Belles et rebelles | Mildred

Le moins que l'on pût dire, c'était qu'il faisait un temps de chien. Depuis quelques jours, les intempéries ne cessaient sur le continent, et les jours se ressemblaient tous par la grisaille et la pluie qui les accompagnaient. La mauvaise saison battait son plein, et le haut des Monts Célestes était recouvert d'une neige épaisse et visible à des kilomètres à la ronde. Pourtant, une relative douceur régnait encore sur les terres Etelkrus, transformant la terre en une boue épaisse et les silhouettes des lupins en fantômes détrempés qui surgissaient à l'entrée de Grand Castel à intervalles réguliers, maugréant contre le mauvais temps.

Rowena - puisqu'elle devait au possible garder sa couverture et donner l'impression qu'elle s'intégrait au clan, elle avait décidé de travailler à ne plus s'appeler elle-même par le nom nommé par Mère - avait profité d'une accalmie dans son apprentissage pour s'éclipser et aller faire un tour à l'extérieur. Elle savait bien que c'était interdit, mais elle n'avait pas peur de ce qui se trouvait dehors. C'était même sa terre à elle, ce qui se trouvait dehors, et les loups qui y vivaient étaient loin de l'intimider. Alors elle faisait fi de cette règle, tout en sachant pertinemment que Lymphalème ne manquerait pas de lui faire une réflexion à son retour - mais il se montrait si doux et gentil qu'il lui suffisait de faire montre d'une fausse désolation pour qu'il lui pardonne et la réprimande simplement gentiment. Elle avait compris très rapidement qu'il n'était pas certain du comportement à adopter avec elle, et elle avait sauté sur l'occasion de l'orienter dans la direction qui était peut-être celle dont il rêvait : le guide d'une jeune louve en rédemption.

Il était intéressant de voir comment s'organisait cette meute qui l'avait nommée de force comme l'une des leurs, depuis l'intérieur, avec cette figure innocente. Ils avaient une haine très particulière envers tout ce qui était un peu différent d'eux - tout ce qui ne portait pas leur odeur ni l'une de leurs loupiottes colorées finalement. Ils vénéraient leurs divinités avec une ardeur toute particulière, et elle avait sans mal noté là le premier de leurs points faibles. Il lui faudrait encore du temps pour trouver la faille qu'elle cherchait, elle n'en doutait pas . Mais elle était patiente, réfléchie, plus intelligente que la plupart de ces cafards. Elle ne doutait aucunement de la réussite de son entreprise.

Elle s'était aventurée entre les fortes bourrasques jusqu'à l'Île Abysse, où elle savait qu'elle trouverait malgré la saison tardive quelques plantes, pour pouvoir rentrer en apprentie modèle. Alors qu'elle avançait d'un pas mesuré, ses yeux froids parcourant les alentours pour enregistrer tout ce qu'elle y voyait, une pensée lancinante ne quittait pas son esprit. La veille, elle s'était aperçue d'un détail qui avait changé dans la Salle des Trônes de Grand Castel. Elle repérait facilement ce genre de détail - ou peut-être était-ce simplement les autres qui ne faisaient pas assez attention - : une dague ô combien familière avait été scellée dans la pierre de l'un des trônes. La dague de Mère. Elle portait même encore son odeur, elle l'avait sentie en s'approchant l'air de rien. Et elle se demandait ce que cela pouvait bien signifier, car elle était certaine d'une chose : Mère n'aurait jamais laissé l'un de ces loups lui prendre son arme si facilement. Quoi qu'il fût arrivé, il n'y avait que deux issues possibles : ou bien Oxomo reviendrait sous peu la chercher. Ou bien elle ne reviendrait plus jamais.

Elle n'avait jamais vraiment concrétisé l'idée que Mère puisse mourir un jour. Un reste d'enfance probablement, qui n'avait jamais été balayé car elles avaient été séparées depuis de nombreuses lunes déjà. Maintenant que cette idée germait dans son esprit, elle ne l'aimait pas du tout. Elle faisait naître des émotions étranges, inhabituelles, et qui lui paraissaient trop difficiles à maîtriser pour être tolérables. Toutefois, elle ne voulait pas en faire une faiblesse en les ignorant, aussi avait-elle décidé de profiter de cette expédition solitaire pour y réfléchir.
Mais c'était sans compter l'odeur légère qui parvint à ses narines alors qu'elle cheminait à la fois dans la plaine et dans ses pensées.

Un beau jour, loin de sa famille et isolée depuis des mois, Mildred avait eu un an.

Sa grande escapade hors du dôme et l'étape chez les Etelkrus qu'elle aurait cru courte s'éternisait tandis que l'aventure en elle-même ne progressait pas d'une once. Les jours s'étaient mués en semaines, prolongés en mois, et les espoirs qu'elle avait eu de rapidement pouvoir rentrer chez elle s'étaient amenuisés.
Elle y pensait toujours, bien évidemment, mais désormais il s'agissait surtout d'une pensée reléguée en arrière-plan, toujours présente et lancinante mais moins intense. Comme un espoir déchu.
Elle s'était attendue à ce que peut-être, d'autres puissent traverser le dôme pour venir la chercher. Que rapidement des têtes inquiètes et familières se seraient pointées entre les arbres, arrivant au Grand Castel en grande pompe pour récupérer la princesse Lazulis.
Mais personne n'était venu.

