Nouveau jour [Creek, Keran, Tatch]

Un vent moyen balayait l'île en cette matinée, repoussant les nuages de pluie vers le continent car même dans le ciel, l'Océan aimait le détester. Il faisait naître les tempêtes qu'il laissait s'écraser contre les côtes de la Terre. Il ferait beau aujourd'hui sur Morne-Oeil, beaucoup moins sur le reste de la région. Safran afficha un sourire satisfait à cette constatation.
Elle était assise en hauteur sur un rocher à quelques mètres de l'entrée de la grotte des  Raeders. La louve aimait parler aux autres en les dominant légèrement, elle ne savait d'où elle tenait ça car si elle appréciait être Seconde, elle ne tenait pas au rang de Capitaine, jugé trop ingrat à son goût. Le rocher lui permettait également de soigneusement éviter un des inconvénient de la petite île des Raeders : les fesses pleines de sable, ça elle le laissait volontiers aux trois petites brutes qu'étaient devenus les mômes d'Heever et dont elle avait soigneusement pris soin de réveiller en leur aboyant bruyamment dans les oreilles avant de les attendre dehors. Elle aurait été une sœur si infecte si elle avait grandi avec sa probable fratrie, elle le premier né que l'Océan avait réclamé.

Cependant, Safran n'avait pas réveillé les trois mâles pour rien. Elle qui venait de subir les premiers revers de la malédiction, elle qui avait cru encore longtemps en Illidan, avait cessé de croire. Il était temps pour les Raeders de cesser d'être un équipage échoué dans leur propre déchéance, il leur fallait un nouveau Capitaine et c'était dans les trois petites têtes brûlés que la Seconde était persuadée d'en trouver un. Encore fallait-il qu'ils acceptent de la rejoindre au lieu de retourner se coucher, avec leur fierté c'était peut-être mal barré mais sur les trois il y en aurait bien au moins un. Il le fallait bien, sinon Safran allait devoir se faire violence et porter le chapeau. En s'auto-proclamant seconde, elle prenait la responsabilité de remplacer le Capitaine si celui-ci n'était plus ou au moins celle d'en trouver un à la place de l'ancien. Illidan était encore théoriquement en vie mais plus suffisamment pour faire ce choix, il n'était même plus véritablement loup et ce bien avant de devenir monstre marin.

La louve brune perdit son regard de sang au loin, là où les nuages noirs s'agglutinaient au dessus des montagnes. Un nouveau jour se levait sur Morne-oeil, il fallait espérer qu'il soit bon.

« Nouveau jour

« Creek & Safran & Kéran & Tatch


Oh écrevisse de rempart ! Grommela Creek dans sa courte barbe. S'il y avait bien une chose qui le rendait grognon dès le matin c'était qu'on vienne lui hurler dans les écoutilles au réveil. Ses yeux cobalt avisèrent le museau de sa cousine qui fit demi tour pour les attendre dehors. Si elle était restée une minute de plus, le mâle anthracite lui aurait fait manger ses morts. Dans un mouvement souple le Canonnier se releva et s'étira allègrement. Il n'allait pas non plus se dépêcher hein, même si la curiosité lui tirailla les entrailles. Il se demanda ce que la brune pouvait bien leur vouloir à tout les trois. Ses sourcils se froncèrent tandis que plusieurs scénarios se passaient dans son crâne chauve. Safran avait-elle ourdi leur erzatz de complot ? Souhaitait-elle envahir l'un des territoires du continent ? Ou bien elle cherchait un fier et beau mâle pour procréer et comptait tirer à la courte paille entre ses frères et lui ? Une grimace mi-figue mi-raisin étira ses babines. L'idée de toucher sa cousine lui était particulièrement étrange et il chassa bien vite ça de son esprit. Bien que Safran ne soit pas de son sang, il avait été élevé comme étant son cousin donc imaginer tremper le biscuit dans... Bwerk. Non merci. Il allait plutôt lui arracher une oreille a cette femelle qui pensait avoir de l'autorité sur lui.

