Mélodie du passé [Ajani]

Emilitia

«Enterre pâle et légère, ma mère,
Enterre les yeux bien fermés, mon père. »


Elle fredonnait pour elle, assise sur les restes d'un mur, face à la lune ronde et pleine qui trônait en maître dans le ciel nocturne quand bien même, il n'était pas encore si tard, le soleil venant à peine de disparaître à l'horizon. Emilitia avait toujours été seule les soirs de pleine lune, c'était pourtant le nuit des démons non ? Drippir avait dit que ça ne l'était pas plus qu'une autre, ça dépendait du-dit démon.

« Enterre deux par deux, mes soeurs,
Et quand tu auras terminé, enterre-moi dans l'heure. »


Emilitia était revenue sur ces ruines pour s'y intéresser un peu. Autrefois devait se dresser ici un palais ou un temple immense au vu des lignes que traçaient les restes de murs, des pierres taillées éclatées ça et là, des restes d’œuvres diverses et colorées à l'effigie d'êtres admirés ou vénérés.

« ...Enterre le chevalier avec son aiguillon brisé,
Enterre la dame belle et pâle . »


Elle n'aimait pas cet endroit la louve noir. Oh ce n'était pas ces ruines, symboles par leur état de la destruction  même et de la déchéance d'un lieu, non ça, elle l'aurait sans doute dans un certain sens, affectionné -Emilitia aimait beaucoup exploré ruines et histoires cachées derrière- mais elle sentait comme un malaise en elle. C'était assez léger mais elle avait également comme un picotement qui remontait le long de sa peau comme si des centaines de petites insectes à la morsure électrifiée lui remontait par les pattes. Si les temples noirs regorgeaient de résidus de la même énergie qui composait la louve noire, à cet endroit, il était évident qu'il s'agissait de l'autre énergie.

« Enterre le prêtre dans sa tenue en lambeaux,
Puis, enterre le mendiant avec sa couronne éclatante. »

« On va vraiment rester là ? Cet endroit craint ! »
« Il restes encore des choses à voir. »

C'était un soir de pleine lune. Fut un temps, quelqu'un qui avait beaucoup compté pour lui était associé à cette nuit. Avec elle courait une ombre sur le continent, tandis que la belle argentée se trouvait suspendue dans le ciel. Mais l'ombre s'en était allée. La louve aussi.
Il l'avait vue, il avait été là pour son dernier hommage.
La pleine lune n'avait plus beaucoup de sens désormais ; elle faisait remonter des souvenirs, faisait poindre des regrets.

La pleine lune était la nuit durant laquelle il se rendait à Yurai. Parfois, il le faisait dès le crépuscule. D'autres fois, lorsque l'astre de la nuit était à son apogée. Et d'autres encore, comme ce jour-là, il s'en allait marcher pour apaiser son esprit, à longues et langoureuses foulées, en silence. Il se laissait envahir par les choses qui le préoccupaient pour les assembler en questionnement, pour méditer sur la manière d'aborder les problèmes. Il savait la nuit longue, et la déesse ne s'offensait pas qu'il ne soit pas toujours là à la même heure. Que représentait l'heure, pour une divinité ? Tant que la une brillait encore, arrosant les dalles de son temple de lumière, il n'était pas en retard.

Il s'était éloigné, avait franchi la frontière du territoire Nakhu, et continué à marcher sur la terre désolée avoisinnant celles de sa meute. Et ses pas l'avaient mené au pied des Ruines Blanches. les restes d'un grand palais qui avait été dédié aux sept dieux, avant que leur monde ne soit refaçonné. Un lieu dans lequel les dessins et les statues brisées faisaient encore écho à la gloire passée. Bien que majestueux, il ne faisait aucun doute que les temples des septs étaient aujourd'hui bien moins impressionants que n'avait pu l'être cette construction. Peut-être le continent n'en connaîtrait-il jamais de pareil. Les etelkrus appelaient leur montage le Castel, mais de château elle n'avait que le nom.

Alors qu'il contournait les montants écroulés d'une haute porte, une voix légère résonna et fit tressaillir ses oreilles.

Enterre pâle et légère, ma mère,
Enterre les yeux bien fermés, mon père.

D'étranges paroles pour une voix qui paraissait bien jeune. Le grand loup suivit la mélodie et, après un instant, parvint à distinguer un peu plus loin une silhouette.

