Physical — Anita

Après plusieurs mois chez les Nakhus, Prudence s’était rendue du côté de chez Ao dans l’espoir de croiser sa mère. M’enfin la pêche n’avait pas été très bonne… ça faisait un moment qu’elle n’avait croisé ni sa mère… ni ses soeurs. À croire que maintenant qu’elle était Nakhus, elle était équipée d’un répulsif anti-solitaires, tss. Ou alors tout le monde cherchait à l’éviter ?
La disciple d’Ao se laissa tomber dans les herbes, écoutant le bruit de la cascade non loin. C’était plutôt calme par ici. Ok, elle était pas vraiment en accord avec les valeurs de la dragonne, m’enfin au moins le temple et les alentours étaient plutôt sympas. Peter glissa sur les pattes de Prudence avant de disparaître dans les fourrées. Depuis toutes ces années où il suivait la louve… cette dernière s’attendait toujours à ce qu’il choisisse de ne pas revenir maintenant qu’il était adulte.
Mais le reptile s’accrochait.
Petit parasite.
Un sourire étire les babines de la Licorne.

Ah. Une autre odeur.
Mieux encore, une Etelkrus. Ça allait être amusant. Depuis l’alpha bleue qui était venue à la frontière, Prudence n’en avait pas recroisé, dommage. Ils semblaient un peu timides… c’était amusant.

« — Hé, on peut observer les libellules en toute tranquillité d’ici. »

Un sourire encore plus grand.

« — Enfin, si t’installer aux côtés d’une gentille et inoffensive petite Nakhus ne te fais pas peur… »

Pas si inoffensive.
Mais c'était un détail.

Il y avait bien des endroits que recelaient les Terres Libres qu'elle n'avait pas encore pris le temps d'explorer en profondeur.
Nombre d'entre elles avaient été traversées lorsqu’il avait fallu se rendre au Nord, mais depuis qu'elle avait été dotée d'une paire d'ailes il lui arrivait un peu trop souvent de choisir la voie la plus rapide et de survoler ces paysages plutôt que de s'y perdre.
Et maintenant que ses responsabilités au sein des Etelkrus étaient d'autant plus prenantes... C'était un peu plus compliqué de trouver le temps nécessaire à des petites excursions.

Des jours durant elle aurait aimé parcourir tous ces reliefs pour en découvrir les secrets, mais elle se contentait de quelques heures volées ici et là pour apaiser sa soif de découverte.
Aussi ne connaissait-il pas grand chose du Lac Azuré, mis à part qu'il se trouvait plus loin le long du fleuve qui séparait la région nord de leur territoire de ce qui fut auparavant celui des Lazulis.
Meute dont elle n'avait connu que des éléments détachés et à la recherche d'un nouvelle avenir après la dissension du clan, survenue avant même qu'elle n'ouvre les yeux.
Elle savait que quelque part se cachait le temple d'Ao, mais elle ne comptait pas spécialement le débusquer aujourd'hui.
La voix qui l'interpella, en tout cas, n'avait rien de celle de la Dragonne.

Anita tourna la tête et ses yeux tombèrent sur une louve allongée dans l'herbe riche et sauvage, un peu plus loin. Sa première remarque mentale fut de constater sa forte ressemblance avec la solitaire qu'elle avait croisé quelques temps plus tôt - il ne faisait presque aucun doute qu'elle avait affaire à une sœur de celle-ci.
Ses oreilles se dressèrent à sa proposition et elle y répondit d'un large sourire avant de se diriger d'une foulée tranquille vers la louve, le corps bien droit.

Si celle-ci était aussi avenante que la petite brune - et ça avait l'air d'être le cas pour l'instant - le moment s'annonçait agréable.
Pile ce dont elle avait besoin pour combler cette journée de découverte.
La seconde phrase qu'elle lâcha à son égard lui arracha un petit rire et elle acheva de traverser la distance qui les séparait, sa longue queue se balançant derrière elle en pliant le bout des herbes.

— Et de quoi je devrais avoir peur ? Je dois me méfier de ces cornes ?

Après tout, elles étaient de belle taille.
La Prêtresse de Kiro s'assit non loin de l'inconnue et leva une patte pour toucher le cristal du bout d'une griffe, curieuse et taquine.

Oh donc ce n’était pas une p’tite timide, bien. Ça changeait un peu. Ah oui les cornes, il est vrai qu’au premier abord ça pouvait être impressionnant… mais Prudence ne s’en servait jamais dans un but offensif. Comment aurait-elle pu d’ailleurs ? L’ancienne solitaire observe la patte toucher l’une de ses cornes.
Ça allait être amusant.

