Diplomatie - Nakhus

Conformément à ce qui avait été décidé avec sa consoeur, Hollyhock était venue en terres Nakhus.
Enfin, à la frontière des terres Nakhus, plutôt, par ce qu'elle était bien décidées à respecter l'interdiction de passage en vigueur. Le but était d'apaiser les éventuelles tensions qu'ils pourraient y avoir entre leurs deux peuples (Elle ne connaissait, après tout, pas vraiment l'opinion des Nakhus à leur égard), pas de les entretenir.

Elle se laissa tomber du dos d'Azymondias qui l'avait emmenée jusqu'ici, avec cette rapidité qui lui était habituelle, retombant sur ses quatre pattes.
Son regard bleu scruta les alentours, à la recherche d'un Nakhu qui aurait pou surveiller la frontière. Quelqu'un à interpeller.
Ne voyant personne, dans l'immédiat, elle rejeta la tête en arrière pour hurler un appel.

Ah, quelqu'un !
La louve bleue se tourna vers le nouvel arrivant : il s'agissait d'un mâle noir au masque blanc qui lui disait très vaguement quelque chose. Sans doute était-il présent, lors de l'affrontement avec le Mosasaure, ou au camp de la grève. Ca n'avait pas vraiment d'importance, par ce qu'elle ne connaissait même pas son nom, finalement. Un sourire poli vint étirer les commissures de ses babines et...

- Euh...

Ses joues gagnèrent une teinte rosée.
Si elle s'était attendue à se faire draguer, en venant ici...

- Je suis l'une des Alphas Etelkrus : mon nom est Hollyhock. J'aimerais rencontrer l'Oracle, s'il vous plait.

Que d’agitation. Prudence sentit l’odeur de Violette… puis celle d’une inconnue. Une louve bleue qui attendait sagement aux frontières. Bah tiens, si c’était pas la louve de l’autre fois…
La Licorne afficha un sourire amusé en s’approchant.

« — C’est amusant, c’est toujours aux frontières qu’on se rencontre. »

Petite coïncidence.

« — À croire que c’est le seul moyen d’éviter qu’on ne s’approche… mais… »

Un pas. Deux pas. La voilà traversant la limite Nakhus pour rejoindre la louve.

« — Cette fois je peux prendre la liberté de la franchir. »

Le museau de la louve ne se trouve qu’à quelques centimètres de celui de l’Etelkrus, le regard brillant de malice. Prudy fixa son interlocutrice un instant avant de se tourner vers Violette.

« — T'as l'air en forme, Violette ! »

Peut-être avait-elle interrompu quelque chose ? Hum... quel tombeur ce Violette. M'enfin à défaut d'attendre, ils pourraient au moins passer le temps.

Ohlala mais... ne s'arrêtait-il jamais, ce garçon ?
Holly pinça un peu les babines et détourna légèrement le regard. Elle ne souhaitait pas être impolie -les relations diplomatiques étaient importantes- mais les remarques du loup noir la mettaient quelque peu... mal à l'aise ?

- Vous pourriez peut-être aller le chercher, s'il vous plait ? Je ne bougerai pas d'ici.

Ce serait un peu moins gênant pour nous deux, je crois.

Ses oreilles se dressèrent sur son crâne, lorsqu'elle aperçut une autre silhouette qui progressait dans leur direction. Ah ! Enfin quelqu'un qui pourrait peut-être l'aider en se comportant normalement. Cette louve aussi, elle l'avait déjà aperçue et...
Holly cilla, lorsque la brune se rapprocha d'elle.
...

- Oh. Effectivement.

Etait-ce une tradition Nakhu, d'accueillir les étrangers en faisant preuve de tant d'audace ?
En temps normal, cela ne l'aurait pas vraiment dérangée : il fallait bien l'avouer, la louve, Prudence, de souvenir, était plutôt mignonne et Holly aimait bien ce genre de petits jeux mais...
Mais elle n'était clairement pas là pour s'amuser. Et puis, devant son collègue Nakhu...?
Holly rougit un peu plus.

- Je voudrais voir l'Oracle, s'il vous plait.

Au cas où sa demande n'avait pas été entendue.

Oh elle voulait voir Ajani ? Raisons diplomatiques ou… était-elle plutôt type grand loup avec incroyable chevelure ? Intéressant, intéressant. Prudence eut un sourire énigmatique.

« — C’est mignon, tes joues sont toutes rouges. »

Puis elle se tourna vers Momon, sa queue tressée balayant doucement le sol. Tant de monde aux frontières, c‘était sacrément amusant.

