Traîtresse | Libre

[Malédiction : Votre personnage le plus agile se brise une patte. Un petit RP de soin ?]
[Prio Jolitemps, Eredhys, et libre]


Une autre nuit sous la lueur de la lune pleine.
Toujours la même mer déchaînée qui se glisse dans sa tête et sous sa peau, qui gratte ses muscles et agite sa conscience. Qui l'oblige dans une lueur pâle et maladive à partir vers la plage échouer son navire et casser sa coque sur les parois des falaises. Une autre nuit à ployer sous l'assaut constant des vagues. À attendre de remonter vers la surface au petit matin.

Mais elle sait tout ça. Après tout, elle compte maintenant en année la possession de cette particularité. Elle sait le gérer ! Du moins, as-t-elle pensé. Le protocole était établi : élimer ses griffes sur les pierres résistantes le temps de quelques heures sous la lune ronde. Le scénario le plus sûr pour elle et pour les autres, elle se l'était vu confirmé après la nuit à avoir massacré les lycaons.

Mais quelque chose à changé.
Depuis Hollyock et Alexandrine, ce soir là, son esprit... Son esprit n'est plus le même.

Pendant la nuit, alors que la colère la ronge et qu'une nouvelle vague se brise sur son coeur... Elle revoit ces lumières ; des particules qui dansent devant ses yeux d'abord puis ces flashs d'images. Du sang, encore du sang, il y en a toujours tellement. Elle a l'impression d'être entraînée vers le fond et de ne plus être vraiment là, encore une fois. Il n'y a plus que le bruit de ses inspirations et expirations. Elle prends peur, elle se crispe, et deviens molle.

Elle chute.

Il y a toujours tellement de sang.

Quand elle rouvre les yeux, le petit matin est là, elle prends quelques goulées d'air et exhale les réminiscences de cette... attaque. Pour se faire surprendre par la douleur. Elle n'a pas cassé que sa bicoque fragile sur la paroi, mais surtout sa patte, cette fois-ci. Anette a un frisson, elle tremble de consternation. Sa tête... La fêlure qui s'est opéré dans son âme est venue jusque dans sa tête. La constatation la choque et lui fait mal autant que son membre avant.


Elle perd sa force.

Elle serre les dents et retire des bracelets pour les glisser sur la patte brisée, pour la maintenir au moins un peu en attendant de pouvoir se faire des soins dignes de ce nom. La manipulation est douloureuse, elle ne s'attends pas à moins cependant ; mais parvient au moins à stabiliser l'os fuyard.
Anette ─ 13PV. 6PV après la chute.
Rafistolage de fortune : 2ING.

Elle soupire.

"... Aka, je ne suis plus digne."

Trahie par son corps, elle trahie à son tour son dieu.

Elle se redresse pour se traîner jusqu'au Castel, a une pensée pour Pepper qui doit ressentir toutes ses pathétiques émotions.

Puis Anne revoit les particules mauvaises qui se jouent d'elle et narguent sa rétine.
Pas encore.

Elle est en train de perdre pied, c'est trop.

À l'aide.

Traîtresse.

Ainsi se passa-t-elle les bracelets.
Dé.

Elle n’avait pas réellement fait exprès de les suivre.
Ça s’était fait naturellement quand au petit matin, alors même que les premières couleurs de l’aube n’avaient eu le temps de teinter le ciel que de timides filets, elle avait vu passer le bien étrange duo que formaient l’Alpha et son fils et que dans leur sillage s’était répandue l’odeur d’alerte.
Elle-même ne dormait plus –et avait bien peu dormi de la nuit – car bien qu’elle n’en connaisse pas la nature exacte, elle savait qu’un étrange mal rongeait sa mère chérie les nuits les plus claires, quand la lune brillait haut dans le ciel après avoir retrouvé sa forme complète qu’elle avait pourchassé tout le mois durant. Elles l’avaient compris pour la première fois la nuit des lycaons, puis avaient réalisé qu’il s’agissait là d’une chose régulière et vouée à revenir, avaient également compris pourquoi depuis tout petits il y avait toujours au moins un soir où Anette ne dormait pas avec eux, prétextant alors des devoirs d’Alpha.
La plupart du temps, cela se passait bien, s’inquiéter outre-mesure n’était pas nécessaire car le fauve était contenu dans la cage solide de la volonté de leur mère.
Mais en ce moment, c’était un peu différent. En ce moment, leur maman se fissurait parfois derrière sa carapace d’Alpha solide et infaillible. En ce moment plus que jamais, le rôle de ses enfants devenus jeunes adultes était aussi de veiller sur leurs parents, à leur tour.

