Never far from home l Nala

Ely n'aimait pas beaucoup l'eau. Mais lorsqu'il quittait la grotte de Daïro, lorsqu'il n'était pas en train de peindre l'énorme façade où se détachait l'entrée de son antre, c'était la première chose qu'il voyait. De l'eau. De l'eau à perte de vue. Et s'il n'aimait pas trop y barboter, son âme d'artiste ne pouvait nier l'attrait que l'océan avait sur lui. Il pouvait s'asseoir des heures durant pour observer avec une attention scientifique les reflets du ciel se noyer sur la surface toujours en mouvement de cette nappe d'eau salée, les poissons et autres mammifères bondir en sauts parfaits et crever la surface pour accrocher de mille diamants les teintes dorées ou azur d'un ciel qui semblait tout droit sortir d'une peinture de maître.

Alors, même s'il n'aimait pas beaucoup l'eau, Ely était assis sur la plage, sa queue grise étendue derrière lui, comme laissée à l'abandon, et il observait le paysage. Le ciel était de toutes les teintes allant d'un ocre profond jusqu'à celle des pétales roses au petit matin. La mer lui répondait en allant du turquoise au bleu cobalt, parfois ombré de rappels couleur de nuit. Ely pencha la tête sur le côté, et commença à reproduire ces teintes sur le sable devant lui, prenant d'un grain pour donner à un autre, éclaircissant et assombrissant pour créer une toile impressionniste aux couleurs vives et prenantes.

Pas un poil de sa personne ne bougeait, si ce n'était ses pupilles qui passaient d'un coin à l'autre de sa toile, qui s'étendait plusieurs mètres devant lui. Et les couleurs allaient, venaient, vivantes, sans discontinuer.

C'était la seule chose qu'il savait faire.

La seule chose qui le rendait un tant soit peu heureux.

Au loin sur la falaise, les silhouettes de plusieurs loups se dessinaient, avançant d'un trot rapide et régulier. La patrouille matinale faisait le tour complet des terres Etelkrus, silencieuse et efficace, avec dans son sillage une silhouette qui n'était nullement un guerrier. Petite et dégingandée, le corps chocolat coiffé d'une chevelure flamboyante, Elvazio tenait le rythme comme il le pouvait depuis Grand Castel. Personne n'avait voulu se rendre avec lui au temple de Dairo ce matin-là, et sa mésaventure lorsqu'il l'avait recherché lui-même l'avait dissuadé de retenter l'expérience, cependant devant sa moue attristée son père avait proposé l'idée suivante : il pouvait accompagner la patrouille imminente, qui passait par les Falaises Littorales, et de là atteindre le temple de la Renarde. Un autre groupe y passerait sous peu, et il y avait de fortes chances pour que quelqu'un s'y trouve déjà. Il pourrait ainsi découvrir la maison de la déesse Renarde sans se mettre en danger. Talonnant la haute silhouette de son paternel, Elvazio se concentrait sur le chemin cette fois-ci. S'il devait rentrer seul, au moins aurait-il une idée l'endroit où aller.

Alors qu'ils arrivaient u niveau des hautes falaises, Athelstan fit signe aux deux autres qui l'accompagnaient de continuer quelque distance sans lui et s'arrêta avec son fils. Il lui indiqua la silhouette en contrebas d'un loup que le petit ne connaissait pas encore, lui sommant de le rejoindre. Et Elvazio savait qu'il ne le quitterait pas des yeux tant qu'il ne l'aurait pas fait, aussi hocha-t-il la tête avec un sourire avant de s'engager sur la petite sente descendante qui allait vers la plage. Il avait pour son père à la fois une grande tendresse et une grande admiration, quand bien même celui-ci n'avait pas une attitude des plus affectueuses avec lui. Au moins y avait-il sa mère, contre qui il n'hésitait pas à aller se blottir quand il était chagriné. Il n'aurait jamais osé le faire avec le grand Chevalier.