« — Bonjour Momon ! »

Aïe, deux mâles en cette période dans la même zone ça semblait compliqué visiblement… Entre Momon qui semblait bougon et Violette bien décidé à ne pas se laisser faire… D’ailleurs l’un parti. Prudence observa Vio’ partir sans cherché à le retenir. Son museau s’approcha de l’oreille de Momon, alors qu’elle posa son arrière-train sur le sol (quitte à attendre…).

« — Ne sois pas si grognon. »

Prudy n’aimait pas trop la mauvaise humeur, elle toucha la joue du disciple de Yurai de sa truffe, en espérant le rendre plus joyeux par ce contact.
Ne restait plus qu’à attendre Ajani, enfin en attendant, ils pourraient faire un brin de causette.

Enfin !
Enfin, quelqu'un de censé venait à elle ! Son sauveur.
La femelle bleue lui offrit un sourire reconnaissant, mais n'eut guère le temps de s'exprimer avant que la situation ne dégénère un peu. Voilà que le premier loup, celui qui n'était pas méchant mais un peu lourd, s'en allait. Au moins, il irait lui chercher l'Oracle, ce n'était pas plus mal.

...
Holly détourna un peu le regard, à la remarque de Prudence.
Par chance, l'attention de la brune se reporta sur le nouvel arrivant, prénommé Momon. Holly cilla : Elle avait l'air particulièrement... caliente, cette Prudence.
Enfin, qui était-elle pour juger ?

Elle adressa un sourire désolé à Momon.

- Je suis navrée de vous avoir mis dans l'embarras. Effectivement, je suis venue pour parler diplomatie.

La large silhouette de l'Oracle était tout juste rentrée dans le Sanctuaire, après une marche méditative dans les recoins du Dédale que seuls les Nakhus connaissaient bien, lorsque la voix de Violette le héla. Efficace, le loup à crête lui indiqua en quelques mots que sa présence était requise à l'une de leurs frontières - leur fermeture montrait combien les autres loups avaient l'habitude de les passer sans réfléchir, il avait l'impression qu'on lui rapportait sans cesse la présence d'un étranger sur l'une d'entre elles depuis cette décision. Il se demanda si les Etelkrus vivaient la même chose de leur côté, ou si leur territoire n'intéressait absolument pas les autres loups. Ca soulevait d'ailleurs une drôle de question, qui était celle de l'exploitation de leurs ressources par ceux qui ne contribuaient pas au maintien en ordre de leur territoire... Mais il ne voulait pas songer à ça pour le moment. Il avait suffisamment d'autres choses à l'esprit, et dans l'immédiat une alpha à rencontrer.

"Merci de m'avoir prévenu Violette." Répondit-il de son timbre grave, et son aura se chargea de reconnaissance.

Sa sensibilité de prêtre capta le malaise qui paraissait habiter son comparse, mais sa tentative très claire d'échapper à plus de conversation le dissuada d'en demander plus à ce sujet. Il lui adressa donc un sourire qui se voulait encourageant, et son grand corps se mit en branle pour aller rejoindre ses camarades et l'étrangère à la frontière. Sur le trajet, les images et les ressentis qu'il percevait au sujet de Holly remontaient doucement à son esprit. Il les avait gardés un peu en retrait jusque-là, puisque n'étant pas nécessaires et parasitant souvent sa réflexion. Mais en cet instant, ce pouvait être des atouts précieux.

Il ne chercha pas à arriver discrètement et rallia les Champs Mystiques d'un trot ample, le lourd flot de ses cheveux flottant dans on sillage. Ses prunelles claires captèrent en même temps que sa truffe leur odeur les silhouettes de ceux qu'il cherchait. Momon, Prudence, et Holly. Il s'approcha, les oreilles en avant, et salua tout d'abord ses deux camarades Nakhus. Puis il tourna son regard bleu glace vers l'apha Etelkru. Cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas vue, et il ne l'avait surtout jamais vue comme Alpha. Ils parlaient à d'égal à égal désormais, et il était curieux de savoir ce qu'il sortirait de cette conversation.

"Violette m'a dit que vous me cherchiez, Alpha Holly." Lança-t-il en s'immobilisant devant le petit groupe.

Il n'avait pas la candeur de penser qu'elle était là par hasard ou pour simplement lui passer le bonjour. Il avait d'ailleurs été un peu surpris que plus de loups ne manifestent pas clairement leur mécontentement face aux décisions rapidement prises le soir de l'incendie. Tout particulièrement les Etelkrus qui avaient pris l'habitude d'arpenter leurs terres pour rallier le Nord, et qui devaient désormais faire un large détour par la Plaie du Monde et au-delà du Plateau du Soleil pour pouvoir la rejoindre. Ils avaient remarqué les traces de certains d'entre eux récemment.

