On black rivers and rainbows to Neptune [Event - Libre]

On black rivers and rainbows to Neptune
Post Circulaire

Lorsqu'il avait repris connaissance, il était seul.
Seul, et surpris de reprendre connaissance, pour être honnête. Il s'attendait réellement à être mort. Dévoré par cette chose difforme sortie de nulle part, et visiblement disparue aussi vite qu'elle était venue.
Gisant dans son propre sang à demi-coagulé qui collait ses poils par épaisses mèches, couvert de terre et de poussière, sale, faible, lourd, et las.
Il avait vaguement envisagé d'être mort, durant les premières secondes, puis avait bien vite réalisé que cela ne pouvait être le cas, au vu de la douleur générale qui engourdissait tout son corps et semblait le clouer sur place. De nombreuses heures semblaient s'être écoulées depuis qu'il avait perdu connaissance, puisque la nuit était tombée. Et il avait cette migraine, cette pulsation criante à l'intérieur de son crâne, qui descendait jusque dans sa gueule et dans ses cervicales, partait se perdre parmi touts les autres douleurs, l'aveuglait presque, le contraignant à plisser les yeux.
Sans jamais les fermer, à l'exception de quelques battements de cils.
A chaque fois que ses paupières étaient closes, c'était autre chose qu'il voyait, autre chose qu'il ne comprenait pas. Comme une fenêtre sur le monde, mais pas tout à fait le même. Avec un corps tristement défait laissé là comme mort, sous un ciel pourpre et disloqué.
Il avait mis un bon moment à bouger, préférant rester au sol, alerte — du mieux qu'il pouvait –, prenant le temps de réunir ses esprits et de guetter toute trace d'un retour du monstre. Mais rien : pas de trace, pas même dans l'air. Comme si cette chose n'avait jamais existé.
Il s'était alors laborieusement mis debout, avait bien vite réalisé qu'il devrait économiser l'une de ses pattes pendant un petit moment, puis s'était mis à claudiquer jusqu'à la flaque, dévoré par la soif. Si sa réticence initiale à avaler une eau qu'aurait touché cette abomination de ses mains répugnantes disparut aussitôt que son nez ait effleuré la surface, et il avait bu tout son soul, teintant l'eau stagnante d'arabesques écarlates.
Et lorsqu'il avait voulu partir, un éclat métallique avait attiré son attention. Deux des étranges griffes argentées de l'autre mâle, qui étaient restées ici. Sans trop savoir pourquoi, il avait décidé de les ramasser, et les avait fourrées sous son épais collier, s'assurant qu'elles ne risqueraient pas de l'écorcher puisqu'il ne l'était déjà. Il s'était ensuite mis en route, claudiquant, le souffle rauque, la vision floue.

Il n'avait pu rester au terrier que quelques jours, et encore, c'était bien parce que son état l'empêchait d'aller bien loin. Il n'avait jamais pris de raclée pareille, encore moins aussi vite. Et si c'était un peu stupide, dans la mesure où son opposant n'avait rien de lupin et allait bien au-delà de tout ce que la plupart des gens auraient pu rencontrer, force était de reconnaître que son égo n'appréciait guère.
Lorsque ses plaies avaient commencé à se refermer, il s'était mis en route. La perspective de rester dans cette maudite Savane le rendait fou et incapable de fermer l'oeil. C'était comme si les doigts longs et noueux de cette merde pouvaient apparaître à tout moment dans l'entrée de sa tanière et l'en arracher pour finir le boulot. Cahin-caha, il s'était donc trainé ailleurs, en quête d'un endroit chaud où reprendre ses esprits.
Il avait d'abord envisagé les plaines rouges du territoire de la meute la plus proche — ayant quelques jours avant sa dernière mésaventure constaté que l'accès aux territoires de l'autre meute était rendu impossible par une force inconnue, il ne pouvait se rabattre sur leur canyon –, puis s'était dit qu'au vu de son état, une confrontation aurait été malvenue. Quand bien même ces derniers auraient peut-être mieux pu se défendre face à ça. Peut-être qu'ils auraient su ce que c'était.
Peut-être.
Il s'était finalement rabattu sur les longues plages de sable blanc qui bordaient ces terres, en dépit de leur proximité indéniable avec la Savane. Force était de reconnaître qu'il avait une idée derrière la tête. Peut-être retrouverait-il cette petite solitaire qu'il avait croisé là-bas quelques semaines plus tôt. Il n'aurait pas craché sur une présence féminine pour le coup. Ca l'avait toujours apaisé, depuis qu'il était gamin.
Malheureusement pour lui, pas de trace de la gosse. Pas même de sa cabane, visiblement détruite par les vents.
En désespoir de cause, Joaquín s'était malgré tout établi là les premiers jours, se nourrissant principalement de fruits qu'il allait récupérer dans le verger qu'elle lui avait montré et de coquillages — épreuve longue, laborieuse, et assez peu nourrissante au vu de l'effort investi. Heureusement pour lui, il avait hérité des gènes de Miguel, loup reconnu par tout le Canyon comme étant particulièrement coriace, à la limite de l'increvable. Une fois le plus gros du contrecoup passé, il s'était rapidement rétabli, et avait bien vite pu redevenir fonctionnel. A partir du moment où il avait de nouveau pu attraper des proies, ça n'avait fait que s'accélérer.


