A nos vies [Solo]

Shrine

★ Yersine
★ Mâle, Solitaire.
★ Aucun Glowstick.

C'était là où tout avait commencé. Ou plutôt, où tout s'était terminé. Cronos avait été vaincu. Les dieux étaient revenus. Le monde était de nouveau en paix. Enfin, ça aussi, c'était relatif. Disons simplement qu'ils étaient un peu moins en guerre ouverte qu'avant, et que même si les combats continuaient de pleuvoir et le sang d'abreuver les terres, ils étaient en relatives sécurité.

Quoiqu'il en soit, Yersine était venu ici dans un seul but. Célébrer la vie. Ce renouveau. Cet chance que leurs ascendants leur avaient donné d'être heureux. D'être ce qu'ils voulaient être. D'être libres, de choix, de droit. De pouvoir être clairement aussi con et faible que lui, et de survivre malgré tout, au détriment de l'espèce. N'était-ce pas merveilleux ? De véhiculer les tares, de les conserver dans le temps ; d'en faire une collection, juste au cas où qu'un quelconque dieu décide de faire une promotion au bout de la cinquième maladie génétique rare ? Et Yersine avait envie de propager tout ça. Non, pas ses gênes. Mais la magie de Noël. Le bonheur du partage. L'espoir que n'importe, et dans son cas, n'importe quoi, pouvait vivre en harmonie ici. Tant qu'une montagne ne se dressait pas sur son chemin en tout cas.

Alors, il avait ramené sa carcasse, son sourire niais, et son écharpe luisante et dégoulinante de couleurs criardes. Un plaisir pour les yeux, petits et grands. Il voulait laisser sa marque ici, comme Cronos avait laissé la sienne. A la différence près que celle ci était gigantesque, méprisable et avait scindé une terre en deux avant de la soumettre a la stérilité. Alors, avec un peu de chance, d'espoir, le loup bleu serait lui aussi stérile. C'est bien, aussi, de ne pas reproduire les erreurs.

Et comme pour seul valeur ce message, de regarder le passé pour en apprendre plus sur le présent et pouvoir réfléchir sur le futur, il avait entamé une longue quête. Celle de lever une armée. De bonloups de neige. Et dieu qu'il avait la patience de le faire. Surtout qu'il n'avait aucune meute, donc aucun rang ni devoir à accomplir. Et qu'il squattait les Nahkus, tel le colloc qui te pique ton dernier slip, ne jette pas le dernier rouleau de PQ vide, boit à la bouteille et s'arrange toujours pour disparaitre quand il faut faire les courses. Autant dire que la vie était belle, blanche, pleine de paillettes et de jeux.

Il roula plusieurs bonhomme, dans un cercle quasi parfait. D'une hauteur respectable de quarante centimètres, soit plus ou moins celle de Nuggets, tous avaient le même profil. Une base ronde, épaisse, comme un lendemain de Noel. Une tête, ornée de deux oreilles et d'un museau, lui-même issu d'une boule. Des yeux et un museau de cailloux, noirs, simples, anguleux. Deux bras, en branche, parfois pas très raccordées l'une à l'autre. Et d'une queue. Elle même en bâton.
Mais ce qui faisait le charme de cette armée d'un autre monde, ce n'était pas tant la patience qu'il eut de récolter toute la poudreuse des environs, les dévastant au passage de leur beauté gelée, mais bien la façon dont il allait les décorer.

Le premier fut orné, ou plutôt, planté dans les pommettes, de bris de glace attrapés sur la rivière gelée non loin. Un sourire de gravier fut dessiné, tout niais et joyeux qu'il était. Des petites étoiles furent dessinées sur son torse et son front, tandis que des herbes sèches furent placées sur son crâne, dans une forme vaguement mi longues aux mèches tombantes sur les tempes. D'un accoue de silex, il calcina la queue, qu'il éteignit presque aussitôt. A Sobieski. Mon ami. Une sorte de frère que je n'ai jamais eu. Qui a un nom pas franchement facile à lire ou à écrire, alors tout le monde le nomme Bibi. T'es un peu con, comme moi. C'est pour ça que je t'aime bien. Et aussi parce que tu me donnes de la nourriture. C'est bien, la nourriture.

