Lanternes - Anita

C'était une journée ordinaire.
Holly s'était levée dès l'aube pour courir la rougelande et attraper ses premières proies, enchaînant les allées et venues au camp pour tout rapporter. Il n'était pas question de laisser son précieux butin sans surveillance trop longtemps, au risque de se le faire voler par les charognards.
Ce serait cependant son dernier trajet de la journée. La femelle bleue avait été plus que productive et son corps le lui faisait ressentir : Elle était toute courbaturée, des épaules au bout des pattes, pouvant presque entendre ses coussinets crier grâce. Alors, bourreau de travail ou pas, il fallait aussi savoir s'écouter, si elle souhaitait être en forme le lendemain.
Ça ne lui ferait pas de mal, de profiter de la fin de journée autrement.

Elle voulait voir la mer. Ça l'avait prise comme ça.
Hollyock marchait donc à nouveau, plus tranquillement, passant par les falaises littorales. Prudemment, elle en descendit pour, enfin, gagner le sable fin des petites plages. Elle était seule, si l'on oubliait un instant les quelques Etelkrus qui guettaient une possible invasion ennemie ou, au moins, l'intrusion d'un solitaire qui ne connaissait pas bien les limites de leurs terres.
Il faisait beau.

Alors, c'est sans hésitation qu'elle plongea les pattes dans l'eau froide et salée, frissonnant à son contact puis soupirant de bien être lorsqu'elle vint envelopper ses muscles douloureux.

La mer, elle la voyait souvent de loin, mais Anita n'avait jamais eu l'occasion de s'en approcher pour de vrai, alors que pourtant elle en avait envie.
L'hiver s'en allait, doucement. Il y avait eu une vague de chaleur peu de temps auparavant qui avait chassé les vents froids, et désormais les températures remontaient jour après jour, chaque matin étant plus doux que le précédent. Pour le plus grand bonheur de la petite louve qui voyait là d'autant plus de prétextes pour sortir au grand air.
Évidemment, elle était encore petite, alors elle devait être accompagnée. Surtout pour aller près de la mer -des choses mauvaises pouvaient surgir de la mer, lui avait-on dit. Surtout qu'elle n'avait pas encore appris à nager dans l'océan. Seulement dans la boue. Elle ne doutait pas de ses capacités à apprivoiser rapidement cette nouvelle épreuve, mais... Ses mères veillaient et pour le moment, toutes deux étaient trop occupées pour l'emmener au bord de l'eau.

Alors Anita avait guetté, repliée près de l'entrée, guettant les allées et venues des adultes tout l'après-midi durant. Elle savait se faire silencieuse et observatrice quand il le fallait, et à la voir ainsi recroquevillée dans l'ombre dans le creux de la roche, elle ressemblait à une drôle de bestiole un peu trop grosse pour réellement se fondre dans l'ombre, mais qui attendait le bon moment pour fondre sur sa proie.
Il y avait une silhouette en particulier qu'elle suivait avec plus d'attention que les autres. Parce qu'elle était à la fois jeune et adulte, parce qu'elle était belle, et parce qu'elle enchaînait les allers-retours et qu'elle semblait regarder désormais en direction de la mer.
En bref, cela semblait être un bon pari pour aller pile où elle voulait et passer du temps avec quelqu'un qui n'avait même pas une année complète de différence d'âge avec elle.
Sa longue queue se mit à s'agiter, et dès qu'elle vit la louve blanc et bleu changer de trajectoire pour cette fois-ci partir en direction des falaises, elle bondit de l'avant avec légèreté, hélant l'une de ses mères pour signaler qu'elle allait suivre un adulte -consentant bien-sûr- et filant dans les buissons pour marcher discrètement dans les empreintes de la chasseuse.
Légère qu'elle était, ses foulées ne portaient pas jusqu'aux oreilles de la femelle en amont. Et comme elle prenait bien soin de rester à une respectable distance et à se cacher agilement derrière chaque cachette que lui offrait la nature, elle demeura indétectable durant toute la durée de la promenade.