Il longeait à présent la Côte, comme il le faisait chaque matin, humant pensivement l'air marin, laissant l'embrun s'engouffrer dans l'épaisse crinière de son cou, rendu lourde par le sel qui s'y accrochait. Il s'était désormais creusé un terrier de fortune un peu à l'écart de la plage, là où commençait réellement la végétation, mais envisageait de changer de nouveau d'endroit. S'éloigner un peu plus dans les terres pour fuir l'humidité le tentait bien, mais cela aurait voulu dire s'approcher de la Savane, perspective qui lui hérissait le poil et à laquelle il se refusait pour le moment. Il lui faudrait bien à un moment ou à un autre tirer tout cela au clair. Joaquín ne supportait pas de vivre dans la peur, et se sentait terriblement couard. Sale.
Agité. Aux aguets. Jamais franchement reposé.
Aux antipodes absolues de celui qu'il était d'ordinaire.
Ca lui était tout bonnement insupportable. Et avec ce satané hiver qui approchait à grand pas, c'était comme si le Cosmos tout entier se liguait contre lui. Si seulement ce foutu dôme venu d'il ne savait où n'avait pas condamné l'accès aux terres de l'autre meute, il se serait enterré dans leur Canyon depuis bien longtemps. Nul doute que rôtir au soleil à même la roche rouge lui aurait fait le plus grand bien, surtout ces jours-ci.
En attendant le ciel était lourd de nuages et l'atmosphère oppressante. Il craignait qu'il ne se mette à pleuvoir et ça ne l'enchantait guère. Joaquín s'arrêta au bord de l'eau, humant l'air. Pas de trace de la Chose, au moins. Une bonne grosse odeur d'orage dans l'air, par contre.
Bon sang. Il aurait été tellement bien, à se dorer la pilule, dans la Savane.
Ou mieux encore, chez lui. Entre deux cadavres de brigands, à siroter du téquila en observant l'horizon d'un air absent.
Contemplant son destin. Pas bien différent de ce qu'il connaissait alors. Une succession de combats et de soirées alcoolisées, de bourrades dans le dos et d'insultes copieusement sermonnées. La perspective de mourir, omniprésente, au détour d'un chemin.
Des pattes de plus fort, plus vicieux, plus habile que lui.
Des pattes, juste des pattes.
En aucun cas des mains.

Trop affairé qu'il était à ressasser ses récents échecs — échec face à cette bestiole, échec face à cette peur sournoise qui s'était insinuée en lui, échec face à ces pensées parasites qui l'empêchaient d'y voir clair et d'aborder la situation avec raison –, Joaquín n'entendit, ni ne sentit le nouveau venu. Il fut donc totalement pris par surprise lorsqu'une voix s'éleva juste derrière lui, et fit violemment volte-face, tous crocs dehors, le poil gonflé, dardant sur la potentielle menace un regard fou. Un grondement furieux s'échappait de sa gorge.
Lentement, avec une certaine difficulté due à ses blessures qui ne s'étaient pas encore tout à fait résorbées, il entreprit de se rapprocher légèrement, imposante masse sombre et hirsute à l'allure hostile dont l'esprit tourmenté avait perdu sa clairvoyance.
Aux côtés de l'inconnu au visage partiellement dissimulé par un masque, deux étranges oiseaux pourpres, dotés de trois yeux chacun. Les babines de Joaquín se soulevèrent un peu plus. Etait-ce encore une créature venue d'ailleurs, avec ses volatiles infernaux ? Les muscles du solitaire se bandèrent, et il lui aurait bondi dessus sans préavis si son regard ne s'était posé sur le petit tube mauve que l'autre loup portait.
Il lui fallut quelques bonnes secondes pour que l'information transite par tout son corps, et que sa posture se détende légèrement. C'était la couleur de la meute de la louve ailée, Eva. Les Nakhus, si sa mémoire était bonne. Sa rencontre avec la femelle avait été pour le moins déroutante, si l'on prenait en compte le fait que la dernière fois où il était tombé sur des meutards sur leur propre territoire, il était parti en laissant derrière lui un cadavre et deux jeunes sévèrement blessés.
Contrairement à ce à quoi il s'était attendu, la louve avait été remarquablement cordiale, et l'avait même presque accueilli comme s'il était un invité de marque. Ou il s'était, en tout cas, senti bienvenu là-bas.

