La nuit des lanternes - Désastre.

À l'approche d'une nouvelle nuit qui s'annonçait chaude et sans nuages, Anita rassembla dans sa tanière un long rouleau de parchemin et six structures de bois et de papier.
Puis, après avoir vérifié d'un regard attentif et un peu ému - c'était le grand soir - que tout était bien prêt et qu'il n'était arrivé malheur à aucune de ses créations, l'hybride les plaça dans un sac qu'elle passa en bandoulière avant de prendre la route de l'extérieur du Castel.

Contrairement à ce qu'elle s'était affirmée le jour où elle s'essaya à la conception des lanternes, estimant qu'elle aurait du mal à mieux faire et qu'il était préférable de rester sur une valeur sûre, elle ne put finalement pas s'empêcher d'y repenser bien trop souvent et de s'atteler à recréer de nouvelles lanternes quand des idées pour les rendre encore plus belles et potentiellement meilleures venaient trotter dans son esprit.
Ainsi, dans l'intervalle de quelques semaines qui séparait le premier vol de cette nuit naissante, trois autres lanternes étaient nées - et son dessin avait également été un peu retouché, pas épargné non plus de ses lubies soudaines.

Dans le doute, néanmoins, la louve emporta quand même les trois lanternes plus anciennes dont elle pouvait au moins être sûre de l'efficacité.
Les nouvelles, elles, n'avaient pas été testées - mais leur conception demeurait suffisamment similaire pour qu'Anita soit confiante.


Une fois dehors et frappée des derniers rayons du crépuscule, l'Alpha salua quelques visages puis leva le nez pour inspirer l'air du soir dont elle appréciait tant l'odeur. Venant s'additioner sur ses joues chauffées par le soleil, une légère brise la caressa, signe de conditions réellement parfaites pour l'envol qui suivrait.
Un sourire s'imprima sur ses lèvres.

La soirée serait belle.

D'une poussée sur ses postérieurs, Anita s'attaqua à la montée des roches du Castel qui menaient au toit, laissant ses ailes rangées le long de son dos.
Elle savait qu'elle l'y trouverait le moment venu, qu'il ne manquerait pas à cet horaire - comme à tant d'autres, d'ailleurs.

Mais puisqu'elle était un peu en avance et que la nuit n'était pas encore tombée, elle devrait un peu patienter - elle laissa glisser son sac avec précaution à ses pattes et s'assit au bord du vide, sa longue queue enroulée autour de son corps svelte, dans l'attente que son ami conclue son créneau précédent pour venir à l'heure des bougies.

Pendant ce temps, museau vers le ciel, elle regardait tour à tour le soleil qui plongeait derrière l'horizon, la lune qui cherchait sa place dans le firmament et les étoiles qui se révélaient plus nombreuses à chaque minute écoulée. Tous les astres rassemblés dans le même tableau, engagés dans le ballet qui leur était éternel.

Et elle s'imaginait déjà, Anita, l'excitation au creux du ventre, les lanternes colorées marquées de ces trois mêmes symboles venir à leur rencontre, tout là haut, pour danser avec eux.

Elle ne ressentait jamais le passage du temps quand elle s'absorbait dans la contemplation de chose qui lui plaisait, Anita. Aussi remarqua-t-elle à peine le ciel devenir plus sombre et le soleil disparaître pour laisser en seul vestige de sa présence la persistence de ses dernières couleurs peintes au-dessus de l'horizon, signe que le créneau était imminent.
Ce qu'elle entendit, en revanche, d'une haute oreille qui pivota vers le son discret, fut l'approche de son ami.
Dans l'instantané, ses lèvres s'étirèrent sur un sourire.

Et dans une torsion souple proche d'une ondulation, la louve se retourna pour faire face à celui qui s'était arrêté non loin et qui la regardait. Anita crut percevoir un très léger trouble dans ses yeux comme dans la question qu'il posa - quelque chose proche de l'hésitation qu'il se devait d'éclaircir. Sans doute avait-il remarqué son inhabituelle cargaison.
Elle conserva quelques secondes le silence, durant lesquelles seuls son sourire joyeux et son regard pétillant, empli d'affection et d'impatience, s'exprimèrent.

— Oui. Mais pas que.

Et plutôt que de s'épandre en plein de mots, la Prêtresse choisit de baisser le museau pour écarter les pans du sac de cuir et en révéler le contenu. Elle n'avait aucune raison de garder la surprise plus longtemps - elle souhaitait donc qu'il puisse voir.
Voir les lanternes qui, ainsi pliées et pas encore prêtes à l'envol, ne ressemblaient sans doute qu'à des étranges assemblages de bois et de papiers colorés. Voir le grand rouleau de parchemin, son contenu pas encore visible mais perceptible par l'encre et les tâches de pigment qui par endroits transparaissaient.