Elle s'était toujours imaginé le jour de son premier anniversaire sous une structure classique. La journée aurait été belle malgré le reflet verdâtre du ciel, le soleil froid de l'hiver aurait rayonné toute la journée pour faire briller les pelages chatoyants de sa famille réunie autour d'elle sur l'Île. Il y aurait eu Anianka, bien-sûr, mais aussi ses sœurs, et peut-être que Gloriel et Méridor auraient su mettre leurs différents de côté pour pouvoir fêter leurs un an tous ensemble. Ils rentraient définitivement dans l'âge adulte.
Au lieu de ça, le jour avait été gris et marqué par la solitude. Godric avait été introuvable et il demeurait le seul réel ami qu'elle s'était fait dans la meute, le seul avec lequel elle passait du temps de manière régulière. Elle avait erré.
Après une pluie matinale la louve avait fait halte près d'une flaque à la surface aussi lisse qu'un miroir et s'était observée, se demandant si célébrer sa première année de vie changerait quelque chose à son visage. Elle n'aurait pas cru si bien dire.
Ses yeux vairons aux couleurs vives avaient viré au gris nacré, ne laissant pour trace de leur ancienne couleur qu'un fin rayon délavé en bordure de l'iris. Quant à ses cheveux cramoisi ils s'étaient strié de blanc, en quelques mèches fines contrastant brusquement avec la chevelure rose-rouge dont elle avait toujours été fière.

Elle avait eu peur, au début. Ses yeux paniqués avaient scruté la brume, cherchant un responsable, la lueur d’un glowstick qui lui donnerait une explication et apaiserait ses idées confuses.
Mais elle était toujours aussi seule… Elle était restée longtemps près de cette flaque, laissant le temps filer à contempler d’un œil morne les changements brusques à sa figure.
Petit à petit, à mesure qu’elle réalisait qu’il ne s’agissait ni d’une illusion ni d’un hasard temporaire, elle avait fini par accepter.
Elle en était même venue à presque apprécier ces mèches blanches qui à leur manière formaient un héritage involontaire de la chevelure immaculée de Gloriel.

Quelques jours plus tard, Mildred perdit la vue.

Cette fois-ci elle n’arriva pas à en voir les avantages. Plongée dans un environnement de ténèbres, la jeune adulte n’avançait plus avec grâce et assurance mais à tâtons, réalisant avec effroi à quel point elle avait considéré ses sens naturels comme un droit inaliénable dont elle ne serait jamais privée au point de ne pas avoir remarqué à quel point la perte de l’un d’entre eux pouvait briser tout un équilibre. Elle n’avait jamais fait attention au sens du toucher que lorsqu’il s’agissait de peser son poids sur le sol malléable d’un tapis d’épines de pin et de feuilles mortes, d’effleurer le corps d’un être aimé, de sentir les coups lors d’un entraînement. Elle n’aurait jamais pensé qu’en perdant sa vision elle allait désormais devoir puiser encore plus d’informations à partir de ce qu’il lui restait et que désormais ses pattes seraient aussi ses guides.
Tout cela avait été laborieux. Elle avait été d’humeur exécrable. Et pour ne rien arranger, elle avait des puces. Elles étaient arrivées peu de temps après son arrivée chez les Etelkrus, en réalité, mais elle n’y avait jamais fait autant attention que depuis qu’elle ne pouvait plus se distraire d’un joli paysage. Désormais la sensation de leur morsure était partout et sans arrêt, piquant son corps de milles petites aiguilles et poussant ses pattes et ses griffes à arracher son poil par paquets misérables.
Oui, elle qui avait pu apprécier son séjour chez la meute adverse commençait réellement à sentir doucement monter un rejet et une impatience qui la rongeaient d’une froide colère. Une colère différente des caprices enfantins qu’elle avait pu connaître. Une colère plus amère, plus vicieuse, plus sourde, qui contrairement à ses larmes de louveteau ne séchait pas après une bonne nuit de repos.

Cette fois-ci, la colère restait.

• • •

L’Île Abysse était grise dans ses souvenirs, grise de la brume qui s’y accrochait à toute heure de la journée. Suffisamment grise pour s’accorder avec les pensées qu’elle portait avec elle.
Les semaines avaient passé, encore, mais cette fois-ci dans le noir puisque ses yeux ne voyaient plus la lumière. Elle s’était encore plus retranchée que précédemment en se fondant dans les ombres de la solitude qui l’enveloppait.
Ses pensées étaient confuses –autant que l’air qui entrait dans ses narines endolories par la fraîcheur hivernale. Un air chargé d’humidité, de végétation, de fumets de proies qu’elle ne pouvait voir. Ses hautes oreilles pivotaient autour d’elle, traquant le moindre son sans jamais s’arrêter, tressaillant encore au bruit que ses propres pas faisaient parfois. Un soupir irrité s’échappa de ses mâchoires serrées.