Eva. Elle figurait aux côtés de l'autre solitaire, dans ces étranges rêves qu'il faisait, depuis qu'il s'était réveillé seul dans la Savane, sans trace du monstre ni de l'autre mâle, à l'exception de deux griffes métalliques laissées du le sol.
Y avait-il là un quelconque sens caché à trouver ? Ou n'était-ce que son esprit qui délirait, trop froissé à l'idée de s'être heurté à quelque chose qu'il ne pouvait comprendre, et surtout, qu'il ne pouvait pas vaincre ?

Joaquín papillonna des yeux, chassant de nouveau ces flashes rouges qui l'aveuglaient. Ces images d'un autre monde, comme collé au leur, quelque part, derrière un voile. Il devait se focaliser sur le réel.
Le réel.
Face à lui ce jeune mâle, somme toute Nakhu et ne montrant pas signe d'hostilité.
Putain, Joaquín...
En dépit de ce besoin compulsif qu'il avait toujours de faire preuve d'agressivité avec tout et surtout tout le monde, il parvint à se calmer, son poil revenant lentement à la normale et ses crocs acceptant de retourner se cacher sous ses épaisses babines sombres.

— Tu es Nakhu, fut tout ce qu'il trouva à dire, les paroles de l'autre et la question qu'il lui avait posée s'étant noyées dans le tumulte de ses pensées, lorsqu'il l'avait surpris, là, aux prises avec ses démons.

Joaquín se recula d'un pas, tâchant de se montrer moins... eh bien, peu avenant, et surtout prêt à lui sauter à la gorge à tout moment.

Son mouvement de recul eut le mérite d'apaiser un peu l'autre. Mais ne l'apaisa pas vraiment, lui.
La situation était exténuante. Joaquín se sentait défait, épuisé, et pourtant presque incapable de trouver le sommeil. Et les rares fois où il daignait se laisser enfin aller dans les bras de Morphée, c'était pour finir embourbé dans ces stupides cauchemars qui lui mettaient les nerfs à fleur de peau depuis des jours. Pourtant, il aurait bien eu besoin d'un peu de repos. Ses blessures auraient guéri plus vite, et son cerveau n'aurait pas non plus craché sur un peu de détente. Lui qui était justement la cause du problème, à ne pas vouloir se déconnecter deux secondes, et à scruter le moindre rocher, le moindre taillis, de peur d'en voir jaillir une autre de ces créatures difformes. Lorsqu'il n'était pas bien sûr occupé à lui balancer des flashes venus de par delà le voile.

Le loup se présenta. Plus que le prénom du mâle, dont il se demanda s'il lui avait été attribué pour quelque raison — pun not intended –, il lui dit être le couturier de la meute Nakhu, ce qui ne manqua pas de faire arquer à Joaquín un sourcil interrogateur. Si les loups de chez lui portaient parfois quelques vêtements — principalement des jorongos destinés à les protéger de l'assaut du soleil et du vent du désert, mais parfois aussi des foulards et autres fioritures –, il revenait généralement aux femmes de les fabriquer, étant de manière générale réputées comme ayant bien plus de goût que les mâles, et surtout parce que ce genre d'activité leur était systématiquement associée dans l'esprit des gens. On ne les appelait pourtant même pas des couturières, c'était plus pour elles une activité qui incombait à leur nature, eh bien, de femelles. Rares étaient celles qui se spécialisaient là-dedans, quand bien même cela pouvait exister.
Inutile de dire qu'un mâle n'aurait jamais pu se prétendre couturier, chez lui. Plus que des moqueries et des brimades, cela lui aurait juste valu d'être réduit en pièces sur le champ. Et pas de manière très glorieuse.
A bien y regarder, ce jeune mâle, avec son pelage constellé de rose pailleté, ses longs cils, son allure gracile et ses longues mèches, n'aurait tout simplement pas pu mettre un pied chez lui sans se faire attaquer par à peu près tout le monde. Tout ce qui était mâle, en tout cas.
Il était intéressant de voir à quel point la mentalité de ce lieu pouvait être différente de celle de chez lui. Progressiste ? Difficile à dire. Le mépris constant de la féminité chez les mâles lui apparaissait comme quelque chose de naturel tant il était systématique, quand bien même il n'idéalisait pas comme eux l'idée d'une virilité exhibée, exacerbée et écrasante de stupidité. Cela dit, dans ses goûts et dans ses mœurs, il pouvait parfois s'éloigner grandement des standards définis sur sa terre natale. Mais il ne l'affichait jamais.
Contrairement à ce Raison. Peut-être.