Ses petites pattes couvrirent finalement la distance qui le séparaient de l'Etelkru en bas, et il s'avança vers lui par petits bonds, le regard brillant de curiosité. Il venait d'apercevoir le drôle de motif que les grains de sable formaient près de l'inconnu, et sa bouche s'ouvrit de surprise et d'admiration. Savait-il faire cela par la simple pensée ? Les grains se teintaient de couleurs qui rappelaient de plus en plus le ciel devant eux et ses couleurs matinales. Il en oublia presque la présence d'Athelstan plus haut, alors qu'il s'approchait à pas prudents,, ses petites oreilles dressées en avant, fasciné par cette création.

"Bonjour ? Je viens voir la maison de la Déesse Dairo." Lança-t-il en coulant un regard directement vers l'inconnu. ".. Ce que vous faîtes est vraiment très joli."

Derrière eux, haut sur la falaise, la silhouette du Chevalier disparut finalement, assuré que son rejeton était accompagné.

Un bruit, une nuisance.

Il était tout à son tableau, occupé à son oeuvre, à colorer les grains pour former un tout, une unité, quelque chose de cohérent. Et son front se plissait de frustration, ses yeux vacillaient d'un coin à l'autre de sa toile, frénétiques. Le jaune était trop jaune, le bleu trop bleu, le orange trop... Orange. La luminosité avait-elle changé depuis qu'il avait commencé son dessin ? Ou peut-être n'arrivait-il pas à voir vraiment ce qui faisait la beauté de la scène devant lui.

Autant dire qu'il ne remarqua pas le petit loup brun à côté de lui.

Il continua son manège de longues minutes encore, avant de pousser un sifflement rageur entre ses crocs et se jeter, pattes en avant, sur son tableau. Il tourna sur lui-même tel un chiot joueur, mais avec l'énergie du désespoir et de la folie. Lacéra, emmêla toutes les teintes pour n'avoir plus qu'une mare brunâtre perdue sur la plage.

Bien fait.

Seulement, enfin, il releva le museau vers le loupiot, sourcils froncés. Il n'avait retenu qu'un seul mot de sa litanie.

Daïro.

C'était probablement un loup bien. Enfin un qui s'intéressait à la déesse, et qui s'approcherait peut-être de lui donner l'attention qu'elle méritait. Ely s'était figé. Il était une statue qui, de temps en temps, s'animait pour changer de position. Il baissa légèrement la tête et souffla entre ses dents, intimidant :

Tu veux voir le temple ?

Oui, il n'avait absolument rien écouté.

L'autre ne répondit pas tout de suite, et Elvazio comprit rapidement qu'il était pleinement concentré sur son oeuvre. Il s'assit donc à côté de lui, en s'efforçant de se faire le plus petit possible, et contempla sans mot dire le tableau qui se dessinait sur le sable. Mais alors qu'il était complètement sous l'emprise de la fascination devant les petits cailloux qui changeaient un à un de couleur, le loup se jeta soudain en avant. Avec un sursaut, Elvazio se remit sur ses quatre pattes, le coeur battant et la bouche entrouverte, et regarda d'un air déconcerté le peintre aller ravager son oeuvre à grands coups de patte rageurs dans le sable. Bientôt, le tableau qu'il avait trouvé si joli n'était plus qu'un souvenir, une flaque à peine visible sur le sable nuancé de la plage. Les oreilles droites et les yeux grand ouverts, il le vit alors se retourner vers lui pour lui demander s'il venait voir le temple.

