Bad boys in town l P.V. Littie

No one will stop us
They can try but they won't

We're running this world.

Alexandrine marchait en levant haut les genoux, fière comme un coq, tournant la tête de droite à gauche pour embrasser le paysage et ne pas en perdre une miette. Voilà qu'une mission de chasse leur était retombée sur les épaules, et apprenant que les Nakhus n'étaient pas gênés que l'on aille cherche veaux vaches cochons sur leurs terres, la louve crème avait insisté pour y aller. Elle supputait que la température, légèrement plus clémente en ces terres, serait au gout du loup gris - et ne s'était pas trompée.

Elle laissa donc tomber son armure-cape et, légère comme une plume, se mit à bondir en direction de ces terres si méconnues. Tout en avançant, elle ne s'arrêtait pas de blablater sur tout et rien.

T'y es déjà allé ? Y paraît que les Nakhus ont tous la capacité de voler, c'est Yurai qui fait ça. Oh quoi que Ajani peut pas voler... Alors qu'il est chef. C'est bizarre. P'têtre c'est des conneries en fait.

Elle faisait questions et réponses, tout en détaillant les hauts pins qui les entouraient et devenaient de plus en plus fournis à mesure qu'ils s'éloignaient de la grève. L'ambiance se réchauffait aussi, même si le fond de l'air restait frais. Elle se sentait pousser des ailes, Alex : elle aimait chasser, et découvrir de nouveaux lieux. Terres Etels et désolées, elle avait quasiment tout vu, la Grève elle commençait à s'y faire, mais ici...

Tu penses on trouvera des monstres ? Tu penses que les pinguins descendent aussi bas ?

Elle n'avait cesse. Après tout, Désastre savait un peu tout non ? Ou en tout cas, il savait plus et mieux, il était donc le réceptacle de ses interrogations.

Après de longues minutes à déambuler entre les pins une large plaine prit le pas sur l'humus de la forêt, dévoilant sous leurs yeux des hectares de culture maintenant champs de terre retournée en attente de futures semences.

... Wah !

Et, au loin, un lieu encore plus dégagé, à peine visible.

PTAIN VIENS ON VA VOIR !

Et, sans attendre de réponse, elle bondit dans la terre au risque de se briser une patte, les gros tas humides manquant retenir ses jambes pourtant massives, bondissant et agitant ses ailes pour gagner encore en vitesse.

Courir, à travers champs, comme des enfants.

Elle sent ses muscles chauffer, l'adrénaline monter du bout de ses pattes jusque dans son coeur avant que cette dernière ne la véhicule à l'ensemble de son corps, du bout de son museau à lui en tirer des larmes jusqu'à l'extrémité de sa queue et de ses ailes qui se déployaient à demi sans jamais vraiment lui permettre de s'envoler, mais lui offrant quelques secondes à planer au dessus des terres à chaque fois. C'était grisant, un instant de totale liberté, sans personne pour vous observer, sans personne pour vous gronder ou vous reprocher quoi que ce soit - juste un instant à galoper dans un champ à perdre haleine, sans avoir à fuir un quelconque monstre ou... Dinosaure.

Désastre ne lui laisse prendre aucune avance, aussi vif que ces grands félins tachetés qui rodent parfois dans la Rougelande, perdus des Savanes. Elle a beau accélérer la cadence, étendre plus loin ses pattes, creuser son large dos, pousser sur son arrière main pour toujours plus de puissance, c'est lui qui mène la marche, et elle se refuse à déployer ses ailes pour prendre de l'altitude.

Mais déjà, la maisonnée et tout ce qui l'entoure grossit, grossit, et arrive à leurs pattes. Alexandrine dérape sur le sol sablonneux et manque de se casser la binette, fait quelques petits bonds pour absorber son freinage en plaçant ses ailes face au vent et agitant ses ailes d'arrière en avant pour aider l'ensemble. Eh, déplacer une masse aussi importante, c'est pas du gâteau !

Son attention se porta tout de suite sur les poules dans l'enclos, et elle ouvrit grand la gueule.

C'est du génie ! On peut les attraper sans qu'elles se barrent !