"Merci de l'avoir accueillie." Ajouta-t-il en tournant la tête vers Momon et Prudence. "Accepteriez-vous de nous excuser un moment ?" Demande-t-il doucement.

Il ne voulait pas les congédier d'une manière trop autoritaire - c'était plus une demande qu'il réel ordre. Mais il doutait fort que l'un ou l'autre trouve cela amusant de regarder une conversation entre les deux chefs. A moins que l'un d'entre eux osit particulièrement friand de petits ragots et curieux de la tournure que le tout prendrait.

À la question du Nakhus, l’ancienne solitaire se contente d’un clin d’oeil. Un sourire lorsqu’elle entend les excuses.

« — Je compte sur toi. »

Prudence se fait pensive à la remarque concernant Violette. La bleue aurait sûrement montré les crocs si cela trop gênant pour elle, ça la disciple de Moiro ne se faisait pas d’illusions. Elle semblait quand même avoir du caractère la bleue… enfin du moins Prudence espérait… Puis Ajani arrive. Un instant, Prudence fixe l’Oracle à sa demande. C’était dommage, l’ambiance était vraiment au top à la frontière… puis sa truffe s’approche de celle de l’Etelkrus.

« — On se reverra, Holly. »

Un coup de museau à Momon, alors que la Licorne fait un bond pour laisser les deux loups parler.

« — Tu viens Momon ? »

Ils trouveraient bien quelque chose pour s’occuper. Ou chacun retournerait à ses occupations.

La situation s'arrangea, au plus grand plaisir de la louve bleue qui n'était, clairement, pas venue en ces lieux pour assister à une dispute entre Nakhus. N'étaient-ils pas, d'ailleurs, censés être un peuple pacifique ? Enfin, leur accueil et ce qu'il se passait actuellement en venait à faire naître les premières ébauches de ce qui serait sa conclusion : Elle les connaissait finalement bien peu.

L'Alpha offrit un sourire poli à l'Oracle fraîchement arrivé. Sourire qui se mua rapidement en une expression de surprise.
Holly, vraiment ? En plus d'accueillir les étrangers en tentant de les séduire, on les appelait aussi par leur surnom ? Elle s'était, pourtant, bien présentée en tant qu'Hollyhock.
Enfin, soit. Sans doute avait-il entendu l'un des siens la nommer ainsi, sur le camp de la grève. Dans tous les cas, ce ne serait pas quelque chose pour lequel elle lui tiendrait rigueur, préférant, de toutes manières, son diminutif. Mais c'était tout de même surprenant.

Holly tourna la tête vers les deux Nakhus congédiés, s'attarda sur le grand mâle sombre.

- Ce sera un plaisir partagé.

Ils en auraient peut-être l'occasion, de se recroiser. Ou peut-être pas, seul l'avenir le lui dira.

- Bonjour, Oracle Ajani. Je suis venue discuter avec vous des relations diplomatiques entre nos deux meutes. Avec ma consœur, nous avons eu connaissance de l'incendie que vous avez subi. Nous en sommes désolées, et nous sommes également navrées de la maladresse dont les nôtres ont pu faire preuve à votre égard.

Au fil des mots, son regard franc vint accrocher celui du mâle.

- Nous serions, cependant, honorées, d'avoir la possibilités de vous aider, dans la reconstruction de ce qui a été détruit ou endommagé.

Les relations diplomatiques étaient et seront toujours importantes.
C'aurait pu avoir quelque chose de comique, de la voir soulever ce fait, pour quiconque l'avait surprise cette nuit là, les sourcils froncés et les crocs découverts, écumant de rage en songeant à celui qui avait volé les cœurs.
Mais de l'eau avait coulé sous les ponts, elle ne pouvait saboter le travail diplomatique accompli par Anette et Pepper et, surtout, ce qu'elle savait de lui, parmi toutes ces informations, la rassuraient plus ou moins.
Il s'était posé, depuis bien longtemps, déjà, et, en plus d'être un Oracle, était désormais père de famille.

...
Rassurée, disait-elle. Elle cilla, bien malgré elle, lorsque lui parvint une nouvelle information.
Lui aussi, savait tout d'elle.
Sans doute savait-il aussi, qu'elle savait tout de lui.

