Courtesy Call — Siam

Un bâillement étira la gueule de la louve, qui laissa échapper un léger rire. Pourtant, il n’y avait rien de particulièrement amusant à voir, mais les pensées d’Oxomo suffisaient à l’occuper. Les prunelles rouges sangs de la solitaire parcourant l’horizon avant de s’arrêter sur un troupeau d’antilopes. Parfait. Par les temps qu’il courait, mieux valait ne pas être affamé, bien que l’hiver ici était bien moins glacial que dans les montagnes où avait vécu l’ancienne prêtresse. Quand la louve repensait à la manière dont-ils l’avaient chassé, après tout ce qu’elle avait fait pour eux… La reconnaissance n’était plus de mise dans ce bas monde et ces idiots se mettaient le doigt dans le l’œil si ils pensaient que la paix pouvait exister. Les tribus ne comprenaient que la violence, payée par le sang. Dans tous les cas, la demoiselle avait bien en tête de faire le plein de protéines en se lançant dans une petite partie de chasse.

Qu’avait dit son frère à ce sujet ? On aime mieux la chasse que la prise… Ce fut probablement les dernières paroles censées qu’eut cet imbécile avant de sombrer dans la maladie et que Oxomo ne l’exécute. Cette dernière secoua doucement sa tête, remuant dans la foulée la multitude de plumes accrochées à son casque. Dissimulé dans les fourrés alourdies par la poudreuse, la louve observait une des antilopes un peu à l’écart du groupe.

Avec agilité, la louve-aztèque bondit sur sa prise qui se faisait la malle et planta avec fermeté ses griffes dans la cuisse de l’animal qui s’écroula sous le poids. S’en était alors finit d’elle. Oxomo plongea ses crocs dans la gorge délicate de l’antilope, appréciant le goût du sang sur sa langue. L’ancienne Aeroxim se redressa sa proie en reprenant son souffle tandis que son regard parcourait les alentours, à l’affût d’une quelconque présence. Après quelques minutes sans bouger, la louve replanta ses crocs au niveau de la nuque de sa prise. Tel les grands prédateurs qui peuplaient ces plaines, Oxomo hissa sa proie en haut d’une des branches d’un des rares arbres existant sur la plaine savane. L’air ambiant était agréable et si la louve n’aimait pas autant bouger, peut-être y aurait-elle conçu une tanière. Les crocs de la louve entreprirent de déchiqueter la chair de l’antilope, Oxomo se délectant de chaque bouchée.

Une odeur qui lui chatouillait les narines depuis un moment sembla plus forte. Oxomo avala le morceau de chair encore dans sa gueule avant de redresser sa tête fièrement, un sourire hautain aux babines.

« — Alors, tu comptes te montrer cuauhcalli ? »

Oxomo fronça les sourcils, se pourléchant les babines.

« — Ou faudra-t-il que je vienne te chercher moi même ? »

Cuauhcalli : cafard en Nahuatl

C’était un de ces loups de clan que Oxomo avait de loin observé — mieux valait attendre le retour des beaux jours et de la chaleur pour se lancer dans une attaque quelconque —. Le mâle était mine de rien assez haut sur pattes, le pelage foncé — les loups de ces terres n’étaient pas ainsi tous colorés ? —, une incroyable quantité de plumes dans la tignasse…Qui que fut ce loup de salon, nul doute qu’il aurait eu sa place en tant que prêtre dans le monde aztèque de la louve. Mais ce monde là n’appartenait plus aux tribus, du moins pour le moment… Le sourire de la louve se fit encore plus grand en entendant la voix de cet étranger.

« — C’est que le petit mayaquen se prend pour un grand garçon… Les grands garçons ont vite tendance à mal finir.»

Suffisait de regarder Necocy pour se rendre compte que le petit louveteau soumit s’était transformé en conspirateur… défiguré. Le détail était important, au moins aurait-il toujours un souvenir de sa soeur adorée à portée de patte. La tête de la solitaire pencha légèrement sur le côté en entendant la question de son interlocuteur, petit génie qu’il était celui-là visiblement… La queue féline de la louve remua dessous d’elle, tandis qu’une de ses pattes arrières se balançait dans le vide.

« — Je pourrais te retourner la même question — même si je m’en moque totalement — car je doute que tu sois né en ces lieux. »

Oxomo avait parfaitement compris où voulait en venir le loup avec sa question, mais se lancer dans de grandes explications, c’était pas vraiment son genre… La louve posa sa tête sur ses pattes avants, ses prunelles rouges sangs trahissant un certain ennuie. C’est qu’elle prendrait bien un petit désert la demoiselle, quoi de mieux que de conclure un repas qu’avec une bonne bagarre ?