Puis elle releva le museau à l’unisson avec ses oreilles, pointant droit devant elle.

Mêlée avec le reste, une effluve discrète mais identifiable flottait jusqu’à elle. Une odeur dont elle connaissait des fragments sans pour autant être capable de l’analyser. Il y avait un autre loup ici, un autre Etelkru semblerait-il – mais ce n’était pas aujourd’hui encore ses yeux qui allaient subitement l’aider à tirer au clair l’identité de ce camarade.
Mildred se figea, attentive et légèrement anxieuse. Oh, qu’elle détestait être ainsi offerte aux yeux des autres sans qu’elle-même ne puisse les voir…
A mesure que l’odeur s’amplifiait et se rapprochait, il lui semblait bel et bien qu’elle en connaissait la fragrance. Mais quelque chose n’était pas tout à fait juste.
Mais plutôt que ne rien dire, plutôt que de se laisser surprendre, elle préféra aller de l’avant, faisant un pas en direction de la source du fumet –un pas dans le noir.

— … Godric ?

Sa voix avait mûri désormais qu’elle était adulte, mais en cet instant elle restait fluette, portant les traces de son incertitude. Elle était pratiquement certaine qu’il ne s’agissait pas de Godric – de toute manière, ce n’était pas son genre d’approcher discrètement sans s’annoncer.
Mais il y avait tellement de similitudes dans la signature olfactive.

Il suffit à la jeune louve un mouvement léger de la tête pour que ses prunelles glacées s'accrochent à la silhouette qui se tenait non loin. Elle la reconnut instantanément par la myriade de détails dans son apparence qui la rendaient très facilement identifiable. Mildred. Une louve qui partageait du sang avec un certain nombre de loups chez les Etelkrus, elle-même y compris. Elle avait un pelage brun-roux, délavé sur l'arrière, et une épaisse chevelure rouge qui s'était depuis peu striée d'entrelacs blancs. De drôles de choses arrivaient à certains individus de la meute, que beaucoup interprétaient comme des interventions des dieux. Si c'était réellement le cas, il paraissait encore plus stupide de continuer à les vénérer. Après tout, cela voudrait dire qu'ils avaient sciemment rendu cette louve aveugle. Mais peut-être les divinités de cette meute étaient-elles intelligentes, et avaient-elles vu en les individus qui la composaient la même chose qu'elle : faibles, bêtes, facilement transformables en esclaves pour qu'ils répondent à leurs moindres caprices. Et cela avait diablement fonctionné, puisqu'ils les adoraient, en échange d'un peu de lumière autour de leur cou et de quelques menus pouvoirs. C'était presque pathétique.

C'était cette idée qui donnait envie à Rowena d'aller un jour - un jour proche sans doute - à la rencontre de l'un de ces dieux. Peut-être celui qu'ils nommaient Aka, dont le symbole était un ours. Aux dires de ses disciples, c'était celui avec le moins de pitié, le plus de fougue. Et c'était lui qui avait offert sa lumière à la louve seule louve pour qui elle avait un semblant d'estime dans ce grand groupe : Annette. Ou un semblant de respect. Quelque-chose de cet acabit en tout cas, qui la faisait la jauger différemment des autres. S'en méfier plus aussi, parce que c'était peut-être celle qui l'avait la plus à l'oeil et doutait le plus de ce masque de perfection qu'elle entretenait avec soin chaque jour. Elle ne craignait rien en tout cas de celle qui s'était approchée suffisamment pour sentir son odeur et se figer sur place, prononçant le nom d'un autre loup. Godric.

Elle redressa les oreilles, étonnée de cet essai peu fructueux d'identification. Après avoir jaugé un instant celle qui s'était adressée à elle, elle finit par pivoter sur elle-même et s'approcher d'un pas tranquille. Elle marchait à foulées légères, juste assez pour que l'autre puisse distinguer le bruit feutré de ses pattes sur l'herbe épaisse.

"Non." Répondit-elle simplement en s'arrêtant alors qu'elle parvenait à une distance acceptable de sa congénère. "Mildred."

Qui es-tu ?

Le son de pas feutrés, légers sans pour autant être dissimulés, faisait frémir ses oreilles sans discontinuer. Elle parvint à se calibrer sur la direction approximative des bruits et ajusta la position de sa tête en conséquence, espérant faire face à son congénère. Elle tenta de s’imaginer un instant, ses yeux délavés flottant dans le vide sans que leur pupille étroite ne soit capable de figer son regard d’habitude si perçant sur un objectif précis. Cela devait être pathétique, et un frisson de frustration et de colère la parcourut.

A mesure que l’autre approchait Mildred s’efforça de se concentrer davantage encore sur les sens qui étaient à sa disposition. Elle huma l’air de plus belle, collectant la myriade d’odeurs flottant dans l’air, s’emplissant encore des molécules diffusées par la présence d’un autre loup.
Et elle nota une erreur capitale dans son identification une maigre seconde à peine avant que ne résonne une voix en réponse à la sienne.