L'Oracle suivit d'un regard reconnaissant les deux silhouettes qui s'éloignèrent. Puis ses prunelles revinrent sur l'alpha Etelkru alors qu'elle prenait la parole en premier. Au-delà des mots, chacun d'entre eux était conscient d'autres infimes informations, imprécises, hasardeuses, qui leur arrivait comme autant de pensées parasites. Et parmi cela, en effet, la certitude que l'autre savait lui aussi.

Sans surprise, elle entra aussitôt dans le vif du sujet en parlant de relations diplomatiques. Il nota qu'elle parlait beaucoup, et qu'lele parlait bien. Les Etelkrus étaient, il l'avait remarqué, des loups plus volubiles, et leurs anciennes cheffes avaient un parler bien à elles. Si la bleue ne l'avait pas complètement emprunté, elle était en tout cas un chef plus orateur qu'il ne l'était lui. Elle prit le sujet sensible à bras le corps et lui présenta des excuses quant au comportement que les siens avaient eu alors, qu'elle qualifia de maladroit. Le regard de l'Oracle se refroidit légèrement. Ce n'était pas exactement le mot qui lui venait à l'esprit lorsqu'il songeait à ce qui s'était passé. Mais la louve bleue n'y était pour rien. Il avait envie de croire que les deux chefes Etelkrus n'auraient pas soupçonné que les leurs auraient une telle attitude. Après tout, le courage était l'une des valeurs que ce qu'ils appelaient la chevalerie portait haut.

Il découvrit en laissant d'avantage les informations qu'il recueillait un peu au hasard de leur conversation envahir son esprit qu'elle avait eu des sentiments mitigés à son égard, sans en connaître l'exacte raison. Si ses principaux griefs semblaient passés, il en fut intrigué toutefois. Mais l'événement n'avait pas dû être assez marquant dans son histoire pour qu'il n'en comprenne les détails. Même si le rang qu'il occupait pour sa déesse le rendait plus sensible et réceptif que la moyenne, ces visions et ces flashs étaient en grande partie constitués de ressentis.

"Vos guerriers ne sont pas des louveteaux. Ils ont agi de leur propre gré, et ce n'est pas vous qui en portez la responsabilité." Répondit-il calmement. "Vos excuses sont louables, mais ce n'est pas à vous de les faire."

Son aura s'était faite un peu moins chaleureuse, un peu plus sévère. Elle avait la drôle de saveur de la réprimande parentale. Pas celle qui fait sortir les crocs ou les griffes, mais qui a un amer goût de déception.

"Vous comprenez certainement pourquoi il sera à l'avenir... compliqué de continuer à organiser de telles choses." Ajouta-t-il.

Son ton n'était pas agressif, ni glacé. Il énonçait ce qu'il considérait comme un fait, une conséquence logique de ce qui était arrivé. Il ne déclarait pas la guerre aux Etelkrus, mais il était clair dans ses paroles que ces derniers avaient énormément baissé dans l'estime que les Nakhus leur portaient.

"Même si l'incendie était impressionnant, les dégâts que la Bibliothèque a subi ont pu être limités. Il n'y a rien de détruit que nous ne puissions reconstruire de nous-même." Répondit-il enfin en refusant poliment son offre.

Autour de lui, l'atmosphère redevint plus tranquille, plus chaleureuse, plus semblable à celle qu'on lui connaissait. Il remua une oreille au son d'un oiseau qui s'envolait non loin et finit par ajouter d'une voix plus basse :

"Il est étrange que nous nous rencontrions si tard et en nous pourtant connaissant déjà si bien."

Une étincelle presque amusée passa dans son regard. Ils étaient par bien des aspects diamétralement opposés. Par d'autres étrangement semblables. Le destin avait dessiné entre eux cet étrange lien que certains loups mettent des années à construire, à force de confidences et de discussions qui n'avaient l'air de rien. Ils étaient comme des amis qui ne s'étaient jamais réellement parlé, jamais réellement vus, et ourtant chacun en connaissait bien plus sur l'autre que beaucoup de loups partageant leur entourage.
Pourquoi suis-je celui qui comprend si bien que votre coeur soit en morceaux ?

Aïe.
Les reproches tombèrent et lui firent serrer les crocs de manière presque imperceptible.
Il était vrai, à y réfléchir, maintenant, qu'il aurait été de bon goût pour les leur de venir présenter leurs excuses aux Nakhus. Mais ça n'avait pas été fait et, venant de la part de l'un d'entre eux... Holly doutait fort que ce le soit : Du moins, pas de bon cœur.
La diplomatie lui semblait plus complexe que ce qu'elle aurait espéré, en venant ici. Sans doute Anita aurait-elle bien mieux rempli ce rôle qu'est, de par sa douceur et son empathie naturelle.