Mayaquen : loup en Nahuatl

Le terme « étrangère » bourdonna aux oreilles d’Oxomo qui appréciait le mot, bien que cela fut la vérité. Une fois ces terres conquises et ces petits loups domestiques asservis, ils n’oseraient plus la traiter d’étrangère. Le regard froid, la louve leva sa gueule, ses canines dépassant de ses babines montrant clairement sa désapprobation. Au fond, la Aeroxim ne savait pas ce qui était le plus agaçant, que ce morveux ne témoigne aucune crainte en sa présence en lui parlant aussi calmement ou que elle-même ne parvienne à effrayer ce maudit loup noir.

« — Misérable cafard, je suis bien heureuse de ne point porter votre sang souillé par la faiblesse.  »

D’ailleurs les dieux qui régissaient ce bas-monde n’auraient probablement pas apprécié Oxomo, presque autant qu’elle les méprisait actuellement. Avec souplesse, la louve descendit de son perchoir, tandis que sa prise tombait dans un bruit sourd. Bah, les charognards auraient bien quoi se remplir la panse pour une fois ! La queue féline remuait doucement, trahissant son envie de s’amuser un peu avec cet inconnu. La louve-aztèque rompit progressivement la distance que son interlocuteur avait établi entre eux. Un sourire amusé étira ses babines, son casques à plumes remuant.

« — C’est que l’animal est borné… Ma tribu porte le nom  de Aeroxim, là où les faibles n’ont pas leurs places.  » Marquant une pause, le sourire de Oxomo se fit un peu plus grand. « C’est que je commence à m’ennuyer, mauvais point pour toi ça… Alors comment vas-tu me divertir ? »

Silencieuse, Oxomo écouta. Habituellement, ses crocs parlaient avant que ses adversaires ne l’ouvrent, mais bon c’est que ce loup avait la langue bien pendu, cela l’intriguait au même niveau que cela l’agaçait. Agacement toutefois trahi par sa queue féline qui remuait doucement. Cet imbécile était-il en train de la confondre avec une de ces princesses qui se lamentait de leur existence, priant pour que quelque chose d’excitant ne se produise ? Un sourire plus grand vint étirer les babines de la louve en l’entendant évoquer la raison de sa venue en ce bas monde. La conquête. Oh que oui, une conquête même qui s’annoncerait riche en péripéties. Du moins pour les loups de ces terres, car Oxomo ne cessait de s’amuser parmi ces cafards. Aucun ne rattrapait l’autre, les pouvoirs des loups de clan s’avéraient assez inoffensif, là où la louve s’était attendue à ce que les « disciples » possèdent des pouvoirs grandiose, il n’en était rien. Au final, ce n’était rien de plus que des loups.

Du mépris. C’était ce que Oxomo décela dans la voix de ce loup qui en apparence semblait plus âgé qu’elle. À ses yeux, devait-elle probablement passer pour une adolescente en pleine phase de rébellion. Si seulement…

« — Ma reine ? Bravo, tu sembles comprendre à qui tu as à faire. Bien que tu sembles avoir la langue bien pendue, tu n’es point à la hauteur pour être mon bouffon.  »

Les bouffons sont piétinés sous mes coussinets. À quoi bon avoir un idiot du village lorsque les loups étaient à vos pattes, lorsque la simple frénésie du combat suffisait à vous combler ? Non, tout cela n’était alors que futilité.

« — La domination. Quel grand mot, sous-entendu de violence et de terreur pour certains. J’aime voir ces expressions sur le visage de ceux que j’élimine. Toutefois, parlons plutôt de conquête, vous ne semblez pas représenter une quelconque menace. » La vue marqua une pause, accompagné d’un regard intrigué. « À moins que tu ne veuilles me démontrer le contraire ? »

Oui gamin, viens donc me sortir de mon ennuie, donne-moi donc une raison de vous piétiner de toutes mes forces… Les muscles tendus, Oxomo étudiait sa proie, essayant d’anticiper sa réaction. Allait-il l’attaquer et rentrer dans son jeu ?

La louve étudia silencieusement le changement d’attitude chez le gamin — d’apparence plus âgé qu’elle certes, mais ici tous les loups n’étaient que de gamins… —. Visiblement les paroles de la solitaires avaient pas mal remonté le noiraud. Ma parole, sont-ils tous aussi susceptibles dans le coin ? Pour un peu, le loup avait un orgueil à la hauteur de la femelle, ironique non ? Deux loups que tous semblait opposer et qui pourtant partager de lourds points communs. Sans aucun avertissement, le loup bondit sur Oxomo, plantant profondément ses crocs dans son épaule. Une grimace vint étirer ses babines, tandis que ses prunelles de sangs observaient son adversaire dont la gueule était couverte de sang, son sang. Progressivement, la grimace se transforma en un immense sourire. Yeah ! Enfin à loup qui semblait à la hauteur de ses attentes, enfin un adversaire qui pourrait la distraire un temps avant qu’elle ne s’en lasse.