Elle bondit et grimpe à demi sur la barrière, manquant l'affaisse de sa masse trop imposante, le bois craque et elle se laisse retomber au milieu des poules. Ces dernières caquètent sans arrêt, cot cot cot cooot cot cot cot. Elle reculent un peu, aussi, devant ses grosses pattes qu'elles ne reconnaissant pas, mais... Pas beaucoup. C'est qu'elles sont curieuses. Qu'elles ont faim, aussi, mais ça elle ne le sait pas. La question de Daisy attire son attention.

Du... Pain ? Euh-

Elle a déjà entendu ça.

Dans le livre de Kisine y'en avait ! Mais fallait du blé pour faire de la farine, de l'eau, et du sel - de l'eau de mer peut-être ? Enfin c'était trop compliqué et ça avait l'air dégueulasse on en a jamais fait.

C'était après l'essai un et deux de la kisine, ceux qui avaient fait pleurer dans les chaumières - Holly lui avait dégoté un petit livre et l'avait aidé à le lire, mais... Ca n'avait pas donné grand chose, au final.

C'est là, à regarder les poules dans l'enclos et à se demander à quoi elles pouvaient bien servir, qu'un éclair de génie la traversa :

Je sais !

Elle bondit sur place.

Les Nakhus se battent pas, alors ça doit être un jeu ! Il suffit de trouver les règles !

Evidemment.

L'idée de faire peur aux poules plaisait particulièrement à Alexandrine, et elle accueillit l'idée de nombreux petits bruits de gueule positifs. Elle se recula un peu, bien que dans l'enclos, alors que Désastre se mettait à aboyer pour faire peur aux p'tites bêtes. Il s'y prenait bien ! Voilà la volaille qui partait en tout sens - mais sans briser les limites de leur enclos.

Il est trop bien comme Manoir d'ailleurs ! Y'avait plein de, de vin dedans. Mais j'étais trop petite quand on y est allées, Holly a pas voulu que j'en boive. Faudrait y retourner !

Ca, c'était une idée formidable, pour un jour prochain, ou prochainement dans le jour ! Daisy en avait des idées. Elle s'assit dans le coin de l'enclos et réfléchit à d'autres règles. Parce que l'idée de Daisy était fun, mais elle était persuadée qu'ils pouvaient trouver mieux en se concentrant très fort. Elle était toujours en train de faire tourner ses neurones, et proche de trouver quelque chose de satisfaisant, lorsque le loup à crête rouge l'interrompit. Elle fronça les sourcils, un peu paumée.

Une blague ? De retourner au Manoir ? Ben nan c'était vraiment bien ! Bon, j'ai une autre idée de jeu. Imagine, on est tous les deux dans l'enclos. On reprend ton idée de peur. On peut chacun aller qu'au tiers de notre côté. Et le but, c'est de faire peur aux poules pour qu'elles aillent le plus possible dans l'autre moitié du terrain. Comme ça, on apprend à faire peur, et on peut faire des batailles de peur ! Et la zone morte au milieu c'est pour montrer qu'on peut faire peur loin.

Elle se redressa et commença à tracer des traits dans le sable en trainant ses pattes, délimitant les deux tiers les plus éloignés et le milieu du terrain. Les poules, curieuses autant qu'effrayées par sa masse, se poussaient devant elle.

On prend chacun un côté, et à la fin on compte les poules !

A la fin de quoi ? Bonne question. Mais eh, on peut pas tout prévoir !

Tu pars avec une avance, en plus, elles ont déjà peur de toi.

En effet, un large demi-cercle s'était créé aux alentours du loup gris, où aucun gallinacé ne souhaitait pénétrer.

Le membre 'Jolitemps' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

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'PC - Réussite' :

La perspective de retourner au Manoir l'amuse. C'était bien, le manoir. Plein de grosses araignées, et plein d'objets aussi ! Longues-Pattes, par exemple, venait du manoir, même si elle restait souvent à la Moere maintenant. Eh, comprenez, c'est difficile de penser à ces petites bestioles en permanence, il faut bien les ranger quelque part !

Et, chacun de leur côté, ils prennent place. Alexandrine caracole quelques pas en tournant sur elle-même pour analyser son côté de terrain. Rigoureuse, elle n'en a pas profité pour se donner la belle part. Alors elle le trouve petit, ce terrain, pour son corps trop épais, pour son corps trop haut et trop large pour chasser les poules qu'elle pourrait par mégarde écraser. Elle s'est souvent focalisée sur des proies plus grosses, Alexandrine. Pour le gout de l'adrénaline, pour l'envie de ramener proie toujours plus grosse, pour l'envie d'impressionner et par difficulté de trouver sa place aussi, auparavant.