De toute manière, celle que l'on dénommait Holly n'avait aucune raison d'être sur ses gardes en son propre territoire. Alors pourquoi irait-elle surveiller ses arrières, se sachant entourée par la sécurité de son clan dont on voyait les quelques silhouettes de gardes passer au loin ?
Le sourire aux lèvres, Anita inspira avec bonheur les embruns de la mer qui vinrent fouetter son visage. Elle entendait le ressac en contre-bas, le chant de la mer qui paisiblement venait lécher le sable, et elle se plaisait à imaginer la scène quand bien même celle-ci lui était encore masquée par le bord des falaises.
Tapie derrière la pointe d'un rocher, la petite hybride attendit qu'Hollyock descende le long des falaises pour s'autoriser un regard vers la plage. La belle louve à la couronne de fleurs s'engagea dans l'eau, lui tournant désormais complètement le dos, et c'est le moment qu'elle choisit pour agir.

Volant avec légèreté sur les rochers amoncelés pour filer vers la plage, Anita atteignit la rive en un temps record, galopant de ses quatre pattes qui n'avaient de cesse de grandir et de s'affiner pour porter haut son corps souple et élastique. D'un dernier appui puissant sur ses postérieurs, Anita se propulsa vers la mer avec un cri de joie, plongeant à côté de Holly avec une éclaboussure modérée.
Elle émergea après quelques secondes, sa chevelure de jais collée à sa tête.

— WAOU ! C'est trop bien, la mer ! Merci de m'avoir emmenée, Holly !

Même si t'étais pas au courant.
Et sur ses paroles, la petite louve se jeta à nouveau dans les vagues avec un jappement de joie, barbotant autour de la louve.

Un bruit.
Hollyock n'eut le temps que de tourner la tête pour voir débouler une petite forme beige et noire, fluette et rapide. Une petite louvette qui vint, à son tour, plonger dans l'eau, l'éclaboussant un peu, criant de joie. Et si la louve bleue aurait pu ne pas buter là dessus, si seulement un louveteau seul n'avait, étrangement, rien à faire ici, les paroles qui suivirent la laissèrent bouche bée.

- T'avoir emmenée... ?

Juste le temps de réaliser. Juste le temps de se souvenir, qu'effectivement, elle était bien venue seule ici.
Son regard bleu se posa sur l'enfant, encore, histoire de voir un peu à qui elle avait à faire. Elle soupira en reconnaissant l'une des gamines du couple d'Annette et Sheina... Une de plus qu'elle se retrouverait à babysitter aujourd'hui. Si Hollyock n'était pas tenue d'avoir un grand respect pour ses Alphas, elle aurait bien prié, gentiment, la beige de verte bien carrée de ne plus se reproduire.
Ou du moins, de mieux surveiller ses enfants. Par ce que ça faisait quand même la deuxième qu'elle avait dans les pattes. La troisième, même, si l'on comptait le fils adoptif en train de psychoter dans les terres libres. Ne manquait donc plus que Narcisse à son tableau de chasse et elle serait comblée.
Ou pas.

La femelle sortit de l'eau, tentant d'emmener l'enfant avec elle sur la terre ferme si elle se laissait faire. Sinon, tant pis, elle la laisserait continuer de barboter tout en rouspétant un peu, en espérant qu'elle l'écoute. Dans tous les cas, elle était bien dans la merde, maintenant, avec un môme de plus à gérer.

- Anita ? Mais tes parents savent que tu es là au moins ?! Puis pourquoi tu m'as suivie sans demander ?

Bon ok, si elle lui avait demandé... Hollyock l'aurait surement redirigée vers quelqu'un d'autre, mais quand même, demander pour la forme c'était quand même sympa !

La petite louve ne protesta pas quand Hollyock la saisit par la peau du cou pur la trainer vers la rive.
C'était même plutôt agréable de se laisser ainsi porter tant par les vagues que par la belle louve qu'elle était. De son point de vue semi-submergé, elle pouvait admirer ses cheveux, son visage et sa fourrure par-dessous, humides qu'ils étaient et formant de jolies boucles. Elles atteignirent la plage et Holly la relâcha pour la fixer de ses yeux bleu intransigeants - Anita ne se départit pas de son sourire pour autant.

— Anita ? Mais tes parents savent que tu es là au moins ?! Puis pourquoi tu m'as suivie sans demander ?

