Enfants de reines ✡ Alexandrine

La petite Alexandrine s'était absentée de l'ambiance bruyante de la portée. Oh, elle adorait ses mères, elle adorait ses adelphes ! Mais elle avait envie d'autre chose, elle avait envie de nouveauté ! Ses yeux n'en pouvaient plus de fixer les mamelles de Sheina et de jouer avec la queue d'Anita, elle avait besoin de neuf.

Et quoi de mieux pour ça que d'aller visiter la Salle des Trônes ? Ca n'était pas loin d'ici, donc elle pourrait s'y rendre seule sans inquiéter personne. Et en plus, même pas besoin de prévenir ! Alors elle se redressa, marcha sur la patte d'Anita - pardon - la queue de Floyd - merde désolée - et les reins de Sheina qui, surprise, ne s'éveilla même pas. Une rude mission, mais qui heureusement se passait fort bien.

Alors Alex se rua en avant, agitant ses ailes pour propulser sa course, et débarqua dans la Grande Salle.

Et là, se figea.

Parce qu'au milieu de la pièce Dansait un loup gris et blanc ourlé de rouge.

Il volait littéralement entre les trônes, semblait se téléporter d'un endroit à un autre avec la grâce et la vitesse d'un serpent. Alex était bouche bée. Elle finit cependant par avoir un hoquet, et ce bruit fit se retourner le jeune mâle qui lui gronda dessus.

Nullement impressionnée par son attitude, elle se jeta en avant avec un cri de joie et d'admiration :

WhoaaaAAA mais c'est TROP BIEN comment tu fais tout ça MONTRE MOI apprends moi Moi aussi je veux savoir faire tout ça pour être comme maman allez s'il te plait s'il te plait s'il te plait dit oui-

Elle s'arrêta d'un dérapage incontrôlé juste à côté de lui- ah ben non râté

Oups-

Elle griffa le sol de ses pattes mais heurta quand même le petit loup gris de sa masse.

Pardon ! Moi c'est Alex ! Et toi t'es qui ? T'es super trop fort dis donc c'est génial ce que tu fais !

Quelles manières, mes aïeux ! Aucun filtre !

Alexandrine ne se rendait pas encore compte de grand chose : elle n'était qu'empressement et joie infantile. Elle remarqua à peine qu'elle mettait ses grosses pattes dans un plat un peu énervé. Au contraire du loup gris, la louvette n'avait que faire de son ascendance ou de celle de ceux qu'on croisait.

Quoi que.

Son ascendance a une forte importance, parce qu'elle aime ses mères et ses frères et ses soeurs. Et c'est la chose la plus importante du monde ! Mais c'est ce que tout le monde doit avoir. Des parents, des adelphes, tout ça. N'est-ce pas dans l'ordre des choses ?

Qui pourrait survivre sans ? Ou prendre un bon départ dans la vie, sans cet appui ?

Désoaha ? C'est bizarre comme nom.

Alex fronça les sourcils et fit claquer sa langue contre son palais.

Je peux t'appeler Daisy ? C'est plus facile. Et c'est des fleurs, c'est joli les fleurs !

Elle se releva et commença à tourner autour du louveteau. Il n'était pas beaucoup plus vieux qu'elle, elle le voyait. Mais il avait déjà une musculature sèche, épaisse et fortement développée, impressionnante pour quelqu'un de son âge. Un corps, Alex ne pouvait le savoir ni le comprendre, forgé dans l'âpreté et la douleur. Et les yeux de la louvette lançaient des étoiles.

Mais c'est pas pareil ! C'est des grands ! Mamanette elle peut écraser un rat avec UNE SEULE patte. Je l'ai déjà vu faire. On peut pas faire ça nous !

Et puis, comment lui expliquer que, non, Anette ne leur montrait pas en permanence comment se battre et défoncer des cul, pas encore. Mais là, tout de suite, Alex avait très envie d'en voir plus.

Mais si toi tu peux le faire, ça veut dire que tu peux m'apprendre.

Il ne lui en fallait pas plus pour l'inspirer. Ils avaient presque le même âge ! Même si Désoaha était plus grand, il n'était pas UN grand. Un adulte. C'était atteignable, envisageable. Et si lui pouvait le faire, alors elle aussi voulait y arriver.

