qu’aggraver la colère de Siam. Alys fronça doucement les sourcils, son regard se faisant plus froid, plongé alors dans les yeux vairons de son fils.

« — Je te regarde, car je te vois.»

Tel que tu es, tel que tu souhaites paraîtres. Des dernières paroles… Qu’aurait-il pu dire ? Que désormais Siam avait deux soeurs ? L’alpha déchu n’avait rien à avouer, son fils ne pouvait entendre, refusant toute raison. En revanche, Alys pouvait le prévenir.

« — Fuis. Ne restes pas chez les Etelkrus. Ma mort m’indiffère, mais je refuse que tu paies pour cela. »


Parce que cela te rongera mon fils, jamais tu ne pourras oublier ceci. Alors, rappelles-toi que je n’étais que le menteur, pas ton père, juste un menteur. Ce n’était que le cycle de la vie après tout. Mais les choses chez les Etelkrus avaient changé, les nouvelles alphas ne laisseraient probablement pas passer ça, Siam devait trouver refuge ailleurs, retourner à ses sources. L’ancien disciple de Dairo toussota douloureusement. Cela le rendait malade, de se savoir encore plus faible, alors que tout son corps semblait en feu intérieurement. Affaibli, Alys sortit toutefois une fiole de sa chevelure, contenant un liquide pourpre. Avec délicatesse il la fit rouler vers Siam.

« — Tu sais ce que c’est n’est-ce pas ? Ne le gaspilles pas, le flacon lui permettra une longue conservation sans en altérer les effets… »

Alors, l’Etelkrus priait pour que son fils accepte cet ultime présent, qu’il le garde pour lui ou le donne à sa descendance si elle devait venir un jour. Ce sang, lui permettrait de guérir des blessures mortelles une fois et une seule. Ce n’était en rien un moyen pour le loup de se faire pardonner, mais chacun de ses enfants avait eu ce présent, à lui aussi de le recevoir maintenant avant d’infliger son ultime châtiment.

Surprenant.

Alors qu’Alys s’était attendu à ce que son fils brise la fiole, il l’a glissa contre toute attente dans son capuchon. Observant ces derniers souvenirs d’un père indigne. Remuant une oreille, l’alpha déchu ne fit aucun commentaire, ses paupière lui paraissaient lourdes, si lourdes, son corps incapable de faire le moindre mouvement supplémentaire. Le disciple de Dairo fronça les sourcils en entendant Siam annoncer qu’il prendrait  ses responsabilités. Non Siam, plus maintenant, ne joues plus à cela. Ne cherches pas à te comparer à moi, ne prends pas cette responsabilité qu’est ma mort, ne paie pas pour cela car les autres te jugeront et s’en serviront comme d’une faiblesse. Tout cela, il n’avait plus la force de le dire, ses vaisseaux sanguins semblaient être sur le point d’exploser, tandis que son coeur battait incroyablement vite.

« — Je t’aime.»

Les mots avaient fusé de sa gueule, c’était plus fort que lui. Ces trois petits mots ne suffiraient pas à démontrer ô combien l’amour qu’il portait à son aîné était important. Siam fait celui qu’il connaissait le plus, celui qu’il avait pu élever, voir grandir, aimer… et décevoir. Les fautes du fils de Méléagant à l’égard de son fils étaient grandes, si grandes… Une vie entière n’aurait suffit à les réparer… Son sacrifice n’y suffirait pas non plus. Qu’aurait-il pu faire ? Qu’aurait-il dû faire ? Quelle excuse un père pouvait-il utiliser pour avoir menti à son fils ? Un mensonge aussi conséquent ? Une partie d’Alys aurait préféré que Siam ne sache jamais la vérité, cette vérité destructrice, néfaste, qu’il reste dans l’innocence. Cela aurait-il changé quelque chose pour autant ?