Mais elle l'a trouvée, sa place. Face à Désastre, sur le ring des poules, les ailes étendues et sa queue vipérine battant l'air. Elle se gonfle, elle se prépare à gronder.

Le top est donné, et c'est le déchainement de cris et de hurlements. Les animaux, peu habitués à être ainsi brutalisés, cherchent à s'enfuir. A vrai dire, un certain quota parvient même à user de ses ailes de façon assez efficace pour passer par dessus, autre, sous la barrière de quelque façon que ce soit pour s'éparpiller dans les champs alentours, loin et très loin. Mais les hurlements et les mouvements vifs et précis du loup gris, qui semble être sur toutes les parcelles de son camp à la fois, trouvent bien mieux leur cible que les crachats d'Alexandrine qui se laisse un peu distraire par les plumes qui apparaissent sur le corps de Daisy et ce dernier qui se distend.

C'est là qu'elle se rend compte qu'elle perd.

Alexandrine n'est pas une lumière, mais elle sait tout de même compter et comprend bien vite que les poules préfèrent venir de son côté plutôt que de celui de Désastre.

Et ça, ça n'est pas acceptable. Non pas qu'elle ne respecte pas le loup gris - mais même face à Pepper ou Anette son sang s'enflammerait avec fureur. Elle n'aimait pas perdre.

Alors elle aboie à son tour, plus fort. Alors elle tire sur ses ailes, pour couvrir plus de terrain. Elle se tourne, elle bondit, elle heurte le sol pour le faire vibrer de sa masse. Et parce que les poules ne partent pas, parce qu'elles ne veulent pas partir, parce qu'elles la défient de leurs ailes trop petites, parce que leurs teintes dorées ne veulent pas aller du bon côté de la barrière... Elle gueule à s'en éclater la rate.

PUTAIN DE SALOPE DE TCHOIN D'TES MORTS J'VAIS T'ARRACHER LES YEUX TÊTE DE CUL

Et alors qu'elle gueule, alors qu'enfle sa colère, alors qu'enfle sa frustration, elle enfle aussi. Elle gonfle, elle grossit, le terrain devient plus petit et il est bien difficile de rester dedans maintenant. Elle tire sur ses ailes, et ses ailes touchent les bords de l'enclos, elles aussi Son corps se teinte de rouge, son glowstick s'agite sur son col avec insolence. Elle piaille, parce que la colère est douloureuse, parce qu'elle s'exprime physiquement chez elle, parce que sa vue se dédouble alors que de nouveaux yeux s'ouvrent dans sa fourrure et troublent sa vue. Parce que sa voix perd deux ton et gagne en résonance, rauque et profonde, gagne en coffre. Elle gronde, parce que ses flancs eux aussi s'ouvrent et éclatent pour laisser naissance à deux nouveaux appendices de vol, qui tant bien que mal poussent lentement. Sa gueule devient multiple, dans le mauvais sens s'ouvre aussi, les rangées de dent ne sont plus à leur place, et il y en a bien trop. Ses queues fouettent l'air et elle hurle, incapable de s'exprimer.

Elle dépasse maintenant franchement des limites, alors que son corps se couvre d'écailles. Elle perd clairement son unique point ING, alors qu'elle épaissit encore. Sa colère et la galvanisation la laissent à mi chemin entre deux états, au carrefour de tous les pouvoirs. Oubliées, les poules, ne reste que le jeu. Un sourire torve sur ses trop nombreuses et immondes babines.

Y veut sortir, le gros piaf hein. Qu'est-ce t'en penses. Quatre lignes, tout pareil. Quatre lignes d'un champ, au premier qui jette l'aut' dehors.

Elle crache, elle piaffe. Ecrase une poule ou deux. Son sang, électrique, bouillonne.

Un jeu, de ceux qu'elle préfère.

Elle était un peu aveugle, Alexandrine. La colère de perdre pour les poules s'était peu à peu muée en exaltation à l'idée d'un combat d'une portée supérieure, et à son col le rouge d'Aka brillait fort. Elle replaça ses pattes et défonça par mégarde la barrière de l'enclos qui laissa échapper les dernières gallinacées, leur laissant tout loisir de s'échapper. Et pourtant, elle ne vit pas. Elle ne vit pas la peur, l'incompréhension et le changement dans les yeux de Désastre. Elle ne vit pas son corps se rassembler sous lui, se ramasser, se préparer à la curée. Ou plutôt, elle nota ces prémices à un combat mémorable avec une impatience grandissante.

