Just the two of us l P.V. Nala

Partant du postulat qu'Eva était revenue saine et sauve, l'émotyion qui dominait dans l'esprit d'Ajani n'était autre que la joie de son retour. Il ne lui en voulait pas, jamais, de s'échapper ainsi des limites terrestres du monde pour des jours et des jours, mais était bien plus heureux lorsqu'elle était près de lui. Elle teintait sa vie d'une douceur et d'une joie qui manquaient sans doute à son esprit un peu tourmenté et qui portaient nombre de préoccupations. Elle savait, par sa simple présence, par son regard qu'il trouvait si beau, par ce sourire qui était si contagieux, l'attirer un moment en dehors du monde, dans un cocon qui n'appartenait qu'à eux, duquel la plupart des problèmes étaient chassés.

Lorsqu'elle l'invita à marcher dans le Labyrinthe, il la suivit sans rechigner, et ils marchèrent épaule contre épaule pendant un moment en silence. Il dut s'avouer un peu étonné qu'elle ne l'emmène pas vers l'extérieur, mais plutôt à déambuler en des itinéraires que seuls les habitués connaissaient. Il n'ignorait pas son amour de la liberté et des grands espaces, et souvent leurs retrouvailles se faisaient dans les vastes étendues qui constituaient les terres Nakhus. Il fut donc légèrement intrigué, mais n'en dit rien, se contentant de suivre l'initiative de la louve bicolore, la suivant d'un pas peut-être plus léger que d'ordinaire. Bientôt, il n'y eut plus que le son de leurs pas, celui de leurs souffles discrets, et leurs odeurs qui se mélangeaient pour habiter les couloirs. Leurs deux silhouettes se découpaient tantôt de lumière, tantôt d'ombre, au gré des plantes et critaux luminescents devant lesquels ils passaient. Parfois, on entendait le gloussement discret d'une source coulant dans les profondeurs. Le tableau était étrangement apaisant.

Elle rompit en premier le religieux silence dans lequel ils étaient plongés d'un geste et d'une phrase qu'il ne sut trop comment interpréter. Ses oreilles frémirent alors qu'une lueur à la fois interrogative et surprise allumait son regard, et qu'un coin de sourire étirait ses babines, constituant en soi une réaction très expressive pour le loup qu'il était. Il savoura son contact, celui de leurs flancs qui s'étaient rapprochés et par lequel il sentait le rythme de ses pas, la douceur des plumes de ses ailes. Celui de son museau dans son cou, qui lui arrachait comme des frissons, presque des chatouilles. Qu'elle lui manquait quand elle partait. Qu'il était heureux, inconcevablement heureux de la retrouver.

"Ca dépend... De quoi le trouve-tu vide ?" Murmura-t-il en réponse, en baissant la tête pour frôler sa joue de son museau et chercher son regard doré.

Car il ne l'était pas vraiment de loups, pas à proprement parler. Une idée de ce qu'elle tendait comença à fleurir dans son esprit, mais il se garda bien d'avancer ses suggestions tant qu'elle n'avait pas répondu.

Elle rit, puis se mit à tenir des propos... qui le surprirent. Il redressa les oreilles et lui lança un regard à la fois amusé et étonné. Il capta sans peine le regard qu'elle lui lança, mine de rien, pour jauger sa réaction. En ces temps où le froid et le combat constituaient le coeur des conversations et des préoccupations de chacun, cela faisait longtemps que le grand loup blanc n'avait pas simplement ri de propos absurdes, de plaisanteries aussi simples que celles-ci. Il secoua doucement la tête et rompit la distance qui les séparait d'un ample pas, avant de lui donner un petit coup de museau affectueux sur la joue.

"Qu'essaie-tu de me dire ?"
Ne dis-tu cela que pour me faire sourire ?

Il plongea le museau dans la fourrure douce de son cou, huma à s'en rendre ivre son odeur, douce, légèrement sucrée en cette période de l'année. Il ferma les paupières, laissant complètement derrière lui ce qui pouvait occuper ses pensées, tout ce qui n'était pas elle, eux deux, et ce moment qu'ils partageaient.

"Je suis heureux que tu sois revenue."
Tu m'as manquée.