— Non. Mildred.

Une louve, c’était une louve.
Elle s’était arrêtée non loin et Mildred n’entendait plus que le souffle à peine perceptible de sa respiration. Son nom, prononcé d’une manière si claire et si simple, arracha un léger frisson glacial à la jeune louve qui hérissa légèrement son échine. Elle l’attribua à la fraîcheur du lieu. Il n’y avait de toute manière rien d’étonnant à ce qu’une grande partie des Etelkrus ne la connaisse, ayant remarqué ou appris sa présence d’une manière ou d’une autre au cours des derniers mois.
Mais cette odeur, cette odeur... Elle ne se trompait pas sur un point. La louve portait des fragrances similaires à celles de Godric. Mais il y avait d’autres choses également, des notes qui faisaient tâche malgré l’odeur des Etelkrus, des accents plus sauvages.
Une réponse évidente lui parut. Il y avait celle qui était Etelkru de sang, mais sauvage de cœur d’après les rumeurs.
Celle qui avait été enlevée au flanc d’une mère mourante pour être finalement réintégrée, celle qui portait l’odeur de sa meute mais était rarement vue se fondant en leur sein, restant ombre discrète au tableau.
Mildred releva le museau, se tenant droite et solide, son corps cessant enfin de s’affairer à l’agitation d’être complètement dans le noir.

— Rowena.

Elle avait entendu de la gueule de Godric qu’elle était revenue avec un nom tout autre, un nom attribué par la solitaire sanguinaire qui s’était faite mère de substitution, mais elle ne l’avait pas retenu. C’était un nom trop sifflant aux syllabes indomptables, qui se tordaient et s’agitaient jusqu’à sortir de la tête pour ne pas pouvoir être prononcé.
Mildred ne pouvait détailler du regard la louve grise qui devait actuellement lui faire face, mais elle devait être tout jeune adulte elle aussi. Après tout, la rousse était à peine plus âgée que ses cousins, d’un ou deux mois seulement.
A défaut de pouvoir la voir, elle fit de son mieux pour toujours lui faire face et après une courte hésitation elle s’assit dans l’herbe humide, rassemblant sa queue fournie au pelage ondulé autour d’elle. Elle hésitait sur la marche à suivre face à une louve telle que celle qui était en sa compagnie. Un mélange de fascination, de curiosité et de froideur tourbillonnait en son cœur à son égard et elle ne savait pas encore dans quelle direction creuser.
Mais une chose était sûre. La vigilance était de mise et Mildred devrait progresser prudemment, tâter le terrain avec délicatesse. Faire preuve de toutes les subtilités dont sa mère était capable pour être forte, elle aussi, et commencer à peut-être tirer de son séjour chez les Etelkrus autre chose à lui ramener que des banalités.

— Il paraît que tu n’as pas toujours été Etelkru.

Bien évidemment, tout le monde était au courant. Mais Mildred avait décidé que c’était la première direction dans laquelle elle creuserait un sillon.
Pour assouvir sa soif de connaissances sur le monde qu’elle ne connaissait pas, le monde des renégats, et évaluer de quoi au juste était réellement fait le cœur de celle qu’on disait être sauvable.

Lorsque Mildred prononça son nom, son langage corporel changea imperceptiblement. Durant les quelques instants qui avaient précédé, elle avait été comme nerveuse, ne sachant pas où regarder comme le montraient les mouvements un peu erratiques de ses prunelles claires, ne sachant pas non plus à qui elle avait à faire. Mais lorsqu'elle sut dire de qui il s'agissait, elle parut retrouver une forme d'assurance. Lorsqu'une autre nouveauté se présenterait, elle subirait sans nul doute encore ce bref sentiment d'impuissance. Oxomo avait fait subir à sa fille bien jeune quelques entraînements en lui couvrant les yeux. Elle devait retrouver leur tanière d'alors seulement grâce à ses sens. La première fois, elle avait ressenti un sentiment des plus désagréables : celui d'être une proie. A la merci de quiconque voudrait d'en prendre à elle sans qu'elle ne le voie arriver. Il avait fallu quelques temps et beaucoup de recul pour comprendre que ses yeux n'étaient qu'une parcelle de tout ce qu'elle pouvait utiliser pour détailler son environnement. Même si elle n'était plus effrayée à l'idée de devenir aveugle, elle devait bien reconnaître que c'était particulièrement inconfortable, elle dont l'esprit nota avec méticulosité chaque petit détail de ce qui l'entourait sans faire de tri, dans un grand pêle-mêle que sa mémoire organisait ensuite en catégories bien rangées.