Sa silhouette ne trouvait aucune stabilité, ondoyant sans cesse et créant de nouveaux membres, de nouveaux organes à sa surface. La vision de la louve croissait et chutait tour à tour en conséquence, et seuls les autres signaux qu'envoyait son corps lui permettaient de se situer dans l'espace. Ses pattes, fermement plaquées dans le sol. Les caquètements des poules, qui s'échappaient de toutes parts. La respiration presque imperceptible de Désastre, les battements de son coeur. De son coeur qui se prépare, se prépare à attaquer.

Alexandrine le sent comme une drogue qui emplit son organisme. Cette même drogue qui la parcourt lorsqu'avec Anita elle se jette entre les doigts de roche des plaines du temple rouge, tête en avant, ailes repliées contre son corps, frôlant les pins et la cime des séquoias géants. Elle pulse, et n'abandonne aucun mètre de terrain. Elle avant même d'un patte, accueille la confrontation avec un sourire monstrueux.

Lorsque Désastre bondit pour l'attraper à la gorge, elle répond de la seule façon possible.

Elle se jette en avant d'un bond, se détend comme un ressort pour bondir à sa rencontre, elle reçoit et elle donne dans cette danse qu'elle a toujours connu et qui rythme sa vie. Donner, pour recevoir. Son mouvement n'empêche pas Désastre de la saisir, mais ça n'est pas son cou qu'elle lui présente mais la base de son col. La douleur qui se répand dans tout son corps à partir du point de contact la stimule encore plus alors qu'elle pousse sur ses pattes arrière, force pour renverser le loup gris qui n'est déjà plus tout à fait un loup.

Contre Anette, en plein milieu d'un combat, elle aurait cherché à prendre l'ascendant et à l'étouffer de sa masse ; à l'aveugler de ses ailes et de son corps, à l'écraser sur le sol de cet avantage qu'elle avait.

Mais la confrontation était encore jeune et elle brisa simplement leur étreinte pour reprendre quelques pas de distance et se retourner vers Désastre. Elle déploya ses ailes, ses deux paires d'ailes, de chaque côté de son corps. Elle penche la tête en avant, elle prend la posture. Elle goute cet instant avec toute la joie qu'il lui procure.

Tu t'souviens, Daisy ?

Elle sourit, le sang coule au sol, et elle dévoile ses crocs en un simulacre de joie. Son corps s'est stabilisé - est-ce d'avoir rencontré celui de son ennemi ? Ou le combat qui, longtemps anticipé, est maintenant lancé ? Elle se ressemble plus, bien qu'elle garde toujours cette stature impossible, cette double voilure et ses articulations plus épaisses. Son mufle qui s'élargit, ses cheveux qui se muent en pics le long de sa colonne vertébrale.

C'toi qui m'a appris. J'm'en souviens, à chaque combat.

Elle lève les ailes au dessus de son corps, les détache, rassemble ses pattes et arrondit le dos.

Tu peux essayer en gardant les ailes bien hautes, pour paraître plus grande.

Elle garde toujours ce sourire un peu fou, ce regard fixé sur le loup gris. Aurait-elle bu de l'alcool que ça ne serait pas pire, ivre qu'elle était de la situation. Déjà, ses muscles roulent sous sa peau. Elle anticipe. Comme pour le premier assaut, elle attend. Elle laisse l'anticipation l'envahir. Elle laisse la tension monter. Elle attend le moment où Désastre attaquera, brisera le statut quo, et annoncera le deuxième assaut.

Elle l'attend.

Il n'était plus totalement loup.

Et bientôt, il ne fut plus loup du tout. Elle resta un instant émerveillée par la grâce dont il faisait preuve, sous cette forme. De l'aisance avec laquelle il se mouvait dans les airs, accrochait les courants, prenait de l'altitude. Lui qui n'était pas né avec des ailes, mais s'y déplaçait avec une agilité supérieure à la sienne. Un instant à son tour, la jalousie lui bouffe le coeur, mais un instant seulement. Comme être jaloux de lui ? C'est Dez. Il est vain d'être jaloux de lui, car ils ne jouent pas dans la même cour.