On lui avait déjà murmuré par-ci par-là que ce loup était un peu étrange, cependant le jeune loup ne portait aucun jugement sur les congénères qu'il ne connaissait pas. Une approche sans doute bien trop naïf pour un jeune que l'on voyait encore destiné à devenir un puissant combattant Etelkru, mais il n'y pouvait malheureusement pas grand chose. Il brillait toujours dans ses yeux une candeur et un émerveillement que nombre de ses camarades avaient déjà perdu, déjà apprentis et ne songeant plus qu'à leurs entraînement. Lui n'avait pas encore de mentor, et il savait que bientôt ce ne serait plus tolérable. Toutefois il devait bien avouer que la voie du guerrier ne l'intéressait que très peu. Il n'aimait pas l'idée de se battre, et en même temps se sentait coupable car c'était comme ça qu'il pourrait participer à la vie de la meute, comme son père, sa mère et ses frères et soeurs plus âgés. Il entrait tout juste dans les débuts de l'adolescence que déjà il avait la sensation qu'on le poussait sur une voie qui n'était pas la sienne.

Un peu déconcerté par le comportement de l'inconnu, il répondit :

"Oui, oui c'est ça. Je viens voir le temple de Dairo. Excusez-moi mais... Je ne connais pas votre nom."

Il reste là un moment immobile à l'observer.

Il pourrait se rendre compte que son pelage est le savant mélange de celui de deux autres loups, âgés, de la meute. Il pourrait être étonné, ou surpris, de reconnaître tel mélange. Comment a-t-il pu arriver ? Mais il faudrait pour cela qu'Ely apporte assez d'intérêt aux autres membres de la meute pour les reconnaître. Alors pour lui c'était juste un gamin un peu grand sorti de nulle part et qui pouvait bien être le fils du roi et de la reine de Saint GlinGlin

La seule chose qui importait

C'était qu'il voulait voir le temple.

C'était une bonne chose, oui, vraiment. Il releva la tête et du museau désigna le haut des marches, tout en haut, où se détachait une ombre dans la falaise, simple point noir à peine accessible.

C'est là haut.

Il allait falloir commencer par grimper. Manque de bol, Ely avait déjà oublié qu'on lui avait demandé son prénom, et ne put donc répondre au loup couleur de feu. Il prit cependant la tête de leur petite expédition, abandonnant derrière lui la mare de sable brunâtre, mélange de toutes les couleurs du monde. Et il commença à monter les marches, avec une régularité de métronome. Plus ils approchaient du haut de l'escalier, plus le louveteau pouvait apercevoir des tâches de couleur sur le sol, sur les bords, qui parfois éclataient en arabesques et en tableaux, parois se rejoignaient, mais jamais ne juraient entre elles.

Et Ely gravissait, avec la précision d'un métronome et sans jamais s'arrêter, les marches.

Une machine, sans sentiments.

Décidément, ce loup était d'une attitude des plus déstabilisantes, même si le jeune loup se garda bien de le lui faire remarquer - car ça aurait été aux antipodes de l'éducation de politesse que s'efforçait de lui inculquer son paternel, mais également car il aurait pu craindre une réaction imprévisible de sa part. Il ne parut entendre que la moitié de sa réponse, lui indiqua le chemin et fit aussitôt volte-face pour l'emprunter. Elvazio le rejoignit en quelques bonds, et alors qu'il empruntaient le sentier qui grimpait contre la falaise, n'osa prononcer un mot de plus. Il était déjà ravi que quelqu'un accepte enfin de l'accompagner jusqu'à l'antre de la Renarde, un des lieux qui le fascinaient depuis sa plus tendre enfance. Son air déconcerté disparut donc bien vite au profit d'un petit sourire excité, alors qu'il trottinait derrière le louve peintre devant lui.

Il déchanta bien vite cependant quand la sente se fit de plus en plus abrupte. Il ralentit légèrement l'allure, plaqué contre la paroi à sa gauche, le regard tombant de temps à autres dans l'a-pic qui se dessinait à leur droite. Il ne s'était jamais aventuré dans un endroit qui lui paraissait aussi dangereux auparavant, et il ne pouvait nier le fait qu'il était réellement impressionné. Voir même saisi de peur à l'idée de glisser - car la roche était un peu humdie par endroits - et de finir écraser au milieu de l'écume qui jaillaissait autour des rochers en contrebas. Il déglutit plusieurs fois, la gorge sèche. Et alors qu'il s'efforçait de ne plus regarder trop en direction de l'abysse, un détail attira justement ses prunelles claires ailleurs.