À ce stade, la louve releva les yeux quelques fois pour guetter les réactions de Dez mais ne s'arrêta pas en si bon chemin.
S'il avait sans doute déjà compris, nul besoin néanmoins de se faire prier pour continuer de présenter ce qu'elle avait préparé et qu'elle avait eu hâte d'enfin aboutir.
D'abord, le dessin.
Saisit par des doigts souples et des griffes appliquées, étalé avec douceur sur la roche, elle déroula et dévoila l'illustration qu'elle prit du temps à faire et à soigner pour atteindre la représentation la plus fidèle possible de celle un jour vue dans un livre. En bien, bien plus grand.
Il était le prélude, la promesse dessinée d'un moment qui n'attendait que de naître, l'annonce de ce qui était à suivre.

Cette nuit ne serait pas seulement celle des bougies, mais celle des lanternes également.

Il y avait au fond de ces yeux rubis le maigre éclat qu'elle aimait tant y voir, celui qui en retour allumait chez elle une chaleur diffuse et raffermissait un peu plus son sourire.
Ainsi encouragée, elle répondit sans tarder à sa demande d'un simple hochement de tête et de pattes qui continuèrent à s'activer pour cette fois-ci sortir avec précaution les lanternes, une à une, et les poser à côté du sac.
Il y avait les trois qu'elle appelait originelles, constellées d'une myriade de petits défauts mais qu'elle savait fonctionnelles, avec leur cercle en bois prêt à accueillir le récipient de cire, leur ballon en papier simple et leur symbole de couleur peint dessus, Étoile, Vague et Chauve Souris.
Puis il y en avait trois autres, les nouvelles.
Elle avait tenté de les faire un peu plus grandes avec un corps plus apte à se gonfler, elle avait renforcé le bois de la structure de quelques liens de fer souple et surtout, elle avait cette fois coloré tout le papier par la couleur qui correspondait à celle de la flamme dédiée. Illuminé par la bougie, l'effet n'en serait que plus grandiose et la couleur serait visible de plus loin encore.
Les symboles avaient aussi été changés, dessinés à l'encre noire cette fois.
L'Etoile était demeurée pour Pepper, mais le Soleil remplaça la vague et la Lune la chauve-souris.

Pour qu'à elles trois elles aient toute leur place dans le firmament.

Dernière touche rajoutée sur les nouvelles, des petites breloques qui lui rappelaient les disparues étaient suspendues par des ficelles légères - coquillages pour Anette, des pierres à l'éclat bleuté pour Pepper et des bouts de liane et de feuilles issues de la Moere pour Sheina.

Tour à tour Anita les désigna au loup gris, toute l'application qu'elle avait déployée à la tâche contenue au fond de sa voix.

— Ces trois là sont une version plus ancienne, je sais qu'elles sont fonctionnelles mais j'ai voulu faire encore mieux avec celles là. Je ne peux pas être certaine qu'elles voleront aussi bien, mais... Ça devrait aller.


Elle y croyait. Car à quelques détails près la conception était restée la même, car elle voulait se dire qu'il n'y avait aucun motif à l'échec.
Anita releva les yeux pour cette fois-ci trouver le regard de son ami et d'un ton un peu plus bas, presque révérencieux, elle ajouta.


— Si tu veux modifier quelque chose, on peut encore.

Après tout, elle s'était retrouvée à décider seule de l'apparence finale des lanternes mais elle ne considérait pas que celles-ci lui appartenaient.
Elles étaient destinées au partage, avaient été faites pour lui, pour ce moment qui était le sien avant tout. Alors peut-être avait-il un quelconque souhait à émettre, au moins vis à vis de la lanterne dédiée à Pepper.

Il n'était pas trop tard.

Aucune modification ne serait apportée, parce qu'elles étaient... parfaites ?
Anita redressa un peu plus les oreilles et aurait sans doute souri encore davantage si ses lèvres n'étaient pas déjà étirées à leur maximum.
Si lui est touché par le geste, elle l'est par le mot employé. Surtout venant de sa part. Car si Dez n'avait jamais eu l'air d'accorder beaucoup d'appréciation au raffinement quand il s'agissait d'esthétisme, il était en revanche un esprit méticuleux et capable de créer des choses ingénieuses dont la complexité la dépassait souvent. S'il avait vu un défaut significatif dans la conception, Anita ne doutait pas qu'il l'aurait fait remarquer.
Mais non. Peut-être trouverait-il amélioration à apporter une fois qu'il les aurait vu voler, pour rendre encore meilleures les potentielles suivantes - mais en attendant, une félicitation vint s'ajouter.

Et un merci, aussi.
Qu'elle sentit si sincère, bien au-delà de la simple politesse, qu'il fit aussi battre son cœur un peu plus fort quelques secondes durant alors que la louve se laissa envahir par une énième et agréable chaleur.
Le bonheur d'avoir réussi à véritablement faire plaisir.

