Comment te dire - Alexandrine

La communication n'avait jamais vraiment été son fort et c'était quelque chose qu'elle admettait sans problème.
Par chance, il était rare que des tempêtes viennent troubler la relation, presque idyllique, qu'elle partageait avec Alexandrine depuis au moins deux ans. Ce qui n'était pas rien, dans une vie de loup, Holly en avait conscience et en était ravie : Elle restait très amoureuse de sa compagne, malgré le temps qui passait. Non, c'était mieux que cela : Elle était de plus en plus amoureuse au fur et à mesure des mois passés à ses côtés, de ces facettes de sa personnalité qu'elle découvrait. Elle aimait sentir son corps chaud et ses ailes de cuir contre elle, le matin, l'embrasser. Elle aimait leurs mots doux et l'entendre rire.
C'était une relation qui la rendait vraiment heureuse.

Mais qui ne la comblait pas complètement.
Elle avait toujours rêvé d'avoir une famille, sa famille. Mais pour s'éviter des discussions qui l'effrayaient un peu, ce genre de discussions qui pourraient peut-être tout gâcher, elle avait pris soin de garder cette envie, ce besoin, au plus profond de son être, n'en parlant même pas aux amis les plus proches par ce qu'ils connaissaient généralement sa douce d'un peu trop prêt. Et qu'elle devait être la première à être mise au courant.
Par ce qu'elle devait en parler. Par ce qu'elle y pensait tellement, qu'elle en rêvait tellement, qu'elle vivait tellement mal toutes les fins de chaleurs qu'elle ne se sentait plus capable de refouler ce besoin de maternité plus souvent. Alors; Holly avait beaucoup réfléchi, ces derniers jours, à presque s'en rendre malade, par ce qu'elle avait connaissance des rapports entre sa douce et les enfants.

Elle aurait pu attendre un peu plus longtemps, espérer que les choses changent, évoluent dans un sens favorable... Mais déjà, sa cinquième année pointait le bout de son museau et, elle, n'en pouvait plus, de ces incertitudes.
Holly avait imaginé mille façons d'en parler, avait chiffonné bien des morceaux de papiers qui s'étaient vus jetés au ruisseau pour effacer les traces de ces essais non concluants de communication. Et là, maintenant, elle n'était pas plus avancée sur la démarche à suivre, jouant nerveusement avec le bout de sa tresse.

Elle releva la tête, lâcha sa tresse, posa son regard ciel sur la silhouette d'Alexandrine.
Qu'elle était belle, géniale, attentive, attentionnée. Qu'est ce qu'elle pouvait l'aimer.
Holly se rapprocha d'elle et enfouit son museau dans le cou de sa douce, inspirant son odeur, fermant les yeux, profitant calmement de ce contact.
Essayant d'être moins préoccupée.

- Ca va, je réfléchissais.

Elle sourit et repoussa l'une de ses mèches de cheveux du bout de la truffe.

- Oh, non, il va bien. Enfin, côté moral ce n'est toujours pas ça mais... Ca finira par aller mieux !


Elle était confiante, là dessus : Il n'était plus seul et lui avait dit, lui-même, avoir trouvé sa place au sein de leur meute.

- Et si on allait faire un tour ?

Un murmure.
Holly n'avait pas vraiment envie de rester plantée ici, au milieu du Castel. Peut-être que les bons mots, si ils existaient, lui viendraient plus facilement en marchant et en passant du temps avec la louve aimée.
Elle l'espérait de tout cœur.

Elles firent les premiers pas en direction de l'entrée du Castel et, déjà, tout se bousculait dans la tête d'Holly. Elle ne savait pas... Comment aborder ce qu'elle ressentait. Hésita à finalement se taire, par peur de la réaction de sa douce. Ce qui n'était pas la solution. Mais par où commencer ? Comment introduire ce genre de désir, dont elles n'avaient encore jamais parlé, en plus. Peut-être qu'Alexandrine ne s'en doutait pas.
La bout de sa tresse reprit sa place entre ses crocs et elle la mâchonna, signe évident de nervosité.

Il lui fallait se jeter à l'eau, pas trop brusquement... Genre, en commençant par y glisser les pattes pour prendre la température, tout ça. Cherchait-elle à gagner du temps, avec ce genre de pensées stupides ? Peut-être bien.
Elle inspira profondément.

- Alex. Tu es merveilleuse, je t'aime... Je t'aime tellement. Tu me rends tellement heureuse.

Elle sourit, sincèrement, malgré le stress qui montait en elle.
Là, ça ne commençait pas trop mal, c'était positif, c'était ce qu'elle ressentait pour sa douce et il n'y avait que de belles choses.
Le plus difficile restait à venir. Et si elles n'étaient pas sur la même longueur d'ondes, déjà, dans l'intensité de leurs sentiments ? Et si elle s'emballait ?
Elle chasse ces pensées parasites d'un battement de cil.

- ... Merde, je sais même pas par où commencer. Mh...

Est ce que c'était vraiment utile de préciser ça ? Putain, elle allait vraiment la faire flipper. Mais ouais, c'était évident, qu'elle allait la faire flipper. Elle allait peut-être même repartir et ne plus jamais revenir, cette fois.
Cette idée la terrifia.