- … Et ces deux corneilles sont les corneilles de Yurai... désolé si elles vont ont effrayé, mais elles ne sont pas méchantes, soyez rassuré.

Il leva les yeux vers l'un des deux volatiles, qui s'était posé sur la tête de l'autre mâle et le regardait à présent avec curiosité. La seule chose qui lui vint à l'esprit était que c'était quand même une sacrée idée de merde, de coller un troisième oeil à une corneille mauve, parce que ça pouvait clairement prêter à confusion et qu'il ne voyait pas en quoi cela pouvait lui être utile.
Lorsque le mâle reprit la parole, il baissa de nouveau les yeux vers lui.

Allait-il bien ?
Non, clairement. Il se sentait prisonnier d'un corps qui ne suivait pas la cadence imposée par son esprit et son rythme de vie depuis des jours et ça lui en filait un sacré coup. Ce n'était jamais arrivé auparavant. Mais le pire dans tout ça, c'était son égo. Ca lui faisait mal, terriblement mal de savoir qu'il avait été vaincu. Et avait survécu.
Joaquín n'avait jamais accepté l'échec en combat que dans la mort. C'était comme ça qu'on faisait chez lui, c'était dans cet esprit-là qu'il avait grandi, et c'était ancré au plus profond de ses tripes de mec instable avec une nette propension à faire preuve d'un comportement auto-destructeur.
Avait-il envie de parler ?
Non. Que ce soit avec un inconnu ou quelqu'un d'autre, Joaquín ne s'étalait pas sur ses sentiments. Jamais.
Mais Joaquín pouvait néanmoins quémander des informations. Ca, Joaquín pouvait le faire, oui.

— Il y avait un monstre dans la savane. Un long cou, les poils noirs, avec des endroits nus. Il avait des mains. Il y en a beaucoup chez vous ?

Car c'était peut-être juste un élément de la faune locale de ce putain de pays, auquel cas il faisait ses valises et retournait chez lui illico, qu'importe la fureur de Nacho.

Difficile pour Joaquín de savoir comment prendre la réponse de l'autre. Le point positif était que ces bêtes immondes ne semblaient pas légion dans le coin, et qu'il pouvait par conséquent espérer ne pas en croiser d'autre par la suite. Il avait peut-être juste été malchanceux — c'était un peu le critère sur lequel se basait sa vie, la mauvaise fortune. Cela dit, rien n'excluait qu'une armée de monstres n'ait décidé de venir s'établir ici. Ou juste que ce dernier soit toujours dans le coin, fermement décidé à s'établir sur ce continent.
Le point négatif était que l'animal étant visiblement inconnu des locaux, impossible de savoir quel comportement adopter. Au final, Joaquín n'était pas plus avancé.

Il eut une moue agacée lorsque l'autre lui mentionna l'hypothèse de dieux en colère. Voilà qu'en plus ces crétins mégalomanes pouvaient venir emmerder les gens qui ne courbaient pas l'échine devant eux ? Dans quel monde vivait-on ? Les gens du coin étaient-ils si attachés à leurs maudits glowsticks qu'ils en oubliaient de faire preuve de bon sens et se laissaient ainsi marcher sur les pattes par des soi-disant divinités décidément bien versatiles ?
Du reste, en dépit de passages répétés sur les territoires des meutes, et d'une malheureuse altercation avec l'une des patrouilles Etelkrus il y avait bien des mois, il ne voyait pas en quoi il aurait pu offenser l'une des divinités. A moins que ces dernières ne soit particulièrement chiantes et peu disposées à laisser un minimum d'indépendance et de libre-arbitre aux habitants de ces terres.

— Je n'ai rien à voir avec tes Dieux, maugréa-t-il, les oreilles couchées en arrière.