Pour protéger.

Les rouages jouent et cliquètent sous ce crâne grise et blanc, Alex n'est pas très attentive mais elle voit presque les réflexions de son compagnon s'agiter sur son museau. Elle comprend qu'il réfléchit, même si elle est incapable de savoir à quoi. Comment pourrait-elle comprendre ce qu'un loup comme lui peut penser ? Tout ceci lui est tellement étranger. Alors Alexandrine se contente de se tenir bien droite et d'ouvrir ses grandes oreilles. Elle pourrait être gênée, du regard rouge et doré de ce grand loup son ainé, mais rien de tout cela. Après tout, elle vient de lui demander de lui montrer des trucs, c'est normal qu'il l'évalue !

Alors elle bombe le torse, essaye de se faire plus grande que ce qu'elle n'est déjà, avec sa taille de crevette mais déjà révélatrice de sa prestance future.

Lorsqu'il déclare être prêt à essayer, elle laisse échapper un piaillement de joie et sautille sur place, avant de se calmer tout de suite devant l'afflux d'informations.

Ne jamais tourner le dos à l'ennemi. Et voilà qu'il lui tourne autour.

Mais Alex n'applique pas ce premier conseil.

Ou plutôt, elle l'applique à sa manière.

Il n'est pas son ennemi. Pourquoi refuserait-elle de lui offrir vision de son dos ?

Ne pas se coucher devant lui.

Des conseils simples. Efficaces. Les bases d'un apprentissage ourlé de doctrine, caparaçonné d'ordres.

Être en mouvement.

Elle boit ses paroles, Alex. Elle le regarde avec des grands yeux ronds, brillants, émerveillés. Il lui apprend à se battre ! Pas comme avec Anita, Narcisse ou Floyd. Vraiment à se battre ! Contre de vrais ennemis !

Alors enfin elle se met en mouvement. Instinctivement, son corps s'abaisse, frôle le sol sans le toucher, sa tête se baisse pour cacher son cou, point névralgique où coule la vie. Elle se remet face à lui, l'empêche, enfin, de lui tourner autour, elle répond à la danse qu'il lui propose, cette danse mortelle qui depuis des temps infinis opposent deux prédateurs souhaitant en découdre, deux loups qui se jaugent.

Il est bien plus grand. Bien plus musclé. Bien plus entrainé. Il a un avantage qu'elle ne peut espérer frôler du bout des pattes. Elle le sait, elle le voit - c'est aussi ce qui l'attire tant chez lui, ce savoir qu'il peut lui transmettre.

Sur ses conseils, elle use ses épaules et lève en parapluie ses deux ailes de cuir. C'est gauche, pittoresque même ! Ses ailes sont bien trop grandes pour son petit corps, difficiles à porter. Elles manquent de muscle, elles sont encore un handicap pour le moment. Mais elle les lève, en replie les extrémités de ses doigts de cuir si fins pour créer deux mains monstrueuses à ses côtés. Elle baisse encore un peu la tête, sans se déséquilibrer.

En une fraction de seconde son visage si joyeux et empathique se transforme en masque de titane impénétrable, son regard fixé sur l'antagoniste de l'histoire, ses crocs légèrement sortis. Sa queue fouette l'air dans un léger sifflement de cuir, elle gronde, un bruit guttural qui racle sa gorge avant d'échouer sur le sol comme un éboulis de montagne. Dangereux. Mortel.

Elle garde sa position de longues secondes, gauche miroir de l'attitude ténébreuse et délicate de Désastre. Avant de se redresser et lui offrir un sourire, un éclat de rire, reposant ses ailes au sol.

C'est génial, tes conseils ! Je pourrai les utiliser pour faire peur à la friterie !

La fratrie. C'est la fratrie, le mot que tu cherches, petite.

Je veux tout savoir !

Elle relance.

Il n'est pas prêt d'avoir la paix, Daisy, à accepter ses requêtes ainsi.

Il réfléchissait trop, tout le temps.

Elle le voyait au fond de son regard qui passait d'une partie à l'autre de son anatomie, de ses yeux qui frénétiquement changeaient de point de focus avant de revenir dans ses yeux à elle. Elle le voyait à la façon dont il posait précautionneusement ses pattes sur le sol, dans la façon dont il se faisait plus petit encore qu'il ne l'était, à cet endroit si parfait pour aller attraper sa gorge débordante de vie.

