Joy ; 6 ans et 9 lunes
F  A E I

La nuit avait été très courte. Inexistante même, car à peine avait-elle réussis à fermer les yeux faire taire le torrent de pensées de son esprit préoccupé, qu'une odeur de sang l'avait alertée dans sa somnolence. D'un bond elle avait été dehors de sa tanière, avait trouvé la trace ensanglantée et l'odeur de la vieille soigneuse, soeur de Thalion au travers de la grande salle du Castel. Quel drame encore s'était joué là ! Lorsqu’elle était parvenue au bout de la piste, elle avait trouvé la femelle sans vie auprès de Lymphalème, et un si petit loupiot silencieux à peine sorti du ventre maternelle entre les pattes inertes. L'horreur se batailla à la surprise mais il n'y avait pas eu le temps de tergiverser, elle avait d'un regard entendu avec le penseur déchu, prit soin de l'enfant si fragile que sa survie était remise en cause, pendant que lui s'efforcerait de sauver, s'il l'était encore possible, la disciple de Dairo. Malheureusement son glowstick s'était évaporé bien vite et rien n'avait pu être fait pour la sauver elle, ou le second nourrisson plus maigre encore et moins correctement formé. L'émotion, les hormones et l'instinct maternel de Joy, dont le ventre arrondi laissait doucement supposer un événement du genre -en moins macabre espérons le !- permirent à Mère Nature d'être clémente avec ce petit prématuré.

En effet, la Conseillère avait sentit ses mamelles se tendre douloureusement, un peu en avance. Elle n'avait pas hésité un instant à partager ce qui, peut-être, sauverait cette minuscule boule de poil. Dire qu’elle n'avait même pas encore pu prévenir le principal intéressé quand à sa situation, et qu'elle se retrouvait à prendre sous son aile le cousin dernier-né de ses aînés... Il était étrange comme le hasard organisait les choses... Bref, au petit matin, laissant le loupiot endormi et repu aux pattes de Lymphalème, Joy avait couru chez son dieu. Sa survie ne tenait qu'à un fil. Le mâle au poil dépigmenté avait été désigné par Nòtt comme gardien de son trésor à naître au moment où elle s'était tournée vers lui pour avoir son aide. Il était évident que Joy respecterait au possible cette volonté. Tout comme elle se battrait pour ce futur petit Etelkru dont la vie déjà, était un combat de chaque instant. C'était pour lui donc, qu'elle vint aujourd'hui prier le Grizzli. L'enfant était faible, trop silencieux et léthargique. On peinait à l'entendre quémander du lait ou de la chaleur. Cela brisait le coeur de la mère qu'elle était déjà. Chaque Etelkru méritait qu'on se batte pour lui s'il ne pouvait le faire lui-même. Et ce nourrisson même pas nommé n'en aurait peut-être pas la force seul.

Fatiguée mais déterminée, la Conseillère au glowstick rouge entra dans le temple et fit sa prière sans fioritures. Elle n'avait jamais rien eu besoin de demander à la divinité, s'efforçant chaque jour d'être digne du don offert par le Dieu rouge. Aujourd'hui, elle demandait une faveur.

« Seigneur Grizzli, je me présente humblement à vous ce matin, dans l'espoir que vous assuriez la survie du louveteau né cette nuit, alors que sa mère s'éteignait. Donnez lui la force d'hurler sa faim, de japper ses besoins. Donnez lui la résistance pour ses premiers jours. Permettez moi de quémander votre concours pour ce petit Etelkru qui, je suis certaine, suivra les pas de ses ascendants. Il est petit-fils de Geb, feu l'un de vos valeureux guerriers. Il... »

La louve se tût. Aka savait tout cela.

« Nous ferons de cet enfant un noble Etelkru, si nous pouvions assurer sa survie. »

Conclut-elle en baissant le museau. Bien sûr les soigneurs feraient leur possible pour revigorer l'enfant et elle s'efforcerait de le nourrir tant qu’elle en serait capable... Elle inspira profondément et calma ses angoisses naissantes. Elle même allait bientôt offrir à la meute de nouvelles têtes, et tant de peine lui était plus épuisant qu'imaginé. Elle se sentait bien plus inquiète du futur de ces petits-là, que de ses aînés... Joy termina sa prière par un élan de gratitude pour tout ce que le Grizzli lui avait déjà apportés dans sa vie sans qu'elle n'ai rien demandé. Elle avait eu le bonheur de s'intégrer à une meute forte, d'en être une membre loyale et fière, d'avoir été mère, de le redevenir, d'avoir été reconnue pour sa valeur. Dans chaque événement, elle savait que son dieu avait été là. Elle avait eu foi tout ce temps. Tout comme elle aurait encore foi pour le bébé sans nom.