Il n'était pas un poète, n'avait pas de belle tirade romantique à lui offrir. Seulement des mots simples et sincères. Précieux.

C'étaient des mots simples, qui pouvaient paraître bien communs aux oreilles des autres. Mais ils ravirent son coeur comme ils le ravissaient à chaque fois qu'elle les prononçait, ou que ses gestes les trahissaient. Peu à peu se refermait autour d'eux cette bulle si fragile et si précieuse qui changeait ces instants en merveilleux souvenirs. Il avait la sensation que l'on retirait de ses épaules un poids, de ses pensées des angoisses et des réflexions sans fin, qu'il pouvait enfin inspirer profondément et sans entrave. Il n'avait pas de mots pour exprimer la béatitude ces moments, alors souvent il se contentait d'un sourire, d'un regard, d'un souffle plus léger pour exprimer combien ses pensées étaient douces. Et la lumière violacée qui brillait entre ses cheveux rendait sa joie contagieuse. Sa joie, et bien d'autres choses encore.

Puis soudain, Eva exprima clairement ce pour quoi elle paraissait l'avoir pris à part, et il marqua un temps d'arrêt. Oh. Oh. Il redressa les oreilles et posa son regard dans le sien, un peu surpris, et son coeur bondit dans son poitrail. S'il n'avait jamais eu d'enfants, Ajani possédait une fibre paternelle étrangement exacerbée, peut-être à cause des mésaventures qui étaient arrivées à nombre de jeunes qu'il avait connu. Gloria et Kerguelen, entre autres. Il avait fait une large place dans son coeur à Momon, Ruine et Cendres, même s'il ne partageait pas de lien de sang avec eux, et avait tant aimé les voir galoper sur leurs courtes pattes lorsqu'ils avaient vécu l'âge de l'enfance. Les enfants transportaient tant de candeur et d'espoir avec eux qu'ils ne pouvaient que le faire fondre, faire de sa haute silhouette une immense peluche. S'il eût été félin, il aurait sans doute ronronné à partager leurs jeux et contempler leurs émerveillements.

Pourtant, jamais encore Eva et lui n'avaient franchi ce pas. Il ne l'avait pas demandé explicitement, parce qu'il était patient, et qu'il ne voulait surtout pas imposer quoi que ce soit à la belle louve bicolore - après tout, si tout se déroulait selon l'ordre naturel des choses, ce serait quelque-chose de bien plus contraignant pour elle que pour lui au moins pendant quelques lunes. Il ne s'attendait cependant pas à ce qu'elle l'y invite ainsi, de front, sans faire de détours. Qu'il aimait sa franchise.

Il cligna une fois des yeux, alors que s'y dessinait un mélange d'émotions inédit. Comme une sorte de trac, de l'impatience, de la reconnaissance, et oui, un si grand oui qu'il explosa de lumière dans son cou avant qu'il ne puisse mettre des mots dessus pour l'exprimer.

"C'est ce dont tu as envie ?" Murmura-t-il doucement, sans pouvoir s'empêcher de resserrer légèrement son étreinte, comme pris de fébrilité.

Son coeur battait fort sous son large poitrail.

Son rire se fit chanson autour d'eux alors qu'il résonnait dans les couloirs. Une douce mélodie que la joie de celle qu'il aimait. La plus douce à ses oreilles, rendue plus précieuse encore par le fait qu'elle n'était destinée qu'à lui. Qu'a eux deux, en cet instant.

"Si." Répondit-il simplement, en un murmure qui était encore une fois un maelström difficile à démêler d'émotions, toutes plus positives les unes que les autres.

Bien-sûr qu'il en avait envie. C'était comme une sorte de rêve un peu fou qu'il s'était bien gardé d'exprimer à haute voix, parce qu'il jugeait que ce n'était pas à lui de le proposer. Cette scène paraissait presque trop parfaite. N'était-ce pas un rêve qu'il vivait à cet instant ? Se réveillerait-il dans un instant, à attendre la retour de sa belle au milieu des autres Nakhus ? Il fourra son museau dans le pelage épais du cou de la louve, et souffla doucement.
Si c'était un rêve, autant le poursuivre. Il était si beau.
Il promettait tant de choses.

[Fin pour moi :hearts:]