La jeune hybride leva une patte pour décoller les mèches noires qui collaient à son visage - ainsi, elle pourrait mieux voir la Jeune Grande. Car elle était une nouvelle adulte, Holly ; encore si douce et si vive, et sans doute avait-elle été aussi fougueuse quelques mois auparavant !

— Oui, t'inquiète ! Je leur ai dit. Ils vont pas s'inquiéter.

Son sourire s'élargit encore, sincère et lumineux. Elle tenait réellement à ce que ses mamans aient l'esprit tranquille... la plupart du temps, tant qu'elle pouvait s'en assurer. A la suite de sa question, elle bondit sur ses quatre pattes et inclina l'avant de son corps dans une position de jeu, sa longue queue dressée ondulant au-dessus de son corps avant de japper pour se justifier.

— J'entraînais mes compétences de traque ! Et puis t'inquiètes pas, si je te gêne, je peux jouer plus loin dans mon coin ! Et on rentre quand tu veux !

Mais pas trop tôt non plus, hein ?
Anita aurait bien aimé voir un coucher de soleil sur la mer. On lui en avait dit tant de merveilles...

Mhh...
Hollyock eut un moment de doute. Pouvait-elle réellement faire confiance à Anita lorsque celle ci lui assurait que ses mères étaient au courant de son départ ? Par ce que, quand même, d'après ses souvenirs pas si lointains, les gamins pouvaient se montrer vachement persuasifs, parfois, pour faire passer leurs conneries comme la sainte vérité. Mais soit, avec le temps, et surtout avec la frangine de la demoiselle... Holly avait peu à peu appris à passer au delà de certains doutes et faire avec ce qui lui était imposé. Ce n'était pas comme si ça la gênait, de toutes manières, d'être en compagnie de jeunes loups.
Elle eut même un très mince sourire et secoua la tête aux paroles de l'enfant.

- Non. Tu ne me gêne pas. J'ai l'habitude avec ta sœur.

Elles ne l'étaient pas pour rien, d'ailleurs, sœurs, partageant la même énergie, le même enthousiasme... Ça l'amusait un peu, elle devait bien l'avouer. Ça lui plaisait bien mieux que la colère et les insultes dont était capable leur aîné, Floyd.
Holly haussa les épaules.

- Nous n'aurons qu'à rentrer quand tu seras fatiguée, si cela te convient.

Évidemment, que ça lui conviendrait : Elle semblait si heureuse d'être à la mer, Anita. C'était la raison pour laquelle Hollyock ne pouvait se résoudre à rentrer maintenant pour la ramener à ses parents, n'ayant guère envie de la priver de ce plaisir enfantin. Dans le pire des cas, si l'Alpha Anette, Sheina ou la nourrice d'Anita n'étaient pas au courant du départ de la louvette... Elle n'aurait qu'à la couvrir, comme elle avait pu le faire avec Alexandrine lors de leur première rencontre.
Ce qui finirait peut-être par lui poser des problèmes, un jour. Mais bon, elle n'en était pas encore là.
Elle pencha la tête sur le côté, curieuse.

- Ça donne quoi votre projet de fête pour Pepper ? Vous êtes toujours là dessus ?

Elle était un peu intriguée par le sujet, puisque, d'après ce qu'elle avait entendu de la gueule d'Alexandrine, tous les petits s'en mêlaient... Ou alors, il ne s'agissait là que d'un mensonge pour impressionner le Dieu Rouge.

Anita bondit sur place à la réponse de Holly, effectuant une pirouette. Elle pouvait rester !

— Chouette !

Elle se mit à courir en cercles autour de Holly pendant que celle-ci lui expliquait qu'elles rentreraient quand elle serait fatiguée, délogeant de grandes éclaboussures de sable humide. C'était clairement pas pour tout de suite. Elle eut le temps de faire plusieurs tours autour de la louve bleue avant que celle-ci ne penche la tête sur le côté en l'observant et lui pose une question.

—  Ça donne quoi votre projet de fête pour Pepper ? Vous êtes toujours là dessus ?