La Prêtresse choisit de ne rien répondre pour laisser l'instant et leurs visages continuer de s'exprimer d'eux même.
Aussi pour laisser son ami prendre le temps de toucher et découvrir ses créations, jusqu'à poser une question à laquelle elle réfléchit un court instant avant de répondre, hochant légèrement la tête.
Étonnamment, elle n'avait même pas pensé à faire voler les premiers modèles à partir du moment où les seconds seraient fonctionnels - sauf si Dez préférait la première version pour la lanterne de Pepper.
Mais maintenant qu'il soulevait cette possibilité avec tant d'évidence, pourquoi ne pas les relâcher vers les cieux elles aussi ?
Elles avaient aussi été faites pour briller et s'élever, après tout, pas rester oubliées dans un coin de sa tanière.

D'autant qu'elle n'en avait pas même besoin en guise de modèle pour les potentielles suivantes qui seraient fabriquées : sa mémoire et les quelques notes et schéma suffiraient à cela.

— Sur deux soirs, ça me paraît bien.

Plus adapté, quand bien même l'illustration qu'elle avait reproduite comportait une bonne dizaine de lanternes envolées dans le ciel en simultané.
Cela pourrait un jour être adéquat pour une cérémonie de tous leurs disparus, pourquoi pas - mais dans l'intimité de ce rituel ci, le trio devrait rester trio.

— J'ai fait en sorte qu'on puisse poser la bougie à la base sans avoir à changer de récipient ou autre chose. Dès que tu voudras aller les chercher... On pourra les faire voler.

Pour de vrai.
Une drôle d'excitation à la fois paisible et impatiente revint se diffuser da s son corps.

C'était mieux de pouvoir utiliser les mêmes récipients, oui.
Elle avait d'emblée espéré que cette façon de faire fonctionne, dans le double bénéfice de ne pas avoir à inventer un tout autre système et de ne pas trop perturber le rituel de l'ami.
Quand celui-ci s'éloigna pour aller récupérer les éléments nécessaires à la concrétisation du rituel, Anita, de son côté, tria les lanternes qui avaient été sorties.
Les anciens modèles retrouvèrent leur place dans le sac pour l'usage ultérieur auxquels ils étaient destinés et les nouveaux furent disposés de sorte à pouvoir être utilisés. La lanterne bleue de Pepper fut poussée vers la place de Dez, quand elle garda près d'elle Anette et Sheina, passant une griffe affectueuse sur les symboles de Soleil et de Lune.
Le loup gris ne fut pas long à revenir avec les récipients et tout le nécessaire.

Les symboles furent gravés dans la cire, puis Anita marqua une pause pour observer le reste de la manœuvre chez Dez, presque autant fascinée que la première fois. Le feu qui jaillit et embrasa la mèche, la pincée de poudre qui en colora la flamme.
Au détour de son geste, elle ne put que constater une fois encore à quel point s'étaient amoindries les réserves du sachet que lui utilisait le plus.

Elle en eut un pincement au cœur en même temps qu'elle se rappela que ce fut l'un des motifs qui lui donna l'idée de teinter de couleur l'intégralité du ballon de la lanterne.
Ainsi, avec un peu de chance... Le résultat serait presque équivalent, même sans couleur appliquée à la flamme, pour que la lumière qu'elle diffuse soit marquée du bleu qui importait tant.
Une solution annexe, s'il n'avait pas de moyen autre de se procurer de nouveaux sels.

Le temps que ses pensées s'étirent, Dez avait terminé la suite des gestes et relevé les yeux vers elle, dans l'attente et une certaine incertitude.
Ah, oui, les lanternes.
Il était vrai que lors de ses essais, elle avait allumé la flamme après avoir placé le récipient dans la base de la lanterne.
Mais ils trouveraient une solution.
Hors de question de gâcher l'équivalent d'un soir de poudre bleue en éteignant puis rallumant la bougie.

Anita se leva et s'approcha de Dez pour attraper la lanterne par le haut de son ballon, là où elle avait, sur les nouveaux modèles, ajouté un rond de métal léger dans le but précis de pouvoir la saisir sans la dégrader. L'hybride l'attrapa avec délicatesse du bout des crocs et commença à étirer le papier vers le haut, redressant la lanterne dans une forme qui se rapprochait bien plus des images.
D'une griffe, elle maintint la base au sol avec une légère pression.
Ainsi tendue sans forcer, la lanterne était prête à recevoir son cœur de feu.

— Tu peux pousser la bougie à l'intérieur, maintenant. Essaye de diminuer un peu la flamme en la couvrant d'une patte au moment de la faire passer dans le socle.

Par précaution, que d'une langue un peu trop allongée le feu ne lèche pas le papier avant d'être tout à fait à l'intérieur de la lanterne.