Mais aujourd'hui, forte de ce qu'Aka lui procure, forte de son assurance neuve d'avoir porté Holly à terre, forte de son assurance neuve d'avoir porté Anette à terre, elle se dresse, et souhaite relever le défi. Elle inspire et expire des goulées d'air qui ne devraient trouver autant d'espace dans sa cage thoracique. En réponse, cette dernière grossit. Elle ressent la présence du serpent à plumes comme elle ressentit la présence du scolopendre - elle n'était pas de taille. Mais pouvait le devenir.

Sauf que cette fois, le mouvement était maîtrisé. Il n'était pas le fruit d'une peur inconsciente, d'un besoin primal. Il était une réponse, une réponse à une situation donnée, à un défi lancé.

Alors elle gonfle, encore. Elle gonfle et ses derniers attributs lupins disparaissent, se déchirent, s'effacent pour laisser place au cuir rêche et râpeux du Dragon. Elle ouvre un peu plus ses ailes encore, qui gagnent en couleur, gagnent en motifs. Ses crocs grandissent, sa langue s'effile et rampe dans sa gueule comme dans une cage trop longtemps fermée. Elle profite de ce que Désastre prenne de la hauteur pour parfaire son déguisement, devenir monstre. Peut-elle seulement s'arracher à la terre, dans cette carcasse ? Une question bien vite répondue.

Là où Désastre n'est que fluidité et délicatesse, Alexandrine affiche une force brute et aveugle. Elle bondit et s'arrache à la gravité à la force de ses muscles, bat ses ailes de cuir qui claquent et éclatent dans l'air chaud de l'après-midi - un si bel après-midi. Elle monte, elle se hisse comme on grimpe une montagne et défie la gravité de sa masse épaisse. Elle inspire, elle ouvre la gueule.

Elle hurle.

Parce que c'est ainsi qu'elle s'exprime, qu'elle permet à ses émotions de ressortir, qu'elle montre sa joie et qu'elle appelle au combat. Et elle bat une nouvelle fois des ailes, se replace, vrille légèrement sur le côté pour à son tour s'aider des éléments et prendre de l'altitude.

En haut, donc, se déroulerait leur affrontement.

Il opposerait le gris de rouge teinté au sable et aux flammes.

Là où le serpent file et s'entrelace, elle n'a pas la vélocité nécessaire à le suivre. Alors il reste loin en amont, avant de plonger vers elle. Et au dernier instant, d'une courbette impossible, lui présenter sa queue comme un fouet. Alexandrine ne varie pas sa course, affrontant l'obstacle tête la première.

Elle ouvre une gueule gigantesque.

La queue du serpent à plumes lui arrive sur le coin de la mâchoire, mais son placement lui permet d'absorber une partie du choc. Elle referme ses crocs sur l'appendice mais n'arrive à le saisir, se contentant de lui imprimer une marque de crocs avant de le relâcher, vaincue par la pression. Elle secoue la tête, un filet de sang coulant sur sa joue.

Elle fait claquer son énorme mâchoire et se rue à sa suite.

Il est si rapide.

Il tourne et retourne et ses anneaux forment mille boucles dont elle ne peut suivre le cheminement, concentrée qu'elle est à tracer la voie que prennent ses crochets si intimidants. Elle n'a aucune envie de les voir de nouveau se planter dans sa chair, pas intégralement formés ainsi. Mais son cuir est plus épais, et la peur ne l'étreint pas. Il se retourne, il revient vers elle, une fois encore et pour toujours il a l'initiative. Il se glisse, il danse, il chorégraphie avec une précision parfaite. Il plonge et l'enlace, s'enroule, s'approche. Elle rue, elle tourne sur elle même, elle joue de sa masse et de ses ailes pour pas qu'il ne se referme. Elle a passé assez de temps à courir la Moere pour comprendre où ce mouvement l'emmène, et quel en est le risque.

Mais s'il souhaite venir, qu'il vienne. S'il est frileux, elle aime les câlins : virant brutalement elle se jette dans ses anneaux qu'elle saisit à pleines griffes avant d'arrêter tout bonnement de battre des ailes. Un instant, ils restent suspendus. Un instant, la gravité peine à reprendre conscience de son pouvoir si grand sur ces corps si lourds. La louve, non, le dragon cherche et trouve partie des multiples ailes de son opposant, les replie contre son corps, les presse comme on presse le corps d'un oiseau pour l'empêcher de prendre le large.