Enterre deux par deux, mes soeurs,
Et quand tu auras terminé, enterre-moi dans l'heure.

Il se figea et cligna plusieurs fois des yeux, alors que les barrières mentales autour de ses émotions se dressaient et que son glowstick menaçait de s'allumer plus que de raison. Devant lui, face à la lune, se découpait une ombre terriblement familière.

Enterre le chevalier avec son aiguillon brisé,
Enterre la dame belle et pâle.

Une silhouette délicate sur fond de clair de lune, dans un contre-jour qui l'empêchait d'en distinguer correctemnet les traits. Mais son esprit les redessinait pour créer une vision qui n'était pas tout à fait réelle. Ses yeux s'agrandirent légèrement alors que son coeur bondissait dans son large poitrail. Il retint son souffle.

Enterre le prêtre dans sa tenue en lambeaux,
Puis, enterre le mendiant avec sa couronne éclatante

Etait-ce sa voix ? La nuit, la vision, tout le poussait à le croire. Pourtant rien de rationnel n'aurait pu justifier qu'lele se trouvât ici ce soir-là. peut-être la fatigue accumulée ces derniers jours avec les événemetns qui avaient secoué la meute comme son esprit lui jouait-elle des tours. Il avait tant envie d'y croire, pendant un instant.

"Limule ?" Souffla-t-il.

La louve était de dos, face à la lune.

Emilitia

Elle l'a entendu, cet inconnu qui est arrivé, ses oreilles se sont dressées au nom prononcé. Pourtant Emilitia chantonne encore un peu la fin de l'air sans les paroles. C'était une mélodie qui restait dans la tête, il était préférable de la faire sortir entièrement pour ne pas la garder des heures durant.

« Pensez-vous pouvoir être un des personnages qui ont été cité ? » Elle eut un petit rire, léger, amusé. « Je crois que la chanson parle d'un royaume déchu, si je devais être un personnage, je serais certainement celui à qui les paroles sont adressées. » Observatrice d'un monde qui tombe en ruine, comme ce soir, assise sur ce qu'il restait d'un autre époque.

Emilitia finit par se retourner, faisant dos à la lune, face à un immense loup au pelage immaculé si opposé au sien. Il est le jumeau de la lune, grande et brillante, elle est l'ombre de la nuit. Et puis il y a ce nom qui a été prononcé.

« Les loups auprès desquels j'ai grandi appelaient ma mère ainsi. Ça ne ressemble pas à un véritable nom cependant, j'ignore si vous la cherchiez elle ou si ce n'est qu'une coïncidence. »

Au travers des yeux de son masque, elle regarde sans un mouvement le grand mâle blanc. Dans son expression, c'est comme s'il avait vu un fantôme. Emilitia n'en était pas un, lui sans doute y ressemblait bien plus.

« Malheureusement, je crains que vous ne puissiez la retrouver si c'est elle que vous cherchiez. »

Sa mère ne faisait plus partie du même monde qu'eux. Aucune tristesse ni mélancolie pourtant dans sa voix, la louve noire ne l'était pas même si elle ne pouvait nier que parfois, elle aurait aimé que la louve blanche soit là.

La louve parla à nouveau, avant de se retourner. Et l'illusion s'en fut en fumée, en cette poussière blanche que ses pattes légères firent s'envoler lorsqu'elle bougea. Toujours perchée sur son mur, bien plus petite et bien plus grane que lui à la fois, il ne faisait plus aucun doute qu'il ne s'agissait pas de sa soeur. Sa silhouette n'était pas apparue d'encre simplement parce qu'elle se trouvait face à la lumière crue de la lune ; en réalité son pelage lui-même était d'une teinte sombre. Même si sa silhouette rappelait celle dont elle avait été un écho, c'était là leur seule ressemblance frappante. Peut-être partageaient-elles quelques traits de visage, mais il était impossible de le dire. Un masque cachait la forme de son museau, de ses yeux, cachait cette porte qui mène si facilement à l'âme. Maintenant qu'elle avait bougé, il voyait également une paire d'aile brillantes collées à ses flancs.

L'explication de cet air qui lui avait paru si familier vint bien vite cependant.
Les loups auprès desquels j'ai grandi appelaient ma mère ainsi.
Il ne s'était pas complètement fourvoyé.