Anita pila net des quatre pattes, arrêtant brutalement sa course effrénée et cessant de lâcher des éclats de rire ravis.
Au lieu de ça, elle tourna la tête vers Holly avec un air très, très sérieux plaqué sur le visage, fronçant peu à peu les sourcils à mesure qu'elle répétait et tournait les mots dans sa tête. Est-ce qu'elle avait bien compris ? Y avait-il une fuite dans leurs rangs ? Comment est-ce qu'elle était au courant ? Qui les avait trahies ? Qui d'autre savait ?
Les épaules de la petite hybride s'arrondirent et roulèrent quand elle s'approcha de l’Épée d'une démarche lente et ondulatoire sans détourner son regard du sien, verrouillant sa trajectoire sur elle, pareille à une prédatrice menaçante.
Elle s'arrêta très, très près de son visage, se hissant sur la pointe des griffes pour atteindre sa hauteur et presque poser sa truffe contre la sienne.

— Comment tu sais ça, Holly ? Qui t'as mise au courant ?

Ses yeux violet s'étaient plissés jusqu'à devenir des fentes.
Je veux.
Des réponses.

Oups, qu'avait-elle dit ?
Voilà qu'Anita s'arrêtait net. Adieu, enthousiasme de l'enfance, adieu, ravissement, la petite louve se retrouvait désormais bien proche d'elle, sa truffe quasiment contre la sienne. Elle ne semblait d'ailleurs pas très contente. Si Hollyock aurait sûrement du avoir peur... Elle fut, au contraire, saisie d'un petit rire amusé.

- Ne t'inquiètes pas Anita. Tu peux cesser de réfléchir à un plan sur la façon de m'éliminer pour effacer les preuves, je n'ai rien dit et je ne dirai rien à personne. En plus de ça, je vais tout t'avouer.

Elle recula de quelques pas, de sentant bien plus à l'aise sans petite louve outrée / sceptique / mécontente / rayez la mention inutile toute proche d'elle.

- Un jour, alors que je chassais tranquillement près du temple d'Aka... J'ai entendu ta sœur crier sa requête auprès du Dieu rouge. Pour ma défense, je n'ai pas fait exprès. J'étais juste un peu inquiète, et intriguée, de la voir toute seule.

Un léger rire secoua la louve bleue, qui faillit gonfler la petite hybride d'indignation si l’Épée n'avait pas de suite enchaîné sur les réponses exigées. Ses oreilles dressées ne manquèrent aucun mot des paroles d'aveux que lui servit Holly, ne bougeant pas d'un poil et ne se détendant pas encore quand elle recula légèrement pour regagner son espace personnel. La suite de la déclaration envoya une lueur de doute dans ses prunelles. Elle leva un instant le museau vers le ciel dans une mine de réflexion - ces excuses étaient-elles suffisantes, pouvait-elle les accepter ?
Elle sembla décider que oui, puisque sa posture étirée du nez à la queue se relâcha et que la petite louve laissa son arrière-train retomber sur le sable, dessinant un large arc-de-cercle ensuite avec les mouvements de sa queue balayant la plage.

— Bon, d'accord ! Si c'est Axie qui te l'as dit et que tu le répètes pas, c'est bon. Tu fais partie des nôtres.

Enfin, Alexandrine ne lui avait pas vraiment dit puisque la louve bleue et blanche avait plutôt écouté aux portes du temple, mais elle avait cru comprendre que sa sœur passait désormais pas mal de temps avec elle et en avait fait une amie. Cela n'aurait pas été le cas si Holly s'était révélée être un danger pour leur secret. Elle devrait tout de même lui rappeler gentiment de ne pas trop crier leurs plans sans savoir qui pouvait entendre !
Si Pepper avait été celle qui s'était trouvée à ce moment là près du temple, cela aurait été une catastrophe.
La mine de la petite hybride se détendit complètement, chassant les traits plissés et suspicieux pour laisser fleurir le sourire qui le marquait bien plus fréquemment.
Devait-elle partager davantage de détails avec la jeune Épée, dès lors ? Ses grands yeux ronds l'observait sous toutes ses coutures, sa tête se penchant d'un côté puis de l'autre pour mieux voir les belles fleurs et le collier qu'elle possédait, puis elle haussa les épaules. Pour le moment, elle était surtout pleine d'énergie et préférait pouvoir continuer à courir tout le long de la rive - se laisser tomber sur le sable pour discuter, les flancs se soulevant d'épuisement mais la tête emplie de bonheur et d'images, cela venait après le temps de jeu.
Anita bondit comme un ressort, retournant vers l'endroit où l'écume venait lécher le sable et faisant quelques foulées dans l'eau peu profonde en fouillant les innombrables coquillages des yeux avant de plonger l'encolure vers l'avant et de ressortir de l'eau une petite étoile de mer.
Le pauvre animal marin pendant misérablement de sa gueule par un bras s'agita en tout sens au rythme des foulées excitées de la jeune louve qui se remit à courir en cercles devant Holly.

