Ce qu'apporte le printemps ♖ Anianka

Quelques jours s'étaient écoulés depuis ce long cauchemar où l'agitation avait paru interminable pour la jeune prêtresse. Allongée dans une herbe étonnamment fraiche et haute pour un début de printemps, Anianka savourait ce calme plat pour méditer auprès de la magnifique Tigresse. Elle gardait un très mauvais souvenir de cette fameuse nuit, c'était bien la première fois qu'elle était en proie à ce que les guérisseurs surnomment “ une paralysie du sommeil ”.  
Chaque rêve avait son sens, et peut-être que celui-ci était une mise en garde pour sa progéniture. Était-elle en danger, affaiblie par sa grossesse ? Sur ses gardes, Anie redoublait de prudence. Elle était jeune pour être mère, mais cette portée n'avait jamais été désirée. Elle ne s'était encore confiée à personne sur ce qu'il s'était passé ce soir là, elle n'était pas le genre de demoiselle à se plaindre ou à pleurer sur l'épaule de quelqu'un.

Ses grands yeux fixaient insaisissablement une rose particulièrement isolée, petite et aux pétales délicates, dont la teinte rouge était aussi sombre et sanglante que ses cheveux. Autour d'elle, l'odeur des roses flottait dans l'air et attirait toutes sortes de butineuses. A sa droite un peu plus loin se distinguait une grande arche recouverte de roses qui se mêlaient avec raffinement au bois clair. Autour dominaient deux majestueuses sculptures de tigres aux gravures minutieusement travaillées, leur donnant une apparence plus vraie que nature.

Troublée par une visite, elle dévia ses prunelles ambrés sur un mâle qui trottinait en sa direction. Des plantes et un bigier entre ses mâchoires, un sourire gaie étirait ses babines, c'était nul autre que Teddy, le petit nouveau.

Bonjour Teddy, merci pour tout cela. Répondit-elle en souriant agréablement et en l'observant s'installer.

Elle attrapa le gibier d'un coup de patte et l'humecta avec méfiance.

Je ne peux que bien me porter quand on prend aussi bien soin de moi. Dit-elle avec une pointe d'amusement, toujours souriante.

Elle arracha un morceau de viande avec une délicatesse peu commune et mangea calmement, telle la louve gracieuse qu'elle était.

Comment se passe ton intégration, mon cher Teddy ? Interrogea-t-elle tout en rongeant le gras qui s'accrochait à l'os de la bête.

Un amour ce Teddy, peut-être un peu trop même, et cela ne lui apportera rien de bon. Il finira mangé par la société comme les autres à trop vouloir aider son prochain. Anianka étaient de ceux qui l'avaient compris et qui à l'inverse de servir les autres, se faisaient servir par eux. Et le mieux dans tout ça, c'est qu'elle n'avait même pas besoin de lever le petit doigt pour obtenir ce qu'elle voulait. Pour le coup, ce n'est pas comme si elle avait besoin de tout ça, même si elle était aussi gonflée qu'un hippopotame elle pouvait encore se nourrir dans les réserves ou piocher dans les stocks d'herbes mis de côté pour les mères porteuses. D'un caractère indépendant et fier, elle ne refusa pourtant pas les services de l'ancien solitaire.

Elle l'écouta d'une oreille fine, ses yeux ambrés fixés gentiment sur lui. Aussi agréable que son visage puisse t'être à ce moment là, son regard est si intense qu'on pourrait croire qu'elle l'analyse comme un livre de bibliothèque. Il avait l'air d'avoir des difficultés petit Teddy, et surtout, il paraissait bien seul. Parfois, Anie le ressentait aussi ce sentiment, mais ça personne ne le savait, même elle reniait ce genre de faiblesse. Un peu comme sa mère lorsqu'elle était jeune et rebelle.

C'est pas comme si j'avais le choix. Pensa-t-elle.

Personne ne court pour venir se joindre à moi dans cette meute. Beaucoup me jugent sur la provenance de mon sang. Seule Moiro m'accepte telle que je suis, et je m'en satisfais pleinement.

Enfin, c'est ce qu'elle veut faire croire. Peut-être est-ce pour ça qu'elle est venue chercher ce solitaire sur son rocher ? Une nouvelle recrue dans les disciples de Moiro lui ferait plus de compagnie. Mais est-ce vraiment la raison ? Difficile de lire dans les intentions de la prêtresse, son côté mystérieux — bien que charismatique — était difficile à déchiffrer.

Il parut intimidé à en juger par ses ses oreilles baissées et son regard gêné, ce qui ne fit qu'élargir un peu plus le sourire de la belle. Elle fut cependant surprise de voir le jeune mâle se mettre à l'aise à côté d'elle. Personne n'était en confiance en sa présence, la plupart restaient méfiants ou étaient trop peureux pour s'approcher d'assez près.