Un éclat de surprise passa dans le regard de l'Oracle alors qu'il enregistrait l'information. Cette mystérieuse de louve était donc de son sang. Elle était une petite partie encore vivante de Limule, quelque-chose qu'elle avait laissé derrière elle autre que les souvenirs. In croyable. Inespéré.

Il ne sentait pas sur son pelage l'odeur des Raeders, de toute façon doutait fort que ces derniers lui aient caché son existence. Ou plutôt, il répugnait à le croire. Ces dernières années avaient tissé entre eux des liens qu'il espérait solides, durables, basés sur une confiance que les autres loups avaient bien du mal à accorder aux pirates. Il avait envie de croire que ç'avait été la bonne solution, celle de leur faire confiance. Et il ne voyait pas Abysse ou Ann lui cacher délibérément l'existence de la fille de sa soeur après qu'il eût partagé avec eux la cérémonie qui l'avait renvoyée à l'Océan. Quelle était l'histoire de cette louve ? Ses propos étaient-ils vrais ? Etait-elle seulement réelle ou si trouvait-il à nouveau dans un rêve étrange qui prendrait une terrifiante tournure ?

"Non, en effet." Répondit-il doucement à sa dernière phrase, et son aura se fit un peu mélancolique. "Je l'ai vue partir là d'où l'on ne revient pas."

Son expression avait repris une neutralité bienveillante, et il ajouta :

"Si vous êtes réellement sa fille, nous sommes de la même famille." Il hésita un instant puis ajouta : "Je m'appelle Ajani. Je suis son frère."

Il ne savait pas exactement à quel point la louve connaissait la famille de sa mère ou son histoire. Il tâcha de jauger sa réaction, le museau toujours relevé pour ne pas la quitter des yeux, là-haut sur son perchoir.

Emilitia

« Oh vraiment ? »

Léger étonnement avant qu'il ne dévoile qui il était. Étrangement, Emilitia sentit comme une sorte de mélancolie provenant du grand mâle, une tristesse à l'évocation de sa mère que la noire n'avait pas été capable de ressentir en ces funestes instants. Etait-ce là la réflexion d'un fragment d'empathie que le loup blanc forçait à faire ressentir consciemment ou non ? Emilitia n'était pas certaine d'apprécier, elle s'en détourna bien vite cependant.

« Oh, ma mère vous a évoqué quelques fois dans ses histoires ! Je n'avais jamais pris conscience que vous puissiez exister véritablement. » Enthousiasme naissante, la louve noire émit un léger rire avant de sauter de son morceau de mur pour venir faire le tour du grand mâle blanc. « C'est vrai, vous lui ressemblez un peu. » Elle s'arrêta devant lui, à quelques pas, à la limite sans doute de la bulle de confort mais dû se mettre sur la pointe de patte pour avoir son visage plus ou moins en face du siens. « Mais il y a une différence évidente entre elle et vous. » Ce n'était pas la taille, mais si Emilitia ne voulait pas qu'on voit son âme au fond son regard, elle ne se privait pas à y chercher celle des autres de le leur. « Vous n'êtes pas seul. »

Emilitia finit par s'asseoir là où elle se tenait, arrêtant de chercher à être de la même hauteur que le grand mâle blanc. La noire n'était pas petite, elle n'était pas grande non plus. Ce loup lui était un géant. Ce loup, son oncle, un fragment de famille, c'était amusant à imaginer, difficile à l'assimiler cependant.

« Je me nomme Emilitia. » Par habitude, elle pointa d'un signe de tête l'insecte qui la suivait. « Lui, c'est Drippir. »

Je n'avais jamais pris conscience que vous puissiez exister véritablement.
Ces mots arrachèrent l'ombre d'un sourire à l'Oracle, parce qu'ils étaient déroutants, inattendus. Ils créèrent aussi dans son esprit une myriade de questions ; que Limule avait-elle conté de sa vie à cette fille que sa famille n'avait pas connue ? En quels termes avait-elle bien pu parler de lui pour que son statut de véritable personne et non pas de personnage fictif pût être incertain ? Il fut cependant touché de savoir qu'elle avait seulement parlé de lui. Et la réaction de la petite paraissait indiquer qu'elle 'avait visiblement pas entendu que du mal de lui, plus exactement, puisqu'elle ne parut pas effrayée, furieuse ou méprisante. Il la suivit du regard alors qu'elle bondissait souplement au sol, tel un chat, pour venir se planter devant lui après l'avoir contourné comme pour le jauger.