Alors peut-être s’agissait-il d’une coïncidence, que ce soir-là parmi tant d’autres Pepper et Dez ne se mettent à filer en urgence en direction de la Rougelande.
Mais elle s’était sentie bien trop concernée pour laisser filer, n’avait pu qu’écouter ce pressentiment qui s’était soudainement éveillé à leur passage et avait fait battre son cœur un peu plus vite avant de la lancer sur leurs traces.
Déjà si pressés et inquiets qu’ils étaient, ils n’avaient même pas remarqué sa présence à quelques dizaines de mètres en retrait, quand bien même sa foulée était légère sur l’herbe et produisait si peu de sons.
Ils la trouvèrent relativement vite, cette silhouette imposante qui se découpait dans les formes bleutées du petit matin. Si grande mais si abattue, encore.

Anita avait ralenti en la distinguant, l’urgence se faisant déjà moins grande de constater simplement qu’elle était toujours debout et bien vivante et on ne peut plus rassurée qu’un duo de confiance arrive à ses côtés en premier.
Elle les rejoignit à un trot souple et dépassa son ami et sa tante pour venir se placer du côté opposé à celle-ci en soutien à l’autre épaule de sa mère. Son cœur était un peu serré, elle le sentait se tordre et ployer face à des émotions qui rarement s’attaquaient à lui – mais il était fort et il continuait de pulser et de les repousser de son mieux pour qu’elle puisse se concentrer sur son réel objectif, sur sa mère et pas sur elle-même.
Son museau passa avec affection sous celui d’Anette pour lui relever la tête.

— On est là, maman ! Tout va bien. On rentre à la maison.

Cherchant son regard voilé du sien bien plus clair elle lui offrit ce que toujours elle avait à donner – un sourire, mince mais sincère.
Sa voix elle aussi était une mélodie plus joyeuse que l’atmosphère ambiante, déjà si sombre, déjà trop pesante. Elle n’ajouterait pas ses propres angoisses aux autres voix déjà lourdes.
Elle serait le clairon qui la ramènerait à la raison et à son foyer, contre les corps aimants de sa famille.
Elle serait la voix claire de l’enfant qui mène sans crainte sur des sentiers tortueux, rendue forte par sa pureté qui dissipait et écartait les brumes de la perdition.

[topic libre donc !]

Les étoiles envahissent sa vision, filtre granuleux et marron sur fond rouge de la végétation, comme un désert entier qui l'engouffre. Peut-être est-ce bel et bien cela qui s'écoule dans sa tête. Du sable.

Anne lutte contre des sables mouvants.

Affamés, patients, ils l'avalent centimètre par centimètres et lui font contempler sa chute. Cela n'a rien de la force d'un ouragan. Ils ont la cruauté de la lenteur, se délectent de chaque morceau de sa conscience qui glisse vers eux. Elle s'accroche, autant qu'elle peut, mais rien n'y fait.  Elle avale des gorgées d'air désordonnées, exhale avec sifflement, expire un gémissement étranglé.
Elle n'arrive pas à se sortir de là.

L'erg la fait prisonnière, ses pattes s'envolent au vent comme une dune ondoyante s’enfuyant après avoir été dérangée. Dans ce monde ocre, elle renoue avec cette idée étrange d'être dédoublée, à cet endroit et à un autre à la fois.

"... Pep-" balbutie-t-elle

Parmi le sable où elle étouffe elle reconnaît sa voix qui perce du lointain, qui appelle son nom. Si voit sans observer, elle sent le calme dans le lien, qui essaye de lui apporter de l'oxygène. La panique désire répliquer, mais deux autres tons s'ajoutent. Des présences qui roulent comme une vague pour chasser les grains. Elle articule dans le vide leurs noms, aucun son ne sort. Elle cligne des yeux.