Autour d'eux, sur la paroi et même sur le bord du chemin, des motifs colorés jaillissaient de la pierre. Des tableaux figés, à demi-achevés, en formes abstraites et qui donnaient parfois l'illusion que la roche était creuse, ou au contraire se jetait dans votre direction. Les oreilles du petit loup, qui s'étaient rabattues sous la frayeur, se redressèrent et son attention se détourna légèrement du vide pour contempler ces oeuvres. Après avoir vu ce que ce loup réalisait sur la plage, il était facile de supposer qu'il était également à l'origine de ces créations. Il devait passer beaucoup de temps ici, pour avoir tant décorer que cela le sentier abrupt menant au temple de Dairo.

"Vous êtes le prêtre de Dairo ?" Finit-il par demander en forçant sur sa petite voix pour qu'elle couver le bruit du vent.

Ely ne se retournait pas. N'attendait pas. Ne ralentissait pas. Il n'entendait même pas les halètement du petit loup qui peinait à suivre la cadence et se collait contre le bord de pierre de la falaise. Il n'avait aucune considération pour lui. Non pas qu'il ne l'aimait pas - il n'avait aucun sentiment de ce type, et même aucun sentiment tout court, à son égard. Non, juste qu'il... N'y pensait pas. Son esprit était ailleurs. Parfois, il redressait un trait sur les pierres, à un autre moment il en effaçait un. Des erreurs, qui s'étaient glissées dans son schéma méthodique dédié au beau.

La question du petit loup le tira de sa torpeur. Cette fois, il l'entendit, il l'écouta. Il se figea, au risque de jeter celui qui l'accompagnait (ou qu'il accompagnait ?) en contrebas, sur les rochers tendus en doigts affamés. Il se retourna, et le considéra un instant.

Non.

La réponse était catégorique, et avait fusé sans animosité. Sans sentiments. Ely replongea son museau vers le chemin qui s'ouvrait devant lui et reprit sa marche méthodique et rythmée, sans plus faire attention au loup terre de sienne.

Il n'avait aucune animosité envers lui, et aucun regret, aucune frustration de ne pas être prêtre. Il se contentait d'être et de servir Dairo. Qu'elle ne le prenne pas en prêtre ne le gênait pas - il pouvait comprendre, lui, que le statut de prêtre était lié à la meute, et pas uniquement à la déesse. Le prêtre était le porte-parole du divin, mais il n'était pas que ça. Et Ely ne voulait pas du reste. Il savait qu'il n'était pas bien placé pour l'accomplir. Il avait assez conscience de lui-même pour savoir qu'il n'était pas comme les autres.

Le fait qu'il n'avait pas envie de faire d'efforts pour en changer n'avait aucune importance.

Le loup gris finit par s'arrêter, à quelques pas de la grotte, pour se retourner et observer l'horizon.

D'ici, peut-être, il pourrait peindre une toile qui mériterait de rester.

Il bloquait le passage, statue encombrante, jouet au ressort en fin de course.