Mais c'était-elle qui était là et elle ferait de son mieux pour mener cette mission à bien.

- Je comprend.

De ce fait, tombait à l'eau la petite collaboration dont elles avaient discuté, avec Anita. Enfin, pas totalement : peut-être que le temps saurait apaiser les choses et permettrait donc ce genre de choses à l'avenir.
De son côté, elle tenterait, tout de même, d'obtenir des excuses de la part des siens... Mais Narcisse était si mal, en ce moment, ne serait-ce pas le coup de grâce, que de lui demander cela ?
C'était compliqué, trop pour qu'elle puisse songer à de telles choses en plein milieu d'une discussion.

Elle hocha la tête à la dernière remarque, le regard curieux.

- C'est la première fois que je rencontre quelqu'un possédant également ce don curieux. Je vois que nous avons fait le même cauchemar.

Tout comme Daisy, comme Alexandrine, tout comme Anita, Meshret, Epine, la mercenaire...
Elle cilla.
La mercenaire qui était morte.
La mercenaire qu'Ajani connaissait, évidemment.

- Je suis désolée, pour Lewis. Toutes mes condoléances.

Ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait ignorer.

Il ne sut trop comment interpréter son attitude, cependant il était certain d'une chose : les réponses qu'il lui donnait ne la satisfaisaient pas. pourtant, il devait lui reconnaître une maîtrise d'elle-même face à cette situation bloquée qui était tout à fait louable. Une fois de plus, il se demanda si avec ces deux louves à leur tête, bien différentes de celles qui les avaient précédé, les Etelkrus n'allaient pas changer légèrement de cap. S'adoucir peut-être, ou au moins devenir plus tolérants. La jeunesse des alphas précédentes avait été marquée par des événements traumatisants qui avaient construit l'épaisse carapce autour des loups du Castel. Maintenant que tout cela n'était plus que souvenir, peut-être les choses allaient-elles aller en s'améliorant. Il se contenta donc de la remercier du regard lorsqu'elle répondit simplement qu'elle comprenait.

Elle fut plsu expressive en revanche lorsqu'il aborda indirectement le sujet de cet étrange songe qu'ils avaient eu en commun. Il hocha la tête mais n'eut pas le temps de formuler une réponse avant que le fil des pensées de la louve ne l'amène à l'un de leurs dénominateurs communs.
Lewis.

Vieillir, voir passer de nombreuses années, n'avait jamais été une réelle crainte pour l'Oracle Nakhu. Il acceptait sans peine le fait qu'il n'était que de passage dans le monde, et que durant le temps qui lui était imparti il devait faire de son mieux pour le rendre meilleur. Depuis qu'il avait ouvert son coeur à Yurai au sujet de l'après, il n'avait plus réellement de peur non plus à ce sujet-là. Ce qui lui faisait de la peine, ce qui le blessait et lui faisait regretter ses jeunes années, ce n'était pas la perspective de s'en aller, pas la tristesse que son corps ne soit plus celui d'un jeune loup, pas la vertigineuse certitude d'avoir plus de choses derrières lui que devant lui.
Non, la pire des choses qu'il avait à vivre, la rançon d'une longue existence, était la perte de ceux qui lui étaient chers.

Au fil des ans, il avait vu s'en aller nombre de loups auxquels il tenait et de bien diverses manières. On aurait pu croire que l'on finissait par se faire au deuil, à ce chagrin qui surgit soudain pour petit à petit s'atténuer. Mais ce n'était pas le cas. C'était à croire qu'il oubliait inconsciemment le fait que tous ceux qu'il côtoyait étaient mortels eux aussi. Le jour de leur mort était un douloureux rappel. d'autant plus lorsqu'elle arrivait à des loups plus jeunes que lui. Pour Gloria ou pour Lewis, la macabre surprise l'avait pris à la gorge, avait noyé son esprit d'un mélange de chagrin et de nostalgie qu'il se devait de cacher derrière les murailles de son esprit.

En posant à nouveau les yeux sur l'alpha, il se demanda subitement si elle les voyait, ces barrières-là. Si comme tous les autres elle ne ressentait que ce qu'il laissait passer de ses émotions, ou si le lien étrange entre eux la rendait capable de mesurer l'intensité de ce qu'il cachait derrière son masque de bienveillante impassibilité. Il avait si peu laissé passer au monde ce qu'il ressentait, pour leur épargner ce fardeau.