Vous n'êtes pas seul.
Il sentit plus qu'il ne vit réellement le regard de la louve alors qu'elle l'observait sans détour, et il ne put qu'acquiescer doucement, une lueur un peu triste dans les yeux. C'était la vérité, lui était entouré d'une grande famille à qui il faisait confiance les yeux fermés. Il ne craignait pas de rentrer le soir pour affronter la solitude - lorsqu'il était seul, il l'avait décidé parce qu'il en avait besoin. Il n'en avait jamais souffert, pour quelque raison que ce fut. Il savait que ce n'était pas le cas de feu sa jumelle, par les dernières rencontres qu'ils avaient eues, par les récits de ses amis Raeders. Et cette voix chantante dans la nuit le lui confirmait.

"Et toi, l'es-tu ?" Demanda-t-il en réponse.

Il prit le parti de la tutoyer, même si les présentations n'étaient pas totalement faites. Ils étaient du même sang, plus proches que la plupart des loups qu'il tutoyait presque spontanément. Il n'était pas un grand adepte des formalités qui rendaient les conversations alambiquées ou pesantes. Elle était libre de le vouvoyer si elle le préférait. Mais lui penchait d'avantage du côté de l'informalité.

"Qu'est-il, exactement ?" Demanda-t-il en pointant les oreilles vers le dénommé Drippir, qui ressemblait à un insecte mais plus gros que tous ceux qui peuplaient leurs contrées.

Emilitia

« Non, il y a Drippir. »

Elle n'était plus seule dans son voyage depuis qu'elle l'avait trouvé. Il était toujours là, volant non loin d'elle et la guidant sur sa fameuse route des démons. Il était cependant vrai que sa part louve à contrario était esseulé et parfois, Emilitia en souffrait, mais jamais suffisamment pour l'empêcher d'avancer. Et si un jour ses maux devenaient trop grands, elle deviendrait démon entièrement pour les effacer.
Emilitia ne se formalisa pas du tutoiement, elle vouvoyait sans véritablement s'en rendre compte dans un excès de politesse acquise durant l'enfance. La louve noire avait toujours été une enfant sage.

« C'est un démon. »
Elle se dressa, assise sur ses pattes arrière pour attraper l'insecte de celles avant de le présenter au grand loup blanc comme un enfant montrant ce qu'il venait de trouver à un parent. Ne l'était-il pas en étant son oncle après tout ?

Le grand mâle se permit un pas en avant, pour pencher légèrement le museau vers l'insectoïde qui était en fait un démon. C'était un mot qui sonnait bien vague à ses oreilles tant il semblait revêtir de sens et d'apparences sur la langue de chacun. Pour certains, les démons étaient des créatures d'autres dimensions - un peu comme cette Bête et son monde rouge qui lui glaçait l'échine dès qu'elle traversait ses pensées - pour d'autres ils étaient l'incarnation de tous ces recoins noirs que chaun avait en son âme. Lui-même ne savait pas trop comment il pouvait les définir. Il savait que, lorsqu'il était pirate, Illidan était réputé pour communiquer avec des démons. Qu'étaient alors ces démons ? Des êtres de chair ou d'esprit ? Celui qui se trouvait devant lui, entre les pattes de la louve foncée, paraissait bel et bien réel, et pas tellement démoniaque. Peut-être un peu dérangeant par sa nature d'ins'ecte aux dimensions inhabituelles - mais ceux qui avaient vécu Everbloom auraient sans doute ri à cette pensée.

"Est-ce qu'il... parle ?" Demanda-t-il en décrochant les yeux de la créature pour revenir sur ce masque qui lui faisait face.

Il espérait que la question ne soit pas trop maladroite, mais il avait du mal à le situer sur l'échelle qui allait de l'animal de compagnie à l'ami presque congénère. Et puis si les loups étaient capables de communiquer avec ue,x peut-être possédaient-ils une forme d'intelligence qu'il ne souhaitait pas froisser.

Emilitia

La question provoqua un rire amusé de la part de la louve. Ce n’était pas vraiment une moquerie mais si elle avait le mérite d’être posée pour un loup  qui n’avait pas véritablement d’affinité avec le monde des démons, elle sonnait un peu absurde ou maladroite dans l’oreille d’une louve habituée comme Emilitia. Bien sur que Drippir parlait, beaucoup même, bien que la louve noire avait tendance à être bien plus bavarde que l’insecte.