Elle ne fut pas surprise que la louve rouge connaisse son nom. Après tout, elles partageaient du sang, même si c'était loin d'être une fierté aux yeux de Rowena. Et chacune d'entre elle était arrivé en faisant un peu de remous dans cette meute au quotidien déjà bien agité, alors en prêtant oreille aux rumeurs, il n'était pas compliqué de savoir qui chacune étaient, même si c'était la première fois qu'elles se retrouvaient face à face. Mildred finit par s'asseoir face à elle, et elle se demanda si elle devait prendre cela comme une invitation à une longue conversation. Elle avait beau pouvoir faire la liste de tous les signaux qu'envoyaient ses congénères, parfois elle ne les comprenait pas, et c'était une grande source de frustration. Alors elle observait. Ce fut d'ailleurs ce qu'elle fit dans les instants qui suivirent. Sans s'asseoir toutefois, sans céder du terrain à cette place de dominante implicite qu'elle essayait de prendre sur chacun de ceux qu'elle croisait.

La phrase n'était pas vraiment une question, et pourtant elle en soulevait beaucoup. Un loup bavard et prompt à conter tout le cours de son existence aurait sans doute sauté sur l'occasion, mais ce n'était pas vraiment son style. Alors elle répondit simplement :

"Il paraît que toi non plus."

L'es-tu vraiment aujourd'hui ? Le suis-je moi-même ?
Au dessus des deux louves, le ciel chargé commença à laisser échapper une bruine fine et glacée, qui couvrit leur pelage d'une pellicule de gouttelettes.

Les oreilles de Mildred bougeaient imperceptiblement à chaque son qu'elle percevait, elle dont le regard avait d'ordinaire l'habitude de fureter un peu partout. Désormais, elle ne pouvait que se raccrocher à son sens de l'ouïe pour tenter de dresser le tableau le plus fidèle possible de ses alentours. Avec l'humidité élevée dans l'air -qui semblait ne pas aller en s'améliorant s'il fallait en croire les premières gouttes de pluie qui tombaient de temps en temps sur sa truffe- les odeurs étaient crasses et brouillées, se mélangeant les unes aux autres sans pouvoir les analyser précisément.
Elle attendit de longues secondes durant d'entendre un son provenant de sa congénère qui indiquerait un quelconque mouvement mais rien ne vint. Rowena resta immobile, seul son souffle se laissant vaguement entendre.

— Il paraît que toi non plus.

— Je ne serai jamais Etelkru.

Sa réaction fut immédiate, les mots sortant presque comme des bêtes sauvages défaites de leurs liens. Elle n'eut presque aucun contrôle sur la phrase qui avait franchi ses lèvres tant elle était viscérale, un rejet profond de la simple implication qu'elle puisse rejoindre leurs rangs.
Oh, elle n'en repoussait pas tout l'héritage. Les mots de son père restaient ancrés en elle. Elle portait avec fierté le bagage de ses ancêtres chevaliers, dont nombreux avaient été des hauts-rangs chez les Etelkrus - et l'étaient toujours, comme elle avait pu le remarquer avec son oncle Athelstan. Mais malgré cela, l'amour qu'elle portait pour sa mère et certains individus qu'elle avait pu voir dans leurs rangs avaient surtout provoqué en elle des frissons de rage et de dégoût. Deux mondes s'affrontaient fréquemment dans son esprit, mais elle demeurait solidement ancrée dans certains convictions, et elle ne trahirait pas Anianka pour des fantômes d'une ancienne gloire. Elle serait capable de tracer sa propre route, porteuse d'un patrimoine fort mais sans nécessairement épouser leurs empreintes.

La jeune louve redressa légèrement le menton face à la présence invisible de l'autre louve. Elle sentait d'avance que la conversation s'annonçait compliquée et truffée d'embûches. Elle-même devrait faire attention aux endroits où elle poserait les pattes - elle avait beau faire de son mieux pour essayer de capter quelques ondes et sentiments émanant de Rowena, elle ne ressentait qu'une froideur lisse et sans faille.
Elle ne désirait pas être lue. Elle serait adversaire coriace dans la lutte du savoir.

— Et toi ? Te reconnais-tu parmi eux ? Tu fais partie de leur famille, après tout. Tu es née ici.

Elles étaient de sang proches, finalement. Elles faisaient partie d'une même grande et noble famille séparées par un dôme et des années d'éloignement. Et aucun d'elle n'était à sa place sur ces terres.

L'ombre d'un sourire étira les babines de Rowena lorsque la réponse claqua dans l'air, immédiate, et sans nulle doute sincère. Ainsi donc, malgré le jeune âge auquel elle était arrivée chez eux et le fait qu'elle n'aie pas pu repartir pour l'instant, malgré le fait qu'elle se soit visiblement trouvé une sorte de place dans l'équilibre de cette meute, elle prétendait ne jamais se considérer comme telle.

"Tu portes leur odeur. Tu manges les proies de leurs chasseurs. Tu dors dans leurs cavernes sous la protection de leurs gardes." Constata-t-elle froidement.
Alors où était la différence ? Qu'est-ce qui faisait que tu n'étais pas l'une d'entre eux ?

