Exploration l P.V. Sobieski

Il lui avait fallu plusieurs minutes de vol quasi stationnaire pour réussir à se repérer dans la brume épaisse et sombre qui entourait la bien nommée Île Fantôme. Au terme de cette attention, elle avait finalement trouvé les abords abrupts et déchirés de ce lieu qui n'augurait rien de bon. Mais Eva était curieuse, aventureuse et s’enorgueillait de n'avoir peur de quelques pierres : cette île jamais n'aurait pu échapper à ses volontés d'exploration. La brume glissant dans ses pennes et laissant trainées derrière elle, la jeune louve se laissa porter par quelque courant ascendant le temps de faire le tour du caillou déchiqueté sur lequel trônait une énorme bâtisse, la fameuse Bibliothèque dont lui avaient parlé les membres de son clan. Et, tout autour et bordant les falaises, le cimetière. Celui là n'avait pas l'air commode.

En quelques battements d'aile, son repérage était fini. Eva se laissa flotter doucement jusqu'au sol, où ses pattes heurtèrent le sol avec légèreté. Elle s'ébroua, sa crinière argentée rebondissant avec grâce sur son encolure. Elle leva le museau, huma l'air. Une odeur de terre, de roche, de plantes dures et grasses qui seules pouvaient pousser en ces terres drues et mal abreuvées. Elle sourit. C'était peut être le seul lieu qui ne vivait pas sous un constant soleil de plomb en cet été intemporel. C'était agréable, de ne pas avoir les yeux abimés de cette lumière. Mais aussi légèrement glauque. Qu'est-ce qui pouvait bien provoquer cette atmosphère si dense et irrespirable ? Elle agita ses rémiges, et les replia le long de son corps avant de faire quelques pas. Le sol était dur, peu engageant, et mille cailloux menaçaient d'entamer ses coussinets délicats. Elle posa sa truffe au sol, curieuse de ce qu'elle pourrait retourner. Ses oreilles allaient dans mille directions, girouettes à l'affut du moindre son qui ne serait le coassement de corbeaux curieux.

Eva releva le museau et ses radars de son pointèrent vers le petit être qui venait de lui parler. Engageante, elle tourna son corps vers cet être qu'elle n'avait pas remarqué jusque là, toute absorbée à sa contemplation de l'île. Elle agita ses oreilles, et pencha la tête sur le côté avec curiosité. Que faisait une crevette comme lui dans un lieux comme l'Île Fantôme ? Il n'avait pas l'air particulièrement effrayé, dans tous les cas. Eva s'approcha de quelques pas. Il était plus vieux qu'elle, mais pas de beaucoup, et son odeur de plaine et de broussaille le désignait comme un Lazuli. Pour ce qu'elle en savait. Après tout, on parle bien de cette jeune louve qui dans un RP qui totalement à côté de cette timeline a soigné une louve qui n'était pas de son clan en pleine bataille. Donc bon, au point où on en est, n'est-ce pas.

Eva agita ses ailes avec un sourire avant de répondre d'une voix douce.

Bonjour ! On peut dire ça comme ça... D'où je viens, bien plus à l'Est que les terres de ton peuple, celui auquel j'appartiens est ainsi fait. Je suis Eva. Et toi, que fais tu aussi loin de tes terres ?

Elle souriait, agitant légèrement ses ailes pour leur faire profiter des quelques mouvements d'air qui les entouraient. Il semblait... Tellement jeune. Innocent. Et un peu perdu, aussi.

... il avait l'air gentil mais un peu concon quand même comme loup - mais qui était Eva pour juger ? Il parle des pies - puis se morfond et cela faire sourire la jeune louve qui le gourmande d'un claquement de langue.

En effet, je suis La Pie. Pas le meilleur tirage à côté du Perroquet ou du Faucon pèlerin mais - eh ! On fait avec !

Elle agita ses remiges pour appuyer ses dires, les écartant au maximum et les entourant tous les deux de leur grandeur, ne laissant filtrer que quelques rais de lumière qui se firent barreaux dorés sur leurs pelages. Ces jeux innocents l'amusaient. A la seconde réplique du loup, son sourire s'evada légèrement.

