Le dictat de la viande ➼ Cloud

Cloud

Un an

Les plaines tranquilles où s'étaient établies la meute maternelle de Cloud ne l'avait pas habituée à autant de nivellement. Pour autant, ce n'est pas ce qui serrait le coeur de la Grise alors qu'elle arpentait le canyon de la passe ventue : celle-ci avait remarqué que la flore et la faune se faisaient rare en cet endroit. Les quelques plantes qui subsistaient, des races promptes à survivre en climat chaud et en terre sèche, se faisaient également disparates.
Il ne semblait pas à la Cornue avoir déjà arpenté une terre si peu prompte à abriter la vie. Et, aux vues de ses convictions, cela la peinait. Elle aurait préféré pouvoir profiter du soleil levant dans un champ parsemé de fleurs, les herbivores en guise de compagnie distante.
Au-delà de ses convictions religieuses, Cloud appréciait la compagnie d'êtres vivants autres que lupins. Ceci ne pensaient ni ne parlaient - pas sa langue, du moins - et de fait, elle pouvait savourer avec eux ce qu'était le silence sans se sentir envahie d'un sentiment de solitude abrupte et profond.

Mais ici, il n'y avait rien. Cet endroit lui rappelait étrangement celui par lequel elle était arrivé, tout au Nord d'ici - après plusieurs lunes à explorer le continent, la louvarde s'était enfin décidée à prendre quelques repères spatiaux, notamment grâce aux étoiles, comme le lui avaient appris les deux pères qu'elle avait connu.

Le crépitement, qu'elle commençait maintenant à reconnaître, monta crescendo dans son crâne. Il y avait quelqu'un·e à proximité. Depuis que la Cornue avait rejoint ce continent étranger, il y avait moins de voix, et il y avait ce bruit. Quelque-part, Cloud s'en arrangeait plutôt bien, maintenant qu'elle s'y était habituée. Cette nouvelle situation lui demandait moins d'attention, il lui suffisait de faire abstraction de ce bourdonnement quand elle engageait une conversation. Les paroles se bousculaient, se succédaient moins et il lui semblait qu'il y avait eu moins de malaises lors de ses derniers échanges.

La Grise huma l'air, de sorte à clarifier la direction à suivre. L'intensité du bruit lui indiquait, certes, une orientation générale, mais montrait les mêmes désavantages qu'une boussole, il était donc toujours utile à la Solitaire de se reposer sur ses autres sens.
La femelle repéra finalement une odeur féminine - chose peu difficile en cette période particulière - plutôt fruitée mais aussi poivrée et anisée. Elle s'employa donc à suivre la piste, truffe au sol, ne s'attardant que peu, puisqu'il n'y avait pas beaucoup d'autres senteurs à inspecter - celle de la poussière était la plus présente et fit en revanche éternuer la Solitaire à plusieurs reprises.
Enfin, Cloud aperçue l'objet de sa recherche : une louve bien plus grande qu'elle - ce qui était généralement peu difficile étant donné son petit gabarit, mais celle-lui paraissait réellement gigantesque - qui portait également des cornes, pourtant bien différentes des siennes. Trottant, le cœur battant et la queue se balançant au rythme de ses pas rapides, la louvarde s'approcha de sa comparse.
C'est gaiement et en respectant les bonnes manières apprises par Lox, accompagnant même ses paroles d'une petite révérence une fois que le regard vert se fut posé sur elle, que la Grise salua l'inconnue : "Bien le bonjour demoiselle."
La diablotine marqua un temps d'arrêt lors duquel elle prit le temps de détailler plus amplement la femelle, avant de s'extasier : "Que tu es grande ! Est-ce que c'est ton Dieu qui t'a donné ces cornes ? Et ta queue, aussi ?!"
Lox avait bien tenté d'enseigner le vouvoiement à la louvarde, mais c'était une leçon qu'elle avait des difficultés à saisir, d'autant plus lorsqu'elle se retrouvait ainsi submergée par l'émerveillement d'une nouvelle rencontre.

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Cloud

Un an

« Eh bonjour, ma p'tite dame ! »
La queue de Cloud se mit à battre doucement l'air alors que son sourire s'élargissait. La louvarde appréciait qu'on lui donne des surnoms, spécifiques ou non, définitifs ou non, et celui-ci n'était pas pour lui déplaire. Petite, elle l'était certainement, surtout à côté de cette louve impressionnante, et elle ne pouvait renier son statut de dame.

« Aaah non ! Pas de dieu, pour moi : tout n'est qu'un héritage parental et une histoire de gênes qui ont un peu exagérés ! »
Une athée ou une agnostique, donc ! La curiosité de la Cornue s'éveilla encore davantage : elle connaissait l'existence de tels loups mais n'avait jamais eu l'occasion d'en côtoyer de près. Certains avaient bien était de passage sur les terres de sa meute natale, mais jamais aucun n'avait fait le choix de s'y installer. C'était sans doute difficile de s'y sentir comme chez soi quand les résidents ne juraient que par les divinités qu'ils vénéraient.

« Et toi, tu es une sorte de louve des enfers ? Si t'aime bien les cailloux, j'peux te donner un p'tit bout de ma queue. »
Cloud eut une petite moue surprise avant de poursuivre.
Son dogme religieux ne faisait pas mention des enfers. S'il y était bien question de commandements, il n'était pas question de vie après la mort. L'intérêt était davantage de respecter un ensemble de croyances que de gagner des bons points pour s'assurer un coin de paradis. Elle s'imagina donc que les Enfers devaient être un territoire qui lui était inconnu.
"Je suis originaire du Monde des Douzes. Je suis nouvelle ici !"