Elle vit Mildred redresser la tête, un éclat de fierté et d'arrogance qui suivait ses paroles. Il aurait sans doute été très intéressant de la rencontrer et qu'elles puissent se voir toutes les deux. Certes, cela donnait à la louve grise un ascendant qu'elle appréciait - puisqu'elle le jugeait mérité - mais elle se demandait comment l'autre aurait réagi si elle n'avait pas été affublée de ce handicap, qui l'affaiblissait sans doute plus qu'elle ne voulait bien le laisser paraître. L'assurance qu'elle affichait ricocha dans ses paroles lorsqu'elle lui demanda si elle-même se reconnaissait parmi eux. Elle était née ici. L'expression de Rowena se modifia un peu à ces mots. S'il y avait eu 'ombre d'un sourire ou d'un rictus, elle se recomposa en un faciès froid qui aurait pu trahir une force d'agacement. Elle avait une grande maîtrise d'elle-même, aussi en fut-ce le seul signe clair, mais si la louve aux cheveux rouges avait pu la voir, peut-être l'aurait-elle détecté.

"C'est vrai, je suis née ici." Répondit-elle, en jaugeant soigneusement ce qu'elle allait dire ensuite.

Elle ignorait à quel point Mildred se sentait éloignée des autres Etelkrus. Un mot de travers, et toute la couverture qu'elle polissait chaque jour avec succès pouvait voler en éclat.

"Mais ils ne sont pas ma famille." Ajouta-t-elle finalement.

Elle avait jugé que c'était pour le moment les limites de l'acceptable. Car on ne pouvait lui en vouloir de se poser des questions sur son identité, à son avis. Personne n'avait été dupe les premiers temps et tout le monde avait vu combien elle s'était montrée farouche. Au regard de tous, il avait fallu l'enseignement de Lymphalème pour qu'elle se sente enfin à sa place dans la meute, mais elle n'avait pas beaucoup de contacts avec ceux qui partageaient son sang. Ce n'étaient pas eux sa famille.

"Tu partages leur sang toi aussi." Ajouta-t-elle.
Pourquoi serait-ce plus ma famille que la tienne, louve aux cheveux de sang ?

Les remarques de Rowena sur son statut firent frémir ses babines mais elle se retint de dévoiler la moindre canine. Quand son propre monde était plongé dans l'obscurité on était tentés de se conforter dans l'idée qu'il en allait de même pour les autres et que les apparences ne comptaient plus, mais Mildred n'oubliait pas au contraire que les yeux froids de sa cousine étaient posés sur elle et guettaient la moindre de ses réactions pour s'en nourrir et l'analyser. Accepter l'hospitalité qui lui avait été offerte au début de son adolescence ne signifiait pas qu'elle se pliait à de nouveaux maîtres. On pouvait accepter une patte tendue sans y rester lier à jamais.
Sans doute comprenait-elle cela aussi, cette Rowena, qui se pensait inaperçue à se glisser dans les ombres alors qu'elle aurait du se réjouir d'être au sein de sa famille.
Mais elle laissa les mots filer pour le moment, se contentant de rester concentrée et d'attendre la suite.

— C'est vrai, je suis née ici. Mais ils ne sont pas ma famille.

La jeune louve inclina légèrement la tête, l'esquisse d'un sourire étirant sobrement ses lèvres. Des phrases dont elle l'avait accusée si peu de temps auparavant se rendait-elle coupable en même temps, si elle ne se sentait pas non plus à sa place. Elle-même était si proche de sa mère qu'elle ne pouvait imaginer changer de meute simplement car la trahison serait trop forte et qu'elle ne souhaitait pas s'éloigner ainsi de son chemin. Cette étape chez les Etelkrus n'était finalement qu'une pause obligatoire à laquelle elle ne pouvait réellement échapper tant que personne ne trouvait le moyen de traverser le dôme dans l'autre sens, ou en attendant que celui-ci éclate.
Peut-être que sa cousine se sentait loin de chez elle, elle aussi. Gardiennée dans une meute qui n'était sienne et qui lui hérissait le poil lorsqu'elle se retrouvait seule avec ses pensées.
Et cela ne pouvait qu'aiguiser encore davantage sa curiosité envers cette autre famille, celle qui semblait toujours conserver son cœur même après de longs mois.

— Alors nous sommes dans la même situation. Tu ne te sens pas chez toi mais toi aussi tu manges leurs proies et dors à leurs côtés. Il parait même que tu les soignes.

Elle laissa son sourire s'afficher plus franchement désormais. Là était la plus grande ironie -faire de celle qui avait été reprise à une meurtrière une louve qui panserait leurs plaies.

— Tu partages leur sang toi aussi.

Elle battit des paupières et patienta quelques instants avant de répondre, retournant la phrase pour tenter d'y trouver un sens caché, mais n'y vit qu'une tentative de sa cousine de lui faire oublier la direction première qu'avait pris la discussion en ramenant le sujet à elle. Elle qui pourtant ne tentait pas de renier son ascendance.

— C'est vrai. Mais ma véritable famille m'attend de l'autre côté du dôme.