Oreilles qui revinrent bien vite se pointer en avant à mesure que la colère déformait son visage lorsque l'autre insinua qu'il aurait peut-être rêvé son altercation avec la Chose. Un grondement féroce monta dans sa gorge. Les cicatrices toutes fraîches qui couturaient son pelage déjà bien usé étaient-elles un rêve, elles aussi ?

— Je ne l'ai pas imaginé !

Se contorsionnant pour passer l'une de ses pattes avant sous son épais collier de cuir, il en extirpa les deux griffes métalliques qu'il avait récupérées une fois le monstre parti, seuls témoins de la présence d'un autre solitaire avec lui sur les lieux au moment du drame. Solitaire qui avait été moins chanceux que lui. Solitaire qui hantait désormais ses cauchemars, chose qui était prodigieusement agaçante, en plus d'être déroutante.

— Autre loup était là avec moi. Il a été mangé. Il a laissé ça, fit-il en laissant tomber les griffes aux pattes de l'autre mâle.

Il darda sur lui ses yeux jaunes, attendant de voir sa réaction. Qu'aurait-il à répondre à cela ? Les imaginait-il, également ?

[ Alors, vu que l'event est fini, je pense qu'il est préférable de clôturer rapidement ce RP ^^ ]

Ce mâle était décidément très bavard. Bien trop au goût de Joaquín. Surtout dans la mesure où il était actuellement seul face à son interlocuteur, et n'avait d'autre choix que de l'écouter et de lui répondre. Lui qui préférait d'ordinaire se tenir en retrait des discussions animées et les écouter d'une oreille distraite se retrouvait dans une posture désagréable, en des temps désagréables, après une raclée bien plus que désagréable. C'était à croire qu'en ce moment, tout le monde essayait de lui casser les couilles.
Il commençait à en avoir sérieusement marre de tous ces intellectuels snobs qui préféraient les beaux discours et les raisonnements alambiqués aux actes. Oh, certes, il comprenait qu'on peine à le croire. Chez lui, tout le monde se serait foutu de sa gueule. Mais chez lui, au moins, il aurait pu s'énerver un bon coup et sauter à la gorge de ceux qui se seraient ris de lui, histoire de rappeler aux autres quel était l'ordre des choses, et là, une fois les mandales distribuées et le sang versé, le débat aurait pu évoluer.
C'était peut-être parce qu'il n'avait pas correctement dormi depuis ce qui lui semblait être une éternité, peut-être parce que ses blessures le tiraillaient encore, peut-être parce qu'il se sentait constamment observé par Dieu seul savait quoi, peut-être parce que ces flashes rouges qui lui flinguaient la cervelle n'avaient de cesse de défiler dans sa tête, mais en cet instant précis, Joaquín décréta qu'on était venu à bout de sa patience, et que de toute manière, continuer ainsi ne mènerait à rien. A quoi bon demander de l'aide au premier péquin venu, allons bon ? Il n'avait jamais vécu que par et pour lui-même, et cela ne changerait jamais. Quel imbécile il avait été de commencer à parler de ça à ce type. Putain, Joaquín. Secoue-toi, si tu veux pas crever.

— Je ne sais... commença-t-il alors que l'autre tendait la patte vers les griffes qu'il lui avait présentées.

Sa cage thoracique enfla largement, avant que son nez ne laisse s'échapper un profond soupir. Cette migraine carabinée lui brouillait les idées. Ce mec posait bien trop de questions. Et il n'avait clairement pas la motivation d'y répondre, n'était même pas sûr d'en être capable, à vrai dire.
D'un geste sec, il récupéra la griffe argentée que l'autre avait attrapée, et la fourra de nouveau dans son collier, en compagnie de l'autre, qui était toujours à terre. Il se leva d'un pas raide, avant de grommeler :

— Oublie, je me débrouiller seul.

Peut-être que l'autre mâle avait eu le temps de voir quelque chose. Peut-être que non. Qu'importe, après tout ? Ce n'était pas un maigrichon comme lui qui allait pouvoir faire l'affaire, face à cette créature affreuse. A vrai dire, il ne voyait pas en quoi quiconque aurait pu faire quelque chose.
Lui le premier.
Au final, crever aux mains de cette chose était sans doute mieux que de rester terré dans son coin à vivre dans la paranoïa d'une possible attaque, assailli de maux de tête qu'il ne pouvait même pas imputer à l'alcool. Il irait régler cette affaire seul, comme il réglait toujours tout seul, et s'il crevait, tant pis. Au moins cette mascarade serait finie.

Sans un regard pour l'autre, Joaquín se détourna et se mit en route pour la Savane.