Alors, enfin, ils tombent. C'est une chute libre dont elle goute vertigineusement les assauts dans son ventre, elle ouvre grand ses yeux, elle ouvre grand beaucoup trop d'yeux qui intrigués s'invitent à la fête, elle jubile. Et pourtant, c'est bien trop rapidement qu'ils filent vers le sol. Bien trop rapidement, pour deux corps enlacés l'un avec l'autre, deux corps qui n'ont pas pleine maîtrise de leurs moyens - un jeu comme Alexandrine les aime. Dangereux.

Au dernier instant elle déploie à fond sa voilure, bande les muscles réticents de ses épaules et tel un parachute coupe leur descente aux enfers - pas entièrement. Voyant la situation lui échapper en partie, elle lâche tout et rétablit en partie son assiette, atterrit avec lourdeur et roule plusieurs fois sur elle-même avant d'aller taper le mur d'une énorme grange qui se délita en grande partie. Sonnée, elle attendit une demi-seconde avant de redresser la tête, clignant des yeux, analysant la situation.

Se redressa d'un grondement, claquant sa langue contre son palais.

Rien n'était fini.

Mais Désastre n'est qu'un tas replié sur lui même en mille boucles qui forment mille noeuds et masse informe dont une potite tête dépasse au dessus. Une tête qui crache, une tête qui siffle, une tête qui jure mille morts, un peu. Un oeuf fait d'anneaux et où un oeil unique se dévoile, un oeil protégé de mille ailes et mille plumes.

C'est.

C'est drôle.

Déjà sonnée par l'atterrissage loin d'être en douceur, le coup contre le hangar qui est à demi défoncé, et devant l'image de Désastre roulé sur lui même comme un potit tas d'anneaux, Alexandrine se rappelle. Elle se rappelle qu'elle a mal, partout. Elle se rappelle des crocs qui se sont plantés dans son poitrail. Elle se rappelle du frottement des écailles contre les siennes. Elle se rappelle de la rencontre avec le sol. Elle se rappelle de sa rencontre avec la grange, alors que son taux d'adrénaline redescend drastiquement face à ce tas de serpent. Elle se rappelle de la douleur qui, semble-t-il, touche chacun des muscles de son corps.

Et de Daisy.

Si drôle.

Alors elle éclate de rire. Elle se laisse tomber sur son gros cul d'écaille avec un petit piaillement de douleur, et à son tour devient une boule de cuir et d'ailes, une tente dont les drapés protègent le corps lui aussi malmené. Alexandrine rit, et elle rit tant que ses côtes se font plus douloureuses, que sa respiration se fait sifflante, et que peu à peu elle réduise. Réduise de taille, réduise en force, réduise en masse, réduise en crocs. Et en dernier, réduise en yeux et en ailes, pour ne redevenir que la "petite" Alexandrine qu'elle était vraiment.

Et alors elle se redresse et... Grimace.

Elle avait vraiment mal partout, et ça ne venait pas que des chocs et du combat. Son corps protestait contre le sort qu'on lui avait fait subir.

D'ailleurs, il ne serait bientôt plus le seul à protester. Elle observe les environs et met une patte devant sa gueule.

Ravagée, la grange. Ravagé, l'enclos. Ravagées aussi un peu, les poules, qui courraient à travers champs pour celles encore en vie.

P'tain. On a bien fait le bordel ! C'était fun mais, mmh, ça va pleurer oups. Tu penses on pourra planquer les restes de poules ? j'en ai... Ecrasé une. A moins que ça nous fasse un p'tit gouter !

Enfin, Désastre perd la forme du Serpent à plume et laisse derrière lui un tapis rouge et argent. Elle observe fascinée la transformation, qui devait être sensible à la sienne. En bien plus... Jaune.

Alexandrine se redresse, et tout son corps se rappelle à elle. Ca tire, ça pique, ça se contracte dans tous les coins et recoins de son corps et elle grimace. C'est... A ne pas faire tous les jours, non. Non, vraiment. Mais une fois de temps en temps... C'est si exaltant. A la réponse de Désastre, elle jette un regard au champ dans lequel gambadent les poules restantes.