Elle n'avait donc pas besoin de la remplacer, seulement d'attendre. Et contrairement à ce que Rowena semblait penser, elle n'en reniait pas pour autant les liens du sang qui coulaient entre elle et plusieurs membres de ce clan. Ils avaient été sa carte d'entrée, après tout.

— Tu es adulte et libre. Pourquoi n'es-tu pas partie rejoindre ceux que tu considères comme ta vraie famille si tu ne te penses pas Etelkru ?

Et qui étaient-ils ? Ou avait-elle disparu, durant ces trois mois qui avaient suffit à faire d'elle une louve prête à renier ses véritables parents et frères et sœur ? Y en avait-il d'autres que celle qu'ils appelaient Oxomo ?

Le sourire de Mildred s'entendit dans ses paroles avant même de se dessiner sur son visage délicat. Le museau de Rowena demeura de marbre, acceptant sans mot dire la répartie. Bien-sûr qu'elle avait raison, qu'elle dormait sous leur toit elle-aussi, qu'elle profitait du travail de leurs chasseurs, et qu'elle les aidait même comme le lui permettaient ses compétences. Mais elle n'avait jamais prétendu le contraire, elle n'avait pas réagi comme si l'on venait de donner un coup de croc dans une partie particulièrement sensible de son ego. Ils n'étaient pas sa famille, mais en façade ils étaient sa meute. La nuance était subtile, elle l'accordait, mais celle qui se trouvait en face d'elle ne lui paraissait pas particulièrement stupide, aussi avait-elle cru qu'elle l'aurait saisi. Mais peut-être avait-elle sous-estimé l'aspect provoquant de ses précédentes remarques sur la louve aux cheveux rouges. C'était intéressant, comme réaction. Et le sourire qui l'accompagnait, un sourire de fierté face à une remarque dont elle paraissait certaine de l'effet, l'était encore plus. Elle nota soigneusement ce détail.

Il fallut un instant avant que son interlocutrice ne réponse à son affirmation suivante. Les prunelles claires de l'apprentie guérisseuse scrutèrent avec insistance chacun des mouvements infimes que purent avoir ses traits - elle ne pouvait pas la voir, alors elle ne pouvait pas trouver cela étrange, et la louve grise avait tout loisir de l'observer sans avoir à le faire discrètement. Ce qui suivit confirma son doute - et une sorte de déception aussi, il fallait bien l'avouer. Chaque loup nouveau auquel elle adressait la parole pouvait s'avérer d'une intelligence rare, ou bien complètement l'inverse. La plupart du temps, dans la meute dans laquelle elle se trouvait, la deuxième option prenait le pas. Il y avait une sorte de... martèlement continu de quelques règles simples auxquelles beaucoup se raccrochaient lorsqu'il s'agissait de réagir face à une situation. Ca, elle le connaissait par coeur, et c'était le reste qui l'intéressait bien d'avantage. Elle avait quelques instants crut que Mildred se détacherait du lot, et d'une certaine manière elle le faisait, mais pas autant qu'elle l'aurait voulu. Elle se demanda pourquoi d'ailleurs, elle avait ce petit sentiment teinté de mépris qui naissait dans son esprit. Peut-être qu'il y restait un peu de candeur, dans un coin, qui croyait encore pouvoir trouver dans ceux qui partageaient son sang quelqu'un qui lui ressemblerait, qu'il serait intéressant de côtoyer. Il était grand temps de chasser définitivement cet espoir, de toute évidence.

"Je n'ai pas dit que je n'étais pas Etelkru." Répondit-elle. "Ma famille est morte. Ou très loin d'ici."

Elle ne continua pas, parce qu'elle ne jugea pas nécessaire d'exprimer la moindre opinion à ce sujet. Ici, on considérait Oxomo comme une criminelle, et sa mort comme une bénédiction. Et surtout, surtout, on ne comprenait pas qu'elle ne puisse pas être d'accord avec cela. C'était bien le signe du peu de réflexion que pouvaient avoir les loups de ce clan. Elle s'y était faite, d'une certaine manière. Cela alimentait le brasier qui rugissait au fond d'elle, dans les tréfonds de son palais de glace. Le brasier de la vengeance, que le comportement au quotidien de chacun ne faisait qu'attiser, délicieusement.

"Qu'est-il, ce dôme ?" Demanda-t-elle finalement, laissant volontairement percer une lueur de curiosité dans le ton de sa voix.

Parce qu'il l'intéressait vraiment de savoir de quoi il s'agissait, et même si elle ne comptait pas partager la moindre information ensuite, elle voulait comprendre un maximum de choses sur... tout. Et ce dôme en faisait indubitablement partie.