La louvarde s'autorisa ensuite à se décaler un peu, pour adresser un nouveau regard curieux à la queue de son interlocutrice.
"Je ne me suis jamais vraiment intéressée aux roches, mais j'aime les cadeaux ! Mais attends, papa Lox disait qu'il fallait un prêté pour un rendu !"
Souriante, elle se retourna vers son arrière train, comme pour faire la toilette du bas de son dos. La Cornue se saisit alors d'une des écailles qui constituait l'épiderme de sa queue, non sans une légère grimace de douleur, et la tendit à son interlocutrice.

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Cloud

Un an

Cloud ne pu percevoir le trouble de son interlocutrice, trop peu apte à décrypter les signes non-verbaux. Elle, était plutôt fière d'offrir l'une de ses écailles à la demoiselle : il lui semblait que c'était là un bel échange, et elle comptait bien garder cette pierre aussi longtemps que faire se peut.
Est-ce qu'elles étaient amies, maintenant ? Il semblait à la louvarde que c'était le genre de choses que des amies feraient. Cela lui en faisait donc deux, maintenant ! Son aventure était décidemment bien prometteuse sur le plan social. Qui aurait cru que fuir loin de chez elle sans prévenir personne aurait pu lui apporter tant de richesses ? ¹ Il lui sembla alors qu'elle avait beaucoup à apprendre de Papa Sky, et qu'elle aurait peut-être même du se faire passer pour morte auprès de sa meute. Toutefois, la chose était sans doute un peu cruelle pour sa mère.

Lorsque l'échange fut fait, Cloud glissa la pierre dans l'une de ses chaussettes.
« Yaaay, merci..! Mais t'étais pas obligé d'te faire mal pour ça, tu sais. Un cadeau ça n'attends rien en retour, sinon on appelle ça un..euh..un échange. »
L'étrangère n'avait pas envisagé les choses de cette façon. Les cours de Papa Lox étaient-ils erronés ?
- En tous les cas, je te remercie ! C'était amusant !

« Et qu'est-ce qui t'amènes par ici, sinon ? C'est la pression de tes Douze, qui t'as fais venir là ? »
La Cornue dodelina doucement de la tête.
- Non, ce n'était pas la pression Divine, plutôt celle de ma meute… Disons que le statut et la vie de ma mère faisaient l'objet de colportages, ce qui n'était pas forcément facile pour moi. Sans mentionner le bruit que suscitait autant de mondes réunis...
Sans le comprendre, elle laissa échapper un rire nerveux. Comment la grande louve allait-elle réagir ? Maps, elle, n'avait pas semblé saisir à quel bruit la fille de Vadzy faisait référence.

¹ Puisqu'elle était, en effet, maintenant plus riche d'une amie et d'un caillou.

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Cloud

Un an

La réaction de son interlocutrice fut loin d'être négative. Si elle paraissait bien pensive, elle apparût ouverte et compréhensive.
« Vrai qu'c'est pas donné à tout l'monde, de supporter l'brouhaha constant des discussions et des respirations, c'n'est pas quelque chose auquel j'pourrais me faire, moi... Pour s'attirer autant d'attention, ta mère devait prétendre à un haut-rang, non ? »
La Cornue opina.
- Ma mère est cheffe de guilde.
C'était, par chez-elle, l'expression qu'on préférait à celle d'"alpha".
- J'imagine que si ça n'avait pas été le cas, mes pairs ce seraient beaucoup moins préoccupé de ses choix de vie.
C'était en réalité parfaitement erroné. Cette meute avait une forte appétence pour tout ce qui relevait du commérage, et Lucida avait, dès son arrivée et avant-même d'en prendre la tête, été le sujet. Pourtant, cela la louvarde ne pouvait le concevoir.

Comme Papa Lox l'avait appris à Cloud, elle s'efforça de retourner la question, de quelque façon que ce soit. C'était comme cela qu'on menait les conversation, lui avait-il dit.
- Comment s'organise ta meute ?

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Cloud

Un an

« Yep. »
Qu'il était plaisant de se sentir écoutée. Dans sa jeunesse, Cloud avait eu à faire à beaucoup d'individus qui ne semblaient pas vraiment disposés à prêter une attention à leurs interlocuteur·ices, trop préoccupés par leur propre personne et leurs intérêts. Mais, quelque-part, n'en avait-elle pas fait partie, préférant la Solitude aux incessants bavardages ?

La grande demoiselle pouffa et la louve claire releva - il lui fallut un effort, à vrai dire - un regard surpris vers elle.
« J'en ai pas, de meute. J'en ai jamais eu et j'en aurais jamais. »
De surprise, son expression devint intriguée. Était-ce seulement possible ? Elle-même avait quitté sa meute sans un regard en arrière, et pourtant, en conservait toujours l'identité, comme un mensonge à elle-même quant à la promesse d'un éventuel retour à ses racines.
« Tout ce à quoi j'ai appartenu, c'est à ma famille. Et maint'nant, à un rassemblement de solitaires, sans que cela ne tienne du groupe organisé. Et encore, appartenir... 'fin, disons que chacun fait sa life, on partage juste un endroit commun et la liberté comme valeur, et chacun œuvre pour cet endroit safe et sécure pour quiconque ne sait où poser ses pattes. »
La Cornue réalisa qu'elle n'avait écouté qu'à demi, trop perdue dans ses pensées, quand une question lui fut posée de façon détournée.
« J'pourrais t'montrer où c'est, si tu veux. »
Plutôt que de s'arrêter sur l'ironie de la situation, la louve claire préféra faire amende honorable.
- Excuse-moi, je m'étais égarée. Que pourrais-tu me montrer ?
"Égarée" étant sans aucun doute le terme le plus adéquate à sa situation, et pas seulement concernant cet échange.

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