Les crocs s’enfoncèrent dans sa gorge, sans que le loup ne cherche à lutter, trop faible désormais pour cette simple action. Doucement, son corps s’avachit, glissant sur le sol, sa gueule reposant sur l’herbe. Suffoquant, les prunelles vairons d’Alys ne quittaient son fils des yeux. Étais-ce des larmes qui coulaient ? Non. Non. Siam, ne pleure pas. Ma vie fut emplie d’erreurs, de malheurs, alors s’il te plaît, je t’en supplie, ne cède pas au chagrin. Ne le laisses pas te consommer, je n’en vaux pas la peine. Pourtant, pourtant Alys reput retenir à son tour quelques larmes qui creusèrent des sillons dans ses poils. Il aurait tant voulu réconforter son fils, tant le serrer dans ses pattes, le rassurer d’un mauvais rêve.

Le louveteau poussa un gémissement qui tira Alys de son sommeil. Touchant du bout du museau ce petit corps, le bêta révéla doucement Siam qui semblait apeuré. Allumant une bougie afin de les éclairer, l’Etelkrus observa la petite silhouette noire qui tremblotait.

« — Siam ? Que se passe-t-il ?»
« — J’ai fais… un cauchemar.»

Alys fronça doucement les sourcils serrant le petit corps contre lui un peu plus fort. L’eltelkrus aurait tant voulu lui dire, ici, maintenant la vérité. Lui avouer qui il était réellement, pas un louveteau abandonné, non, son fils. Le sien. Le loup entrouvrit la gueule, prêt à tout avouer, lorsque soudain il se rappela Noroi, le sort qu’on lui avait réservé, puis de ses filles, presque poussées à partir. Non, Alys refusait que Siam soit abandonné de nouveau, qu’il soit chassé de ce nouveau foyer. Le bêta avait fait une promesse, le protéger, coûte que coûte, au péril de sa vie et il ne revenait jamais sur une promesse. Alors doucement, posant sa truffe contre la joue du louveteau, il murmura, prenant la parole d’une voix calme et rassurante.

« — Tant que je serais là, tu n’auras rien à craindre Siam. Je reste avec toi. »

Le loup marqua une courte pause avant de pousser doucement vers son «  fils adoptif », un capuchon sur lequel il avait oeuvré, car après tout selon lui, c’était vital, le sien ne le quittant jamais.

« — Et si je ne suis pas près de toi, gardes ce capuchon sur toi, cela chassera tes mauvais rêves, d’accord ? »

Le petit ne répondit pas, repartant doucement dans le monde onirique. Soufflant sur la flamme de la bougie, Alys posa sa tête contre lui, se disant ô combien il était chanceux d’avoir la chance d’aimer à son tour. Tant que Siam resterait avec lui tout irait bien. Alors restes avec moi mon fils, restes…




…avec moi. Le corps d’Alys fut secoué de spasmes, l’oxygène lui manquait, le sang emplissait sa gorge. Encrant ses griffes au sol, l’Etelkrus souhaitait que tout cela termine. La douleur devenait insupportable, la douleur le consommait et si les blessures n’avaient eu raison de lui, alors la douleur l’aurait rendu fou. Un dernier sourire vint étirer ses babines, laissant ainsi s’échapper un filet de sang qui rejoint la flaque qui s’était formée sous lui. Le corps de l’ancien alpha se raidit alors, alors qu’il lâchait son dernier soupir.

Siam brisait la roue des mensonges, brisait la roue qui régissait sa famille. Le loup raterait beaucoup de choses, tant de choses à vrai dire, mais il espérait que son fils ne serait pas condamné pour son acte, mais nul ne comprendrait après tout… Alors qu’il fuit, construise une nouvelle vie loin de tout ça car les Etelkrus avaient malheureusement la mémoire longue, trop longue et Alys refusait que son fils paie. Pas lui, pas cet être si important à ses yeux, pas celui qui avait changé sa vie. Alors intérieurement il avait prié, les dieux, toute choses, espéré que nul autre malheur ne croiserait le chemin de Siam, qu’il n’aurait jamais à faire usage de ce sang maudit, mais par-dessus tout qu’il puisse oublier, oublier le chagrin, la douleur pour se focaliser sur une seule chose, son bonheur.

Ainsi s’achève l’histoire de Alys, fils de Méléagant et Winnifried, frère d’un grand nombre de loups, père de Siam, Lewis et Trixie. Désormais une nouvelle page se tourne.