« Oui, la langue des démons. Seuls ceux qui y sont liés ou ceux qui l’ont apprise peuvent la comprendre. “

Heureusement qu’elle était là Emilitia, avec son demi sang de démon. Drippir se serait ennuyé dans ce monde. Il serait d’ailleurs encore coincé dans le rituel inachevé qui l’avait invoqué.

“Il comprend la langue des loups mais c’est un démon trop insignifiant pour pouvoir maîtriser une autre que celle des démons.”

Il y avait quelque part, une sorte de magie qui composait son existence. Celle là même qui faisait que Emilitia nécrosait la vie sous ses pas, celle qui faisait qu’en nuée, Drippir faisait naître les fléaux.

Le rire de la louve résonna, cristallin et étouffé derrière son masque, lorsqu'elle réagit à sa question. Il n'en prit pas ombrage - quand bien même c'eut été de la moquerie, il était peu atteint par le mépris des autres. Peut-être était-ce après avoir passé tant d'années à la tête d'un groupe dont les autres moquaient les méthodes et la philisophie, voire même la tournaient en ridicule parfois. Il n'en avait cure, tant que les siens étaient heureux et vivaient sereinement, il était satisfait. Il en déduit sans peine que la réponse devait être une évidence pour quiconque s'y connaissait un peu en démons. Mais c'était bien loin d'être son cas.

Ainsi donc, la créature pouvait parler sa propre langue. Emilita ne précisa pas si elle se situait dans l'une ou l'autre des catégories de loups capables de la comprendre ; il avait le pressentiment que c'était le cas, sans être capable de dire si elle était réellement liées à l'étrange être ou non. Il paraissait se comporter comme les familiers plus originaux les uns que les autres que certains loups arboraient, qui allaient de l'animal tout à fait basique aux plus bizarres choses vivantes. Les nakhus n'y faisaient pas exception, notamment avec leur guide Mage toujours escortée de sa goule Famine. Peut-être était-ce aussi une sorte de démon d'ailleurs. Il n'en avait jamais discuté avec Nocera, mais rangea la question dans un coin de son esprit.

Il hocha la tête, un peu surpris de la nonchalance avec laquelle la louve noire qualifiait son petit compagnon d'insignifiant. C'était visiblement un démon peu suceptible, ou alors qui la craignait trop pour réagir à ce qualificatif peu glorieux. Quelle était la relation qui les liait, exactement ? Etait-il son esclave ou son ami ? Contraint de la suivre, ou volontairement pèlerin à ses côtés ?

"C'est la première fois que je rencontre un démon, je crois." Dit-il doucement en relevant la tête.

C'était comme rencontrer tout un concept finalement.

"Comment vous êtes-vous... rencontrés ?"

Emilitia

« Oh, vraiment ? »

Elle était assez étonnée de ce qu'affirmait cet oncle. A quel point s'était-il séparé de sa sœur pour qu'il n'ait jamais rencontré de démons auparavant quand la louve blanche avait fini noyer dans leur influence ? Emilitia ne l'avait jamais rencontré auparavant cet oncle, n'en avait entendu parlé que dans des histoires qui sonnaient lointaines, c'était au final pas si aberrant. La louve noire se demanda un instant quelle relation elle aurait entretenu avec une fratrie. Son éventualité aurait-elle été ne serait-ce que possible ?

Elle s'enthousiasme lorsque le grand loup blanc lui demande de raconter sa rencontre avec Drippir.

« C'était pendant mon voyage sur la route des démons, il était coincé dans un rituel inachevé, entre les deux plans de nos mondes respectifs. Celui-ci, celui des démons. Drippir dit que les invocateurs n'étaient que des enfants qui ont pris peur. »
« Ils auraient été bien malins tiens, s'ils avaient brûlé sur place. »
« Ce n'était pas un rituel très difficile, je l'ai terminé mais maintenant Drippir est coincé sur ce plan, je ne sais pas encore ouvrir de portes vers l'autre sens et lui n'est pas assez puissant pour ça. »

Elle referma ses pattes sur Drippir, comme pour le couper du monde avant de se redresser un peu plus vers la tête de son oncle, parlant un peu moins fort, cherchant une certaine forme de confidence.