A sa question, le loup peintre s'arrêta brutalement, et Elvazio ne dut qu'à un réflexe salvateur de ne pas le heurter. Il fut déstabilisé un instant et se colla à la paroi, tandis que ses prunelles filaient au fond du gouffre qui s'étendait à leur côté. Un frisson parcourut son échine, alors que son petit coeur battait fort dans son poitrail. Solelio aurait sans doute trouvé ça très cool, de se mettre ainsi en danger. Au moins il aurait quelque-chose d'un peu plus palpitant que d'ordinaire à lui raconter. D'habitude, c'était elle qui vivait toutes sortes d'aventures durant la journée et les lui contait le soir, à lui qui était sagement resté au camp sous la surveillance des adultes Il n'était pas un grand aventurier, et il se demandait souvent si cela était... normal. Tous les autres de son âge semblaient si fougueux et si impatients de devenir des combattants aguerris. Il avait parfois l'impression bizarre de ne pas être tout à fait à sa place, pendant quelques instants, puis la pensée s'en allait pour laisser place aux joies et émerveillements que l'enfance lui apportaient encore.

La réponse du peintre fut négative, à son grand regret. Il n'était donc pas prêtre de Dairo, comme on aurait pu le croire en voyant le temps qu'il avait consacré à orner le chemin menant au temple de toutes ses créations. Il rabattit légèrement les oreilles et lança :

"Qui est le prêtre de Dairo ?"

Ils parvinrent à peu près au même moment à ce qui semblait être l'entrée d'une grotte, ou quelque-chose du même acabit, car le sol était devenu un peu plus large et le petit loup craignait moins de faire une chute fatale. Certes, il y avait encore le chemin du retour à faire, mais c'était déjà un bel accomplissement que d'être arrivé jusque là.

"Nous sommes arrivés ?" Lança-t-il joyeusement, en voyant que l'autre avait cessé d'avancer.

Il contempla le paysage qui était, ici, toujours si formidable un long moment. Comme si le temps s'était arrêté, sans sembler entendre les questions de l'adolescent derrière lui. Il pointa ensuite son museau vers la grotte et y fit quelques pas, le temps de laisser sa vision s'adapter à la caverne. Sa voix était toujours égale et dénuée de sentiments lorsqu'il reprit la parole :

Dairo n'a pas choisi de prêtre ou de prêtresse pour le moment.

Il avança une patte et attendit patiemment que le loup tricolore fasse son entrée dans le temple de la déesse. Il ne voulait pas faire partie de ce tableau, il voulait qu'il découvre de lui-même l'immensité de la pièce, de l'endroit, de tout ce qui régnait chez la Déesse Renarde. Ce serait son premier moment avec elle, et il se devait d'être parfait, non parasité de sa présence. Il devait, seul, découvrir les fresques, les murs ornementés, et en pièce maîtresse la statue qui régnait tout au fond.

Ely ne prit pas la peine de répondre à sa dernière question, car cette dernière s'imposait d'elle-même. Bien entendu, qu'ils étaient arrivés.

Laisse tes pattes te guider, petit loup, dans ta découverte de la crypte de la déesse orange.

Ely se contentait de le fixer de ses yeux dorés, malaisant, mais pas intrusif.

Oh. Il n'y avait donc pas de prêtre de Dairo.
C'était pour cela qu'il n'en avait jamais entendu parler, contrairement au Prêtre Kalashnikov et à la Prêtresse Sheina. Il ne pensait pas cela possible, que ce poste reste vacant, à vrai dire. Les prêtres étaient, de ce que lui avaient enseigné ses aînés, les portes-paroles des dieux. c'était à eux que les divinités envoyaient des messages et des visions, apparaissaient le plus facilement. Comment faisait Dairo alors pour transmettre les siens ? Devait-elle apparaître un peu au hasard aux mortels qui se présentaient pour leur communiquer toutes ces choses mystérieuses ? Elvazio était un peu perplexe, peut-être encore plus que face au comportement étrange de son congénère.