— On joue à trap' l'étoile ?!

Elle n'y avait bien entendu jamais joué, puisque c'était la première fois qu'elle venait à la mer et voyait une étoile de mer en vrai. Mais elle venait d'inventer ce jeu sur le champ, et elle avait hâte d'y jouer.
Sans même attendre la réponse de Holly, elle tordit son corps et son encolure pour projeter l'étoile le plus loin possible sur la plage, courant à sa suite l'instant d'après en criant de joie.

Bon, Anita semblait ne plus vouloir l'éliminer, ce qui était une bonne chose. Holly aurait quand même été embêtée de se mettre à dos la sœur de son amie. Et puis, elle avait l'air sympathique, cette jeune louve, peut-être qu'elles s'entendraient bien.
Il n'y avait pas de raisons pour que ce ne soit pas le cas. Holly sourit.

- C'est promis. J'en suis honorée.

Elle pourrait peut-être les aider à sa manière, si les idées n'étaient pas trop farfelues.
Hélas, pour le moment, elle n'eut pas plus de détails sur la fête, Anita préférant profiter de cette journée à la plage pour s'amuser. Holly ne pouvait le lui reprocher, si elle n'était jamais venue ici... Et même si elle était déjà venue, d'ailleurs. C'était carrément chouette, la plage.
Plus amusée qu'autre chose, elle surveilla la louvette retourner vers l'eau, fouillant dans les coquillages pour en ressortir une étoile de mer... Qui aurait sûrement préféré ne pas se retrouver là, vu comme elle se voyait balottée dans tous les sens, désormais.
Et lancée plus loin, aussi. Par ce qu'apparemment, pour Anita, c'était un jeu très amusant que de torturer des bestioles innocentes.
Ah, les gosses...

Ah les gosses, on disait.
Pourtant, cela n'empêcha pas Holly de courir aussi, tâchant de devancer Anita pour attraper l'étoile de mer, entre ses crocs, la première. Ses yeux pétillaient de malice et, dans son dos, sa queue fouettait l'air. Elle s'amusait bien, elle aussi, finalement.

- E'chaye 'de l'a'a'er !

Hilare, elle courut, tentant d'échapper à Anita.

Bien entendu, Anita n'avait jamais eu pour ambition première de malmener cette pauvre étoile de me - à vrai dire elle n'avait même pas conscience qu'il s'agissait là d'une créature vivante si personne ne le lui disait, l'étrange animal marin évoquant bien plus un genre d'algue ou de végétal à ses yeux de louvette qu'un quelconque être sensible.
Mais voilà qu'Holly s'était lancée à la suite de l'étoile des airs elle aussi, et qu'elle prenait de l'avance sur la jeune hybride grâce à ses plus longues pattes.
Anita réalisa à quel point courir dans le sable n'avait rien d'une tâche aisée ; elle s'enfonçait dans l'épaisse couche de minéraux et perdait du temps et de l'énergie à essayer de s'en extirper au plus vite, aussi se mit-elle à haleter bien plus tôt que d'habitude.
Elle n'avait pas dit son dernier mot cependant.
La disciple de Dairo avait réussi à attraper la cible et la narguait avec, ce qui releva les babines de la plus jeune en un sourire de défi et de détermination - Holly ne s'en tirerait pas comme ça !