Il réfléchissait trop, derrière son masque impassible et son allure déjà mature.

Mais cette histoire de vieux, ça la perturbe.

... Annette et Sheina leurs avaient-ils caché des frères ou des demi-frères bien plus fragiles dont elle n'aurait connaissance ? Un instant elle s'assoit lourdement sur le sol et laisse trainer les pans de cuir autour d'elle, inconsciente de l'attrait qu'ils exercent sur son camarade de jeu. Le mystère est entier. Quels sont ces personnes qu'elle pourrait faire claquer d'un simple "BOUh" un peu impressionnant ?

Mmh, non je pense pas que ça peut arriver, enfin pas avec Narcisse, Anita ou Floyd en tout cas. Ils sont bien trop forts.

A l'évocation du dragon, elle se retourne d'un mouvement vif pour détailler l'ombre qui se détache au sol. Elle reste un instant coite devant l'image renvoyée, avant de relever les ailes, pour les amener à leur apogée. La membrane, rendue fine par l'effort, laisse une marque plus claire sur le sol de que le reste de sa silhouette, reflet du soleil qui passe au travers et pare le sol de bleu et d'orange.

Un dragon-

Elle murmure, épatée. Il a de si bonnes idées, Daisy !

C'est trop génial-

Alex avait un peu de mal à se remettre de cette idée. C'était grâce à maman Sheina, ça ! C'est elle qui lui avait donné ces ailes merveilleuses, monstrueuses et magnifiques. Mais la leçon n'est pas finie ! Alors les oreilles en avant elle se replace face à son adversaire du jour et se relève de ses mouvements patauds qui deviendront très vite meurtriers.

Attaquer, et esquiver. Deux faces d'une même pièce, l'envers et l'endroit. Elle fait la moue. Elle sait. Elle sait déjà qu'elle n'aura jamais la vitesse et la grâce d'Anita, ou de Désastre. Elle voit bien, malgré sa petite taille, qu'il sera toujours bien plus agile et plus souple qu'elle. Est-ce qu'elle aussi, ressent un peu de jalousie envers le loupiot gris ? Oui, beaucoup.

Lui, il a ce physique si atypique qu'il aurait pu emprunter à Sheina, ce but qu'elle ne peut se donner, qu'elle ne pourra jamais atteindre. Elle, avec ses grosses pattes, amenée à singer Anette pour lui emprunter un peu de sa force, un peu de sa prestance. Essayer de calquer son attitude si royale. Mais Sheina - Sheina non, c'était bien trop... Différent. Malgré ce que ça lui en coutait, elle ne pouvait que s'y résoudre : elle ne deviendrait pas Sheina. Elle ne deviendrait pas Pepper.

Elle devrait alors devenir Anette, et c'est avec fierté qu'elle tenterait de devenir Anette.

Mais au jeu de l'esquive, elle ne partait pas avec l'avantage.

Il s'échauffe, et il parle, il donne des conseils auxquels Alex s'abreuve sans en perdre une miette. Sauter de côté... Elle admire la façon dont il retire son corps sans en oublier une miette, plus vif qu'un chat, qu'un serpent. Elle en a vu plein des serpents chez Kiro (chez Sheina !), et ils sont tous aussi rapides que ça. Impossible de les attraper !

Elle doute pouvoir éviter ses attaques.

Mais elle fera tout pour essayer.

D'accord !

Alors elle se replace, en sa position initiale. Ne pas lui tourner le dos. Protéger son cou, son ventre, ne pas se coucher devant quelqu'un, elle étend ses ailes et recule d'un pas pour garder cette distance entre eux, cette distance qu'elle apprendra à connaître, à flirter, à franchir, la distance d'attaque que seul l'entrainement pouvait apporter.

Il tourne, il tourne autour d'elle et elle suit son mouvement, les yeux rivés sur tout son corps à la fois. Va-t-il attaquer ? De quel côté ? A quel moment ? Directement, avec une feinte ? Dans sa tête, les grands récits d'Anette sur les batailles et les combats, qu'elle passe son temps à demander. La dernière fois, j'ai esquivé à CA !, ou encore Il n'a rien vu venir - une vraie furie !, des contes qui paraient ses yeux d'étoiles.

