Chat noir - Sokaris

Noé cherchait des plantes. Normal, lorsque l'on était panseur.
Une besace accroché à l'épaule, il ramassait tout ce qui lui paraissait intéressant pour soigner où calmer ses patients. Si jamais ça ne convenait pas, tant pis, il ferait le tri une fois rentré. Ce n'était pas comme si ça le dérangeait, de toutes manières, de se promener sur les terres Etelkrus pour s'adonner à ce genre de tâche. Au moins, il y croisait moins de monde qu'au Castel, ce qui l'arrangeait bien.
Le point négatif, c'était les crocodiles et autres bestioles dégueulasses.

Son poil se dressait sur son dos dès lorsque son regard se posait sur un dos écailleux, dans les marécages, ou sur la silhouette d'un serpent, et il s'éloignait le plus possible.... Jusqu'à en croiser un autre.

Il fit volte face lorsqu'un bruit parvint à ses oreilles.
C'est alors qu'il la vit, étalée sur le sol, sa patte dans un drole d'angle et le ventre rond. Elle aurait pu être une inconnue qu'il aurait ramené au camp sans se poser davantage de questions, sans plus d'affects, avant de replonger pattes jointes dans sa petite vie monotone.
Mais ce n'était pas le cas.

- Sokaris..?

Il courut vers elle, en prenant garde de ne pas tomber.

- Oh merde Sokaris ! Tu vas bien ? T'as mal nulle part ? Bouge les pattes pour voir !

Olala, trop de questions !

La tête de la louve avait du cogner plus fort qu’elle le croyait. Puisqu’elle semblait sujette à une hallucination. La silhouette qui se trouvait devant elle, elle ne l’avait pas vu depuis des lunes. Pensant rêver, la louve mit quelque temps avant de prendre de nouveau conscience de son corps et surtout de la douleur lancinante un cri de douleur, la ramenant rapidement là où est sa place, sur terre.

« Noé ?!  Je ne pensais pas te revoir »

La louve serre les crocs, elle tente de prendre sur elle malgré la douleur, tente de se relever, mais la tête lui tournait et l’une de ses pattes refusait de se mobiliser. La louve coucha les oreilles.

« Je crois que ça ne va pas fort, je voulais aller voir l’Anaconda, mais cela devra attendre demain. »

Peut-être était-elle un peu optimiste sur ce fait.

Évidemment, qu'elle était surprise de le revoir ici.
On ne pouvait pas revenir d'années d'errance, comme ça, comme une fleur, sans que cela n'éveille quelque chose chez ses proches. Et quels proches ! Ils étaient tout de même frère et sœur, avec Sokaris.
Il hocha la tête, un peu embarrassé.

- Je t'expliquerai plus tard. Si tu veux. Pour le moment il faut s'occuper de ta patte.

Patte sur laquelle il se pencha pour l'examiner. Son expression fut alors déformée par une grimace.

- Erf, je crois bien qu'elle est cassée. Je vais essayer de te bricoler une attelle pour la maintenir, au moins le temps de rentrer.

Alors il se mit à chercher une branche qui pourrait faire l'affaire, Noé, mais ne trouva pas son bonheur dans les environs. Il soupira.

- Mince, je trouve pas ce qu'il me faut... Je pourrai te porter. Mais avec tes petits, je pense pas que ce soit une bonne idée.

La louve pouvait attendre pour obtenir des réponses à ses questions, il y avait de l’huile sur le feu actuellement, sa patte la faisait énormément souffrir et il ne faudrait pas longtemps avant que l’engourdissement ne monte jusqu’à l’épaule.

« Ce n’est pas très important, j’ai été absente longtemps aussi je dois le reconnaître. »

La louve s’assit maintenant sa patte légèrement surélevée afin d’éviter que celle-ci ne soit de nouveau en contact avec le sol. Mieux valait éviter de bouger et d’aggraver ses blessures.    