Il se rappelait bien comment elle l'avait envoyé à abattoir. Bon. Presque. En soit, elle l'avait prévenu du danger de l'épave lorsqu'il était lardon. Il n'avait juste pas écouté, trop prompte à vouloir devenir aussi fort qu'elle sur son territoire. Ce n'était que trop tard qu'il avait réalisé son erreur, alors que son corps tombait à travers le plancher glissant et que sa patte s'empalait sur une écharpe grosse comme le museau. Il se remémorait aussi les longs mois de convalescence puis de rééducation, à devoir se faire à l'idée d'une patte en moins remplacé par un stupide bout de bois. Fait a base de cette saloperie de pieu. La carcasse du navire lui avait prit sa patte et la lui en avait rendue une autre, insensible à la douleur celle-là, au moins. Creek s'étira une seconde fois et mordilla sa patte arrière pour stopper les démangeaisons fantômes qui le turlupinait. Il s'avança ensuite vers l'entrée de la grotte en bousculant l'un de ses frangins au passage et en marchant sur la queue de l'autre. Sa patte folle tapait contre la roche de la tanière dans un bruit sec qui résonnait parfaitement bien. Ainsi Tatch et Kéran seraient vraiment réveillés si jamais Safran ne l'avait pas fait avant en leur beuglant dessus.

Sa démarche était désormais à peine claudicante. Le Raeder avait apprit à user de cette patte de bois comme une extension de son corps et donc presque comme une patte normale. Ne manquait que l'articulation qui saccadait, très légèrement, son pas. Au moins cela ne le ralentissait plus à la course ou ne l'affaiblissait plus dans ses appui. Au contraire il sortait de tout ça une rage de vivre plus forte encore, une soif d'en découdre et de montrer qu'il les surpassait tous. Son handicap n'en était plus un. Un large sourire carnassier étira ses babines alors qu'il se faisait silence pour approcher du caillou de sa cousine. Celle-ci fixait l'horizon. Elle lui avait vrillé les tympans, elle lui devait donc deux oreilles. Il décida qu'en mordiller une serait déjà assez pour s'amuser et pour lui apprendre la politesse a sa vieille cousine. Tapi en bas du rocher, le mâle sombre se prépara à bondir quand le bout de sa patte folle dérapa sur de la mousse. Perdant son appui, il dû se redresser et gonfla la poitrine, fier et un peu hautain pour ne pas montrer son échec. Bon, parfois son handicap restait un handicap. Foutue patte de bois. Dans un grognement mécontent il s'annonça donc. Il y était bien forcé...

« Tu me dois une oreille, ma vieille. »

A l'instar de Safran, le gris vint s'asseoir face à l'horizon et observa le soleil se lever. De là il pût sauter un peu plus facilement et planter ses crocs dans le fessier de mademoiselle. Non mais. On réveillait pas un forban impunément !

Les oreilles pointées vers l'avant, elle guetta leurs réactions. Celle de Kéran évidemment, en tant que concerné direct mais aussi celle de son frère qu'elle avait tout de même réveillé pour finalement annoncé que ce n'était pas lui la vedette du jour bien que l'annonce concernait toute la meute. Cependant ce dernier ne réagit pas tout de suite, son frère le devançant et la louve remit son attention quasi totale sur lui. C'était assez impressionnant lorsqu'on connaissait le mâle de le voir si soudainement prendre la chose vraiment au sérieux. Safran étira un sourire, bien, s'il réagissait de cette façon, c'était que le choix était le bon, la petite plaisanterie qui suivit ne cassant en rien cela, les Raeders n'auraient pas supporter un chef sans humour.

« Ohoh, doucement jeune Capitaine, plus que les loups, c'est la malédiction qu'il faudra affronter pour élargir nos terres. Si l'Océan nous reclus sur cette île, c'est parce qu'il est avant tout très possessif de ses monstres. »

Elle s'était remise debout, jaugeant le jeune mâle de sa hauteur, la queue dressée aux mouvements malmenés par le vent.

« Mais avant tout, il va falloir l'annoncer aux autres. J'te laisse une heure pour te faire beau et commencer à réfléchir pour un Second. Rendez vous à la Carcasse pour la nomination officielle, Creek, je te laisse réveiller ceux les flemmards et prévenir ceux que tu croiseras. »

Et elle sauta de son rocher, laissant les deux mâles, retournant elle même au bateau où elle logeait. Au loin, le tonnerre grondait sur le Continent alors que les rayons perçaient les nuages sur l'île, comme si le ciel lui même prévenait la Terre que l'Océan comptait retrouver sa grandeur perdue.