C’était à son tour maintenant, ses pattes tremblaient d’excitation à l’idée de pouvoir à son tour porter une attaque. Les puissantes pattes arrières de la louve lui permirent de bondir sur son adversaire, ses crocs plongeant à son tour dans la chair, tandis que ses griffes cherchaient une prise. Le goût métallique du sang envahissait sa gueule et ce fut à contre-coeur qu’elle lâcha sa prise, demeurant toutefois à proximité d’elle. Son museau vint chatouiller les oreilles de cet étrange adversaire.

« — Que de violences dans tes actes, dis-moi, à qui en veux-tu réellement ? À moi pour t’avoir fait sortir de tes gonds ou… à toi-même ? »

Oxomo jouait un jeu dangereux en le provoquant, mais c’était plus fort qu’elle. Plus son adversaire était hors-de-lui, meilleur serait le combat n’est-ce pas ? Raisonnable, la solitaire reprit une certaine distance, histoire de pouvoir mieux anticiper les attaques.

Le gamin tenta une faible attaque, comme si il était en colère qu’on ose ne serais-ce que lui adresser la parole. Oxomo esquiva, s’en sortant tout de fois avec une petite ouverture sur l’épaule. C’était bien maigre pour l’arrêter. La louve-aztèque s’apprêtait à contre-attaquer lorsque le regard de son adversaire l’intrigua. Durant sa longue vie, elle avait eu l’occasion de rencontrer ce genre de loups, ceux qui avaient tourné dos à l’avenir car ils n’avaient plus aucun objectif. Nulle ambition ne semblait habiter ce loup face à elle. La solitaire se pourlécha les babines avant de tourner le dos au noiraud.

« — Tu as raison, les loups comme toi ne m’intéressent pas.»

Les discussions avec les loups ambitieux étaient intéressantes, mais avec un dénué d’ambition cela l’était nettement moins. La queue féline remua doucement, visiblement contrariée. D’ailleurs, l’aztèque l’était. Elle qui pensait avoir enfin trouver un adversaire intéressant, voilà qu’elle retrouvait face un morveux qui se posaient encore des questions sur le but de sa vie. C’était un tel gâchis… Ne pas savoir employé sa colère…

« — Toi qui est empli de colère et qui pourtant ne sait comment l’utiliser. Je t’ai sur-estimé, je pensais que tu avais l’âme d’un guerrier, mais au final tu ne vaux pas mieux que ces loups à qui j’ôte la vie. »

Oxomo posa ses prunelles rouges sur le loup, un profond mépris se lisant dans ses pupilles.

« — Tu es faible. C’est tout ce que tu arrives à prouver avec tes belles paroles, et je ne m’embête pas avec les faiblards. Dis-moi, ta vie est-elle si misérable pour que tu ne lui accordes aucune considération ? »

Ce gamin était totalement perdu. N’apprenait-il pas sur ce territoire à voler de leurs propres ailes ? Les mots de la louve s’étaient avérés aussi efficaces qu’une attaque bien portée. Un sourire amusé vint étirer les babines d’Oxomo. Le mensonge, une arme fort utile dont-elle même apprécia l’utilité. Ce loup des terres ne semblaient pas se rendre compte que même lorsque l’on était victime de mensonges, il état possibles de les utiliser à son avantage. Sa queue féline remuant doucement, la louve-aztèque répondit à la question.

« — Le mensonge, n’est en rien un maux, c’est une arme. »

La louve s’approcha alors de sa proie, qui était tombée de son perchoir un peu plus tôt. Le corps était froid, mais cela n’empêcha nullement Oxomo d’ouvrir la poitrine de la bête avec sa dague. Quelques secondes s’écoulèrent, avant que la solitaire ne range son poignard sacrificiel dans son fourreau et retire à l’aide de ses pattes avants le coeur de l’animal. Ses prunelles rouges sangs observaient avec avidité l’organe vital.

« — Cette colère, fais-la tienne. Contrôles-la. Manipules-la. Souviens-toi de ceux qui l’ont engendré et donne toi pour objectif de les mettre à genoux, eux, et tous ceux à qui ils ont pu tenir un jour. Ne t’arrêtes que lorsqu’ils seront à tes pieds, lorsque leurs squelettes ne seront que poussières. Fais de ta colère, une force. Ne la rejette pas, deviens la colère. »

Oxomo marqua une courte pause avant de reprendre, observant cette fois son interlocuteur.

« — Voilà comment rendre ta vie moins misérable, la question qui demeure est, en es-tu capable ? »