« Tu es devenu panseur alors... » fit-elle remarquer le regard plein de fierté malgré la douleur qui la faisait mâcher ses mots un peu.  
« D’ailleurs en parlant de cela » La louve prit la mine sombre. « Tu as déjà entendu parlé de grossesses spontanées chez des louves…, sans partenaire » Incompréhension. « Je voulais demander à Kiro s’il savait ce qu’il m’arrive. »

Il avait confirmé ses doutes, elle était bien pleine. Elle ne mit pas longtemps à réfléchir cherchant toujours une explication. « J’ai bien fréquenté quelqu’un qui m’a aidé lorsque j’étais prisonnière du dôme, mais il ne s’est rien passé entre nous, du moins je n’en ai aucun souvenir... »

Il était heureux de la revoir, Sokaris. Sincèrement.
Noé se retrouvait comme plongé des années auparavant, comme si ses années d'errance n'étaient, finalement, pas grand chose sur leur parcours de vie et qu'ils pourraient recréer des liens. Comme avant, comme lorsqu'ils étaient encore petits, à se lover contre le flanc de Korra et à recevoir l'amour de Geb.
Ça remontait, pourtant, tout ça. Et dans cette histoire, il ne restait qu'eux, Thalion, Horus, Sokaris et Noé.
Les vieux orphelins de Geb et Korra.

En la voyant souffrir, Noé sortit de sa bandoulière quelques petites plantes qu'il lui tendit.

- Tiens, mâche ça. Ça devrait calmer un peu la douleur.

Pour ce qui était du reste... Les mots de sa sœur le laissèrent bouche bée.

- Non, je n'ai jamais vu ça... Pardon, la question est un peu glauque mais il ne t'a rien fait avaler, ce fameux loup ? Certaines plantes, bien utilisées, ont la capacité d'endormir un loup profondément. Il ne se rend alors compte de rien et...

Il s'arrêta de parler, quelques secondes, réalisant ce qu'il lui disait.

- Désolé. C'est surtout pour savoir, par ce que ça m'inquiète ce que tu me racontes là. C'est tellement fou, une louve ne peut pas faire de bébés toute seule, comme ça, par magie, sans le moindre contact physique...

Tout en lui parlant, il cherchait encore de quoi maintenir sa patte blessée. Il finit par trouver une branche digne de ce nom et un morceau de liane assez solide. De quoi lui confectionner quelque chose de suffisant pour le trajet.

La louve aurait bien évidement préféré le revoir en d’autre circonstance, des circonstances plus favorables, plus joyeuses. Elle était crispée par la douleur. Elle n’eut rien à objecter lorsque son frère lui tendit les plantes médicinales et lui conseilla de les mastiquer. Elle se contenta de les prendre en gueule, frôlant son museau au passage, avant de les broyer entre ses crocs. La louve grimaça lorsque la pulpe amère des remèdes coula dans sa gorge.

Lorsqu’il reprit la parole, la louve buvait ses paroles d’abord surprise puis gênée, elle le dévisagea bouche bée, se remémorant les évènements passés sur les terres des lazulis avant de secouer la tête de gauche à droit, objectant :

« Non, ce n’est pas possible que ça se soit passé comme ça.Je me suis montrée prudente là-bas et je n’ai manger que le produit de ma propre chasse. »

La louve haussa les épaules par réflexe avant de grimacer de nouveau, lorsque la douleur se fit sentir, il faudrait encore un peu de temps avant que la mixture n’agisse. Elle abaissa ensuite les oreilles gênées, regrettant presque de lui en avoir parlé. Mais au moins il ne la jugeait pas et elle préférait en parler avec lui plutôt qu’avec quiconque.

« Je ne suis pas moins surprise que toi, je n’avais jamais entendu parler de pareil histoire. Je ne sais plus vraiment quoi faire … J’espérais que Kiro pourrait me guider une nouvelle fois comme il l’avait guidé vers les lazulis. »

Est-ce que ça avait réellement de l’importance ? Puisque les petits grandissaient désormais dans son ventre, elle ne pouvait faire machine arrière. Mais elle désirait comprendre afin de savoir qui pouvait bien en être le père.