Qu'on mange toutes les poules ? Les Nakhus risquent de pas être content, et en plus j'suis pas sûre d'avoir l'énergie de leur courir après là. Mais bon si tu veux !

Bawé, elle est po chiante Alex quand même. Si il veut qu'ils attrapent toutes les poules ils les attraperont toutes. Elle se dirige vers le cadavre le plus proche, un peu dégueu à voir de la façon dont il a été écrabouillé comme sous une presse. Y'allait avoir des bouts d'os et un peu d'terre au menu...

C'est là que Désastre reprend la parole, et qu'Alex se tourne vers lui.

C'est là qu'elle comprend un peu, aussi. Qu'elle comprend qu'elle n'avait pas tout compris, qu'elle ne comprend pas l'attitude défiante qu'il a encore, son regard blessé. C'est là qu'elle se pose des questions. Et s'inquiète, rejoue la scène dans sa tête, ce qu'il s'est passé. Comment tout s'était déclenché, ce qu'elle avait été : si elle n'avait pu se voir, elle n'avait jamais ressenti ça auparavant.

Elle s'assoit à côté de la poule écrasée et hésite, incertaine. Il parlait de ne pas le perdre, il ne parlait donc pas simplement d'une défaite ordinaire. Elle commence par les questions, à son tour :

Le perdre ? Tu as cru... Que je voulais te prendre quelque chose ?

Elle se sent stupide, si stupide, lorsqu'elle rougit et bredouille sa phrase suivante en baissant les oreilles :

Je voulais juste... Jouer... Me battre. Contre toi. Je voulais pas...

Elle secoue la tête, fronce les sourcils.

J'te blesserai jamais, Daisy.

Elle réajuste son regard sur le corps meurtri de son ami. Eeeerhhhm-

J'veux dire. Jamais pour te faire du mal. 'Fin. P'tain c'est compliqué, j'veux dire, t'es mon ami ok ? T'es même-

Avec l'upgrade d'Holly au rang de petite amie, avec les liens de parenté qui l'unissaient à sa fratrie avec qui elle passait aussi beaucoup de temps, avec ces sorties de l'éclate qu'ils faisaient régulièrement...

T'es même mon meilleur ami ! Donc. J'vais pas te faire du mal ! Jamais.

Elle pédale, dans le vide, dans la semoule. Elle pédale dans la merde et peine à s'en sortir.

J'suis désolée si t'as cru ça. J'ai pas fait trop attention, c'est, ça bouillonne, là dedans !

Elle tapote son poitrail d'une patte avec un sourire, une tentative de sourire. Puis son crâne.

Là aussi ça bouillonne un peu, c'parfois un peu difficile ahah-

Tais toi donc un peu, Alexandrine, allons.

Lorsqu'il parle de son oeil, elle ouvre grand les yeux et enfin se rend compte de la profondeur des craintes qu'elle avait du lui infliger. Il pensait qu'elle voulait le rendre aveugle, pourquoi bon elle savait pas trop, mais globalement c'est clair qu'à sa place elle aurait flippé grave. C'était un peu comme... Si elle avait pensé qu'il voulait lui arracher les ailes. Ouais, c'était une bonne comparaison : un truc horrible qu'on ne pouvait se permettre de perdre. Alors elle passa une patte sur son oreille et répondit en ce sens :

Ah, j'comprends... Si j'avais cru qu'tu voulais me bouffer les ailes, j'aurais probablement flippé grave aussi.

Mais heureusement, ils s'expliquent. Heureusement, les paroles viennent à bout des mauvaises compréhension et le lien qui les unit forcit un peu plus de ce constat et de ces efforts. Désastre qui s'excuse, par contre, c'était nouveau. Lui qui n'aimait pas les excuses, lui qui les lui avait reprochées... Comme quoi, tout venait à changer. Alexandrine se redresse et bombe le torse avec une grimace de douleur avant de frapper violemment la morsure de sa patte, souriante :

C'pas grave ! J'la porterai fièrement, comme les autres ! Euh, désolée pour les morsures aussi du coup, j'pensais juste tu voulais jouer un peu plus, violemment.

Avec les crocs, tout ça. Parce que malgré la bêtise que ça recouvrait, elle aimait ces confrontations où l'on s'oubliait un peu. Ces confrontations où l'on se donnait à fond, pour mieux se retrouver, mieux apprécier sa force, et sa vitesse. Ne pas s'encombrer de considérations comme la douleur, la peur de faire mal : parce que l'on sait que l'autre saura encaisser, et rendre les coups. Parce que tout coup trop agressif serait pris comme une erreur et non une agression, et traité comme tel.