« Mais je préférais qu'il ne reparte pas. »

Elle relâcha le démon qui s'envola pour aller se reposer dans ses cheveux.

Il répondit d'un simple hochement de tête ; il n'ignorait pas que certains Raeders, dont probablement feu sa soeur, avaient déjà évoqué l'existence des démons, voire même parlé de communiquer avec eux. Mais il avait quitté le nid trop tôt pour en être réellement mêlé, pris un chemin trop différent sans doute. Le fait qu'il n'aie pas eu connaissance de cette nièce qui parcourait le monde avant ce jour-là en était sans doute une preuve plus qu'éloquente - même si ce constat lui serrait un peu le coeur.

Elle répondit ensuite ellle à sa question, et dès la première phrase son histoire sembla presque être une sorte de conte. Un voyage sur la route des démons ? Qu'est-ce que cela signifiait au juste ? Existait-il réellement, ce lieu, en une sorte de métaphore, ou était-ce vraiment une sorte de voie qui permettait de rencontrer ces créatures qui paraissaient sortir d'un autre monde que du leur ? L'Oracle nota la notion de "plan" même si elle aussi était bien nébuleuse. Le rituel était plus simple à se figurer ; même sans vouloir invoquer de démons, les pirates en avaient plus d'un.

"Et lui, que préfèrerait-il ?" Demanda-t-il simplement, gardant pour lui toutes les interrogations que soulevait ce drôle de récit.

Emilitia

« Hé bien... »

Elle n'aime pas cette question, sans doute parce qu'il met en évidence un excès d'égoïsme, qu'elle a l'impression que la réponse serait mal acceptée. La louve noire recule dans une moue générale, cesse de s'étendre dans la tentative vaine d'être à la même hauteur que le mâle blanc.

« Drippir parle souvent de retrouver sa Nuée. »

Il la regrettait, Emilitia le savait. Drippir était un démon insignifiant que n'aurait pas du se retrouver seul, il évoluait dans un groupe, dans un tout, une simple pièce de quelque chose de beaucoup plus grand.

« Mais il n'a pas dit qu'elle ne devrait pas être ici. »

Mais ça serait quelque chose de vraiment grave, sans aucun doute, la Nuée déverserait son fléau sur le monde. Emilitia n'en partirait pas, ou peut-être un tout petit peu, elle était encore à demi-louve après tout mais elle était aussi à demi démon du Néant.

Il vit aussitôt, dans l'attitude et le ton que prit la jeune louve, que cette interrogation n'était pas la bienvenue. Sans doute avait-il touché une corde un peu sensible et dont le fond était aisément devinable : elle n'avait pas envie qu'il reparte, mais lui avait peut-être cette envie de repartir. Or, il ne paraissait pas suffisamment puissant pour pouvoir se charger lui-même de son départ et était peut-être même entièrement dépendant du bon vouloir de sa compagne de voyage. Cette hypothèse jetait un regard nouveau sur la relation qui pouvait les unir - cependant il ne doutait pas d'être incapable d'en saisir les subtilités sans pouvoir échanger directement avec le dénommé Drippir.

Ainsi, ce dernier regrettait ce qu'elle appela sa "nuée", qu'il identifia comme son groupe d'origine - que cela veuille dire famille ou plus largement meute comme chez eux. La phrase suivante était plus nébuleuse, sans doute à cause de la connaissance limitée que l'Oracle avait en matière de démons. Le fait qu'ils semblent appartenir à un monde totalement différent du leur en faisaient peut-être des anomalies dangereuses, et c'était ainsi que tout le monde les craignait plus ou moins. Peut-être les loups étaient-ils des démons aux yeux de ceux qu'ils appelaient démons... Mais cette réflexion menait à bien d'autres plus compelxes qu'il n'allait pas mener immédiatement.

"Vous ne pouvez pas en former une nouvelle, tous les deux ?" Demanda-t-il finalement.

Une meute, une nuée, quel que soit le nom qu'ils pourraient donner à ce groupe nouvellement formé, un peu étrange, mais qui peut-être leur convenait.

Emilitia

Emilitia finit par relâcher Drippir, ouvrant ses pattes pour le laisser s'envoler et aller se poser sur un caillou plus loin sur lequel le démon en profita pour défroisser ses ailes en les agitant. Il n'avait d'ailleurs pas forcément apprécier le séjour entre deux pattes mais il ne sembla pas en tenir rigueur, du moins la louve noire ne transféra au grand blanc aucune parole de sa part.