Je ne crois pas qu'un loup sensé puisse vraiment vouloir faire la guerre - c'est l'emprise qu'ont les éléments sur lui qui l'y poussent. Et je doute qu'un loup puisse avec assurance déclarer qu'il ne fasse jamais la guerre, mais de ce que j'en ai vu de mon court séjour, les Nakhus tendent a cet idéal.

Une réponse alambiquée et toute en nuances - si Eva adoucissait souvent la réalité, elle ne la voilait jamais.

... peut être cela pourrait-il vous convenir.

Elle rougit légèrement sous le compliment, facilement touchée par ce genre de choses, et offre un mouvement horizontal de la queue et un large sourire pour seules réponses. Le jeune loup, en face d'elle, semble soucieux, cela se lit à la fois sur son visage et dans ses manières, sur la façon qu'a son regard d'observer à travers elle comme si elle n'existait pas, comme s'il observait une scène appartenant à un autre temps, une autre ère.

Puis il redescend, son regard s'affirme à nouveau, il revient parmi les vivants et sur l'île, un sourire jovial bien qu'un peu forcé au coin des babines, piaillant et s'émoustillant sur la grève. Eva agite ses longues oreilles : elle adore parler de son passé, et surtout de ses voyages. Elle s'assoit à même le sol et balaye ce dernier de sa longue queue immaculée, ses ailes formant une couverture naturelle sur son dos.

Je te raconte, mais uniquement si tu me tutoies !

Elle ramène ses pattes avant contre elle, ajustant sa position pour la rendre plus confortable.

J'ai vu... Pas mal de choses, c'est vrai. Beaucoup de monts, si hauts qu'il est difficile de respirer lorsqu'on n'arrive qu'à la moitié de sa hauteur, des arbres si larges qu'on a l'impression de marcher autour d'une montagne, des rivières qui ressemblent à l'océan. Des animaux avec des ailes, des animaux qui rampent, des lions, des girafes, des pumas, des fleurs qui embaument à des kilomètres...

Ses yeux pétillent - elle prend plaisir à se replonger dans ses souvenirs, même si les packs d'oiseaux de sa meute volant autour d'elle lui tirent quand même quelques souvenirs nostalgiques - mais encore fort teintés de joie de n'être trop anciens.

Je n'ai pas encore beaucoup vu ce continent et tous les secrets qu'il recèle... Mais j'en ai bien l'intention ! Il n'est ni mieux, ni pire que les autres, mais je compte bien y trouver des attaches qui me donnent envie d'y rester ~

Les fleurs avaient l'air de lui plaire. Le reste aussi, d'ailleurs : ses yeux brillaient et son esprit semblait dériver aux confins des territoires que ses mots créaient autour d'eux. Elle hoche la tête à sa réponse, grattant le sol meuble de ses pattes.

"Oui ! Tu aurais des coins à me conseiller pour mes prochaines vadrouilles ? Ou un guide pour ancrer ces souvenirs, peut être ?"

Une oeillade malicieuse, alors qu'elle pose sa seconde question. La jeune louve hoche les oreilles à la question de la personne en face d'elle, pensive.

"Assez peu, pour le moment. Les loups de mon clan, en diverses occasion, mais j'ai surtout passé beaucoup de temps à explorer ces nouveaux territoires en solitaire. Tout le monde est bien occupé..."

Sa voix se teinte d'une légère pointe de tristesse, à peine de quoi aciduler son discours. Non pas qu'elle soit profondément triste, mais il était vrai qu'elle ne cracherait pas forcément sur un peu plus de compagnie - la pie est un animal très sociable, voyez-vous monsieur ? En meute, avec sa famille, il ne se passait pas un instant sans qu'elle tchatche avec un parent, aide un jeune ou babille avec un voisin. Ici, la découverte et les nombreux territoires satisfaisaient sans problème sa curiosité, mais cela ne suffirait bientôt plus à combler ce manque créé dans son quotidien. Très douce, solidaire et aussi tactile, les manières empruntées des Nakhus - et des loups en général - ne nourrissaient pas ses besoins de proximité. Platoniques, bien entendu, mais nécessaires.

