Les temps et les gens changent. Judas ne s’y faisait pas et la nouvelle était tombée avec autant de fracas que le dôme rejoignit la terre pour redevenir poussière. Il se retrouvait donc sans meute pour s’occuper de lui. Il ne lui restait que Jésus mais lui même semblait changé, plus distant, plus solitaire. Le bleu craignait que son ami ne fasse quelconque stupidité. Mais lui dans tout ça ? Sa grossesse involontaire, la fin de la meute, tout ça le paniquait et ces pauvres enfants pâtiraient forcément de ses manquements. Il avait prit alors une décision, une décision sage aux vues des circonstances. Ces terres ne pouvaient accueillir sa progéniture, ce simulacre de meute décharnée ne pourrait même pas les protéger et lui non plus ne le pouvait. Cependant, les Nakhus avaient de quoi faire, jusqu’à ce que ces petits puissent se passer de lui, alors Judas sacrifiera sa relation avec la déesse.

Il se trouvait là, face à un temple à peine remis en état. Les roses, autrefois si belles et odorantes, aujourd’hui n’était que poussière et ronces enchevêtrées. Ses yeux émeraudes déplorait l’allure pitoyable, l’était il devenu lui aussi, pitoyable ? Il n’osait y penser.

Cheminant calmement, réprimant ses peurs et inquiétudes, le corps gonflé par les vies qu’il abritait parut soudain fébrile quand il passa l’entrée. Face à la fontaine, le mâle se reprit et s’assit sagement. Son regard se perdit un temps à la surface opaque. Son reflet n’était pas le même, il avait tant maigri que l’animal peina un temps à se reconnaître. Puis il fixa la représentation de Moiro et commença à lui parler comme si elle était présente.

« Ô déesse de la grâce, je suis venue vous porter une nouvelle. Je crains, avec ce qu’il a pu ce passer et avec l’état des terres, de ne devoir vous quitter. Enfin je ne pars pas définitivement mais pour la vie que j’habite, je dois faire le choix le plus judicieux qu’il soit. Ces êtres innocents ont besoin de stabilité et ici je ne peux plus le garantir. Mes enfants sont une chose importante même si ils n’étaient pas prévu ainsi... »

Il songea à ces étranges circonstances, Judas savait qu’il faisait le bon choix et assumait pleinement ce dernier malgré les conséquences potentielles. Il reprit :

« Pour le temps que ces enfants viennent au monde et pour le temps qu’il faudra pour qu’il se passe de ma présence, j’ai décidé de demander asile auprès de la meute Nakhu. J’aurai préféré les élever dans votre douce lumière mais les temps sont bien trop durs. Je sais qu’il s’agit là d’un manquement à ma fonction de disciple et j’assumerai les conséquences de ce choix. Je ne demande ni permission ni approbation mais sachez Déesse Moiro, que je reviendrai vers vous en temps voulu. Et je pense que certains de mes enfants vous rejoindrons. J’en suis certain. »

D’une patte, il malaxa sa brioche avec une expression émue.

Une voix douce et mélodieuse résonna tout autour de lui. Celle de la déesse, plus belle et épurée que jamais, la peine semblait étreindre ses propos. Judas laissa les notes de ces vocalises pénétrer au plus profond de son cœur, gravant chaque mot comme une promesse solennelle. Paupières closes, son ouïe et son odorat pour seul spatialisation. L’odeur de rose émanait juste devant sa truffe. La délicatesse de cette apparition, la déesse dépouillée de tout ses artifices, elle apparaissait fragile et forte en même temps. Le disciple de la tigresse se sentit privilégié de cette proximité. Il lui murmura pour lui répondre :

« Et moi je serai toujours avec vous, toujours, ma déesse. Je reviendrai bientôt. »

Il rouvrit les yeux sur la rose brillante. Sa lumière vacillait pour s’éteindre dans une odeur puissante d’amour. Judas la contempla, huma ses fragrances délicates puis il secoua ses ailes verdâtres. Une longue plume se détacha et rejoignit le pied de la rose. Une image poétique qui ne manqua pas de faire sourire le mâle qui argumenta :

« Un maigre cadeau pour mon départ dame Moiro ! »

Puis il se releva en silence et partit d’une démarche assurée.