« — Elles ne mordent pas. »

Une pause, alors que son museau s’approche de celui de la grise.

« — Moi en revanche je peux, si c’est ce que tu souhaites. »

Mordiller gentiment.
La Licorne en profita pour observer de plus près l’Etelkrus. La peau était dotée de poils si courts, presque nue. Est-ce que cela rendait la louve plus sensible aux températures ? Voir même plus sensible au toucher ? La Nakhus leva une de ses pattes, laissant une de ses griffes effleurer avec douceur le contour des oreilles de l’inconnue. La membrane était si fine…
Prudence laissa son souffle chatouiller la louve.

« — Tout tes sens doivent être décuplés… »

Ça doit vraiment être quelque chose de très intéressant.

La réplique de la louve lui arracha un léger rire distrait tandis que son attention restait concentrée sur le cristal qu'elle tapota.
Puis c'est un sursaut qui cette fois la prit quand son museau se rapprocha du sien sans attendre et que d'autres mots s'echappèrent d'entre les lèvres de la cornue.

— Oh !

Anita ne sut retenir une petite exclamation de surprise, puis un nouvel éclat de rire un peu plus... Nerveux.
Était-ce son esprit qui lui avait joué des tours, ou bien la phrase avait été un peu étrange ?
Un peu desarçonnée, la Prêtresse n'arrivait pas à déterminer si la louve tentait de glisser des blagues, des sous-entendus ou une proposition sérieuse.
Mhh, peut-être que certains avaient pour habitude de faire connaissance un peu sauvagement ?

Le plus simple était de pour l'instant laisser le bénéfice du doute-
Cette fois ce fut une patte qui se leva vers son oreille, en effleura le bout dans un chatouillement électrique et quelques tressautements de sa peau fine. Oh.
Si Anita était une louve tactile, qui ne rechignait pas aux contacts et les recherchait même auprès de ceux qu'elle ne connaissait encore que peu... Cette louve gagnait carrément la palme, la couronne et tout le reste.
Elle n'allait cependant pas s'en plaindre, au moins était-elle à son aise, quelque part, à pouvoir partager le sens du toucher avec une congénère qui semblait s'y investir.

Ce n'était pas usuel, mais elle était curieuse.

Quand la louve au pelage brun reprit la parole, leurs museau étaient encore si proches que son souffle envoya de nouveau frissons le long de sa nuque.
Un gloussement retrouva la route vers sa gueule.

— Ah- Peut-être, j'ai... Jamais fait attention.

Née ainsi et sans avoir jamais pu faire de comparatif, elle ne s'était même jamais posée la question.
Malgré sa légère confusion sur la situation, la remarque ne put qu'éveiller sa curiosité et la faire cogiter sur cet aspect auquel elle n'avait pas accordé d'attention jusqu'alors.
Sa longue queue s'agita de mouvements amples et quelque peu saccadés, une de ses pattes à elle se leva, un peu hésitante.

Puis d'un geste légèrement moins assuré que la fougue dont avait fait preuve l'inconnue, elle glissa ses doigts dans la fourrure épaisse de son encolure.

— Les poils longs... Ne sentent pas grand chose ?

Peut-être comme des cheveux, dont les contacts n'étaient vraiment ressentis que lorsqu'ils s'approchaient de la racine ?

Étais-ce quelque chose de propre aux Etelkrus, se sentir gênée dès qu’une autre louve se montrait un peu… taquine ? Entre la louve bleue de l’autre fois et cette louve grise… décidément ils ne devaient pas beaucoup s’amuser chez les tyranniques Etelkrus. Le contraste avec les Nakhus était plus… qu’amusant, bien que certains étaient plutôt fermés sur certaines choses (comme une certaine louve blanche aux longs ceveux…).
Au moins, la grise se prêtait au jeu.
Bien sûr malgré les poils longs, on ressentait des choses. Prudence sourit, sa queue nattée balayant doucement l’herbe.

« — Tout dépend, mais si je fais ça… »

Le museau de Prudence suivit les contours de la mâchoire de l’Etelkrus, l’effleurant doucement, allant jusqu’à la joue, puis remontant à l’une des oreilles pointues qu’elle vint mordiller délicatement. Son souffle vint chatouiller la membrane fine des oreilles.

« — … tu auras bien plus de sensations que je n’en aurais. »

Et c’était ça qui rendait le tout bien plus amusant.