Elle voulait être à la hauteur.

Elle voulait devenir comme ça.

Lorsque Daisy se jeta en avant, elle hurla. Tellement concentrée, elle avait été surprise par son bond vers elle - et d'un réflexe inné lui colla un coup de patte en plein entre les deux yeux pour le faire reculer. Il lui avait fait peur !

Et elle lui avait fait mal (enfin non, pas vraiment, c'était doux, mais elle s'en voulait quand même):

Putrain de Mred de cul, pardon !

Ah ça, les insultes, elle les retenait ! Aussi bien que les friteries. Anette et Sheina devaient avoir les oreilles qui chauffaient. Elle avait reculé d'un bond juste après sa contre-attaque qui, dans la panique, avait touché. Mais Daisy ne s'était pas ému - et Alex dut se recomposer très vite pour ne pas perdre la face.

D'un bond, il s'était écarté. Lorsqu'il menace son épaule, elle se jette sur le côté, copiant le geste qu'il lui avait montré mais avec un manque d'agilité flagrant qui la voit s'emmêler les pattes et s'écraser au sol comme un lardon malpropre. Elle piaille, roule sur ses ailes mais se redresse avec cette fierté dans le regard qui la caractérisera toute sa vie.

Cette première douleur, cette première frustration ne provoquait en elle qu'une rage qui la pousserait à se dépasser. Les doutes liés à cet échec - qu'elle était mauvaise ! - furent balayés par le savoir implacable que Daisy était bien meilleur qu'elle, et que cet avantage était normal. Elle n'avait qu'à se relever, et tenter de gravir la montagne qui les séparait.

De nouveau, il se rue sur sa patte. Mais cette fois elle l'attend !

Ah, misère !

Le voila qui change de direction. Mais Alex, toute à son mouvement, s'est déjà jetée sur le côté, le mauvais côté, et lui offre le flanc et même le côté de sa gorge en cette motion. Désireuse de bien faire, et surtout de ne pas perdre si lamentablement, elle réagit avec l'énergie du désespoir, cette énergie débordante qui l'emplit en permanence : elle saute et se jette en avant, fuit l'attaque par le haut en se jetant de son poids tout entier sur lui. Si elle ne peut proprement se mettre en sécurité, peut-être qu'elle peut réussir à l'étouffer ? Engager le combat plus franchement, au lieu de le fuir en permanence.

Alexandrine ne sera pas vraiment une louve d'esquive et d'estoc, et c'est déjà clairement visible.

Elle ne comprend pas trop ce qu'il se passe, Alexandrine. Elle est plus tombée qu'autre chose, sur un petit corps chaud qui se tortille et tente de s'échapper, et elle bouge ses pattes pour lui laisser de l'espace et plus elle essaye de le laisser partir plus ils s'emmêlent. Finalement, elle arrête de bouger et fronce les sourcils, un peu choquée. Elle a chaud, elle a eu peur, ses ailes trainent partout et lui cachent la lumière et la gênent et elle ne comprend plus du tout ce qu'il se passe-

Jusqu'à ce que Daisy reprenne la parole.

Tu as gagné.

Et il arrête de bouger. Complètement.

La première sensation qui ravage Alex, c'est une joie incommensurable. Elle a gagné !

Mais, très vite, cette sensation est balayée par l'inertie totale du corps en dessous d'elle. Une peur d'une violence inouïe qui lui ravage l'estomac, les tripes, la retourne complètement, humidifie ses yeux et sa truffe. Elle est

Elle est traumatisée.

Elle se redresse, elle recule d'un pas, elle tremble. Elle ne sait pas, elle ne comprend pas, elle n'a encore jamais vu la mort, n'y a encore jamais été confrontée, mais cette absence totale de mouvement provoque en elle une réaction atavique, propre à tous les loups qui y sont confrontés. Elle pousse un léger cri, son cerveau superpose à ce corps la vision des proies que leurs mères ramènent régulièrement-

Mais non, il parle. Il la compare à Anette, sa mère.

C'est le plus beau compliment qu'il puisse lui faire à elle, qui un jour veut égaler sa mère, qui ne rêve pas encore de la dépasser.