(J'suis triste j'viens de faire un RP aux côtes de Nacre pfrt-)

Les côtes de Nacre. Le nom évoquait de nombreuses idées et paysages à Eva, mais aucun qu'elle n'ait envie de retenir pour coller aux quelques mots offerts par le loup : le fond de l'idée lui échappait sans cesse. Peut être une montagne de rochers perle et dorés ? Ou alors une mer où le soleil se reflétait à l'infini, créant mille nuances empruntant aux plus belles fleurs leurs couleurs ? Non, non décidément rien qui ne la satisfasse, même les coquillages lui semblaient bien lointains. Elle sortit de sa torpeur au babillage de Sobi, qui timidement proposait plus longue association. Elle agita ses longues oreilles, son sourire vendant la mèche. Oui ! Oui, bien sûr qu'elle souhaitait d'un guide si loquace et agréable dans ses pensées comme ses manières. Et elle ne manqua pas de le lui faire remarquer :

Marché conclu ! C'est donc une promesse.

Elle lui fit un petit clin d'oeil, charmante et presque charmeuse, sans pouvoir s'en empêcher. Ces petites attentions la rapprochaient de ses congénères, pensait-elle. Innocemment, bien entendu. Elle fit claquer sa langue contre son palais.

Oui, beaucoup de loups sont préoccupés en ce moment, tout n'a pas l'air très gai pour certains, il faut savoir respecter ça aussi. Plus d'attaches amènent à plus de joies - mais plus de soucis aus-

C'est à ce moment précis qu'elle distingua merle et tortue qui créaient dans les airs une partition idoine à l'ambiance qui régnait sur les lieux : quelques staccatos en trilles immatérielles piquetées du bout des ailes appuyées de notes plus amorties et languissantes brassées par de souples nageoires. Un duo savamment joué qui emplissait l'esprit d'Eva, le déconnectant de la réalité et l'absorbant entièrement dans cette danse inoubliable.

Elle ne portait plus aucune attention à son interlocuteur, la gueule légèrement entrouverte et les prunelles fixées sur les êtres diaphanes qui créaient un caroussel intangible autour d'eux.

Alors elle observe, et observe le merle et la tortue dans leur danse infinie alors que les informations glissent à ses oreilles et emplissent son esprit. Elle hoche doucement la tête, buvant les paroles de son interlocuteur. Ses oreilles s'agitaient, suivant le mouvement des petits êtres. Un sourire léger éclaira son visage d'une rangée de crocs blancs.

Je les aime bien. Je ne sais pas si je suis pleine de sagesse, mais Yurai sait que j'aime voyager !

Elle s'était vite impregnée de cette manie des loups de punk wolf d'entacher toutes leurs paroles de références à leurs dieux, et surtout à Yurai pour les Nakhus. Elle-même ne l'avait jamais vue, et son esprit était troublé à l'idée de l'existence d'un être supérieur, mais le doute n'était pas permis. Yurai existait, et apparaissait aux loups, leur répondait. Autant que tous les autres dieux du continent. C'était donc un fait à accepter, ce qu'elle faisait de plutôt bonne grâce au vu des prédispositions de la déesse à la paix et la tempérence.

Des valeurs dans lesquelles elle se reconnaissait.

Elle avait tellement de questions pour Sobieski ! Ses oreilles se pointèrent de nouveau vers lui. Elle voulait savoir qui était Mo', mais une autre la taraudait bien plus encore, occultait tout le reste :

Tu n'aimes pas la nuit ?

C'était un peu plat. un peu bête ? Mais Eva ne savait pas comment mieux amener la question après pareille phrase. Si elle imaginait appréhender en partie le désarroi auquel était confronté le loup pastel, elle préférait qu'il élabore pour mieux le comprendre. Et peut être, l'aider ? C'était des sentiments qui n'attendaient qu'une chose : être chassés. Et c'était une des raisons de vivre de la louve bicolore.

Elle penche la tête sur le côté, extrêmement attentive à la confession du jeune loup, respectant ses paroles et son engagement envers elles. Instinctivement, elle agite une oreille avant de répondre, peut être un peu précipitamment :

Chez les Nakhus, tu ne seras jamais seul si tu le souhaites !