Sa soeur nia son hypothèse d'un mouvement de tête.
D'accord, il n'insisterait pas davantage là dessus. Après tout, lui, d'ordinaire si terre à terre et qui ne croyait vraiment qu'à ce qu'il voyait... était de plus en plus surpris par tout ce qu'il pouvait se passer sur ces terres. Certaines choses le laissaient cependant sceptique, pourquoi donc Kiro se serait-il amusé à rendre Sokaris gestante ? Si c'était lui.
Noé fronça les sourcils, songeur.

- En tout cas, Sokaris, quelle que soit la raison qui à fait qu'aujourd'hui tu attends des petits... Sache qu'en cas de besoin, je serai à tes cotés. Pour la naissance, en tant que panseur, mais aussi après, en tant que frère et oncle.

Il ne lui volerait certainement pas sa place de mère, mais serait à ses côtés dans cette aventure.
Si elle voulait bien de lui, évidemment.

La louve ne prêta que peu d’attention aux sourcils froncés de son frère, si elle ne pensait pas que le Dieu jaune soit le responsable de sa mésaventure, elle gardait foi en lui et restait convaincu qu’il saurait lui apporter les réponses qu’elle cherchait, plus tard peut-être dans ses rêves.


« Rien ne me ferais plus plaisir. »

Elle avait tellement brûlé du désire de retrouver sa famille lorsqu’elle était restée prisonnière du dôme. Rien de plus rassurant que de ne pas se trouver seule face à cette nouvelle épreuve que la vie avait glisser sur son chemin.


« Mère sera certainement là pour m’apporter son aide. D’ailleurs comment vont père et mère ? Est-ce que père est parvenu à retrouvé Horus sain et sauf ? »

Aux mots de sa sœur, Noé ne put s'empêcher d'afficher un sourire sincère. Ses yeux brillèrent, aussi.
Il était heureux de pouvoir, au moins, avoir cette place là à ses côtés. Ça lui réchauffait le cœur. Il se voyait déjà avec ses neveux, à leur rapporter de la bibliothèque de petits livres plein de belles images, à leur apprendre à lire afin qu'ils puissent être des loups instruits capables de faire leurs propres choix et... Et il s'emballait sûrement un peu trop, ces bébés n'étaient même pas nés.
Une chose était sure, en tout cas, il en serait gaga.

Les paroles qui suivirent lui firent cependant perdre bien vite son sourire. Son expression se fit plus sombre. Sokaris n'aurait aucun mal à voir que quelque chose n'allait pas... Ou plutôt n'allait plus. Mais comment lui annoncer tout cela en la ménageant ? Elle portait la vie ! Elle ne devait pas ressentir d'émotions négatives fortes, comme cela et... Il n'avait pas le choix.

- Malheureusement, nos parents ne sont plus... Ils... Ils sont morts avant mon retour.

Lui aussi, ses parents lui manquaient.
Sans attendre qu'elle ne réagisse, il vint délicatement contre Sokaris, tout en faisant attention à ne pas toucher sa patte cassée, lui offrir un câlin.

Il est souvent entendu que toutes les bonnes choses ont une fin. Au changement d’expression sur le visage de frère la louve compris que quelque chose n’allait pas, sans savoir précisément ce qu’il en était. Les pensées rassurantes qui berçaient la louve d’illusions ne mirent pas longtemps avant de s’effondrer à l’annonce de son frère. La louve coucha les oreilles avant de détourner le regard pensive.