Et une fois que serait placée la bougie... Anita demeurerait quelques secondes supplémentaires dans cette même position, le temps de sentir l'air chaud commencer à gonfler le ballon et emplir l'espace.
Elle relâcherait alors l'anneau de métal pour voir la lanterne se tenir droite d'elle-même, et conseillerait à son ami :

— Tiens la base encore un peu, on veut être sûrs qu'elle est prête à partir.

Puis à son tour de bondir vers ses bougies pour que les trois lanternes soient prêtes à partir ensemble.
Revenant à l'ordre qui lui paraissait le plus simple, elle plaça d'abord le récipient dans le socle avant d'un peu soulever d'une griffe le corps de chaque lanterne respectivement.
Ensuite... Le feu, la poudre rouge et la poudre violette.
Quelques secondes plus tard, ses deux lanternes à elle, retenues chacune par une griffe d'une patte, se gonflèrent d'air chaud.

Anita tourna la tête pour ramener son attention sur son ami, les yeux brillants d'émerveillement.
À nouveau, son cœur battait un peu plus vite et sa longue queue s'agit de quelques ondulations.

— À ton signal.

Du bout des doigts, elle sentait la poussée des lanternes qui cherchaient à prendre de la hauteur, comme des oiseaux tirant sur un lien.

A son signal, à sa patte qu'il releva pour libérer sa lanterne, elle exécuta geste identique.
D'abord avec un peu de maladresse puis avec une grâce qui s'affirmait un peu plus à chaque seconde, elles débutèrent leur ascension.
Captivée par ces trois lumières qui se détachaient sur la toile bleue de la nuit, Anita se redressa et plia de plus en plus la nuque pour suivre la montée qui se faisait de plus en plus rapide.
Comme si elles prenaient de l'assurance, leurs lanternes. Comme si elles étaient véritablement habitées des esprits des disparues ce soir célébrées, grâce aux bougies du rituel.
Elle aussi remarqua comme la flamme bleue se fit un peu plus reine dans cette course vers les étoiles et sur ses lèvres s'inscrivit un sourire autant émerveillé qu'amusé.

Elle glissa un regard vers son ami.
Son sourire s'effaça quelque peu alors que son regard violet se figea sur son visage autant que les iris rubis étaient emportés par le ballet des lanternes.

Il y avait chez lui quelque chose que chez n'importe qui l'on aurait pu qualifier d'émotion banale, mais qui pour Dez était un maelström.
Et en cet instant, elle ne sut pas trop quoi faire, à part l'observer.
Était-ce... Bien, qu'il réagisse avec une telle intensité ?
...
La louve avait envie de penser que oui.

Derrière ses épaules le rouge de Quetzalcóatl succéda au jaune de Kiro dans son œil et quelques secondes plus tard, c'était le mortel qui s'était à son tour envolé au royaume des Astres.
Elle se remémora leur conversation, la signification cachée de son nom lorsqu'on le coupait à demi, le manque des envols avec Pepper lorsqu'il la portait vers la gloire.
Son sourire redevint plus ferme jusqu'à venir plisser le coin de ses yeux.

Elle était convaincue que c'était bien, oui.

Du bout de ses pattes qui grattaient la roche et le long de ses ailes frémissantes, Anita se sentait elle aussi gagnée d'une impatience certaine à voir les lanternes s'éloigner de plus en plus de la terre, le loup gris et blanc maintenant à leurs côtés.
Devait-elle ?...
Elle ne voulait pas le déranger, le perturber dans cette réunion.
... Mais le ciel était bien assez grand pour eux deux - non, pour eux cinq.

D'une légère poussée, la Prêtresse quitta le sol à son tour et ne tarda pas à gagner la procession aérienne. Elle décrivait tantôt quelques larges cercles autour de cet ensemble coloré, d'autres fois se rapprochaient en glissant le long du vent pour venir effleurer du bout du museau le papier coloré de l'une ou de l'autre mère.
Mille pensées défilaient dans son esprit, aucune qu'elle ne saurait véritablement arrêter et fixer dans la magie unique de ce moment.

Et toujours gardant vision, dans un coin du regard, sur la tante spirituelle et son fils.

Ce n'étaient probablement pas des questions qu'elle se posa, elle, que de savoir jusqu'où iraient les lanternes.
Elle se contentait de vivre pleinement chaque seconde qui passait, chaque mètre gagné sur la gravité, chaque éclat si brillant qu'il en occultait même les étoiles.
La montée cesserait quand elle cesserait, et en attendant... Le ciel s'offrait tout entier à eux et à cette étrange réunion entre âmes et mortels.