Elle se rue sur lui de nouveau et l'entour de ses pattes, l'écrase de nouveau de sa masse, mais chaleureusement cette fois, bien moins maladroite qu'auparavant. Elle cale sa tête contre son cou, sans chercher la carotide dans laquelle coule le flux de la vie, non. Elle se contente de se glisser contre lui et le couvrir de ses ailes pour l'isoler du monde extérieur - en partie.

... Faut pas faire ça. Faut pas perdre.

C'était un peu bête, comme phrase. Comme réaction. Comme attitude. Mais pendant une seconde elle avait eu vraiment peur, comme un cauchemar dans lequel on est en train de se noyer avant d'enfin crever la surface en le quittant. Elle se redresse, à peine.

Tu dois encore m'apprendre plein de trucs. Comme tu danses avec les pierres. Comment tu voles comme Tita dans les airs.

Elle lui fait un grand sourire. Innocente. Oublié, l'instant de panique, elle est de nouveau Alexandrine, admirant fièrement l'un de ses sujets.

Tu as promis.

Il n'avait rien promis du tout. Mais sur un malentendu...

A ses paroles, elle se redresse et se dandine sur ses pattes arrières avant de reculer d'un pas et trépigner, tourner sur elle-même. Elle ne peut s'empêcher d'être tout énervée de tant d'agitation. Oublié, l'instant perdu. Oubliée, la peur qui lui tordait le ventre une seconde auparavant. Elle pencha la tête et agita ses ailes.

Toi aussi, tu deviendras plus fort que Mamanette.

Alexandrine se lécha une patte qu'elle glissa derrière son oreille pour en ôter les poussières qui la grattaient tant. Quelle plaie ! Elle tira la langue à Daisy.

Parce qu'un jour, elle sera vieille, et elle aura plus de dents, et elle pourra plus gronder.

Elle semblait très renseignée sur le sujet. C'est qu'ils en avaient parlé, dans la fritrie, du moment où ils seraient plus forts qu'Anette et plus agiles que Sheina. Le résultat de la discussion avait été plutôt unanime.

Ce jour là, je serai plus fort qu'elle.

Grand sourire.

Et toi aussi !

Mais avant ? Non, ça n'était pas possible, ça n'existait pas. Anette, elle était forte comme ça, et comme ça c'est plus grand que Désastre, Alex, et toute la friterie réunis. La jeune louve était rassurée, maintenant qu'elle savait que Daisy n'allait pas s'enfuir dans un recoin comme un serpent effrayé. Elle commença à se grignoter une griffe.

Cool. Maintenant, et demain, et après-demain du coup. Il faudra que tu me montres tout ce que tu apprends.

C'est vraiment très important.

A la mention de sa soeur, Alexandrine sentit son sourire étirer son visage au risque de le couper en deux.

Tita ! C'est Anita ! Ma soeur ! Elle est géniale, tu verras ! Et y'a Floyd, aussi, et Narcisse. Il faut absolument que tu les rencontres ! On pourra faire des cache-cache comme ça. Anita est très forte à cache-cache, mais elle rigole trop, alors même quand elle est super bien cachée on la trouve tout le temps. Tu voles comme Anita et tu rigoles moins, je suis sûre que tu vas être super fort à ce jeu.

Elle finit sa phrase en ronchonnant, dépitée après réflexion de n'avoir pas trouvé moins bon qu'elle pour lui ôter sa place de bonne dernière.

Lorsque le loup gris lui répondit, Alex arrêta son manège et le regarda, indécise. Mmh... Il y avait probablement méprise, oui. Elle se redressa d'un coup.

Attends ! Les jours d'après aussi hein ? Je sais pas comment ils s'appellent. Mais si tu viens pas tous les jours, je vais pas pouvoir apprendre.

Dit comme ça c'était... Vraiment très égoïste.

Mais elle l'aurait dit autrement, que ça l'aurait été aussi. Alexandrine ne se rendait absolument pas compte de ce qu'elle demandait à ce loup qui devait avoir bien d'autres occupations que de surveiller un gamin surexcité. Mais elle, ses journées étaient graaaandes et loooongues et quand la Grande Friterie disparaissait, tout était tellement triste. Il fallait trouver un Grand qui veuille bien raconter une histoire, ou un conte, ou une légende. Et c'était toujours pareil : les Grands ils avaient pas le temps. Ils avaient toujours mieux à faire, toujours plus intéressant, toujours plus important.