Sa queue battit quelques fois lorsqu'ils pénétrèrent enfin dans la grotte qui s'ouvrait sur la mer. Ses prunelles claires mirent un temps à s'adapter à la luminosité ambiante après le blanc de l'extérieur et il s'exhorta à attendre avant d'avancer plus, mais le jeu en valait la chandelle. Se oreilles se redressèrent légèrement alors que se dessinait petit à petit, révélé par la douce lumière orangée qui baignait les lieux, l'intérieur du temple. Le petit loup fit quelques pas, seul mais s'arrêta bien vite pour contempler l'endroit de tout son soul et sans que son cerveau n'aie à se préoccuper de ne pas trébucher sur quelque-chose en même temps. Les murs étaient étonnamment lisses pour ce monument niché au creux d'une falaise, parfois agrémentés de hauts poteaux dont il se demandait s'ils tenaient vraiment le plafond irrégulier. Comme le chemin qu'ils venaient de parcourir, ils étaient ornés de larges fresques colorées, oeuvres dont il était certain de connaître l'origine désormais et qui paraient la pierre de teintes aux nuances infinies.

Le sol était en pente douce jusqu'au centre du temple, où se dressait, au-dessus d'une fontaine de lumière, la statue de la déesse. Même à cette distance - il lui restait encore une bonne partie du temple à parcourir avant d'arriver jusque là-bas - le jeune loup fut frappé par la majesté et la grâce qui émanaient de la figure de pierre, immobile et illuminée couleur de feu. C'était presque intimidant, il avait peur de rompre le silence paisible qui régnait en faisant un pas, de casser la magie de ce lieu qu'il découvrait avec ses yeux encore candides. Il se rendit compte qu'il avait cessé de respirer et souffla doucement. Il ne savait pas quoi dire, il n'avait pas de mot pour décrire ce que lui inspirait cet endroit. Mais il était merveilleux.

Il finit par oser faire quelques pas en avant et s'aventurer en direction de la fontaine. Il s'arrêta à quelque distance, sans oser s'approcher plus, et courba la tête devant la statue dans un salut respectueux. Il ne savait pas si c'était à la hauteur de ce qu'un dieu attendait, mais il ne savait pas trop comment se comporter. Il ne savait pas prier, il n'avait pas d'offrande. Il n'avait que sa personne, et tout cet émerveillement qui débordait de ses yeux clairs.

Le loup gris entra à la suite du peut-être futur disciple de la Renarde. Il l'observa détailler les murs, les sculptures, les colonnades, tout ce qui était ici présent pour la gloire de la grande Déesse. Il était impressionné, c'était évident. Mais aussi curieux, et timide. Ely le suivait, de loin, pour ne pas le déranger. C'était un instant avec la déesse, pas avec le pauvre loup qui trainait dans sa Crypte.

Lorsque le jeune alla s'asseoir devant la fontaine, Ely de nouveau s'assit en retrait, silencieux. Il devait... Faire un effort. Sinon le petit loup ne s'en sortirait jamais. Allez, Ely ! C'est au fond de toi, mais ça peut sortir. Il laissa passer un long moment, avant de lâcher, d'un air neutre :

La Déesse Renarde est douce et compatissante, si tu ne t'éloignes pas de sa route.

Il n'oubliait pas l'affront de l'alpha, qui avait brisé l'offrande de la Renarde.

La voix du loup gris le fit tourner la tête, et il constata qu'il s'était assis un peu plus loin, comme s'il voulait rester en retrait et ne pas interférer dans cette première rencontre avec le lieu divin. Sans trop savoir pourquoi, Elvazio lui en fut reconnaissant. Les instants précédents resteraient à jamais gravés dans son esprit, merveilleuse découverte du sanctuaire de la Renarde.

"Est-ce que vous la connaissez ? Vous l'avez déjà rencontrée ?" Demanda-t-il doucement, en rivant ses yeux clairs sur lui.