Au détour d'une virevolte Anita croisa quelques fois les yeux de son ami, capta le sourire plus affirmé - et chaque fois s'en sentit comme pousser une nouvelle paire d'ailes.
À ce sujet...
Elles ne tardèrent pas à surgir sur son corps qui devenait plus long. Bientôt Dez n'eut plus du Quetzalcoatl que les plumes écarlates, mais l'entière transformation. C'était l'ultime envolée avec Pepper qui se concrétisait.
Anita cessa de gagner en hauteur quand elle se laissa un peu tomber en arrière, ailes entièrement déployées, pour créer une distance avec le duo du Serpent à plumes et de la Petite Reine.
D'un battement lent, ample et maîtrisé, elle amena ses deux lanternes à rester non loin d'elle.
Elles seraient toutes trois spectatrices, car ce soir, la lumière appartenait à celui qui avait toujours été laissé dans l'ombre.
Ce soir, il brillait.

De cette distance elle contempla leur somptueux ballet, perdant lentement en altitude en même temps que les lanternes, perdant en combustible mais pas encore tout à fait éteintes, ralentissaient leur progression.
La Prêtresse glissa un regard affectueux vers les lanternes de Lune et de Soleil, volant proches l'une de l'autre comme dans une étreinte complice. D'une patte qu'elle tendit elle en effleura le papier chaud avec douceur, leur adressa une dernière pensée...
Et se laissa attirer par le sol qui se refit visible à mesure qu'elle fila le long des vents pour retourner vers le Castel.

Pour les derniers instants des lanternes, elle voulait laisser à Dez l'intimité d'un au revoir.

Depuis le toit elle put voir le moment où le cœur lumineux des ballons finit par s'amenuiser jusqu'à s'effacer, et les lanternes ne devinrent plus que des points à peine discernables dans l'obscurité, voyageant maintenant à l'horizontale au gré des courants.
Jusqu'où iraient-elles, en se laissant ainsi porter ?
Assez loin pour voir de nouveaux paysages et sentir un air nouveau, espéra Anita avec un sourire au coin des lèvres.
Et descendant à son tour depuis les cieux, Quetzalcóatl vola son attention, silhouette rouge et blanche fendant les cieux avec fluidité. Léger sourire aux lèvres, envahie de la sérénité dans laquelle l'avait laissée ce moment de communion avec les lumières célestes, la louve ne put cependant pas s'esquiver à la soudaine pensée qui la saisit en suivant la progression du Serpent à plumes et en attrapant du regard l'éclat jaune de ses yeux.
C'était peut-être aussi l'envie de continuer à s'enivrer de la nuit et des nuages, celle qui faisait frémir ses ailes et balancer sa queue, qui l'envahissait d'une impatience vibrante et formula dans son esprit l'impératif que de s'essayer à cette découverte toute récente.
Après tout c'était aussi la nuit des nouveautés et des changements, quelque part.
De quelques pas légers et bondissants elle se recula pour laisser son ami transformé occuper l'espace dont il avait besoin pour atterrir avant de revenir vers lui l'instant d'après, les yeux pétillants, avant qu'il n'ait eu le temps de redevenir loup.

—  J'ai quelque chose d'autre à te montrer.

Cette simple évocation raviva de plus belle son sourire, avant qu'elle ne poursuive, tête légèrement penchée sur le côté.

—  Mais il faut que tu restes Quetzalcóatl pour ça, et je vais devoir te toucher.

Elle avait retenu ce besoin que d'être prévenu, et pleinement préparé.
Une de ses pattes avant se plia puis se leva légèrement, restant en suspens dans les airs, guettant sur le visage reptilien ce qui saurait faire office d'autorisation.

Ce fut surtout sur ses yeux qu’elle se concentra, ceux qu’elle avait plus ou moins appris à déchiffrer après tant d’années de vie à se voir régulièrement.
Le visage reptilien de Quetzalcoatl, lui, était trop différent de celui du loup pour qu’elle ne sache y capter une discrète émotion - si le serpent en était même capable.
A le voir ainsi si proche, Anita se perdit aussi à le contempler avec un peu plus d’intensité.
Elle se plut à apprécier cette forme acquise de don divin, à en observer les écailles et les détails, les motifs en nuances de gris qui se dessinaient dans des formes géométriques.
C’était sans doute la première fois qu’elle le voyait d’aussi près, oui, à un moment où son entière concentration pouvait se dédier à en apprécier l’esthétique et non la puissance.

Et alors qu’elle attendait toujours un signe de son accord, celui-ci parvint à la surprendre en ne venant pas de la manière qu’elle aurait envisagé.
Le large museau vint de lui-même rencontrer ses coussinets et les yeux de la Prêtresse s’agrandirent un peu… Avant de se fermer pour établir la concentration.
Celle-là même qu’elle était parvenue à invoquer pour enfin découvrir, après si longtemps, le don que lui avait réservé Kiro.
Le cadeau qu’elle avait maintenant envie d’essayer et d’honorer en de si nombreuses occasions, comme pour rattraper le temps perdu et tous les moments manqués.