"Merci." Répondit-il simplement, et son aura se chargea d'une tristesse diffuse et d'un peu de gratitude.

Elle avait sans aucun doute vu combien la louve violette avait compté pour lui, mais ne s'était pas servi à d'autres desseins de cette information. Il lui en était reconnaissant. Il ajouta doucement :

"Je ne sais pas si vous avez laissé à quelqu'un la possibilité de le dire... Je suis désolé que votre coeur aie tant souffert."

Avait-elle eu des amis assez proches pour voir comme lui les voyait les blessures de son coeur ? Ils se tenaient là, face à face, chacun connaissant les failles et les cicatrices de l'autre. Les siennes, Eva les connaissait en grande partie. Elle l'avait aidé à continuer avec cela, elle était un pilier inébranlable dans sa vie. Il voyait dans ces presque-visions que la louve bleue avait des congénères à qui elle tenait réellement. Il voyait le pilier qu'avait été Pepper désormais effondré. Un autre aussi, qu'il n'identifiait pas. Celui d'un loup qui s'en était allé. Qui étaient les autres ?
N'y aurait-il que les vies réalisant son désir le plus cher qui parviendraient un jour à en construire de nouveaux ?

Alors qu'il se laissait emmener parmi ce que le lien laissait entrevoir de l'un et d el'autre, acceptant par la même occasion qu'elle en apprenne autant sur lui qu'il n'en apprenait sur elle, il se douta soudain de ce qui avait pu causer un grief à son égard. Il redressa légèrement les oreilles, et finit par demander :

"Est-ce mon passé de Raeder qui a jeté cette ombre dans le regard que vous portiez sur moi ?"

Cela ne le dérangeait pas de l'éclairer, si cela la faisait repartir le coeur plus léger et débarrassée de ce tourment. Cete histoire-là, il la connaissait par coeur, il l'avait déjà souvent racontée et il en assumait chaque ligne.

L'Aura de tristesse que dégagea le mâle ne la surprit pas vraiment.
Elle semblait être la cause d'un pouvoir -inné ?- et elle avait, depuis le début de leur entrevue, sentit quelques changements d'atmosphère, au fur et à mesure que les mots étaient prononcés.
Cela la toucha un peu plus que le reste, elle du se l'avouer. La vie n'avait pas été tendre avec lui, non plus. A sa différence, cependant, il demeurait une compagne à ses côtés. Pour cela elle l'enviait un peu.

Malgré les embûches, il possédait la vie dont elle l'avait toujours rêvé. Il était aimé, encore, on ne l'avait pas abandonné -pas de son plein gré- et une grande famille lorsqu'elle avait du balancer son corps au premier venu, un mâle qu'elle ne reverrait pas et dont elle se fichait bien par ce que...

- Pas vraiment.

Par ce qu'elle était seule, malgré tout, à s'enliser dans ses problèmes.
Il y avait eu les regards détournés, l'oubli infligé, par ces âmes aimées qui s'en allaient, l'une au Nord et l'un au loin sans se soucier de ce qu'elle avait pu ressentir, sans lui parler seulement, sans expliquer les raisons de leur propre souffrance. C'était drôle, ça, elle était l'Alpha de la plus grande meute de ce pays et il n'était pas rare qu'elle ai un sourire à offrir à l'un des siens, au Castel. Quiconque ne la connaissait pas vraiment pouvait se dire que tout allait bien, qu'elle était, tout au pire, juste un peu fatiguée : Mais quoi de plus normal, lorsque l'on était mère célibataire et Alpha en même temps ?

Et pourtant...
C'était peut-être ça le problème. Il n'y avait, dans ses liens, que des proches de l'une des personnes qui l'avait fait le plus souffrir, de par son absence et par le manque de communication qu'il y avait eu entre elles. Pas qu'elle ne se dédouane de ses propres tords, non : ils étaient là et ils étaient grands.
Mais c'était compliqué et il y avait, finalement, tant de choses qu'elle gardait pour elle depuis des années : La souffrance refoulée d'un désir, si fort, d'être mère, le besoin, si grand, d'une présence à ses côtés, que l'on ne pourrait lui offrir, les maux du passé et un deuil si difficile à faire.

C'était tant de choses qui avaient manqué de la faire sauter dans le vide, bien des fois et qui, encore, lui laissaient un goût bien amer en gueule et la sensation d'un cœur que l'on déchirait.
Encore et encore.