Finalement, son visage revint sur la haute statue. Elle représentait une figure lupine, sans nul doute, aux formes gracieuses et au mouvement si fluide qu'on avait à tout instant l'impression qu'elle allait s'éveiller. Qu'une brise venue du dehors ferait onduler ses cheveux, que ses griffes se crisperaient doucement sur la pierre. Il n'avait encore jamais vu de si belle création, et d'une certaine manière il comprenait la volonté de son accompagnateur de sublimer l'endroit en dessinannt aux murs toutes ces belles couleurs, teintes flamboyantes à la lumière douce de la fontaine. Il se redressa sur ses quatre pattes, invitation muette à le rejoindre, et se tourna légèrement vers Ely pour ajouter :

"J'aimerais... J'aimerais lui faire une offrande. Ou lui dire quelques mots. Est-ce que... Vous pouvez m'aider ?"

S'il vivait ici, il n'y avait pour Elvazio aucun doute quant au fait qu'il devait bien connaître ce que cette divinité voulait. Ce qu'elle aimait, ses fameuses humeurs dont lui avait un jour parlé la prêtresse Sheina. Alors il était peut-être le plus à même de le guider dans son intention, puisqu'il n'y avait pas de prêtre pour le faire.

Il était mignon comme loup mais il était un peu con quand même. Ely gardait toujours son immobilisme parfait, ses yeux rivés sur le jeune loup. Il fit, cependant, l'inventaire des fois où il avait vu Dairo. Pas tant que ça, en vérité. Le jour de sa remise de glowstick, évidemment. C'était à cet évènement auquel il aurait pensé que le loup orange réfléchisse. Mais aussi plus récemment, lorsqu'il lui avait fait part de ses offrandes, dont les pièces et diamant qui ornaient maintenant sous forme d'un renard de profil le sol devant la fontaine. Une bouffée de chaleur l'emplit à ce souvenir, réchauffant son corps de son torse au bout de ses membres. Un instant... Magique. Mais si ses pensées papillonnaient en permanence, Ely ne s'embarrassait pas toutefois de beaucoup de mots, se sachant loin d'être poète :

Lors de ma remise de glowstick. Tu la verras, toi aussi. Si tu la choisis.

SERAIT-CE UNE MENACE ? Non bien entendu, et rien ne transparaissait dans ses paroles, mais il était vrai qu'Ely aimait à voir plus de disciples à la déesse orange. Le choix des membres de la meute allait souvent à l'agilité de Kiro ou à la force d'Aka. Pourquoi la ruse et l'imagination de Dairo, si nécessaires au bon fonctionnement de la meute, étaient-ils délaissés ? D'un point de vue utilitariste, il ne comprenait pas.

La seconde question du louveteau lui donna un peu plus à réfléchir. Il ferma les yeux un instant et se remémora sa rencontre récente avec la déesse. Attendit un instant.

Force. Courage. Rapidité. Ruse.

Tels avaient été les mots de la Renarde.

Utilise tes compétences pour parvenir à ton but. Et ramène le fruit de ta quête à la Renarde.

Oh la la, Ely, quelle aide, vraiment. Il reporta son attention sur le jeune adolescent.

Tu peux tout lui dire. Laisse parler ton coeur. Elle n'a besoin ni de phrases alambiquées, ni d'artifices similaires. Elle saura voir au travers et lira en toi comme dans un livre ouvert.

Ely laissa passer un très long moment, ensuite. Parce qu'il réfléchissait beaucoup. Et parce que la phrase qu'il voulait sortir lui coutait. Comment la tourner ? Comment être dans la sollicitude, sans être dans l'agression ? Il voulait... Aider, le petit loup. Il ne voulait pas lui faire peur. Il ne voulait pas l'influencer. Alors il tournait, et tournait encore dans sa tête l'idée qu'il voulait véhiculer, les mots pour y arriver - ça lui donnait envie de se taper la tête contre un mur. Finalement, il se lança :

Tu veux que je reste ou que je sorte... ... ?

Il y avait même presque un semblant d'intonation qui désignait cette phrase comme une question.

Est-ce que ma présence te soutient, ou est-ce qu'elle est un poids ? Souhaites tu faire face seul à la déesse, ou ma présence te rassure-t-elle ? Tels étaient les mots induits par la question d'Ely, qu'il avait finalement posé en terme simples et directs. Un peu bourrus. Mais une question, toutefois.