Il y eut un éclat jaune, quand en réponse à sa silencieuse demande le glowstick diffusa sa lumière et libéra son pouvoir.

Le fond de ses pupilles devint jaune et lumineux, pareils à deux petits soleils prêts à se braquer sur le monde.
Comme un fluide léger et impossible à contenir, la lueur dorée enveloppa son corps dans une vague qu’elle sentit remonter jusqu’aux extrémités de ses appendices en une caresse électrisante. Un clignement d’yeux plus tard, Anita se recula de quelques pas et tournoya sur elle-même, lentement, pour observer autant qu’exhiber les changements qui s’opéraient.

Les écailles qui couvrirent petit à petit son corps, pâles et un peu dorées sur la majorité de son corps puis dégradées vers un noir d’obsidienne là où sa peau s’obscurcissait.
Les reflets irisés dansant sur elles, comme ceux qui parcouraient sa chevelure de jais et ses ailes.
Son corps, déjà long, qui lui parut s’allonger encore un peu dans une souplesse exagérée.
Même ses canines qu’elle ne pouvait voir, mais qu’elle sentit légèrement dépasser de ses lèvres pour gagner la longueur et la finesse de crochets.

Le coeur battant et le sourire de nouveau à son apogée, elle laissa éclater un rire léger.

— J’ai enfin découvert le pouvoir que m’a donné Kiro !

La louve acheva de tourner pour revenir vers Dez, les yeux pétillants, le corps frémissant.
En cet instant, comme la première fois que se révéla le don face à Sakura, elle se sentait de tout accomplir.

Le temps se suspendit quand elle reposa son regard dans les yeux rubis.
Ils étaient encore ceux de Dez même s'ils étaient fendus comme ceux d'un reptile, même s'ils semblaient plus grand ouverts et plus vifs, plus acérés.
Elle y chercha ce qu'elle savait lire du loup quand bien même il était absent en ce moment, esprit gardé dans un autre corps.
Elle s'était persuadée de pouvoir les lire, ces yeux qui n'étaient pas si différents.

Pourtant, elle eut bien du mal à savoir ce qu'il put bien défiler derrière leur miroir pendant ces secondes qui s'étirèrent.
Il y eut quelques mouvements succincts de sa tête, mais la longue tête écailleuse était plus lisse encore d'expression que ne l'était le mâle dans sa forme naturelle.

Mais... Quand la langue fourche de Quetzalcoatl passa entre les lèvres, le sifflement se fit mots.
Anita redressa les oreilles, surprise, observant avec plus d'intensité encore le serpent à plumes.

En ayant emprunté un peu de sa substance, elle était apte à comprendre la langue des serpents qui lui avait toujours été silencieuse.

Son cœur redoubla encore de rythme dans la folle cavalcade provoquée par l'excitation de la nouveauté et de la découverte.
Puis d'autres mots vinrent.
Ça te rend très belle. Encore, des battements plus désordonnés dans sa poitrine. Encore, une chaleur qui l'envahit et se diffuse. Encore, un sourire dévorant qui illumine son visage plus brillant qu'à l'habitude, ainsi couvert d'une matière nouvelle sur laquelle chaque éclat venait se refléter pour danser.
Le bout de ses pattes est levé et restait en suspend dans les airs, son corps entier enveloppé d'émotions qui s'assemblaient, se contredisaient, se mélangeaient.
Une proposition, sifflée entre les lèvres du serpent géant.

Elle s'approcha un peu plus, la réponse déjà au fond des iris, claire et sans équivoque.
Évidemment.
Son museau frôla presque le sien et à son tour ses ailes frémirent, ses muscles se tendirent. Quand Dez se laissa tomber elle bondit dans la nuit, plus petite et plus légère, montant pour quelques mètres avant de laisser la gravité l'emporter.
Un claquement de cuir en réponse aux plumes rouges déployées dans le tableau indigo et à son tour elle fila le long du vent.

L'air de la nuit sifflait à ses oreilles dans une symphonie encore nouvelle, son esprit libéré dans les courants qui la faisaient virer à droite ou à gauche au gré des bourrasques qui avaient plus d'incidence sur ce corps qu'elle ne maîtrisait pas tout à fait.
Il lui semblait cependant glisser encore plus vite que jamais contre les lames du vent et chaque inflexion de muscle, chaque rotation la rendait plus performante et plus complice avec les airs.

Contre les flancs de Quetzalcoatl elle vint plusieurs fois disputer sa place, frôlant d'une aile anthracite les écailles d'argent.


Les yeux rivés droit devant, perçant plus loin que la noirceur de la nuit, sur une cible qu'aucun des deux n'avait besoin de voir pour la rejoindre.

Vers la Moere, leur royaume.