Que lui restait-il, hormis ces enfants qu'elle s'était permise d'avoir, seule ?
Toujours si seule.

- Merci.

Elle se sentait vulnérable, alors qu'il savait tout d'elle, que chacune de ses blessures pouvaient -possiblement- être lue avec aisance. Ils connaissaient tout, l'un de l'autre, tout en demeurant des étrangers.
Pourtant, Holly ressentit de la sympathie pour cet Oracle d'un peuple aux valeurs si éloignées des leurs.
Quelle étrange journée.

Holly se racla la gorge -si serrée-.

- Le vol des cœurs, plus que le passé de Raeder. Il avait affecté Pepper. Ma mère.

Et Pepper avait toujours eu une grande influence sur ses choix et ses pensées.

Peu à peu, au fil des secondes qui s'égrenaient et des battements de leurs coeurs, une sensation se détacha des autres, de cet espèce de magma de choses qu'il pouvait ressentir à son égard. Il s'en voulut un peu d'avoir fait ressurgir ce sentiment à la surface, mais une part de lui avait l'impression qu'il s'agissait de quelque-chose qui en vérité prenait déjà toute la place. Il avait simplement été enterré sous de multiples couches, comme pour être caché et oublié. La souffrance de l'abandon. Une fois de plus, il s'efforça de garder étanches les barrières de son pouvoir alors qu'il était soudain pris au plus profond de lui-même par cette sensation. Une ombre passa dans son regard, une ombre triste et désolée, fugace.
Non, lui n'avait jamais connu ça.

Durant un très bref instant, peut-être grâce au don qui les reliait, peut-être grâce à cette sensibilité un peu exacerbée que lui offrait son rang de prêtre, peut-être simplement parce que les chemins du destin étaient mystérieux, il le ressentit. Ce sentiment qui déchirait le coeur, et qu'il n'avait jamais vécu. Un mélange de déception, de colère, d'une peine si profonde qu'elle semblait un puits dans lequel tomber encore et encore. Il goûta cette amertume qui n'avait jamais tapissé sa bouche, ce goût de bile qui ne s'en allait plus. La désillusion, après avoir cru en un rêve si beau, de le voir s'effondrer et partir en miette avec le vent. La solitude. Toujours la solitude, seule compagne fidèle et bourreau à la fois.
Il cligna plusieurs fois des yeux, comme frappé de plein fouet par ces émotions. Il avait l'habitude de faire ressentir aux autres ses états d'esprit, pas que l'inverse se produise. pas avec autant d'intensité en tout cas. Il souffla silencieusement et ses épaules se relâchèrent légèrement. La sensation était repartie aussi vite qu'elle était venue.
Merci.

Le regard qu'il lui jeta était un peu différent après cela. Il n'avait pas pitié d'elle, non. pas vraiment, parce qu'elle s'était débattue après ça, parce qu'elle avait forcé le destin à prendre la route qu'elle lui voulait, au moins un peu, malgré les blessures et malgré les trahisons. Elle méritait d'avantage d'admiration que de pitié. Cela n'en faisait pas moins quelqu'un qui, il faisait peu de doute à ce sujet, était par moments profondément malheureux. Il finit par murmurer :

"Lorsque les temps seront moins troublés et les frontières à nouveau ouvertes, vous pourriez passer du temps ici." Il désigna le territoire Nakhu, derrière eux. "Nos terres et la proximité de notre déesse sont... propices à la réflexion et à l'apaisement."

Dessiner une parenthèse dans cette existence un peu chaotique, poser du baume sur les blessures du coeur en acceptant de se replonger dans de douloureux souvenirs pour en tirer des leçons, et non plus de la rancune. Il ignorait si cette louve-là en était capable, parce qu'elle avait tout de même au fond d'elle cette flamme dangereuse qui brûlait au fond de nombre d'Etelkrus. Cette flamme passionnée mais parfois trop prompte à détruire, qui cachait à ses porteurs les chemins de la sagesse. Rien ne coûtait d'essayer toutefois. L'Oracle était partisan de donner à chacun une chance, en bon Nakhu.
Cette phrase avait évidemment une double signification - elle portait l'assurance qu'un jour, les choses redeviendrait un peu ce qu'elles étaient avant. Elle expliquait que pour le moment, ils ne voulait pas d'autres qu'eux-mêmes, le temps de panser leurs blessures et de discuter de l'après. Mais ils entrevoyaient quelque-chose de lumineux, au bout du tunnel. Ils le devaient.

Il écouta avec attention sa réponse à la question le concernant, et hocha doucement la tête.