Régulant la vitesse et l'ampleur de ses foulées pour les rendre bien moindre à ses réelles capacités, elle galéra quelques secondes durant dans le sable en soufflant fort pour influencer l'allure de la plus âgée.
Et quand celle-ci ne s'y attendait pas - nyoom ! Anita avait bondi de l'avant d'une grande détente de ses postérieurs, se jetant corps et âme vers l'objectif. Un claquement sec de mâchoire retentit et elle se retrouva propriétaire d'un bras d'étoile de mer - malheureusement détaché du reste.
Perplexe, Anita glissa jusqu'à s'immobiliser, recrachant le morceau sur le sable à ses pattes.

— Oh.

Elle fronça les sourcils et inclina légèrement la tête avant de relever les yeux vers Holly qui tenait toujours le reste de l'étoile de mer.

— Ça veut dire que j'ai perdu ? T'as le plus gros bout.

Si oui, c'était vraiment injuste. Elle savait pas que c'était si fragile et elles commençaient à peine à s'amuser !

Effectivement, il n'était pas aisé de courir dans le sable.
Plus d'une fois, Holly manqua de tomber en voulant échapper à Anita. Mais elle tenait bon, ferme sur ses quatre pattes, finissant par se planter devant elle, les muscles tendus sous sa peau, prête à repartir au moindre mouvement de sa camarade de jeu. Mais pour le moment, celle ci semblait bien essoufflée, alors Holly ne s'inquiéta pas plus que ça de la perspective de perdre son étoile de mer.
Bien mal lui en prit, puisque, d'un bond vers elle, Anita vint sectionner l'un des membres de l'animal marin de ses crocs. Holly, elle, lâcha le reste, sous le coup de la surprise.

- Oups, la pauvre !

Elle baissa les yeux vers la pauvre petite étoile de mer, désormais mutilée... En partie par sa faute. Quelle idée, aussi, de continuer à jouer avec. Mh. Elle lança un coup d'oeil à Anita. Celle ci ne semblait pas plus affligée que cela...
Tant mieux ?
Elle n'allait quand même pas briser l'enfance d'une petite louve et préféra donc changer de sujet. Ou, plutôt, la caresser dans le sens du poil histoire qu'elle ne s'attarde pas sur ce qu'elle venait de dire.

- Mais non, c'est toi qui a gagné... Si elle ne s'était pas cassée, tu l'aurais attrapée !

Allez, allez, on noyait tranquillement le poisson. Ou plutôt l'étoile de mer.
La jeune louve reprit le petit animal marin entre ses crocs, plus délicatement, cette fois ci, pour aller le reposer là où il était censé être : près de la mer, sur les rochers, là où les vagues viendraient lécher son corps abîmé.
Elle tourna la tête vers Anita.

- Tu n'es pas fatiguée ?

Bon, alors au moins elle n’avait pas tout à fait perdu la course !
Elle suivit des yeux la belle louve bleue qui trottina vers le tapis nacré de coquillages pour y replacer l’étoile de mer. Peut-être qu’elle retrouverait sa famille, ou quelque chose comme ça. Ca avait une famille, les étoiles de mer ?
Sa réflexion fut interrompue par la voix de Holly l’interpellant d’une voix innocente. Avec des paroles pas si innocentes.
La jeune hybride se tendit imperceptiblement, pareille à un animal flairant le danger et s’apprêtant à déguerpir au moindre geste un peu trop brusque. Elle se souvenait très bien de ce que l’Epée lui avait dit quand elles étaient arrivées à la plage. Tu n’auras qu’à me dire quand tu es fatiguée, et on rentrera, ou un truc du genre. Cherchait-elle donc à l’inciter à rentrer plus tôt au Castel, finalement ? La supposition pouvait passer pour une question douce et innocente mais la petite louvette n’était pas dupe. On ne se débarrassait pas d’elle aussi facilement, et puisqu’elle n’avait pas encore dit qu’elle était fatiguée, elle n’était par conséquent pas fatiguée - quand bien même la jeune adulte tentait de l’influencer sur cette voie.

Qu’allait-elle faire contre elle si Holly avait décidé qu’il fallait quand même repartir ? Lui bondir dessus pour l’obliger à venir avec elle de force ? Il en était hors de question. Elles venaient à peine de commencer à s’amuser !
Ses paupières se plissèrent sur ses yeux mauves et l’enfant souffla des narines, un air impétueux plaqué sur le visage mais un sourire de défi dans l’ombre de ses lèvres.