[

Spoiler:

L'arrivée au sein de leur domaine se fit sous le signe d'une explosion de nouveaux ressentis.
La louve plus hybride que jamais ralentit sa progression filante pour mieux prendre le temps d'assimiler tout ce qui se pressait vers elle, pour mieux laisser Quetzalcoatl prendre les devants.
Si elle était Prêtresse, ce soir il était son guide.
Tout comme plus jeunes elle le mena aux devants de Kiro, il était désormais celui qui devant l'Arbre aux Serpents la conduirait.
De son corps encore plus souple Anita le suivit par des passages qu'elle n'était pas meme sûre d'avoir déjà empruntés, ébahie par la perception nouvelle et inattendue qui inondait tous ses sens.
La façon différente de percevoir l'espace, les sons, les couleurs, les odeurs. Tout.

C'était renversant.

Bouleversant, même, et ce même pour une louve comme elle qui s'épanouissant dans l'excitation de la nouveauté. Son monde et ses repères étaient en cet instant tellement changés qu'elle en avait l'impression que la tête lui tournait.

Quand son ami atteignit finalement le temple divin baigné des rayons de la lune et s'enroula autour des branchages, Anita l'imita et à ses côtés se posa.

Et dans cet instant de calme retrouvé sans le sifflement du vent dans les oreilles et le bruissement des feuilles qu'ils dérangeaient sur leur passage, elle entendit.
Ces sons discrets et fluides qui donnaient presque l'impression de lui chatouiller l'oreille.
Ces multitudes d'intonations qui glissaient le long des branches dans l'air de la nuit et lui donnaient envie de leur répondre.
Ces mots innombrables qui se chuchotaient de lèvres écailleuses à d'autres et dont elle n'avait jamais eu conscience.

Un monde entier, toujours soupçonné mais jamais pleinement acquis.

Elle comprenait également que si elle était là Prêtresse du Dieu Anaconda, celui-ci avait fait de Dez son second. Un mortel capable d'emprunter la même forme, empereur parmi les siens, ici chez lui plus que partout ailleurs. À eux deux, ils étaient deux fidèles complémentaires.
Elle, plus proche des loups pour leur transmettre les valeurs et l'attrait du jaune.
Lui, bien davantage ancré au monde des reptiles.

Mais cette nuit, grâce au pouvoir de son Dieu si longtemps ignoré, Anita traversait les frontières vers cette autre partie du monde.
Si elle s'était toujours sentie chez elle à la Moere, ouvrir des yeux sur ces autres facettes la gonflait d'un sentiment aussi puissant que positif.

Qui n'eut de cesse de grandir lorsqu'elle croisa le regard de Quetzalcoatl, la tête tournée vers elle, et qu'il parla de ce sifflement plus grave que les autres innombrables murmures serpentins.
L'émotion la saisit à la gorge, bataillant pour une place avec l'émerveillement, la déférence et la sérénité.

— C'est magnifique.

Sa voix sortit dans un souffle un peu serré, sans qu'elle ne sache si elle parlait uniquement serpent, uniquement loup, ou quelque chose entre les deux.
Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle espérait que ce moment ne se termine pas, que son pouvoir mette bien plus de temps à se dissiper que la première fois.
Qu'elle ne s'était jamais sentie aussi proche de son ami qu'en cet instant, à partager ce monde qui lui avait un long moment été réservé et dans lequel il l'accueillait.
...
Qu'elle avait un peu froid, aussi.

Sans doute était-ce lié à la transformation, elle qui n'avait jamais été trop affligée d'une trop grande sensibilité thermique malgré son pelage ras.
Peut-être était-ce pour cela, que Dez au contraire avait toujours été frileux.

La louve se rapprocha de lui pour mieux que leurs corps longs et lisses se frôlent, puis se touchent. Attentive à un quelconque signe de rejet, spasme ou contraction comme elle avait pu apprendre à en guetter chez lui, ce crépuscule d'hiver sur la plage... Il ne lui sembla pas en percevoir.

Alors un peu plus elle se lova contre ce corps changé mais qu'elle trouvait tout aussi beau et si majestueux, pour laisser glisser son museau le long de son visage reptilien.

Et son cœur qui toujours balançait entre deux mélodies ; à ne savoir quelle symphonie choisir entre la lenteur placide de cet instant suspendu et le rythme soutenu de cette déferlante de ressentis qui inlassablement s'agîtaient en elle.