Il y avait véritablement quelque chose de profondément incapacitant à ne pas pouvoir voir celle qui lui faisait face alors que l'autre le pouvait et en profitait.
Ça ne pouvait être qu'une impression sans certitude dans l'état qui était le sien, pourtant elle savait que c'était le cas : posés sur elle et ne la lâchant pas, les yeux de Rowena pesaient leur poids même à travers ces mètres d'obscurité qui les séparait. Elle se savait épiée, décortiquée, mise à nu sans répit avec une facilité déconcertante - car si le jeu des regards entre voyants se devait d'être une danse subtile dans l'environnement social qui était le leur il était en ce moment rendu terriblement facile pour sa cousine, Mildred étant totalement à sa merci. Le moindre de ses tressautements serait jeté en pâture aux avides yeux de glace qu'elle ne pouvait qu'imaginer.
Si elle n'avait jamais rencontrée personnellement la seconde Alpha qui trônait aux côtés d'Anette, elle savait comme tout membre du clan qu'elle était aveugle - et même si elle était née avec et n'avait donc pas eu le choix que de faire avec, Mildred ne pouvait qu'admirer à quel point elle avait surmonté la difficulté avec brio pour devenir celle qu'elle était aujourd'hui.

Elle ne s'y ferait jamais, elle en avait déjà la conviction.

— Je n'ai pas dit que je n'étais pas Etelkru. Ma famille est morte. Ou très loin d'ici.

La voix de Rowena la tira des pensées troublées qui se remuaient et se tordaient dans son esprit.
Ses griffes remuèrent légèrement le sol à ses pattes, dans une manœuvre qu'elle rendit plus ou moins perceptible. Si elle ne pouvait rien faire pour empêcher sa cousine de l'épier sous toutes ses coutures, elle pouvait en revanche jouer du pouvoir qui lui restait : celui de maîtriser davantage son corps et le langage que l'on pouvait en extraire. Celui de brouiller les pistes et d'émettre des signaux contradictoires, de faire semblant de trahir une hésitation là où il n'y avait pourtant que certitude ; simplement pour le plaisir de lui compliquer la tâche et de ne pas la laisser ainsi profiter de son avantage sensoriel. Il lui faudrait être subtile, ne pas sous-estimer sa froide cousine. Mais elle n'était pas l'enfant de la Prêtresse des Roses pour rien.
Quand on était née au milieu de ces fleurs à l'apparence trompeuse, on apprenait bien vite à vivre par leurs règles.
Nombreux étaient les individus à s'approcher sottement pour en inspirer le parfum pour se retrouver finalement égratignés par les cruelles épines.

Elle plissa légèrement les paupières en réponse à sa phrase, comme perdue dans une intense et perplexe réflexion sur les mots qu'elle lui offrait. Sa queue balaya le sol, une seule fois, dans un élan de nervosité échappé avant d'être finalement muselé : comme si elle perdait pied face à cette logique.
Comme si elle ne comprenait pas vraiment et ne savait que penser, que faire de cette apparente contradiction.
En réalité, elle qui était si loyale au concept de famille n'avait jamais édicté qu'elle devait être de sang pour être réelle. Si les Etelkrus avaient pris à la louve la seule famille qu'elle estimait, elle n'avait simplement nul part où aller, à part se fondre dans les rangs d'une meute qui l'avait acceptée.
Elle s'imagina un instant que le dôme perdure, que sa famille ne lui soit plus jamais accessible. Elle s'imagina un instant face au choix de se retrouver seule et solitaire, ou de rester parmi ces Etelkrus auxquels elle ne voulait pourtant pas s'assimiler malgré les nombreux liens de sang plus ou moins éloignés qui la liait à eux.
Il était probable qu'elle resterait avec eux jusqu'à s'intégrer à leurs effectifs, s'y fondre et y mener une vie d'apparence normale.

Et pourtant jamais la loyauté de son cœur ne leur reviendrait.

— Qu'est-il, ce dôme ?

Sa cousine changeait de sujet. Le bref tic de frustration qui fronça ses babines était celui-ci bien réel, mais elle s'empressa d'y ajouter un mouvement d'oreilles se redressant un instant en pivotant vers Rowena pour brouiller la pointe d'agacement en accordant son diapason à la curiosité de sa cousine. Feinte ou non, elle ne le savait.
Mais c'était peu important car malgré l'intérêt moindre qu'elle portait à une discussion au sujet de ce dôme, la balle avait au moins l'avantage de revenir dans son camp, sur un terrain où elle était seule maîtresse et détentrice d'une vérité.
Personne d'autre que les Lazulis eux-mêmes ne pouvait savoir ce qui s'était déroulé là-dessous.

— Un avertissement divin. Suite au manque de loyauté et d'offrandes, certains Dieux ont exercé la méthode forte.

Mildred choisit ses mots avec précaution, tricotant prudemment sa version des faits à la volée. Elle ne savait pas encore tout à fait ce qu'elle pourrait en dévoiler, comment tirer avantage de la situation. Pour l'instant pas de mensonges. Seulement des omissions, et des mots encore faibles - elle ne parla pas de colère ni de punition, y préférant le terme de la mise en garde.
Prétendait-elle à un dieu, sa cousine ? A part Dairo elle avait du mal à lui imaginer une couleur Etelkru.
Et chez eux, sous ce dôme, les Dieux de la prétendue intelligence étaient ceux ayant exprimé le plus de caprices à l'égard des mortels en leur réclamant un dévouement sans failles.