Ayant vidé l'animal, elle se nettoya les crocs et s'attaqua à la toilette d'une de ses pattes. Elle releva ses prunelles sur lui lorsqu'il mentionna son pouvoir. Peut-être que si il le découvrait, il décamperait sur le champs. Rien que pour revoir l'expression de son visage déconcerté elle serait bien tentée de lui refaire une démonstration, mais elle garda cette plaisante raillerie pour elle même et se contenta de finir sa toilette.

Elle reposa sa patte et se détendit à son tour, exposant son ventre rond sans aucune crainte, à croire qu'elle maîtrisait parfaitement la situation.

Si tu passes un jour l’épreuve d'un des dieux de la meute, tu auras toi aussi un pouvoir, puissant ou non, attribué en fonction de ta personnalité, de tes envies et du jugement des dieux.

Même si certains sont inutiles.. Critiqua-t-elle pour elle-même.

Moiro est un excellent choix. Commenta-t-elle avec malice, les iris brillantes.

Si ton intégration se passe bien et que la meute t'accepte, alors oui, tu peux prétendre à sa couleur. Mais seule elle peut juger si tu en es digne.
Mais dis moi, que sais-tu de notre magnifique déesse Moiro, mon cher Teddy ?

D'un léger coup de museau elle dégagea une de ses mèches sombres qui venait lui barrer le regard, dévoilant ainsi de profonds yeux en amande qui le fixaient avec clémence.

Tu as l'air d'être renseigné, ça en va de soit. Mais comme tu l'as toi même remarqué il manque des choses.

Un léger sourire vint discrètement étirer le coin de ses babines, elle avait l'impression d'être dans la peau d'un mentor. Après tout, cela faisait peut-être partie de son rôle de Prêtresse.

Le charme n'est pas que physique, il est aussi dans la personnalité, dans les actes, dans les paroles, dans ta façon d'être. Comment charmerais-tu une louve aveugle ?

Elle avait appris cela elle-même par la Tigresse, aiguisant ainsi ses charmes d'un tranchant plus redoutable. Le plus froid des coeurs peut être aveugle aux artifices physiques mais si l'on sait l'amadouer par de belles paroles alors il peut être dompté.

Le coeur est l'arme la plus séductrice que tu puisses avoir. Si tu comprends cela, alors tu as déjà en tes pattes un pouvoir “balèze” mon cher Teddy. Dévoila-t-elle accompagné d'un petit clin d'oeil énigmatique.

Elle haussa un sourcil, faussement étonnée par les prétentions oratoires de l'ancien solitaire. Lui, doué de sa langue ? C'était évident, il bavardait sans arrête comme si s'exprimer était vital, sûrement une conséquence de sa solitude, il devait ressentir le besoin de se confier aux autres.

Je suis toute ouïe. Défia-t-elle.

Tout en l'écoutant, ses babines s'élargirent en un sourire si lumineux qu'il était presque sincère. Il était doué, pas de doute à avoir. De belle paroles, éloquentes et plaisantes.

Tu sais t'y faire, je l'admets. Concéda-t-elle.

Son visage se dépeignit peu à peu pour y laisser réapparaître son sérieux de départ.

Mais il te faut encore travailler la subtilité et la gestuelle. Ton charme était direct et efficace, mais contre un coeur réservé ou froid, il te faudra utiliser plus de finesse et de patience.

Brève pause, elle se lécha une babine pour y retirer le goût restant de viande.

Il faut amadouer le coeur et non lui piquer dans le lard. A toi d'analyser la personne que tu veux séduire et d'en déduire quel type d'approche tu dois utiliser.

A ça, elle était plutôt douée elle, pour sûr qu'elle en faisait usage même. C'était un jeu plaisant à ses yeux la séduction, elle aimait être flattée et cela lui donnait de la supériorité.
De nouveau elle sourit, mais il ne dura qu'un court instant, disparaissant aussi vite qu'il était venu sur son si séduisant visage.

Tu réussiras, je n'en doute pas. Il ne te reste plus qu'à charmer toute la meute maintenant. Ironisa-t-elle, terminant sa phrase d'un léger rire étouffé dans sa gorge.

Ce n'était pas aussi facile qu'il l'aurait espéré, Moiro n'était en rien une déesse qu'il fallait sous estimer. Son charme est manipulateur et sa grâce féline si délicate et captivante peut cacher bien des épines tranchantes. Comme une rose aux pétales délicieuses dont les piquants avertissent de sa beauté mortelle. Elle était redoutable mais par chance, il avait ce qu'il fallait entre les cuisses pour la rendre plus clémente.

De nouveau, Teddy utilisa la flatterie et bien que cela puisse paraître pesant — a croire qu'il faisait le lèche-cul — à la longue, Anie, elle, ne s'en lassait pas, elle ne s'en lassait jamais.
Elle passa sa langue sur ses crocs blancs d'un air hautain puis attrapa les quelques herbes ramenées par l'ancien solitaire.
Alors qu'elle mastiquait cette verdure fraichement cueillie dans un silence qu'elle trouvait relaxant, Teddy s’intéressa finalement à l'origine de son ventre arrondi. Elle soupira et son visage d'habitude souriant et accueillant s'assombrit en une expression accablée.

