Salazar

Peu de jours s'étaient écoulés depuis sa rencontre avec Ao. 

Peu de jours, et pourtant, cela ressemblait à une année aux yeux de Salazar.

Qu'il s'était senti sale, en se retrouvant dans cette boue. Qu'il s'était senti gelé, avec cette glace accrochée à son poil.

Ao l'avait rejeté, mais lui avait offert une vision qu'il ne parvenait à comprendre. Etait-ce l'avenir ou simplement une forte envie de la déesse de le tourmenter ? Aucune réponse, mais encore maintenant il revoyait cette course effrénée, ce sang sur le sol gelé, ces énormes oiseaux dans le ciel. Cela lui rappelait sans mal les paroles qu'il avait entendu lors de la dernière assemblée, ces bêtes d'un autre temps venant à leur rencontre.

Humilié, voilà comme il s'était senti en se dégageant de la boue. Seul, comme si la glace avait pénétré son corps jusqu'à son coeur. 

Salazar était rentré chez lui, sur le territoire Etelkrus, avec des émotions parfois contradictoires en lui. Il avait esquivé toute présence, il ne souhaitait voir personne, en cet instant. Et durant ces quelques jours, il avait vécu en ermite à la limite du territoire, cherchant à se débarrasser de toute cette souillure causée par la Dragonne.

Mais tout ce qu'il voyait était que personne n'avait déployé de recherches pour le retrouver. Cette garce d'Hollyhock ne cessait de gratter du pouvoir. Bien entourée, bien vue, il était évident qu'il n'avait pas ses chances face à elle, mais cela le démangeait terriblement. Et à cet instant, il en était convaincu. 

Sa vision allait être causée par Hollyhock. C'était elle qui allait rejoindre le trône, et c'était elle qui allait mener les Etelkrus à leur perte.

Si Ao ne souhaitait pas lui parler, il allait se présenter à la déesse ayant déjà daigné se montrer à lui sans chercher à l'humilier. 

Salazar, au physique désormais présentable, rejoignit le temple de la Renarde d'un pas rapide. Non seulement il ne voulait pas être vu, mais il ne souhaitait pas être retrouvé par des individus ingrats. Lui, Salazar, était l'avenir certain de cette meute, il serait celui qui les mènerait au rang de dieux. 

Ses pattes ralentissèrent tandis que la statue approchait, et lorsqu'il se trouva face à elle, il s'arrêta net, son regard cherchant celui de la déesse.

« Vous devez être au courant, n'est-ce pas ? »

Oh que oui, elle savait que tu avais enfin tenté ta chance auprès de sa soeur. Elle le savait puisqu'elle voyait tout.

« J'ai vu la mort s'abattre sur nous, le sang et la désolation. »

Et la solitude. 

Cette vision de lui, seul, seul face à une mer de stèles, elle lui revint si violemment qu'il eut un mouvement de recul. 

Salazar serra les dents tandis qu'un frisson le parcourut. Ce n'était pas dans son habitude de se montrer aussi vulnérable.

« Ai-je seulement la possibilité d'inverser le cours des choses, Dairo ? »

Et cette contractiction qui naissait en lui ... 

Les Etelkrus ne le méritaient pas, personne n'avait pris la peine de partir à sa recherche. Personne ne s'était inquiété. 

Mais d'un autre côté, il sentait qu'il était l'espoir dont les siens allaient avoir besoin, et peu importe les épreuves il ne serait pas seul. 

Les morts de Saqqarah, Athelstan et Helga, ainsi que de nombreux autres ... étaient-elles déjà écrites ?

Salazar

Comme prévu, la déesse fit son apparition, mais son regard et ses paroles ne plaisèrent guère au chevalier. Que devait-il penser de cet accueil ? Après le rejet de la Dragonne devait-il s'attendre à celui de la Renarde ? Ses oreilles se plaquèrent sur son crâne, son regard posé sur elle tandis qu'elle s'étirait. Etait-il à ce point une perte de temps ? 

Que voulait-elle dire par "très ennuyant" ? L'égo du chevalier en prit un coup. Voilà comment les dieux le décrivaient. 

Ennuyant.

Cependant, la déesse n'avait pas prévu de le rabaisser avant de disparaître, comme l'aurait certainement fait sa soeur dans une dimension parallèle. Quand elle mentionna le nom d'Holly, il ne put s'empêcher de lever rapidement une babine sous l'agacement. Que pouvait-il faire pour exploiter son potentiel à son maximum ? Le monde entier était contre lui ! Et pourtant, il n'abandonnait pas, il résistait, prêt à écraser tous ceux se dressant sur sa route. Les oreilles de Salazar se dressèrent immédiatement lorsqu'elle annonça qu'il pouvait être celui qui fera une différence dans l'Histoire. Devenir le Roi Oublié d'une nation nouvelle. Cela lui redonna confiance, et en cet instant, la Sensation d'Ao avait disparu. Dairo était là, avec lui, et à travers ses paroles elle lui ouvrait les portes vers un avenir grandiose. 