Le dédoublement cesse, elle s'extirpe du sable.
Elle inhale.

Elle peut enfin voir leurs visages, tirer un sens à leurs paroles. Anne sent également l'inquiétude à travers le lien. Constate le visage optimiste et déterminé d'Anita qui masque sa tristesse. Comprends la concentration d'Astre qui prends le rôle de panseur pour être fiable. Les mots pour raconter ce qu'elle a vécu à l'instant à Pepper s'en viennent, mais trébuchent.

"Soit la meneuse qu'ils attendent, soit celle qui portera les couleurs de la victoire. Aussi, c'est tout ce que je te demanderais : soit ma digne fille, Anette."
Elle s'est déjà écroulée devant Alexandrine. Elle échoue.
Elle ne peut... elle ne peut pas.
Pas devant Astre.
Pas devant Anita.

Elle tends sa patte brisée au panseur, bascule son poids sur Pepper qui la tient pour se faire. Elle souffle un moment sur le visage d'Anita, de la chaleur qu'elle lui témoigne toujours. Puis elle ferme les yeux.

"J'ai chuté, c'est cassé. Ça va aller."

Pour la première fois de sa vie, elle ressent alors la culpabilité liée à un mensonge.

"Ça va aller."

Traîtresse.

Le souffle de sa mère se voulant rassurant dans ses cheveux.
Des yeux rubis posés sur elle un bref instant, l’esquisse d’un sourire lancé dans sa direction qu’elle renvoya furtivement mais avec plus d’assurance que lui ne savait en montrer.
D’ores et déjà les soins commençaient et ses yeux vifs les suivaient avec intérêt et concentration, sans que ses épaules ne se décollent une seule seconde du corps massif de sa mère. Son poids à elle avait été confié à Pepper, Pepper si petite mais si forte, dont la carrure supportait aisément la double charge.
Dez confirma les paroles que sa mère avait d’elle-même lancées sans qu’elle ne sonne tout à fait convaincantes, écho éteint d’une voix forte.
Anita mit cela sur le dos du choc et se raccrocha plutôt à la présence des deux autres alliés de l’instant.

Pepper allait la ramener au Castel. Loin de la perdition de la nuit.
Anita adorait cette heure du cycle solaire. Ce soir pourtant les étoiles lui paraissaient faibles et la lune terrifiante.

Puis fila la vaillante silhouette de l’Alpha après quelques dernières paroles, remontant en une course le chemin qu’ils avaient déjà descendu en hâte.
La jeune louve la regarda s’éloigner un instant, hypnotisée par la lueur orange qui comme un feu follet brillait et s’agitait parmi les ombres.
Les mots de sa tante se rappelèrent à elle, dansant devant ses yeux comme cette lumière.
Faire oublier d’un rire la douleur.
Quelque chose dont elle était habituellement capable sans ciller. Quelque chose qui ce soir pourtant semblait plus difficile, comme si le rire se bloquait dans sa gorge.
Comme s’il y avait là un malaise plus grand qu’un simple accident mais qu’elle n’aurait su pointer.

Ses oreilles un instant s’affaissèrent mais elle les releva dans la foulée – frottant de nouveau son museau contre l’encolure de sa mère pour que d’une odeur et d’un contact tant aimés elle ravive le sourire.

— Tu vieillis, maman. Bientôt tu ne pourras plus te balader seule la nuit sans l’un de nous pour guider tes pas !

La plaisanterie sonnait creuse même à ses propres oreilles, un peu fade sur sa propre langue. Surtout puisqu’elle savait, pourquoi les nuits de pleine lune sa mère rodait seule. Surtout parce qu’elle savait, qu’Anette saurait encore se balader seule longtemps et peut-être même jusqu’à ce que le crépuscule vienne la cueillir.
Cette nuit, ce n’était pas normal.

Mais cette nuit… Anita devait se contenter d’accepter et d’être pilier, à sa façon.