Le second fut dressé d'algues plus trop fraîches, prise lors d'une marée, où quelques bulots rampaient encore dedans, ivres du sel marin. Ils feraient de parfaites étoiles mobiles. Il ne manquait que celle du torse, qu'il dessina, tel le premier, de manière plus ou moins créative. A la base de la queue, il plaça un galet blanc. Un rictus blasé, ainsi que deux sourcils se joignant juste assez pour appliquer un regard désapprobateur, furent gravés sur son visage. A Nocera. Si Bibi est mon frère, alors, techniquement tu es ma sœur. Intelligente et belle. Protectrice. Un peu trop peut-être. Toujours sage. Si tu n'étais pas si médisante, tu serais parfaite. Oh, tu as regardé Fame for Thrones ? J'adore Jimmy Lannister.

Le troisième fut aigri, de par son rictus peu commode. Des branches furent plantées à l'arrière de son crâne en une parfaite couronne, et de la laine rouge, qu'il avait carotte à un Nahkus endormi dans son tricot de Noël, fut filée à sa nuque. A Avalon. Le plus stupide d'entre nous. Bien loin devant moi. Qui a été au delà des dieux et des convenances. Qui a déclenché une révolution divine. Qui a condamné les siens. Qui nous a tous condamnés. Parce qu'il rêvait de liberté. Et qu'il avait aimé. Comme je l'ai aimé.

Le quatrième fut orné, tout d'abord, de bandages à la nuque. Enfin, ce qui faisait office de nuque, c'est à dire, l'interstice entre deux boules de neige. Une feuille de bananier tranchée fur accolée sur le visage, de façon à recouvrir le museau et une partie des joues, tandis que deux fausses ailes faites en branches de sapin furent plantées dans son dos avec nonchalance. Pas de cheveux, il fallait croire que Yurai était joueuse. A Raison. Tu m'as sauvé la vie. Plusieurs fois je crois. Tu es gentil, doux, intelligent. Et probablement d'autres trucs. A vrai dire, je te connais plus d'un point de vue patient que loup.

Le cinquième fut bref. Il malmena le museau pour qu'il devienne carré. Il affubla le visage d'un grand sourire niais, et de deux galets pour d'épais sourcils. A Casto. Un bon papa bourru comme je les aime. En fait, j'aurais aimé t'avoir pour père je crois. Peut être pas géniteur, parce que disons le, tu fais peur. Mais tu dois certainement être un des meilleurs parents au monde.

Le sixième.

Le sixième.
Il stoppa un instant.
Avait il d'autres personnes a qui il tenait ? Il y avait bien Dame Lucie mais. Il ne l'avait connu que quelques jours, petit. Et elle était partie. Si loin. Si vite. Il ne se souvenait que peu d'elle. Des cheveux mi long. Une aile. Et un sourire. Alors, lentement, il sculpta ces formes, ces souvenirs, dans la neige. De galets et de sapin, de tristesse et de déni. A Lucie. Qui a été, pendant ces quelques jours, la seule mère dont je me souvienne vraiment.
Il apposa sa patte sur le torse du bonloup, fermant les yeux. Peut être pourrait-il, un jour, lui dire. Peut être. S'il avait eu les yeux. L'esprit.

S'il avait été le Nephalem que tout le monde avait voulu de lui.

A Lieutenant. A Dancefloor. A Crystal. A Lewis. A Sheina. A Lestat. A Gloriel. A Hayndriel. A Pepper.
A Mido. A Ao. A Moiro. A Yurai.
A tout ceux que j'ai perdu de vue. A tout ceux que j'ai déçu.

Que vos vies continuent d'éclairer mes prières.

Et il s'allongea là, dans ce sol dur et froid dénué de neige, au centre de ce cercle inanimé. Seul. Et envieux. Fermant les yeux, imaginant les siens prendre vie dans ces icônes de glace. Chanter, jouer, fêter chaque instants ensemble. Sans guerre. Sans clans. Sans différence. Juste eux.

Cette famille.
Qu'il avait brisé.