A la mention de l'expression, la lumière se fait enfin dans son esprit. Intégralement. Elle comprend les erreurs, les quiproquos qui ont mené jusque là. Elle ne peut s'empêcher de glousser, cachant ses crocs de sa patte :

Mh, c'pas vraiment une expression non, mais... J'parlais aux poules ! Pas à toi ! Après c'est vrai que souvent... Quand les gens disent ça, ils le pensent pas vraiment.

Même si elle, elle aurait bien arraché les yeux des poules. Mais elle nota, tout de même. Elle nota qu'il ne fallait pas menacer Désastre de paroles en l'air, parce qu'il y croyait toujours vraiment. Elle le nota, et y ferait désormais attention.

Le sourire de Désastre est... Louable. Mais elle ne lui en avait pas vu beaucoup, et surtout il scellait la fin de leur discorde et de ce fait était précieux. Alors elle répondit du sien, large et bordé de crocs, les yeux plissés de trop le tirer en arrière, et donna un petit coup de tête au loup gris pour sceller cet accord.

Puis elle se tourne vers la purée de poule, et tant bien que mal la scinde en deux parts de purée de poule, pour en pousser une vers Désastre.

Bon appétit !

Elle glissa ses deux pattes sur le cadavre avant de plonger son museau dedans, tirant de larges lambeaux de chair et entendant craquer les os sous ses crocs. Un sourire rougissant se superposait à son habituel, bien plus effrayant, et elle savourait chaque bouchée. C'était... Une bonne poule, bien nourrie avec des grains bio, bien plus tendre que ce à quoi elle était habituée. Les Nakhus, ces génies ! Fallait absolument qu'ils installent ces enclos près du Castel, c'était formidable.

Quelques bruits de pas et déjà elle redressait la tête et plissait les yeux, pour voir approcher une petite forme grise. Elle la reconnut rapidement, il s'agissait d'une louve des Nakhus, qui avait étudié l'accupressure avec eux. Ravie de voir une nouvelle tête, Alexandrine jappa et agita sa longue queue vipérine. Peut-être se joindrait-elle à la fête ? Mais elle déchanta vite, elle baissa les oreilles et son sourire disparut lorsque les traits de la petite louve se firent colère - et tristesse.

Et lorsque ses paroles leur furent jetées à la figure...

Roussette ?

Euh-beuh-pardon-

Elle bredouilla tel un louveteau pris en faute, incapable de comprendre ce qu'elle avait fait de mal. Puis son regard tomba sur la poule qu'ils étaient en train de manger. Roussette. Elle essaya de comprendre... C'était comme... Si quelqu'un avait mangé Grandes-Pattes.

...

... Mauvais comparaison, elle s'en branlait total.

C'était comme... Si quelqu'un avait mangé Grandes-Ailes - oui, voilà. Non pas que ça la touchait beaucoup non plus, n'ayant aucun atomes crochus avec cette boule de plumes, mais elle comprenait tout à fait les sentiments qui auraient emplis Holly à ce geste. Elle l'avait d'ailleurs déjà taquiné à ce sujet, mais ô jamais n'aurait franchi le pas.

Alexandrine se redressa d'un bond et balbutia de nouveau. C'était pas quelqu'un qu'elle connaissait, c'était pas quelqu'un du clan, et surtout ce quelqu'un était triste. Il n'était pas en colère. La colère, c'est facile de se dresser contre. Mais quelqu'un qui a mal...

Euh-beuh on voulait pas euh on s'entrainait et y'avait des trucs autour 'fin ça arrive on va ranger euh Roussette elle était en dessous pardon-

Elle baissa la tête, contrite.

Le principe de familier et non pas de réserve de nourriture l'intriguait beaucoup : est-ce que c'était toutes ses familiers ? Est-ce qu'elle attrapait tout ce qu'elle pouvait attraper ? Est-ce qu'elles avaient toutes un nom, ou juste Roussette ?

Mais elle sentit que ça n'était pas le moment.

Elle gratta le sol de sa patte avant de redresser la tête :

J't'attrapperai une autre poule si tu veux, j'te promets !

Merci Alexandrine, c'est jontil.