La louve lui répondit d’un sourire et Anita maintint sa patte dans la fourrure longue et douce, s’y attardant, jouant des mèches qui s’en tortillaient autour de ses doigts. Il fallait bien avouer qu’elle se prêtait au jeu. Malgré sa première retenue qui était surtout de l’ordre de la surprise que de la réelle gêne, la Prêtresse avait toujours été une louve curieuse : des choses avant tout, mais aussi des autres, et cela n’excluait certainement pas de vouloir découvrir des frontières pas encore franchies.
Et s’aventurer sur de nouvelles façons de vivre des relations avec ses comparses faisaient partie des champs qu’elle explorerait avec joie.
Un frisson qui n’avait rien de désagréable parcourut tout son corps quand elle sentit la truffe humide de l’inconnue rencontrer sa mâchoire puis se mouvoir avec délicatesse sur les contours de sa tête.
Elle en sentit chaque centimètre de progression, de la peau fine et sombre de son visage au début de ses oreilles où le souffle de la louve vint chatouiller ses cheveux dont quelques mèches renégates se frottèrent aux vibrisses venues les déranger, jusqu’à ce qu’elle n’atteigne le haut de ses oreilles nues.
Celles-ci frémirent elles aussi, et davantage de picotements éveillèrent ses nerfs, déferlant par vagues qui trouvaient leur origine à la base de ses oreilles pour ensuite évoluer tout le long de son corps.

Sa longue queue s’agita de mouvements plus amples.
C’était indéniablement agréable.

— Tu as raison, on dirait.

L’hybride marqua une brève pause.

— Et… Je ne peux rien faire pour que tu ressentes la même chose ?

Sa voix était presque réduite à un murmure. Avec des gestes lents, Anita étira son encolure vers l’arrière pour se dégager de la proximité du museau de la Nakhu - elle réalisa qu’elle en avait l’odeur, contrairement à celle qu’elle supposait être sa sœur - afin de pouvoir croiser leurs regards.
Se faisant, c’est néanmoins sur l’une des pattes de la louve que ses iris dérivèrent un court instant et elle y remarqua les deux yeux brillants du serpent doré qui entourait son avant-bras.
Rose.
Une seconde passa, et la Prêtresse eut un rire léger. Une disciple de Moiro ! Comment ne l’avait-elle pas encore vu ?

D’autant plus amusée par la situation qui finalement perdait un peu de son mystère pour devenir plus évidente, Anita rapprocha à son tour son museau de celui de la cornue, l’air complice.

— Est-ce que tous les enfants de la Tigresse sont aussi audacieux ? Tu es la première que je rencontre.

Et c’était un moment riche en saveurs.

Oui, Prudence n’était pas surprise que la louve soit bien plus sensible à ce type de geste. Les Etelkrus ne s’amusaient-ils jamais entre eux ? Dommage, ils rataient bien des choses… m’enfin au moins la Licorne faisait office de guide pendant ce stage découverte. Qui sait après cela… les Etelkrus seraient un peu plus… dévergondées.
Un rire taquin échappé à l’ancienne solitaire.

« — Essayes. »

Prudy aurait vraiment trouvé cela moins drôle si c’était elle qui devait faire tout le travail. La Licorne suivit le regard de l’Etelkrus. Ah oui son glowstick.

« — Bonne question. » Prudence laissa échapper un autre rire. « Pour tout te dire, je ne connais que peu de disciples de Moiro, plus âgés, donc je ne peux pas vraiment te répondre. »

Ça aurait été hyper bizarre d’ailleurs…
M’enfin de ce qu’elle savait des histoires de son père, ce fut jadis un dragueur et un tombeur de première. Y’avait eu Asclepia aussi, mais cela fait bien longtemps qu’elle ne l’avait revu.
Prudence s’amusa avec une mèche noire de la chauve-souris.

« — Tu ne m’as pas encore dit ton nom. À moins que tu ne préfères garder cela secret… »

Un peu plus de mystères.

La réponse de la louve sonnait comme un défi, et Anita n'était pas connue pour leur tourner le dos. Son sourire s'étira pour prendre une inflexion fanfaronne, ses sourcils se froncèrent légèrement pour réduire ses yeux violets à des fentes braquées sur la Nakhu - avec l'air d'une prédatrice qui jaugeait son adversaire.
Le problème restait de déterminer l'angle d'attaque, elle qui s'y connaissait bien moins que la belle brune. Mais elle aurait un peu plus de temps pour y réfléchir puisque la conversation s'engagea. Alors comme ça, les disciples de la Tigresse étaient vieillissants ? C'était amusant. Anita haussa les épaules - tant pis, elle n'aurait qu'à trouver le moyen de croiser le chemin d'un autre de ses disciples un jour pour voir par elle-même ce qu'il en était de leurs tendances.