Contre elle, le contact se raffermit.
De ces ailes rouges qu'il ramena près d'eux pour couper l'effet du vent frais, de ce corps qu'elle sentit rétrécir sans pour autant redevenir vraiment loup afin que le rapport de taille soit moins écarté. Il gagnait un entre-deux plus similaire à celui que lui permettait son pouvoir à elle.
Elle ne s'y était pas réellement attendue, à cela non plus. Si elle put formuler l'hypothèse que sous ces formes mutuelles, le toucher serait chose moins difficile à gérer pour lui... Qu'il cherche à le concrétiser, qu'il semble l'apprécier, n'avait pas trouvé en elle un début d'espérance. Pourtant les gestes étaient là, comme le léger sourire qu'elle surprenait flotter encore sur son visage, comme la sérénité qui imprégnait tant sa voix que le moment dans lequel ils s'épanouissaient. Elle plus encore, avec ce brin de chaleur retrouvée. Tant par ce qu'il offrit physiquement pour en ramener à leurs sangs reptiliens auxquels les heures de la nuit faisaient défaut, que par ce qui se diffusait en elle d'une autre source.
Celle du plaisir qu'elle avait toujours tiré de pareils échanges corporels, des émotions intenses que le langage du toucher avaient toujours provoqué.
Comme un catalyseur, qui lui permettait de redéployer un apport si simple et si basique en quelque chose de puissant qui la portait vers le haut.

A ces mots qu'il prononça succéda un léger silence, avant que d'une voix toujours aussi basse tant elle osait à peine perturber l'harmonie qu'elle estimait déjà parfaite autour d'eux elle ne réponde.

— Ce sont autant de nuits que nous pouvons passer ensemble pour tenter de repousser le froid, alors.

L'éclat brillant au fond de ses yeux jaune et violet était teinté autant d'envies que d'affection, d'un peu aussi de cette espièglerie qui ne s'était jamais éteinte.
Autant de nuits - comme de jours - qu'elle souhaitait passer à découvrir ce monde qui toujours lui fut caché, derrière une surface si fine et perméable. Autant d'excursions qu'elle imaginait mener dans cet univers serpentesque pour mieux les découvrir, eux, comme mieux le comprendre, lui.
Et si la chaleur était destinée à leur faire défaut, alors ils pourraient s'échiner à la chercher et à la conquérir. De mille et une manière. Ensemble.

Ce serait comme un nouveau but, un nouvel objectif. Un nouveau trophée à saisir, pour elle qui ne se lassait jamais d'idéaux à poursuivre.

Dans la mélodie discrète qui revint les envelopper de toute sa pureté, Anita laissa son regard se perdre dans les ombres alentour.
Il y avait ce calme, mais il y avait aussi tous ces ressentis si vivaces que la neutralité froide de la nuit mettait plus encore en exergue. Et sur lesquels elle voulait essayer de poser des mots, sans être sure d'y parvenir, cette fois-ci. Cela n'avait pourtant jamais été un exercice si difficile, pour elle. Enfant déjà, parcourue de mille sentiments et douée de tant de manières d'appréhender ce monde qui réservait tant de surprises, elle avait toujours aimé s'attarder sur tout ce qui la traversait.
Elle avait toujours aimé ressentir. En grandissant, les choses étaient parfois devenues plus complexes. Il y avait plus de moments difficiles à classifier, les grands axes d'émotions s'étaient divisés en de multiples branches infinies. Cela n'avait jamais cessé.
Nombreux étaient désormais les sentiments hybrides, les pensées qu'elle trouvait plus difficile à établir, les sensations qui glissaient et ne se laissaient plus dompter. Son monde s'était décliné en un millions de nuances.
Cette nuit était l'une d'entre elles, et ses sens comme ses pensées n'étaient plus qu'une nuée dense d’innombrables papillons livrés à eux-mêmes.

Elle ne trouvait pas de mot précis, pour exprimer cette chaleur qui persistait malgré le froid qui provoquait les frissons sur les zones de sa peau encore exposées aux derniers filins de brise. Ni pour qualifier les battements lents de son cœur, en synchronie avec toute la quiétude qui régnait, qui pourtant s'accéléraient comme des étincelles crépitaient autour des braises lorsqu'elle croisait du regard le sourire de son ami ou la profondeur de son regard. Pas non plus pour décrypter les émois contradictoires provoqués par leurs deux corps si proches.
La multitude de pensées muettes ainsi intriquées, comme les mailles d'un filet complexe, lui demeurait aussi insondable que la vaste immensité qu'elle percevait dans ce qu'un ciel de nuit révélait de l'univers sans pour autant pouvoir pleinement la concevoir.

C'était tout à la fois rien de ce qu'elle n'aurait pu prévoir ou pressentir dans ces schémas préconçus qui se dessinaient au cours d'une vie et dans lesquels on tentait de faire rentrer la réalité, et tout ce qu'elle aurait pu espérer un jour obtenir de cette vie.
...

La légère tension venue habiter ses muscles se relâcha lorsqu'elle expira un long soupir, les yeux mi-clos.
Au fond, peut-être que cela importait peu, de savoir le définir.

La louve laissa retomber son encolure pour, sans un mot, mieux se blottir dans cette reposante étreinte et loger sa tête contre la mâchoire de celui qu'elle pouvait sans équivoque simplement pouvoir dire aimer, dans toute la richesse et les chemins inexplorés que portaient ce mot.