« ça ne marche pas exactement comme ça. Nous ne sommes pas le même genre de démon. »
« Et ta part louve parasite un peu. »
« Je ne suis que démon à demi, je ne peux pas faire grand chose. »
Elle explique au grand loup.
« Mais peut-être qu'un jour je serais suffisamment puissante pour offrir une nouvelle nuée à Drippir. »

Elle remue la queue, l'idée lui plaît, elle lui a toujours plu, celle qui faisait d'elle un être plus puissant. C'était quelque chose que les démons, même à demi, appréciaient.

« Mais ça serait sans doute une mauvaise idée pour ce monde. »

Celui-ci même qui valorisait la lumière et combattait l'ombre. Emilitia savait que dans ce monde régit par des dieux aux lueurs diverses, elle ne faisait pas forcément partie du camp le plus valorisé.

Le regard de l'Oracle suivit le court chemin du petit être ailé, avant de revenir sur Emilita, dont les paroles étaient toujours plus intrigantes. Se pouvait-il qu'elle soit réellement à demi-démon ? Le fait que Limule aie eu une fille paraissait forcément signifier qu'elle avait croisé la route, de manière plus ou moins durable, d'un autre loup et que de leur union était née cette si semblable silhouette noire. Mais ces mots-là laissaient planer un doute qu'il n'aurait jamais eu dans d'autres circonstances. Y avait-il des démons capables... d'avoir des enfants avec les loups ? La question était presque dérangeante, et étant donné qu'il n'avait que Drippir comme exemple concret de démon, un peu improbable aussi. Mais cela expliquerait que la jeune louve soit "liée" aux démons.

Quant à l'idée de créer une nouvelle nuée pour Drippir - qui serait donc exclusivement composée de démons comme lui, car visiblement ce concept ne souffrait pas de diversité en sons sein - elle paraissait à la fois déraisonnable et excitante pour son interlocutrice. Elle avait affirmé que la petite créature n'était pas dangereuse - l'avait-elle fait ? Pas vraiment, elle l'avait qualifié d'insignifiant - mais qu'en serait-il avec cinq, dix, cent ? De combien de Drippir était constituée une nuée exactement ?

Alors que toutes ces interrogations défilaient dans son esprit, son oeil capta dans le ciel la lune qui commençait à décroître. Il était temps pour lui de se remettre en route vers les terres Nakhus et le temple de Yurai, où il avait donné rendez-vous à Kerguelen. C'était une soirée importante, il ne devait pas être en retard.

"J'espère que tu en trouveras le moyen sans faire venir dans notre monde un millier de démons." Répondit-il d'un air presque amusé.

Puis il pointa du bout de la queue l'astre de la nuit qui descendait lentement dans le ciel.

"Je vais devoir m'en aller, quelqu'un m'attend sur mes terres." Il lui lança un regard entendu. "Je suis heureux d'avoir fait ta connaissance. Peut-être nous reverrons-nous."

Maintenant qu'ils étaient conscients chacun de l'existence de l'autre.

Emilitia

Elle remua des épaules, se dandinant sur place, amusée. Si faire apparaître par accident involontaire ou non un millier de démons sur ce monde serait regrettable, l'idée plaisait plutôt bien à la louve noire. Elle se fit plus malicieuse, plus joueuse dans sa voix, malgré le temps et le voyage, Emilitia était encore un peu une enfant.

« Si cela devait se produire, vous le remarquerez bien assez tôt. »

ça ne passait pas inaperçu, un millier de démon, même insignifiants, même de la taille de Drippir.
Mais la conversation prenait fin, le grand mâle blanc avait des obligations qu'il devait tenir, pointant la lune en symbole du temps qui passait.

« Peut-être. »
Ou peut-être pas, en témoignait ce temps où l'un comme l'autre ignorait l'existence réelle du second. Cet oncle n'avait pas vraiment l'air d'être du genre à rendre visite à sa famille plus éloignée, ce n'était pas très grave.
Ondulation légère de la queue.

« Au revoir ! »

Et Emilitia sauta à nouveau sur son bout de muret, dos à la lune, regardant au travers des yeux du masque le loup s'éloigner.