Une mèche échappée de sa chevelure se retrouva prisonnière, capturée par des doigts aventureux.
Sentant se développer sa fibre taquine dans la nouvelle direction qu'avait initiée son interlocutrice, Anita se pencha pour mordiller la peau de son poignet.
Avant de relever le museau pour prendre l'expression feinte d'une profonde réflexion, puis de rapprocher sa gueule de l'oreille de la Nakhu. Sa voix réduite à un murmure se fit suave.

— Le secret a quelque chose d'excitant, mais puisque j'aimerais te subtiliser le tiens, ce n'est que justice de te donner mon nom.

Elle s'amusa néanmoins à laisser flotter une pause, le mot décisif suspendu au bout de sa langue.

— Anita.

Pas la peine de formuler la réciproque, ce Et toi qui serait de trop après avoir déjà exprimé son souhait de le savoir.
Et profitant de la proximité avec elle, ayant eu le temps d'explorer ses options, Anita glissa sa tête sous celle de la Nakhu pour remonter sa truffe tout le long du pelage doux sous sa mâchoire, concluant sa trajectoire par une lèche qui naquit sur son menton pour se terminer au bord des lèvres.

La louve observa l’Etelkrus et son expression si concentrée. Un sourie étira ses babines, tout cela était vraiment très très amusant. Voyant que sa partenaire se montrait un peu plus taquine, Prudence vint doucement mordiller l’oreille de la dénommée Anita (nom finalement donné après un p’tit suspens, au moins elle avait le sens du spectacle).
La queue nattée remue doucement au nouveau contact de la grise.
Savourant le contact, les paupières de la cornue étaient à moitié clauses.

« — Prudence. »

Se couchant sur le dos, la Nakhus posa sa tête sur les pattes de son amie du jour.
Les griffes viennent doucement effleurer le poitrail dépourvu de poils.

« — Enfant, on me présentait les Etelkrus comme des loups menaçants qui détestaient tout ce qui n’appartenait pas à leur meute… »

L’une des griffes vint taquiner les babines d’Anita.

« — ... on a oublié de me dire qu’ils avaient des louves aussi mignonnes dans leurs rangs… »

Un rire échappe à Prudy.

En retour quelques dents revinrent s'acoquiner de son oreille et elle se laissa faire, éveillée aux sensations qui encore une fois la parcoururent. Un nom soufflé entre ces mêmes crocs quelques instants plus tard lui permit de placer à son tour un nom sur ce beau visage et cette louve aventureuse.
Anita ne put d'ailleurs retenir un léger rire de résonner dans sa gorge, amusée par le contraste évident entre le prénom qui fut donné à la disciple de Moiro et le comportement téméraire dont elle faisait preuve. Ses parents n'avaient sans doute pas vu venir certaines choses en choisissant ce mot.

—  J'espère ne pas être la première à dire que tu portes bien mal ton nom, Prudence.

Un sourire taquin s'empara de ses lèvres et elle compléta sa remarque d'un coup de museau sur la joue touffue, cette fois-ci bien plus joueur que sensuel.
Voilà que la louve changeait d'ailleurs de position pour venir reposer sur ses pattes, offrant à sa vue de nouvelles parties de son corps. Une fois de plus quelques éclats de rire saisirent la Prêtresse à ces mots qu'elle avait entendu plus d'une fois - mais jamais avec une conclusion pareille.
Sa longue queue ondula dans son dos et elle rapprocha son museau de la tête de Prudence, s'appuyant bien volontiers dans le contact de sa patte sur ses babines, l'air d'avoir une confidence à faire.

— Nous regorgeons de surprises derrière nos airs de brutes.

Elle haussa les sourcils pour accentuer un air de mystère avant de lui tirer la langue. Langue qui, une fois dehors, en profita pour retourner goûter le coin des lèvres de la louve.
Chacun de ces gestes, tous un peu moins timides que les précédents, continuaient d'éveiller dans son corps et sur sa peau des sensations qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de vraiment découvrir. Elle regrettait maintenant de ne pas y avoir été initiée plus tôt.

— Et qu'en est-il des Nakhus ? Je pense que nous étions nombreux à les croire prudes, mais peut-être que nous nous trompions également.

Combien d'entre eux s'adonnaient aux mêmes jeux que Prudence ? La fille de la Tigresse serait-elle membre d'une meute dans laquelle elle ne pourrait trouver ce plaisir ?