Alors Alex s'ennuyait. Savoir qu'un créneau SPECIAL allait pouvoir être bloqué avec Daisy pour l'occuper pendant AU MOINS une heure, c'était une nouvelle radieuse. Elle se fichait bien de devoir attendre que le soleil soit comme ça. Et s'il le fallait, elle ferait semblant d'être MALADE pour qu'on la ramène au Castel et qu'elle soit à l'heure.

Elle fronça les sourcils.

Il faudra que tu joues à cache-cache avec nous alors. C'est super important.

Elle réfléchit. Comment lui donner envie de jouer ?

Celui qui gagne il gagne un super cadeau.

C'était totalement faux. Mais elle était absolument sûre qu'elle arriverait à trouver un super cadeau avant leur prochain jeu de cache-cache. Elle eut un sourire rusé, très fière de la question qu'elle allait poser :

C'est quoi le plus beau cadeau que tu pourrais avoir ?

Peut-être qu'il lui dirait. Et peut-être qu'elle pourrait trouver. Par exemple si il voulait... Un ver de terre, elle pourrait en trouver un. Si il voulait un criquet. Ou si il voulait un papillon. Ca elle pouvait trouver. Et même des trucs plus compliqués ! Tita savait trop bien trouver des trucs.

Et elle avait encore plein de jolis cailloux dans sa réserve de jolis cailloux.

Ca réfléchissait, là dessous.

Il accepta.

Il accepta ! Tous les jours, et pas seulement demain et après. Un immense sentiment de joie l'envahit et elle sautilla sur place, tournant autour de Daisy comme la gamine qu'elle est. Sa queue fouette l'air et manque battre les flancs du loup gris et blanc, ses ailes rasent son poil déjà court et ses pattes gourdes laissent de large traces sur le sol poussiéreux. Elle note, dans son esprit, l'heure et le lieu.

Elle ne les manquera pas, et fera tout pour être présente. Elle va tout tenter, pour ne jamais louper une seule séance, quoi que cela lui coute. Ca lui ferait... Un premier entrainement, avant de pouvoir vraiment suivre l'exemple des grands. Un exemple atteignable, peut-être ? Pas tout de suite, non, mais d'ici quelques mois elle pourrait prétendre à ce genre de prouesses. Quand ses muscles rouleraient mieux sous son pelage ras, quand elle aurait doublé, triplé, quadruplé en taille, quand elle aurait compris comment fonctionnent ses ailes.

Pour l'instant, elle se contente de se dandiner des fesses et de sauter sur tout ce qui bouge.

Quand il répondit à sa question, après l'avoir mûrement réfléchie, elle retint un tiny gasp.

C'est la première fois ou presque, depuis le début de leur conversation, qu'il semble vraiment avoir son âge. Qu'il ne ressemble pas à un adulte dans un corps de petit. Qu'il s'éveillait un tout petit peu. Par contre, Alex buta. Un sourire de Pepper ? Oh god, comment allait-elle lui dégoter ça ? Elle avait déjà vu Pepper sourire, oui. Mais si c'était le meilleur des cadeaux, alors... C'est que ça devait être foutrement difficile à avoir...

Pourquoi il voulait pas un putain de trèfle à quatre feuilles comme tout le monde bordel.

Elle aurait besoin de demander à Anette. Peut-être pas à Sheina, mais Anette elle s'entendait bien avec Pepper. Et elle devrait monter une cellule de crise avec Floyd, Narcisse et Anita.

Et surtout, elle allait devoir apprendre à Anita à arrêter de rigoler quand ils jouent à cache-cache, parce que sinon elle était sûre que Daisy allait gagner et après elle devrait lui trouver le sourire de Pepper tout de suite, et ça c'était ultra chaud.

Alex redressa la tête.

D'accord.

Et son air sérieux attestait qu'elle prenait sa demande en compte. Jamais elle ne pourrait lui demander de choisir un autre cadeau. Elle n'y arriverait peut-être pas, mais dieu sait qu'elle allait essayer, quitte à se mettre dans l'embarras ou dans la barbamerde. Elle était persuadée que, avec les bons arguments, on était capable de faire ployer le pire des ennemis.

Et Pepper était un ennemi effrayant.