— NON. Et tant que j’gagne à la course, chuis pas fatiguée ! On rentrera pas tout d’suite !

Elle pivota sur ses pattes et partit au quart de tour, finissant à peine sa phrase avant de se mettre à galoper à toutes pattes le long de la berge, forçant son corps à sa vitesse maximale pour s’éloigner au plus vite de l’Epée qui voulait la priver de sa liberté. Poussant tout de même un cri excité - de ceux que poussaient les enfants qui jouaient, quand ils s’amusaient à s’effrayer tout seuls.

...
Holly ouvrit des yeux ronds, à la remarque de la petite louve. Encore plus, lorsque celle ci se mit à courir, visiblement bien décidée à lui échapper.
La surprise passée, la louve bleue fut saisie par un éclat de rire, follement amusée par le côté inattendu de la situation... Et par la situation en elle même, en fait. Il n'était cependant pas question de laisser Anita trop s'éloigner toute seule : Il en allait de sa responsabilité de toute jeune adulte chargée de s'occuper d'une enfant de quelques mois de moins qu'elle.

L'adolescente s'élança à la poursuite de la petite louve.

- Eh, attends Anita ! C'est bon, on rentre pas ! C'était une blague, une plaisanterie !

Ça courait quand même vachement vite, ces petites bêtes là.
C'était peu dire, d'ailleurs ! Malgré toute sa bonne volonté et ses longues pattes, elle ne parvenait même pas à rattraper Anita.

La petite louve entendait bien les paroles de l’ennemie lui parvenir dans son dos, alors que celle-ci s’était élancée à sa poursuite.
Mais Anita était une louve déjà bénie des Dieux, et de Kiro tout particulièrement - c’était bien elle la plus rapide, et elle savait reconnaître dans les paroles de la louve le son de la traîtrise ! Elle cherchait bien entendu à l’apaiser, mais cela ne marchait pas avec elle. Elle était bien trop maline pour ça.
Alors de toute l’envergure de ses petites pattes étendues à leur maximum elle battait le sable humide, détalait d’une foulée ample et sans retenue, aurait cherché à atteindre le soleil si elle avait pu courir sur l’eau. Sa gorge lui faisait mal à force de souffler si fort d’un effort si grand mais elle n’abandonna pas pour autant ; jetant de temps en temps quelques regards en arrière et se satisfaisant d’avoir ainsi distancé la cruelle et liberticide Epée.
C’est seulement quand elle jugea lui avoir suffisamment mis la pâtée pour avoir gagné son respect et son droit à l’émancipation du joug des adultes qui tentaient de ramener les enfants à leur tanière avant qu’ils ne soient fatigués qu’elle ne commença à ralentir, pantelante mais fendue d’un large sourire.

Elle se serait affalée près des vagues pour attendre Holly si son regard ne s’était pas soudainement fait accrocher par une tâche sombre au bord de l’eau.
Intriguée, la petite louve trottina avec l’énergie qu’il lui restait encore pour s’approcher de ce qui ressemblait à un rond tout noir, à moitié immergé et coincé entre cailloux et coquillages.
Elle brailla son interrogation sans détacher ses yeux de l’étrange chose et sans cesser de s’approcher.

— HOLLYYYY j’ai trouvé quelque chose ! Viens voir, c’est quo- AÏE !

Un glapissement de douleur interrompit sa phrase et la petite louve bondit en arrière, retombant le postérieur dans le sable et la truffe endolorie.
Portant la patte à sa truffe pour la frotter, elle se rendit compte alors que son nez était hérissé de longues et fines épines.
Elle hoqueta de choc et de surprise, retrouvant du regard la créature posée sur le sable : elle-même hérissée d’épines, détail auquel elle n’avait simplement... pas fait attention dans sa précipitation.

Elle hésita quelques secondes dans un silence troublant, demeurant immobile.

Puis ses traits muèrent sur une moue désemparée et sa gueule s’ouvrit grand, laissant éclater une complainte de détresse.