C'était plus un cri du coeur qu'un fait véritable, l'envie de le rassurer et de lui dire que tout irait bien, que ses veilleuses étaient formidables mais qu'il n'était pas sensé en avoir besoin ; elle se renfrogna.

Je veux dire...

Elle se rendait compte qu'elle s'était un peu emportée, sur le coup.

La meute est très soudée.

A la question retournée contre elle, elle accorda un temps de réflexion. Non pas à se questionner si elle devait mentir ou pas - elle ne répondrait à l'honnêteté que par l'honnêteté - mais parce que la réponse était fort complexe pour Eva. Elle laissa un silence, qui s'étira, et s'étira encore. Finalement, elle combla le vide d'une accroche hésitante.

J'ai peur de tellement de choses...

La louve agita légèrement sa longue queue diaphane, qui créait une écume surréelle sur le sol de terre. Comme un énorme serpent plumeux. Ou un ver de terre poilu.

J'ai peur des lions, des cougars et des crocodiles, tout ces prédateurs qui rôdent dans l'obscurité et dont un coup de mâchoire peut sonner la fin d'une aventure. Je n'aime pas l'eau, non plus : même si je sais nager, elle alourdit mon corps et mes ailes et m'empêche de prendre mon envol, ça m'angoisse énormément même lorsque je ne suis pas en danger.

Son regard s'assombrit légèrement.

J'ai peur de ne plus jamais revoir ma famille, qui est bien loin maintenant - et de mourir, aussi. Que tout s'arrête, comme ça, d'un claquement de doigts, alors qu'il y a encore tant à découvrir !

Sa voix est à la fois passionnée et teintée d'une certaine mélancolie, douloureuse. Elle se rend compte que cette énumération brutale n'est peut être pas à même d'alléger le climat actuel, mais l'épanchement de Sobi l'a poussée à faire de même. Elle fait un léger sourire, refocalisant son attention sur son interlocuteur.

... Mais on peut s'arrêter aux lions et aux crocodiles !

Son mouvement de queue s'est fait légèrement plus nerveux. Elle ne voulait pas le mettre mal à l'aise.

Elle hocha la tête à la mention des prédateurs. Ils étaient si rapides ! Elle se souvenait encore du jour où son frère s'amusait à embêter un énorme caïman sur un de leurs lieux de passage. Lui n'en avait pas peur ! Et quelle frayeur pourtant lorsque l'animal s'était rué hors de l'eau à une vitesse hallucinante, et avant manqué lui happer une aile ! Maintenant, ils en riaient (jaune, pour Eva, quand même) mais sur le coup, elle ne se souvenait pas avoir eu plus peur qu'à ce moment.

L'optimisme de Sobi lui réchauffa le coeur. Il semblait prêt à tout pour s'accrocher à la vie le temps qu'il faudrait, le temps qu'il pourrait jusqu'à pouvoir, un jour, s'endormir du sommeil du juste, reposer son âme fatiguée d'avoir trop crapahuté au dehors toute la vie, enfin. Mais jusque là, jamais ! Il fallait vivre, et vivre pleinement. A cette pensée, le sourire d'Eva se fit plus franc, plus engageant, et elle se permit même un petit rire - simplement parce qu'elle le pouvait, et aimait ça. Lorsqu'elle regardait le jeune loup, elle se voyait aussi un peu, reflet fidèle d'un bout de son âme. Et ça lui plaisait, c'était comme partager un but commun, et en diviser la charge sur leurs épaules.

La question la surprend, se oreilles girouettes. Mais Eva est flattée, honorée. Pour elle, c'est comme un bout de confiance qu'il lui offre, et elle est prête à tout pour chérir ce fragment et le faire prospérer. Son sourire s'élargit encore, s'il est possible, et elle déploya ses aile pour les agiter, avenantes.

Bien sûr ! Il y a largement de la place pour deux, là dessous ! Je me demande même parfois si ça n'est pas fait pour ça, à l'origine !

Ou en tout cas, c'est ce que leurs disait leur mère lorsqu'ils allaient au lit le soir. Un tel espace, pourquoi ne pas le partager ! Et c'est vrai qu'il se faisait tard, le soleil enflammant l'horizon de mille reflets carmins et dorés.