C'était peut-être un futur disciple.

Le loup ne bougea pas, se contentant de s'adresser à lui depuis l'endroit où il se tenait assis, un peu en retrait. Cela n'entacha toutefois nullement l'enthousiasme du jeune loup et l'attention qu'il porta à ses paroles. Il le vit fermer les yeux, puis énoncer quatre qualités. Le premier n'était pas de bon augure, et il ne s'attendait pas à l'entendre ici. On lui avait toujours dit que des trois divins qui veillaient sur la meute, c'était Aka le préposé à la force. Elvazio était, et il en était tout à fait conscient, loin d'être un loup fort. Il avait une silhouette élancée, toute en jambe, haute perche avec une tête à une extrémité et des coussinets à l'autre, mais sans musculature voyant et endurance exceptionnelle. C'était sans doute un peu de sa faute, car il ne travaillait pas spécialement ces points-là, d'autant plus qu'il en avait très peu besoin pour se défendre. Comme sa jumelle, il était un loup extrêmement résistant et solide, ce qui pouvait surprendre plus d'un adversaire qui attaquerait cette grande gigue en se disant que l'affaire serait aisément pliée. Mais il n'était pas fort, non. Le second vint, plus angoissant encore, le courage. Une chance qu'il y ait les deux autres, sinon le jeune loup serait simplement reparti en désespérant de pouvoir un jour satisfaire une divinité. Si toutes exigeaient d'être fort et courageux... Peut-être n'était-il juste pas destiné à obtenir un glowstick et une bénédiction. Destiné à rester un parias sans lumière, méprisé par la meute et par ses parents.

La rapidité et la ruse, c'était quelque-chose qu'il avait peu expérimenté, et donc il n'était pas encore convaincu de n'y avoir aucune compétences. Ses oreilles frémirent alors que le loup gris lui indiquait qu'il devait utiliser les compétences citées au-dessus pour trouver quelque-chose à amener à Dairo. Accomplir une quête et revenir avec son butin. C'était un objectif intéressant, dans l'hypothèse où il parvienne à trouver au fond de lui un peu de force et de courage pour le combiner aux deux autres - et ça, ce n'était pas gagné. Il hocha la tête pour montrer qu'il écoutait, buvait les paroles que l'habitant des lieux prononçait. Il parla de la déesse, lui dit qu'il pouvait s'adresser à elle sans filtre ni crainte. Des mots qui touchèrent le coeur du jeune loup, qui firent grimper dans son estime la divinité orangée. Il resta songeur, jusqu'à ce que son interlocuteur finisse par lui demander s'il devait sortir. Oh ! Il s'imaginait sans doute qu'Elvazio était resté silencieux car il avait quelque secret à confier à Dairo.

"Oh, non, non, ne partez pas." Puis il ajouta d'un air entendu : "C'est moi qui vais m'en aller. Merci de m'avoir guidé jusqu'ici et de m'avoir indiqué ce que je devais faire. Je reviendrai lorsque j'aurais trouvé le présent digne de la Renarde."

Il se tourna une dernière fois vers la statue et la salua un peu maladroitement, déjà enthousiaste à l'idée de remettre les pattes ici, mais cette fois-ci en étant digne de se présenter devant Dairo. Il se retourna finalement et adressa un sourire à celui qui avait été son guide durant cette découverte.

"Et pour revoir vos magnifiques créations."

Sur ces mots, il s'élança en direction de la sortie, et émergea sur la petite plateforme rocheuse devant l'entrée en quelques foulées. L'air gonfla le pelage de son poitrail, mais ne le départit pas de son sourire. Rare instant où il avait réellement l'impression d'avoir un but, de pouvoir se rendre utile, et satisfaire quelqu'un.

[Fini pour moi =D]