- Pardon, je bafouille. Je... euh... Je. J'aimerais partager plus. Avec toi. Mh. J'aimerais... construire quelque chose, une famille. C'est important, pour moi, viscéral je... T'es pas obligée de me répondre tout de suite. On peut parler, réfléchir, enfin voilà. Putain je bafouille encore.

Elle rougit jusqu'aux oreilles.
Dans sa gueule, l'élastique avait fini par lâcher.

Elle avait compris.
Instantanément, Holly se sentit soulagée et le noeud qui s'était formé dans son estomac se défit. Par ce qu'elle ressentait avait été formulé, certes, de manière très maladroite, mais formulé tout de même. Alex savait ce qu'elle pouvait ressentir et elles pourraient aviser en fonction de cela. Par ce que ce n'était pas des choses qu'elle aurait pu garder secrètes indéfiniment.
Bon, par contre, la profonde stupeur de sa douce n'était pas pour la rassurer. Comment... était-elle censée réagir, désormais ? Esquisser un geste tendre ? Attendre, là, comme une grosse débile, qu'elle lui dise quelque chose ? La laisser digérer tranquillement cette information ?
La dernière option lui semblait la plus correcte.

- Tu préfères être un peu tranquille ? Ou que je reste avec toi ? Tout me va.

Help, je sais pas quoi faire.
Putain, et si elle se barrait enc.... Stop. Cette peur revenait bien trop souvent à son goût.

L'expression et la rudesse dans les paroles d'Alexandrine la touchèrent en plein cœur.
Ses épaules s'affaissèrent et elle se fit plus petite qu'elle ne l'était, son regard se voilant sans qu'elle ne parvienne à sauver les apparences... Sans même qu'elle ne se soucie des apparences, finalement.
Est-ce que c'était un ultimatum ? La question lui brûla dangereusement les babines mais elle s'abstint de la poser, par ce qu'elle avait déjà sûrement trop parlé, aujourd'hui.

Et par ce qu'elle était, peut-être, un peu trop sensible avec les nerfs un peu trop à fleur de peau, aujourd'hui, elle ne put empêcher les larmes de rouler sur ses joues.

Qu'est ce qu'elle ferait, si Alexandrine n'était pas capable de répondre à cette demande ? A quelle réponse s'attendait-elle ? A ce qu'elle lui assure, tout sourire, qu'elle ferait avec cette décision et refoulerait cette envie, ce besoin, comme elle l'avait refoulée jusqu'à maintenant ? Qu'elles continueraient, alors, de mener leur petite vie tranquille, à s'aimer, et que tout continuerait comme si cette discussion n'avait jamais eu lieu ?
Comment pouvait-on regretter ou faire le deuil quelque chose que l'on avait jamais connu, après tout ?

Une colère sourde l'envahit.
Une colère qu'elle ravala aussitôt.

C'était un deuil à faire. Un deuil de plus, elle commençait à y être habituée. Ce n'était pas impossible, rien que d'y penser, ça lui déchirait le cœur. Il lui faudrait continuer cette relation en ayant bien en tête qu'elle n'aurait jamais d'enfants.

Ou partir, et avoir cette famille avec quelqu'un d'autre.
Ce n'était pas ce qu'elle voulait. Pas tant qu'elle aimerait Alex comme elle l'aimait actuellement.

Elle ravala ses larmes, douloureusement.

- Qu'est ce que tu veux que je fasses. Je ferai avec. J'en ferai le deuil.

Chaque mot, chaque phrase furent des flèches logées dans son cœur meurtri.
Non, elle ne pouvait pas comprendre, Alex, par ce qu'elle n'était pas dans sa tête et par ce qu'elle n'avait pas son coeur, par ce qu'elle n'avait pas ses rêves, par ce qu'elle n'avait pas eu l'espoir, par ce qu'elle avait toujours eu sa putain de petite famille trop parfaite avec ses deux super maman, sa soeur géniale et ses frangins qui la kiffent. Elle ne pouvait pas comprendre ne serait ce qu'un tiers de l'intense tristesse qui la submergeait, elle, petite barque de papier sur l'amour-océan hostile. Et comparer cette envie d'enfant qu'elle avait depuis ses premières chaleurs à ses liens avec ses apprentis, non, ce n'était pas ça, la comprendre.
Elle plaqua les oreilles sur l'arrière de son crâne, subissant ses paroles plus qu'elle ne les écoutait réellement.

Tais toi.
Je t'en supplie, tais toi.
S'il te plait...

- ... Arrête.

Un sanglot menaça d'éclater, mais elle le retint du mieux qu'elle put, par fierté, et par ce qu'évidemment ça ne lui plaisait pas de fondre en larmes devant sa copine, qu'elle n'avait pas envie de la faire culpabiliser, malgré la souffrance ressentie.

- Je t'en supplie, arrête. J'ai compris.

Elle ramena l'une de ses pattes contre son propre front, crispant ses doigts autour de ses mèches blanches. Ne pleure plus, ne pleure plus, ne pleure plus.
Ne pleure plus.
Le travail de deuil commençait, douloureusement. Trop douloureusement.

- J'ai besoin d'être seule. S'il te plait. On se revoit ce soir.