"Je vois"

C’était dans l’ordre des choses que les enfants voient mourir leurs parents, mais la louve n’aurait jamais l’occasion de dire au revoir à son père et à sa mère.  En se remémorant les derniers instants qu’elle avait passé avec son père, la louve ne pouvait que reconnaître qu’il n’était plus un si vaillant guerrier qu’il l’avait été par le passé. Si sa détermination à protéger sa famille était restée sans faille, son corps n’était plus celui d’un jeune loup plein de fougue. Elle l’avait constaté lorsqu’il avait fait face au solitaire qui l’avait blessée.  La louve n’en était pas étonnée, son seul regret était de ne pas avoir pu se réconcilier avec celui-ci avant son départ.

" Père m’avait semblé fatiguer peu de temps avant ma disparition. Si seulement j'avais pu revenir plus tôt. "

La louve tait ses larmes comme elle tait la douleur dans son cœur, mais une chose était sûre, c’est qu’elle n’était pas la seule à porter ce fardeau de la perte de leur parent, Noé semblait le porter tout autant qu'elle.  

Noé hocha la tête, triste.
Leur père avait donc été suffisamment fatigué pour que Sokaris le relève. Ça lui fit mal, de l'apprendre. Il ne pouvait s'empêcher de se dire que les choses auraient pu se passer autrement, si il était revenu un peu plus tôt. Il était panseur, après tout et possédait, de ce fait, des connaissances en médecine qui permettait de retaper un organisme fragilisé... Ou au moins, d'offrir un accompagnement.

- Je ressens la même chose... J'aurais du être là pour eux. Peut-être que j'aurais pu les sauver, je ne sais pas... Je suis panseur, après tout.

Les crocs serrés, il retint un sanglot.

- Nous pourrions aller les voir ensemble, au cimetière, si tu le souhaites. Enfin, quand tu iras mieux, évidemment.

Cela les aiderait peut-être à faire leur deuil... Il ne savait pas trop.
Au moins, ils pourraient se soutenir dans cette épreuve difficile.

La louve finit par pousser un soupire plein de regrets. Elle ne pouvait pas revenir sur le passé et changer les événements qui s’étaient produits. Il arrivait de faire des erreurs, de s’égarer, mais elle était certaine que son frère était nullement responsable de la mort de leur deux parents. Tout fois, cela la peine qu’il se sente ainsi responsable, peut-être aurait-elle du éviter d’évoquer ce détail.

« Ne te sens pas trop responsable, s’il y a quelque chose sur laquelle tu n’as pas d’emprise, c’est bien le temps qui passe quelques soient tes talents de guérisseur, nos parents étaient âgés, tu n’aurais rien pu faire contre cela. »

Elle coula un regard doux vers lui, partageant sa peine.

« Je serais ravie de t’accompagner, même si je pense qu’il faudra attendre que les petits soient nés avant de penser à voyager aussi loin. Le cimetière est à l’autre bout des anciennes terres lazulis, il me semble.»

Il lui faudrait du temps pour accepter sa non responsabilité, il le savait, Noé.
Il regrettait tant de ne pas avoir été à leurs côtés, lors de leurs derniers instants, de ne pas avoir pu les remercier pour tout ce qu'ils avaient pu faire pour lui, pour sa vie qu'ils avaient sauvée, en le ramassant, ce genre là, et en l'intégrant à leur famille.

- Oui, effectivement. Nous irons donc lorsque tes enfants seront nés.

Ce serait plus simple pour tout le monde. Surtout avec une patte cassée.
En parlant de patte cassée... Il aida sa soeur à se relever, puisqu'ils ne pouvaient rester éternellement dans la Moere aux lianes, au risque de se laisser surprendre par la nuit.
Un doux sourire vint étirer les coins de ses babines.

- Rentrons, Sokaris. Tu as besoin de repos.

Il s'occuperait d'elle tant qu'elle aurait besoin de lui, maintenant qu'ils s'étaient retrouvés.

« Tu as raison, il se fait tard déjà. »

Les rayons du soleil perçaient déjà de moins en moins à travers la couverture de l’arbre. La louve se redressa sur ses pattes aidée par son frère de cœur. Puis ils prirent la route ensemble vers le grand castel.