Elle regarda Anita courir, loin devant, demeurant, elle, totalement impuissante.
Ce qui n'était pas grave : L'enfant ne serait pas en danger, tant qu'elle ne la perdait pas de vue. Alors la louve bleue maintint son allure, jusqu'à ce que la petite louve montre les premiers signes de fatigue et ralentisse. Holly, elle, accéléra pour la rejoindre. Plus encore lorsqu'elle l'entendit brailler. Qu'avait-elle trouv-
Le glapissement de douleur que poussa Anita ne la laissa pas indifférente. Elle se planta près d'elle, inquiète.

- Bah alors, qu'est ce qu'il t'es arriv-

Sa phrase resta en suspend, lorsque son regard se posa sur la truffe d'Anita, pleine de petits picots d'oursin, et sa petite bouille toute déconfite.
Malgré toute sa bonne volonté pour rester sérieuse, elle ne put s'empêcher de gonfler les joues, quelques secondes, avant de laisser éclater son rire. Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux et elle tapa de la patte sur le sable, hilare.

- Pardon...

Elle se calma un peu, juste le temps de regarder à nouveau Anita... Et de repartir de plus belle pour quelques secondes, encore.
Holly finit par s'essuyer les yeux du revers de la patte, conservant sur ses babines un sourire mi-amusé, mi-compatissant. Il devait tout de même être douloureux d'avoir des aiguilles plantées dans le nez... Mais en même temps, ce n'était pas très malin, de coller ledit né contre une bestiole bourrée d'épines.

- Ça doit faire mal.

Tu m'étonnes.

- Tu veux que je tente de les retirer ? Ou tu préfères voir un panseur ?

Elle lui faisait quand même un peu pitié, la pauvre petite Anita.

Holly arriva près d’elle quelques instants plus tard, d’abord attentive puis… hilare.
Sur le museau de la petite louve quelques larmes de douleur et de surprise avaient creusé leurs sillons, roulant en silence jusqu’à tomber dans l’écume pour se mêler à l’eau de la mer. Voir Holly pleurer également mais de larmes de rire cette fois-ci éveillait en son jeune esprit des sentiments contradictoires – entre l’envie de se joindre avec elle pour tirer quelque joie de sa fâcheuse situation et celle de se sentir vexée d’être ainsi source de moquerie alors qu’elle était clairement en détresse. Le bout de son nez la lançait, les épines semblaient bien plantées et pas décidées à tomber d’elles-mêmes et elle se sentait quelque peu misérable, à devoir attendre comme ça que quelque chose puisse débloquer la situation.

Elle se força cependant à adopter la première solution, un sourire penaud essayant de chasser les larmes et sa moue déconfite.
Hochant mollement la tête à la remarque de Holly, elle se mit à réfléchir à la question suivante en reniflant un bon coup.

— Un panseur… Mais tu peux essayer aussi.

Sa voix se fit plutôt marmonnement mal assuré et quelque peu déçu. Elle n’était toujours pas fatiguée, elle avait gagné le droit de rester à la plage en suivant Holly en silence puis en la battant à la course, mais voilà qu’elle devait quand même rentrer au Castel maintenant. Tout ça parce que dans la mer il y avait des cactus et que personne ne l’avait prévenue.
Anita se lécha les babines et se remit sur ses pattes, s’approchant de Holly pour qu’elle puisse retirer les plus vilaines épines avant de se faire rapatrier chez les guérisseurs pour qu’ils puissent finir le travail.

Elle serra fort ses petits crocs, s’apprêtant à faire courageusement face à l’épreuve.

Oh mais non, p'tite puce, elle pleurait ! Enfin, elle avait pleuré.
Holly sentit une bouffée de culpabilité la saisir, face à cet air tout triste. Ce n'était pas gentil, de se moquer d'elle et... Bref, ce qui était fait était fait. Désormais, il lui fallait s'occuper d'Anita.
Elle soupira.

- Désolée, c'était pas très malin, de rire. Pour me faire pardonner, je te ramènerai à la plage, un autre jour. C'est promis.

Se servant de ses griffes comme de pinces, elle retira, du museau d'Anita, les épines les plus longues, les plus faciles à saisir... Pour le reste, mieux valait effectivement laisser un panseur s'en charger, et nettoyer tout ça, histoire que la petite ne se tape pas une vilaine infection.

- Allez, rentrons.

Elle prit la direction du Castel, veillant à ce qu'Anita la suive.