Si la déesse semblait presque désintéressée, cela ne freina pas Salazar dans son ambition. Et ce fut un frisson qui le parcourut lorsqu'elle mentionna son armée. Un frisson de plaisir, celui que seul un être divin approuvant ses choix ne pouvait lui donner.

Et Salazar ne manqua aucunement ce changement d'expression chez la Renarde, passant de l'ennui à l'intérêt. Et là, le chevalier y lut un message. S'il voulait faire la différence, il allait devoir commencer par là. Il allait devoir agir rapidement. 

Comme rechargé, le mâle fit une révérence à la déesse ayant pris la peine de se montrer à lui. Néanmoins, au milieu de celle-ci, il s'arrêta avant de porter de nouveau son attention sur la déesse.

« Pensez-vous que votre soeur m'acceptera un jour parmi ses disciples ? »

Il aimait la Renarde, mais la force qui l'animait était autre que la valeur qu'elle portait. Mais il savait qu'elle était là, tout comme là serait là pour elle. Et si la Dragonne refusait de le revoir, alors il se tournera vers la déesse orange. Si cela devait arriver, qu'elle lui donne un glowstick ou non, cela n'aurait aucune importance, si ce n'est sa quête de pouvoir. Car depuis le début, il savait qu'il pouvait compter sur elle.

Salazar

Les paroles qu'il prononça ne restèrent pas sans effet. La Renarde lui apparut sous un angle qu'il n'avait pas encore eut l'occasion de voir. Ses yeux, ses babines, son expression était digne d'un démon. Pourtant, il ne cilla pas. Il fallait dire qu'à l'heure actuelle, il n'avait plus grand chose à perdre, si ce n'est l'honneur qui lui restait. Et ça, il comptait bien le conserver, même si cela signifiait affronter la mort. Les paroles de la déesse résonnèrent comme un reproche, et pourtant, et pourtant ! Si elle savait combien il la respectait ! Alors qu'elle semblait perdre son sang froid, tout cessa lorsqu'elle ferma les yeux. En prononçant ces paroles, il l'avait terriblement déçue, il savait qu'il allait devoir s'expliquer. Cependant, il garda le silence, son respect envers elle étant bien trop fort pour oser lui couper la parole.

Lorsqu'il fut certain qu'elle ait terminé, il fit un pas en avant, afin de lui prouver qu'il ne doutait aucunement de ce qu'il voulait. Malgré la réponse d'Ao, son ambition n'avait pas changée, et changer de bord serait de l'irrespect envers Dairo, mais aussi Ao.

« Ne serait-ce pas de l'irrespect que de me tourner vers vous après un échec ? 

Je vous respecte bien trop, Dairo, pour prétendre à votre couleur par défaut. Et si parmi les dieux vénérés par les Etelkrus vous êtes celle dont je suis le plus proche, je ne peux renier qui je suis. A l'heure actuelle, les Lazulis ne sont plus, Ao, Mido et Moiro ne sont plus cantonnés à une meute en particulier. Mon but est bien entendu de les rallier à la cause Etelkrus. »

Il en voulait à Ao pour l'avoir ainsi souillé, mais n'était-ce pas une épreuve pour lui en soit ? S'il montrait assez de détermination pour arriver à ses fins, s'il montrait à la Dragonne qu'il était devenu digne d'être de ses disciples, elle ne pouvait lui refuser l'accès à son épreuve, n'est-ce pas ? Après tout, il s'agissait là de la valeur qu'elle portait.

« Concernant la meute, je ne vois pas cela comme une trahison, même si je serai prêt à en subir les conséquences si cela était vu comme un affront. A travers cet acte, je compte rendre les Etelkrus bien plus forts qu'ils n'aient jamais été. Avec la menace qui plane actuellement, je doute que des meutes scindées soient la meilleure solution.

Quant à votre soeur ... je vois cela comme une épreuve. Elle ne fut pas convaincue, et sut me le montrer. N'est-ce pas de la détermination que de ne pas abandonner et de retenter sa chance à l'avenir ? Si mon choix s'est arrêté sur elle, c'est parce que je sens au fond de moi qu'il s'agit de la force qui m'anime, mais si sa réponse reste définitive le jour où je me représenterai à elle, je ne pourrai que l'accepter. »

Si, ce jour-là, elle venait à refuser le simple fait qu'il puisse passer son épreuve, il comprendrait qu'il s'agissait là d'une simple haine envers sa personne. Son ambition, elle, ne saurait être remise en cause.

« Après cela, j'espère que vous comprendrez pourquoi je ne peux passer sous votre couleur. Je peux vous servir autrement, mais je ne peux ainsi vous choisir par défaut. Ce serait une insulte envers vous. »

Il savait qu'un pouvoir serait fort utile, et qu'il en avait besoin, mais il ne pouvait pas se servir ainsi des divinités, et encore moins de Dairo.