Je n'aime pas vraiment parler de cela. Avoua-t-elle en baissant les yeux sur l'offrande qu'il lui avait faite.

Ses traits se durcirent soudainement, elle fronça les sourcils. Ses yeux se levèrent en face d'elle, figés sur des images que seule elle pouvait voir.

J'étais partie explorer les alentours pas très loin de la frontière, à l'extérieur du territoire, parce que j'avais cru apercevoir une étrange créature. Commença-t-elle à conter, d'une voix émotive comme une mère conterai une histoire à son enfant.

D'un coup, une bête immense me prit par surprise et m'immobilisa. Son pelage était aussi sombre qu'une nuit sans lune, mais à son odeur j'ai deviné qu'il s'agissait d'un loup, d'un solitaire, il empestait la charogne. Je n'ai pas eu le temps de l'analyser plus que ça, il était lourd et m'écrasait le visage sur la terre. Je n'entendais que le rythme de son souffle rauque et le cliquetis de plusieurs chaines. Par chance, il ne m'a fait aucune autre violence et s'est enfuit après avoir fait ce qu'il avait à faire. Et je suis restée là un long moment.

Sa voix était devenue dure et froide, ses iris luisaient d'une flamme ardente, recouverts d'une fine pellicule d'eau. Si elle pouvait le retrouver, elle le tuerait sans aucune pitié.
Teddy était pour l'instant le seul à qui elle confiait ce souvenir honteux et affligeant. Elle, la séduisante prêtresse Lazuli, bafouée par un solitaire impur..

Le regard perdu dans le vide, comme si elle était elle-même emprunt d'un immense vide, d'un trou béant, elle resta d'abord silencieuse. Puis elle cligna des paupières et soupira par les narines. Elle dévia son regard devenu neutre sur Teddy, qui semblait soucieux de son état.

Non, ils n'en savent rien. Je comptais leur annoncer à la venue de mes enfants.

Car pour le moment, ils avaient d'autres chats à fouetter n'est-ce pas ? Ils étaient occupés à organiser leurs préparatifs pour leur première réunion de meute. Anianka le savait tout ça.

Malheureusement, on ne peut rien y faire, Teddy. Rétorqua la prêtresse d'un ton calme.

Anie avait accepté son sort et elle se vengerait d'elle-même lorsqu'elle en aurait l'occasion, chez elle, la vengeance est un plat qui se mange froid. Elle pouvait lui infliger beaucoup plus de douleurs que n'importe quel guerrier Lazulis, elle avait ses propres armes.

Ce solitaire était sur son territoire, je n'étais pas sur le mien. Les alphas ne feront rien car cela pourrait provoquer une guerre contre les solitaires.  Expliqua-t-elle avec contrariété.

Tant qu'il ne ramène pas ses pattes sur notre territoire, il ne menace en aucun cas notre meute. Son acte était purement bestiale et avec les chaleurs, ce n'était pas visé.
Je ne peux qu'assumer les conséquences de mon imprudence, je ne demanderai aucune justice car je ne veux pas mettre en danger la meute. Le peu de guerriers que nous avons doivent protéger les frontières.

Elle tourna son regard désabusé sur la roseraie et garda le silence un moment. Son dévouement était  admirable, mais Anie n'avait pas suffisamment confiance en ce nouveau Lazuli pour lui confier ses enfants. Elle était bien décidée à les élever seule, à sa manière. Ils étaient son sang, ses bébés. Elle en prendrait soin comme de sa propre vie, ils avaient une importance toute particulière à ses yeux, les approcher de trop près pourrait même s'avérer dangereux.

Tout ce que tu fais pour moi est déjà bien suffisant, mon cher Teddy. Mais si tu tiens tant que cela à m'offrir un service, je t'accorderai ce plaisir une autre fois, lorsque le moment s'y prêtera vraiment.


Merci. Sa voix coula comme un murmure dans l'air parfumée de l'île aux roses.

Elle le remerciait d'être aussi compréhensif avec elle, rares étaient ceux qui comprenaient son ressenti dans ce monde. Peut-être qu'avec le temps, elle lui ferait confiance. En attendant, et à son grand regret, elle devait garder un oeil sur lui pour lui apprendre ce qu'elle savait.
Gloriel s'était bien moqué d'elle en lui donnant ce rôle de “mentor”, d'ailleurs, elle irait lui en toucher quelques mots. En tant que prêtresse, cette casquette ne lui était pas destinée, elle ne pouvait pas lui enseigner grand chose à part les bases du charme et de la grâce pour réussir l'épreuve de Moiro. Que pouvait-elle faire d'autre, maintenant que c'était fait ? Anie n'allait tout de même pas lui mâcher le travail en lui donner toutes les instructions, c'était à lui de découvrir ses qualités de séducteur. Elle n'allait pas le suivre partout, il était libre de découvrir les terres désormais, et puis elle était pleine de presque deux mois, elle préférait se reposer au calme. Peut-être lui accorderait-elle une petite visite, lorsque le moment lui serait favorable.