"Nombre d'erreurs ont été commises ce jour-là, et les raeders en paient un lourd tribut." Répondit-il doucement.

Son regard s'en fut vers le lointain, dans la direction dans laquelle se trouvait l'Océan et les plages inhospitalières de Morne-oeil. Il laissa filer un instant et ajouta :

"Je n'ai pas honte d'avoir agi pour ma meute à l'époque. J'ai conscience aujourd'hui que les Raeders ont été piégés, et j'en faisais partie." Il coula à nouveau ses yeux clairs vers elle. "Et que tout cela n'était qu'un échelon de plus dans l'escalade de la haine entre ceux de la mer et ceux du continent."

Il soupira, puis ajouta avec un sourire presque complice :

"Mais tout cela vous pouvez le savoir sans que je n'aie besoin de le dire, je crois. Ce furent... des jours importants dans ma vie."

Et il avait remarqué de son côté percevoir d'avantage, avec plus de netteté et de précision, ce qui était lié à des moments charnières de l'existence des autres loups du cauchemar. Le vol des coeurs avait été marqué par son départ des Raeders pour aller chez les Nakhus. Un tournant des plus importants, sans doute le moment qui avait écrit son avenir d'une manière quasi certaine.

- Je vous remercie.

Il était rassurant d'avoir un endroit ou se réfugier, si le besoin s'en faisait sentir.
Elle ne savait pas, cependant, si elle pourrait, même un court instant, laisser les siens pour penser à elle : il était difficile de lâcher prise lorsque l'on était dirigeante, représentante de sa meute. Ils croyaient en elle, tous, elle pensait, et se devait donc de ne pas les décevoir.

Mais ses paroles, au delà de tout cela, étaient l'espoir de relations plus apaisées avec les Nakhus. Hollyhock pouvait clairement comprendre leur besoin de se protéger, c'était ce que les Etelkrus faisaient, eux-mêmes, en défendant leurs frontières contre quiconque viendrait menacer, ou non, leur intégrité.
Il était malheureux, cependant, de constater qu'il avait fallu qu'il subisse un incendie pour prendre cette décision. L'on ne pouvait, décemment, pas faire confiance à tout le monde.

- Nous serions également ravis d'accueillir les Nakhus le désirant.

Peut-être qu'un échange serait possible lors que les plaies seront pansées, elle l'espérait.
C'était ce qu'Anita souhaitait aussi, de toutes manières.

Elle l'écouta avec attention.

- Je peux comprendre la dévotion que vous avez eue envers votre meute. Je pense que nous serions nombreux à faire passer les intérêts des nôtres avant ceux des autres.

Elle la première.
Eux, avaient pourtant eu à subir un retour de bâton. Mais, malgré toute la méfiance et la rancœur qu'elle pouvait entretenir à leur sujet, elle devait bien leur reconnaître une grande détermination : Ils étaient peu nombreux et, de ce qu'elle savait, leur île n'était pas des plus hospitalières. Ils auraient alors pu renier leur identité pour vivre une vie de Solitaire, indéniablement plus paisible, cesser d'être un tout maudit pour devenir des individus libres... Mais non, le temps passait et, malgré leurs problèmes, les Raeders demeuraient soudés.

Ce n'était pas pour cela qu'elle pardonnait les actes.
Pour cela, il faudrait du temps et, sûrement, des actes de leur part.

- J'ai quelque chose à vous demander, Oracle Ajani, une requête pour les miens. Certains ont de la famille, enterrée dans le cimetière présent sur vos terres. Je comprend votre besoin de rester en retrait, pour un instant, mais pourriez vous laissez les Etelkrus qui le souhaitent venir rendre hommage à leurs proches décédés, s'il vous plait ?

Je n'ai personne à prier ici, moi, mais je ne puis les priver de ce droit.

Si ce n'était pas un oui franc, au moins possédaient-ils toujours, dans une certaine mesure, la possibilité de venir rendre visite à leurs morts.
Ainsi, Anita, Alexandrine et Narcisse ne seraient pas séparés de leur grand-père. Cela lui convenait et levait, soudainement, un poids de ses épaules.

- C'est moi, qui vous remercie pour le temps précieux que vous avez bien voulu m'accorder.

Elle hocha la tête en une salutation respectueuse.

- Je n'oserais cependant trop en abuser. Passez une belle journée, Oracle Ajani. Puissent nos chemins se croiser à nouveau, je l'espère.

Sur ces mots, elle retourna sur ses terres, avec l'aide d'Azymondias.